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24/11/2020 | FRANCE | N°19NT03400

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 5ème chambre, 24 novembre 2020, 19NT03400


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

L'association de chasse maritime du Morbihan a demandé au tribunal administratif de Rennes, d'une part, d'annuler la décision implicite par laquelle le préfet du Morbihan a refusé d'engager des poursuites pour contravention de grande voirie à l'encontre de M. D..., à raison des travaux d'endigage réalisés sur les parcelles cadastrées H nos 303, 304 et 580 au lieu-dit " Bavalan ", sur le territoire de la commune d'Ambon, et de procéder à la délimitation du domaine public maritime au droit de ces parcelle

s, d'autre part, d'enjoindre au préfet de dresser procès-verbal de contrav...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

L'association de chasse maritime du Morbihan a demandé au tribunal administratif de Rennes, d'une part, d'annuler la décision implicite par laquelle le préfet du Morbihan a refusé d'engager des poursuites pour contravention de grande voirie à l'encontre de M. D..., à raison des travaux d'endigage réalisés sur les parcelles cadastrées H nos 303, 304 et 580 au lieu-dit " Bavalan ", sur le territoire de la commune d'Ambon, et de procéder à la délimitation du domaine public maritime au droit de ces parcelles, d'autre part, d'enjoindre au préfet de dresser procès-verbal de contravention de grande voirie et de procéder à la délimitation du domaine public maritime au droit de ces parcelles.

Par un jugement n° 1702686 du 17 juin 2019, le tribunal administratif de Rennes a annulé la décision du préfet du Morbihan en tant qu'elle refuse d'engager des poursuites pour contravention de grande voirie à l'encontre de M. D... à raison de ces travaux, a enjoint au préfet de dresser procès-verbal de contravention de grande voirie et a rejeté le surplus des conclusions de la demande de l'association.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés les 19 août 2019, 17 janvier, 27 février, 20 mars, 14 avril et 15 avril 2020, M. A... D..., représenté par Me G..., demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1702686 du 17 juin 2019 du tribunal administratif de Rennes en ce qu'il a annulé la décision du préfet du Morbihan refusant d'engager des poursuites pour contravention de grande voirie à son encontre à raison des travaux d'endigage exécutés sur les parcelles cadastrées H nos 303, 304 et 580 au lieu-dit " Bavalan " sur le territoire de la commune d'Ambon et a enjoint au préfet de dresser procès-verbal de contravention de grande voirie ;

2°) de rejeter, dans cette mesure, les conclusions de la demande présentée par l'association de chasse maritime du Morbihan devant le tribunal administratif de Rennes ;

3°) de mettre à la charge de l'association de chasse maritime du Morbihan une somme de 3 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la requête de première instance était irrecevable, en ce qu'elle a été présentée par l'association de chasse maritime du Morbihan qui n'avait pas d'intérêt ou de qualité pour agir ;

- les travaux d'entretien de la digue ne sont pas illégaux ; l'existence de la digue est ancienne, et son entretien existe depuis que les marais sont exploités ; la rénovation de la digue correspond à la création de fossés ayant pour objet de dévier la montée des eaux ; un propriétaire peut légalement édifier un ouvrage destiné à se prémunir de l'avancée de la mer ;

- les parcelles litigieuses n'ont pas fait l'objet d'une nouvelle submersion totale, mais d'une submersion partielle ; le passage de l'eau de mer en un seul point a été causé par la destruction malveillante de l'un des clapets mis en place en 1989 ; l'origine délictuelle d'une telle submersion ne peut entraîner leur intégration au domaine public maritime ;

- l'intégralité des parcelles litigieuses ne peut être rattachée au domaine public, dès lors que seule une partie très limitée de leur surface a alors été recouverte par le plus haut flot ;

- l'objet de la création d'un parc naturel régional dans le golfe du Morbihan n'est pas de délimiter le domaine public ; la carte de ce parc ne constitue pas un indice de la délimitation du domaine public maritime ;

- l'infraction prétendument commise est prescrite ;

- les aliénations successives des parcelles litigieuses correspondent aux exceptions prévues par l'article L. 3111-2 du code général de la propriété des personnes publiques ; les parcelles ne relèvent pas du domaine public maritime :

* les parcelles cadastrées à la section H 304 et H 580, sont incluses au sein de la métairie du château de Bavalan, cédée en qualité de bien national, le 12 Thermidor an IV ; la chaîne de propriété de ces biens, depuis la vente révolutionnaire réalisée au profit de

M. E..., est établie à son profit ;

* l'aliénation de la parcelle cadastrée à la section H 303 est antérieure à l'édit de Moulins ; le roi de France n'a jamais été propriétaire de la seigneurie de Bavalan ; la propriété de cette parcelle procède d'un acte provisionnel du 1er juin 1434 par lequel Messire Hervé de Malestroit cède à son gendre, Jehan de Bavalan, ce terrain ; cet acte a été collationné par l'administration royale en 1627 ; la chaîne de propriété de ce bien est établie à son profit.

Par des mémoires en défense enregistrés les 20 décembre 2019, 15 février, 12 mars et 4 avril 2020, l'association de chasse maritime du Morbihan conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de M. D... une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés.

Le ministre de la transition écologique et solidaire a présenté des observations le 25 février 2020.

Un mémoire de l'association de chasse maritime du Morbihan a été produit le 5 mai 2020 et n'a pas été communiqué.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- l'édit de Moulins ;

- le code général de la propriété des personnes publiques ;

- le code de l'urbanisme ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. B...,

- les conclusions de M. Mas, rapporteur public,

- et les observations de Me F..., représentant M. D....

Une note en délibéré présentée par l'association de chasse maritime du Morbihan a été enregistrée le 17 novembre 2020.

Une note en délibéré présentée par M. D... a été enregistrée le 20 novembre 2020.

Considérant ce qui suit :

1. L'association de chasse maritime du Morbihan a demandé au préfet du Morbihan, le 6 mars 2017, d'une part, d'engager des poursuites pour contravention de grande voirie à l'encontre de M. D..., à raison des travaux d'endigage réalisés, en février et en mars 2017, sur les parcelles cadastrées à la section H sous les n°s 303, 304 et 580, au lieu-dit " Bavalan ", sur le territoire de la commune d'Ambon, d'autre part, de procéder à la délimitation du domaine public maritime au droit de ces parcelles. Le préfet du Morbihan a implicitement rejeté cette demande. L'association a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler cette décision du préfet du Morbihan et d'enjoindre au préfet de dresser procès-verbal de contravention de grande voirie et de procéder à la délimitation du domaine public maritime. Par un jugement du 17 juin 2019, le tribunal administratif de Rennes a annulé la décision implicite du préfet du Morbihan en tant qu'elle refuse d'engager des poursuites pour contravention de grande voirie à l'encontre de M. D..., à raison des travaux d'endigage réalisés sur les parcelles concernées, a enjoint au préfet de dresser procès-verbal de contravention de grande voirie et a rejeté le surplus des conclusions de la demande de l'association. M. D... relève appel de ce jugement en ce qu'il a annulé la décision du préfet du Morbihan refusant d'engager des poursuites pour contravention de grande voirie à son encontre, à raison des travaux d'endigage exécutés sur les parcelles cadastrées H nos 303, 304 et 580, au lieu-dit " Bavalan ", sur le territoire de la commune d'Ambon et a enjoint au préfet de dresser procès-verbal de contravention de grande voirie.

Sur la recevabilité des conclusions de la demande de première instance dirigées contre la décision implicite du préfet du Morbihan en ce qu'il refuse d'engager des poursuites pour contravention de grande voirie à l'encontre de M. D... :

2. Aux termes de l'article L. 422-28 du code rural et de pêche maritime : " I. - La chasse maritime est celle qui se pratique sur : 1° La mer dans la limite des eaux territoriales ;

/ 2° Les étangs ou plans d'eau salés ; / 3° La partie des plans d'eau, des fleuves, rivières et canaux affluant à la mer qui est située en aval de la limite de salure des eaux ; / 4° Le domaine public maritime. ".

3. L'association de chasse maritime du Morbihan est titulaire d'un droit de chasse sur le domaine public maritime situé sur le territoire de la commune d'Ambon, notamment au lieu-dit " Bavalan ", pour une durée de neuf ans, en vertu d'un contrat d'amodiation du 24 juin 2014. Dans ces conditions, elle justifie d'un intérêt à contester le refus du préfet du Morbihan d'engager des poursuites pour contravention de grande voirie à l'encontre de M. D..., à raison des travaux d'endigage, qui sont susceptibles, notamment, d'affecter la fréquentation des marais par le gibier d'eau, réalisés sur les parcelles cadastrées à la section H sous les n°s 303, 304 et 580, situées au lieu-dit " Bavalan ", dont elle soutient qu'elles sont comprises dans le domaine public maritime. Par suite, la fin de non-recevoir opposée par M. D... aux conclusions de la demande de première instance de l'association dirigées contre la décision implicite du préfet du Morbihan en ce qu'il refuse d'engager des poursuites pour contravention de grande voirie à son encontre sur les parcelles en cause doit être écartée.

Sur la légalité de la décision du préfet du Morbihan en ce qu'il refuse d'engager des poursuites pour contravention de grande voirie à l'encontre de M. D... sur les parcelles cadastrées H 303, H 304 et H 580 :

4. Il appartient au juge administratif de se prononcer sur l'existence, l'étendue et les limites du domaine public, sauf à renvoyer à l'autorité judiciaire une question préjudicielle en cas de contestation sur la propriété du bien litigieux dont l'examen soulève une difficulté sérieuse. Le caractère sérieux de la contestation s'apprécie au regard des prétentions contraires des parties et au vu de l'ensemble des pièces du dossier. Le juge doit prendre en compte tant les éléments de fait que les titres privés invoqués par les parties.

5. Aux termes de l'article L. 2111-4 du code général de la propriété de personnes publiques : " Le domaine public maritime naturel de L'Etat comprend : / 1° Le sol et le sous-sol de la mer entre la limite extérieure de la mer territoriale et, côté terre, le rivage de la mer. / Le rivage de la mer est constitué par tout ce qu'elle couvre et découvre jusqu'où les plus hautes mers peuvent s'étendre en l'absence de perturbations météorologiques exceptionnelles (...) ". Aux termes de l'article L. 3111-2 du code général de la propriété de personnes publiques : " Le domaine public maritime et le domaine public fluvial sont inaliénables sous réserve des droits et des concessions régulièrement accordés avant l'édit de Moulins de février 1566 et des ventes légalement consommées de biens nationaux. ". Sur ce fondement, les particuliers justifiant de titres de propriété résultant d'aliénations antérieures à l'édit de Moulins de février 1566, ou de ventes de biens nationaux, sont en droit de revendiquer la propriété de biens qui auraient normalement dû faire partie du domaine public maritime.

6. Il résulte de l'instruction, et notamment des plans et photographies produits, que les parcelles revendiquées par M. D..., cadastrées à la section H sous les n°s 303, 304 et 580, au lieu-dit " Bavalan ", sur le territoire de la commune d'Ambon, constituent d'anciennes salines, marais et herbes de pré salés, et sont comprises dans la zone littorale où les plus hautes mers peuvent s'étendre. Toutefois, M. D... soutient que ces parcelles ne font pas partie du domaine public maritime mais relèvent de sa propriété privée. Il produit, à cet effet, divers titres privés selon lesquels les parcelles cadastrées H 304 et H 580 auraient été incluses dans la métairie du château de Bavalan, propriété de l'émigré Quifistre de Bavalan, et cédées, le 12 Thermidor an IV, à M. E... en qualité de bien national, puis, par un acte d'échange du 6 floréal an XIII, aux Hospices de Vannes et auraient fait l'objet d'une suite ininterrompue d'actes translatifs de propriété entre personnes privées depuis la vente révolutionnaire. Par ailleurs, s'agissant de la parcelle cadastrée H 303, il soutient que celle-ci a été aliénée par Messire Hervé de Malestroit, par un acte provisionnel du 1er juin 1434, au profit de son gendre Jehan de Bavalan, soit antérieurement à l'édit de Moulins, et que cet acte a été " collationné " par l'administration royale en 1627. Par un avis du 26 septembre 2016, le directeur départemental des territoires et de la mer a indiqué qu'au regard de ces pièces, ainsi que de ses propres investigations, la parcelle

H 303 correspond aux anciennes parcelles H 587 et 588, appartenant à la seigneurie de Bavalan dont " (...) on peut supposer, puisque les salines de Bavalan n'avaient toujours pas été vendues par la nation en l'an 8 et 9, qu'elles ont fait partie de l'amnistie de l'émigré Quifistre de Bavalan intervenue le 8 nivôse an 11 " et qu'en ce qui concerne les parcelles H nos 304 et

H 580 qui appartenaient aux Hospices de Vannes, " on peut considérer que les parcelles inscrites à l'ancien cadastre au nom des hospices de Vannes, soit les parcelles ex H 586 (H 304) et H 589 (H 589) sont au droit de la vente révolutionnaire du 12 thermidor an 4 au profit de E... ". Pour sa part, l'association de chasse maritime du Morbihan fait valoir, notamment, qu'il n'est pas établi que les terrains en cause dépendaient de la métairie de Bavalan, que l'acte d'échange du 6 floréal an XIII mentionne, d'ailleurs, deux métairies, les métairies du Pourpris et de la Porte ayant appartenu à M. E..., et non la métairie de Bavalan, que les seigneurs de Bavalan sont entrés en possession de la seigneurie d'Ambon, où se situait la parcelle H n°303, avant le rattachement de la Bretagne à la France en 1491 de sorte que cette parcelle n'a jamais appartenu au roi de France et qu'enfin, la chaine de propriété alléguée n'est pas davantage établie.

7. Il résulte de ce qui précède que la question de savoir si les parcelles cadastrées H 303, H 304 et H 580 relèvent des droits et des concessions régulièrement accordés avant l'édit de Moulins de février 1566 et des ventes légalement consommées de biens nationaux, et donc de la propriété privée de M. D..., soulève une difficulté sérieuse de nature à justifier que soit posée au juge judiciaire une question préjudicielle sur la propriété de ces parcelles.

8. Aux termes de l'article R. 771-2 du code de justice administrative : " Lorsque la solution d'un litige dépend d'une question soulevant une difficulté sérieuse et relevant de la compétence de la juridiction judiciaire, la juridiction administrative initialement saisie la transmet à la juridiction judiciaire compétente. Elle sursoit à statuer jusqu'à la décision sur la question préjudicielle ".

9. Il résulte de ce qui a été dit au point 7 qu'il y a lieu, en application des dispositions précitées de l'article R. 771-2 du code de justice administrative, de saisir le tribunal judiciaire de Vannes de la question préjudicielle de propriété des parcelles cadastrées à la section H sous les n°s 303, 304 et 580, situées au lieu-dit " Bavalan ", sur le territoire de la commune d'Ambon.

DÉCIDE :

Article 1er : Il est sursis à statuer sur la requête de M. D... jusqu'à ce que le tribunal judiciaire de Vannes se soit prononcé sur la question préjudicielle de propriété mentionnée au point 9 du présent arrêt.

Article 2 : Tous droits et moyens des parties sur lesquels il n'est pas statué par le présent arrêt sont réservés jusqu'à la fin de l'instance.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... D..., à l'association de chasse maritime du Morbihan et au tribunal judiciaire de Vannes.

Copie en sera faite au ministre de la transition écologique et au préfet du Morbihan.

Délibéré après l'audience du 6 novembre 2020, à laquelle siégeaient :

- Mme C..., présidente,

- M. B..., premier conseiller,

- M. Bréchot, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 24 novembre 2020.

Le rapporteur,

A. B...Le président,

C. C...

Le greffier,

C. POPSE

La République mande et ordonne au préfet des Côtes-d'Armor, en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 19NT03400


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 19NT03400
Date de la décision : 24/11/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Contentieux répressif

Composition du Tribunal
Président : Mme BUFFET
Rapporteur ?: M. Alexis FRANK
Rapporteur public ?: M. MAS
Avocat(s) : LE DANTEC

Origine de la décision
Date de l'import : 05/12/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2020-11-24;19nt03400 ?
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