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20/11/2020 | FRANCE | N°20NT00646,20NT00648

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 3ème chambre, 20 novembre 2020, 20NT00646,20NT00648


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. F... B... et Mme E... C..., épouse B... ont demandé au tribunal administratif d'Orléans d'annuler les arrêtés du 3 juillet 2019 du préfet d'Eure-et-Loir portant à leur encontre refus de titre de séjour, obligation de quitter le territoire français et fixation du pays de renvoi.

Par un jugement n° 1902857, 1902858 du 21 janvier 2020 le tribunal administratif d'Orléans a rejeté leurs demandes.

Procédure devant la cour :

I) Par une requête enregistrée le 20 février 2020 sous le

n°20NT00646 M. B..., représenté par Me A..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 2...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. F... B... et Mme E... C..., épouse B... ont demandé au tribunal administratif d'Orléans d'annuler les arrêtés du 3 juillet 2019 du préfet d'Eure-et-Loir portant à leur encontre refus de titre de séjour, obligation de quitter le territoire français et fixation du pays de renvoi.

Par un jugement n° 1902857, 1902858 du 21 janvier 2020 le tribunal administratif d'Orléans a rejeté leurs demandes.

Procédure devant la cour :

I) Par une requête enregistrée le 20 février 2020 sous le n°20NT00646 M. B..., représenté par Me A..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 21 janvier 2020 du tribunal administratif d'Orléans ;

2°) d'annuler l'arrêté du 3 juillet 2019 pris à son encontre par le préfet d'Eure-et-Loir ;

3°) d'enjoindre au préfet de lui délivrer un certificat de résidence dans le délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de cinq euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat, au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative, la somme de 1 200 euros à verser à son conseil dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et à l'article 108 du décret du 19 décembre 1991.

Il soutient que :

- le refus de lui délivrer un certificat de résidence méconnaît les stipulations du b) de l'article 7 bis de l'accord franco-algérien ; il est un enfant algérien de ressortissant français à la charge de ses parents ; son père dispose de ressources financières suffisantes pour le prendre en charge ; la question du caractère régulier de son séjour est sans incidence sur son droit à se voir délivrer un tel certificat ;

- le refus de lui délivrer un titre de séjour méconnaît les stipulations de l'article 6-5 de l'accord franco-algérien et de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; la décision porte une atteinte disproportionnée à son droit à une vie familiale ;

- il remplissait les conditions pour se voir délivrer un titre de séjour sur le fondement de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- les moyens d'annulation sont également dirigés contre la mesure d'éloignement dont il a fait l'objet ;

- le refus de lui délivrer un titre de séjour méconnaît les stipulations de l'article 7 b) de l'accord franco-algérien dès lors qu'il a présenté un contrat de travail ; il appartenait au préfet de transmettre cet élément à la Direccte pour recueillir son avis.

Par un mémoire en défense enregistré le 8 juillet 2020 le préfet d'Eure-et-Loir conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que les moyens soulevés par M. B... ne sont pas fondés.

II) Par une requête enregistrée le 20 février 2020 sous le n°20NT00648 Mme B..., représentée par Me A..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 21 janvier 2020 du tribunal administratif d'Orléans ;

2°) d'annuler l'arrêté du 3 juillet 2019 du préfet d'Eure-et-Loir pris à son encontre ;

3°) d'enjoindre au préfet de lui délivrer un certificat de résidence dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de cinq euros par jour de retard, subsidiairement de procéder à un réexamen de sa demande ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat, au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative, la somme de 1 200 euros à verser à son conseil dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et à l'article 108 du décret du 19 décembre 1991.

Elle soutient que :

- le tribunal administratif n'a pas répondu au moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article L.313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- il s'est mépris sur la portée de la demande de titre de séjour adressée à l'administration, la décision contestée ayant été prise en réponse à une demande formulée le

11 septembre 2018, qui évoquait leur état de santé, était accompagnée de justificatifs médicaux, de sorte que le préfet devait recueillir préalablement l'avis du collège des médecins de l'OFII ;

- son état de santé justifie que lui soit délivré un titre de séjour en tant qu'étranger malade sur le fondement de l'article 6-7 de l'accord franco-algérien ; sa pathologie est en lien avec les événements traumatisants qu'elle a vécus en Algérie ; le tribunal administratif n'a pas expressément répondu à ce moyen dans le jugement attaqué ;

- la décision de lui refuser un titre de séjour méconnaît les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le refus de lui délivrer un titre de séjour méconnaît les stipulations de l'article 6-5 de l'accord franco-algérien et de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; le préfet n'a pas procédé à une juste estimation de l'impact de sa décision sur sa vie privée et familiale, à laquelle sa décision porte une atteinte disproportionnée ;

- les moyens d'annulation sont également dirigés contre la mesure d'éloignement dont elle a fait l'objet ;

- c'est à tort que le préfet a estimé qu'elle ne remplissait pas les conditions pour se voir délivrer un titre de séjour sur le fondement de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

Par un mémoire en défense enregistré le 9 juillet 2020 le préfet d'Eure-et-Loir conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que les moyens soulevés par Mme B... ne sont pas fondés.

M. B... et Mme C... épouse B... ont été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par deux décisions du 9 mars 2020.

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 modifié ;

- la loi n°91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le décret n°91-1266 du 19 décembre 1991 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme D...,

- et les conclusions de M. Gauthier, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. M. et Mme B..., ressortissants algériens, relèvent appel du jugement du 21 janvier 2020 par lequel le tribunal administratif d'Orléans a rejeté leurs demandes respectives tendant à l'annulation des arrêtés du 3 juillet 2019 du préfet d'Eure-et-Loir leur refusant la délivrance de titres de séjour, les obligeant à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et fixant le pays de destination. Leurs deux requêtes, enregistrées sous les n° 20NT00646 et 20NT00648, dirigées contre un même jugement, présentent à juger des questions connexes et ont fait l'objet d'une instruction commune. Il y a lieu de les joindre pour qu'elles fassent l'objet d'un seul arrêt.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

2. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ".

3. Il ressort des pièces du dossier que M. et Mme B..., ressortissants algériens, sont entrés en France à l'automne 2016 sous couvert de visas de court séjour, accompagnés de leur fille mineure née en 2009. Ils y ont rejoint les parents de M. B..., qui les hébergent, le père de l'intéressé étant de nationalité française et sa mère titulaire d'un certificat de résidence de dix ans, et d'autres frères et soeur du requérant, pour certains de nationalité française, résidant également en France. Leur second enfant étant décédé accidentellement en Algérie à l'âge de dix-huit mois, ils ont eu en France un troisième enfant qui est né le 11 mai 2017. Ils bénéficient d'un accompagnement par des techniciens d'intervention sociale et familiale, ont suivi une formation visant à l'acquisition de l'autonomie dans la vie courante et manifestent une volonté d'insertion professionnelle. M. B... justifie quant à lui d'une promesse d'embauche à temps plein en contrat à durée indéterminée, pour un emploi d'électricien. En outre, il ressort des certificats médicaux produits par les intéressés qu'à la suite de la naissance du troisième enfant Mme B..., souffrant d'une dépression post partum et d'un état de stress post traumatique lié au décès du cadet de ses enfants, a dû bénéficier d'une prise en charge psychiatrique associée à un traitement médicamenteux. La fille aînée du couple, présentant également des symptômes dépressifs liés à un vécu traumatique, a concomitamment bénéficié d'un suivi psychologique, parallèlement à la poursuite de sa scolarité. Dans les deux cas, les certificats médicaux établis par un pédopsychiatre du service de gynécologie-obstétrique des hôpitaux de Chartres les 12 septembre 2017 et 11 octobre 2018 et par un médecin référent du service de psychiatrie infanto-juvénile du même établissement le 3 juin 2019 contre-indiquent un départ du territoire en raison d'un risque de réactivation des traumatismes. Ainsi, dans les circonstances très particulières de l'espèce, liées en particulier à la situation de grande fragilité psychologique de certains membres de la famille, les décisions refusant la délivrance de titres de séjour à

M. et Mme B... et obligeant les intéressés à quitter le territoire français portent à leur droit au respect de leur vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels elles ont été prises, en méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Elles doivent, par suite, être annulées.

4. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens, que M. et Mme B... sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif d'Orléans a rejeté leurs demandes.

Sur les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte :

5. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public (...) prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution ".

6. Il résulte nécessairement du présent arrêt, eu égard au motif d'annulation retenu, et sous réserve d'un changement dans la situation de droit ou de fait des intéressés, qu'il y a lieu d'enjoindre au préfet d'Eure-et-Loir de délivrer à M. et Mme B... des certificats de résidence portant la mention " vie privée et familiale ", dans un délai qu'il convient de fixer à deux mois à compter de la notification du présent arrêt. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.

Sur les frais liés au litige :

7. M. et Mme B... ont obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, leur avocat peut se prévaloir des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme totale de 1 500 euros à Me A... dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et à l'article 108 du décret du 19 décembre 1991.

D E C I D E

Article 1er : Le jugement nos 1902857, 1902858, du 21 janvier 2020 du tribunal administratif d'Orléans et les arrêtés du 3 juillet 2019 du préfet d'Eure-et-Loir sont annulés.

Article 2 : Il est enjoint au préfet d'Eure-et-Loir de délivrer à M. et Mme B... un certificat de résidence portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 3 : L'Etat versera à Me A... la somme de 1 500 euros dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et à l'article 108 du décret du 19 décembre 1991.

Article 4 : Le surplus des conclusions des requêtes nos 20NT00646 et 20NT00648 de

M. et Mme B... est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. F... B..., à Mme E... B..., née C... et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée au préfet d'Eure-et-Loir.

Délibéré après l'audience du 5 novembre 2020 à laquelle siégeaient :

- Mme D..., président,

- Mme Brisson, président assesseur,

- Mme Le Barbier, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 20 novembre 2020.

Le président rapporteur

I. D...

L'assesseur

C. Brisson Le greffier

R. Mageau

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

Nos 20NT00646,20NT00648


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 20NT00646,20NT00648
Date de la décision : 20/11/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme PERROT
Rapporteur ?: Mme Isabelle PERROT
Rapporteur public ?: M. GAUTHIER
Avocat(s) : BLIN

Origine de la décision
Date de l'import : 04/12/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2020-11-20;20nt00646.20nt00648 ?
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