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20/11/2020 | FRANCE | N°20NT00310

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 4ème chambre, 20 novembre 2020, 20NT00310


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... A... a demandé au tribunal administratif de Nantes, d'une part, d'annuler l'arrêté du 1er mars 2019 par lequel le préfet de la Loire-Atlantique a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel il pourra être reconduit d'office lorsque le délai sera expiré, d'autre part, d'enjoindre au préfet de la Loire-Atlantique, à titre principal, de lui délivrer un titre de séjour,

titre subsidiaire, de réexaminer sa situation et de lui délivrer, dans l'attent...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... A... a demandé au tribunal administratif de Nantes, d'une part, d'annuler l'arrêté du 1er mars 2019 par lequel le préfet de la Loire-Atlantique a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel il pourra être reconduit d'office lorsque le délai sera expiré, d'autre part, d'enjoindre au préfet de la Loire-Atlantique, à titre principal, de lui délivrer un titre de séjour, à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation et de lui délivrer, dans l'attente, une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler, dans un délai de quinze jours, sous astreinte de 75 euros par jour de retard.

Par un jugement n° 1905688 du 10 janvier 2020, le tribunal administratif de Nantes a annulé l'arrêté du 1er mars 2019 du préfet de la Loire-Atlantique (article 2), a enjoint au préfet de la Loire-Atlantique de délivrer à M. A... une carte de séjour temporaire portant la mention " salarié " dans un délai de deux mois (article 3), a mis à la charge de l'Etat le versement à Me C... de la somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 (article 4) et a rejeté le surplus des conclusions de la demande (article 5).

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 28 janvier 2020, le préfet de la Loire-Atlantique demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes en date du 10 janvier 2020 ;

2°) de rejeter la demande présentée par M. A... devant le tribunal administratif de Nantes.

Il soutient que :

- les documents justifiant de la minorité et de l'identité de l'intéressé sont apocryphes ; à cet égard, le contrôle apporté sur ces documents par la police aux frontières a porté non sur le fond de ces documents mais uniquement sur leur forme ;

- en outre, les actes établis par une autorité étrangère doivent être légalisés avant d'être produits devant une juridiction ; or seul, en France, le consul du pays concerné peut légaliser de tels actes ; dès lors, les documents en cause dans la présente affaire, qui n'ont pas été ainsi légalisés, sont dépourvus d'effet en France ;

- le demandeur de première instance n'est pas isolé en Guinée ;

- il n'a aucune attache en France en sorte que les moyens tirés de la violation du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales sont infondés.

Par un mémoire, enregistré le 1er avril 2020, M. A..., représenté par Me C..., conclut au rejet de la requête et demande de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il fait valoir que les moyens soulevés ne sont pas fondés.

M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 27 août 2019, dont le bénéfice a été explicitement maintenu par décision du 6 mars 2020.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le décret n° 2015-1740 du 24 décembre 2015 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. B...,

- et les observations de Me C..., représentant M. A....

Une note en délibéré présentée pour M. A... a été enregistrée le 12 novembre 2020.

Considérant ce qui suit :

1. M. A..., ressortissant guinéen, est, selon ses propres déclarations, entré en France en avril 2016. Il a été confié au service de l'aide sociale à l'enfance du département de la Loire-Atlantique par un jugement du 15 mai 2017. M. A... a demandé, le 25 juillet 2018, la délivrance d'une carte de séjour temporaire sur le fondement des articles L. 313-11, 7°, L. 313-15 et L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par un arrêté du 1er mars 2019, le préfet de la Loire-Atlantique a refusé de faire droit à cette demande, a assorti ce refus d'une obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel M. A... pourrait être reconduit d'office à l'expiration de ce délai. M. A... a alors saisi le tribunal administratif de Nantes d'une demande tendant à l'annulation de cet arrêté. Par un jugement du 10 janvier 2020, dont le préfet de la Loire-Atlantique relève appel, cette demande d'annulation a été accueillie.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

2. Aux termes de l'article L. 313-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " A titre exceptionnel et sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire prévue aux 1° et 2° de l'article L. 313-10 portant la mention "salarié" ou la mention "travailleur temporaire" peut être délivrée, dans l'année qui suit son dix-huitième anniversaire, à l'étranger qui a été confié à l'aide sociale à l'enfance entre l'âge de seize ans et l'âge de dix-huit ans et qui justifie suivre depuis au moins six mois une formation destinée à lui apporter une qualification professionnelle, sous réserve du caractère réel et sérieux du suivi de cette formation, de la nature de ses liens avec sa famille restée dans le pays d'origine et de l'avis de la structure d'accueil sur l'insertion de cet étranger dans la société française. Le respect de la condition prévue à l'article L. 313-2 n'est pas exigé ".

3. Par ailleurs, aux termes de l'article R. 311-2-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui demande la délivrance ou le renouvellement d'un titre de séjour présente les documents justifiant de son état civil (...) ". Aux termes de l'article L. 111-6 du même code : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil. (...) " Aux termes de l'article 47 du code civil : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ". Cet article pose une présomption de validité des actes d'état civil établis par une autorité étrangère que l'administration peut renverser en apportant la preuve du caractère irrégulier, falsifié ou non conforme à la réalité des actes en question.

4. Enfin, malgré l'abrogation de l'ordonnance de la marine d'août 1681, et antérieurement à la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019, laquelle l'a rétablie expressément, la formalité de la légalisation des actes de l'état civil établis par une autorité étrangère et destinés à être produits en France demeurait, selon la coutume internationale et sauf convention contraire, obligatoire.

5. Pour refuser la délivrance d'une carte de séjour temporaire sur le fondement des dispositions citées au point 2, le préfet de la Loire-Atlantique s'est fondé sur un double motif. Il a, d'une part, estimé que le jugement supplétif d'acte de naissance produit par le demandeur ne permettait pas de justifier de son identité, et, par conséquent, ne permettait pas de tenir pour établi l'âge auquel il avait été confié à l'aide sociale à l'enfance. D'autre part, le préfet a retenu que le suivi de la formation dont avait bénéficié l'intéressé n'était pas réel et sérieux. Les premiers juges ont estimé qu'aucun de ces motifs n'était fondé.

6. Toutefois, en premier lieu, pour justifier de son identité et de son âge, l'intéressé s'est prévalu d'un jugement supplétif rendu le 10 octobre 2016 par le tribunal de première instance de Conakry II tenant lieu d'acte de naissance ainsi que de l'extrait du registre dans lequel a été opérée la transcription, le 18 octobre 2016, de ce jugement dans les registres de l'état civil de la commune de Ratoma. Or, il est certes exact, comme l'ont souligné les premiers juges, que le " rapport simplifié d'analyse documentaire " délivré par la police aux frontières le 18 août 2017, au sujet de ce jugement supplétif, qui conclut dans le même sens qu'un précédent rapport du 15 mars 2017, présente comme conclusion la mention " favorable " et qu'un jugement du 15 mai 2017 du juge des enfants près le tribunal de grande instance de Nantes a retenu le caractère probant du jugement supplétif au motif qu'il avait " donné lieu à un avis favorable par les services de police " et que ses indications étaient corroborées par une carte d'identité consulaire. Mais, d'une part, il ressort des pièces du dossier que l'analyse menée par les agents de la police aux frontières n'a porté que sur le point de savoir si l'acte guinéen était revêtu des " cachets et tampon " requis. Ainsi, la mention " favorable " figurant dans la partie conclusive de leur rapport révèle uniquement que le jugement supplétif comportait ces " cachets et tampons ". D'ailleurs ce rapport, qui a été rendu après une analyse sommaire de l'acte étranger, ne présente aucune conclusion de portée générale et ne précise notamment pas si, selon ses rédacteurs, l'acte " présente les caractéristiques d'un document authentique ", la rubrique correspondante n'ayant pas été renseignée. D'autre part, le jugement du 15 mai 2017 ne saurait par lui-même constituer un élément s'opposant à ce que le jugement supplétif produit par le demandeur soit regardé comme non probant. Enfin, ainsi que le précise le préfet dans son arrêté, ni le jugement supplétif ni sa transcription dans les registres de l'état civil n'ont été réalisés dans les formes usitées en République de Guinée dès lors que les dates de naissance des parents ne sont pas mentionnées, en méconnaissance de l'article 175 du code civil guinéen, et que la transcription de ce jugement a été effectuée huit jours après son prononcé, en méconnaissance des dispositions combinées des articles 601 et 682 du code de procédure civile, économique et administrative guinéen. Par suite, le préfet établit le caractère irrégulier des actes guinéens produits par le demandeur. Ces actes ne sauraient, dans ces conditions, seuls justifier de l'identité, et notamment de l'âge, du demandeur, alors, au surplus, qu'ils n'ont pas été légalisés régulièrement et ne peuvent de ce fait, en l'absence de conclusion par la Guinée d'une convention supprimant cette formalité, produire aucun effet en France.

7. En deuxième lieu, il n'est pas contesté que la synthèse d'évaluation socio-éducative établie au sujet de l'intéressé, qui se prononçait sur son âge, lui était défavorable. Par ailleurs, si l'intéressé se prévaut d'une carte consulaire établie le 22 novembre 2016, celle-ci a été établie au vu des actes guinéens précités, qui présentent un caractère irrégulier. Dans ces conditions, le préfet était fondé à refuser de délivrer une carte de séjour temporaire sur le fondement de l'article L. 313-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile au motif qu'il n'était pas établi que le demandeur ait été confié à l'aide sociale à l'enfance entre l'âge de seize ans et l'âge de dix-huit ans. Or ce motif suffisait à lui seul à justifier la décision de refus contestée.

8. Il résulte de ce qui précède que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a annulé l'arrêté du 1er mars 2019 par lequel le préfet de la Loire-Atlantique a refusé de délivrer à M. A... un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel il pourra être reconduit, en se fondant sur les moyens qu'il a retenus.

9. Il appartient dès lors à la cour, saisie par l'effet dévolutif de l'appel, de se prononcer sur les autres moyens invoqués par M. A... tant en première instance qu'en appel.

En ce qui concerne le refus de délivrance d'un titre de séjour :

10. En premier lieu, aux termes de l'article 1er du décret n° 2015-1740 du 24 décembre 2015 : " Lorsque, en cas de doute sur l'authenticité ou l'exactitude d'un acte de l'état civil étranger, l'autorité administrative saisie d'une demande d'établissement ou de délivrance d'un acte ou de titre procède ou fait procéder, en application de l'article 47 du code civil, aux vérifications utiles auprès de l'autorité étrangère compétente, le silence gardé pendant huit mois vaut décision de rejet. (...) ". M. A... soutient que le préfet a commis une erreur de droit en n'utilisant pas la faculté, que lui ouvraient ces dispositions, de saisir les autorités guinéennes afin qu'elles vérifient l'authenticité et l'exactitude du jugement supplétif produit par lui. Toutefois, le préfet n'était en tout état de cause pas tenu de procéder à une telle saisine. Par ailleurs, son absence est dépourvue d'incidence sur la légalité du refus de séjour contesté.

11. En deuxième lieu, il ressort des pièces du dossier que M. A..., célibataire et sans enfant, était présent en France depuis moins de trois ans à la date de la décision de refus de séjour contestée. Dans ces conditions, et quelle qu'ait été en l'espèce la vigueur des liens amicaux et professionnels qu'il a pu nouer sur le territoire, cette décision ne méconnaît ni le 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ni ne porte au droit à une vie privée et familiale, protégé par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, une atteinte disproportionnée au but qu'elle poursuit.

12. En troisième lieu, il n'est pas établi que l'admission au séjour de l'intéressé réponde à des considérations humanitaires ou se justifie au regard de motifs exceptionnels. Par suite, le moyen tiré de ce que le refus de titre de séjour serait entaché d'une erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doit être écarté.

En ce qui concerne l'obligation de quitter le territoire français et la décision fixant le pays de destination :

13. Compte tenu de ce qui vient d'être dit, l'exception d'illégalité de la décision de refus le séjour doit être écartée. Par ailleurs, le moyen tiré d'une méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté pour les motifs énoncés précédemment au point 11.

14. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de la Loire-Atlantique est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif a annulé son arrêté du 1er mars 2019 par lequel il a refusé de délivrer à M. A... un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel il pourra être reconduit.

Sur les frais liés au litige :

15. Les dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 s'opposent à ce qu'une somme soit mise à leur titre à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante.

DECIDE :

Article 1er : Les articles 2, 3 et 4 du jugement du tribunal administratif de Nantes n° 1905688 du 10 janvier 2020 sont annulés.

Article 2 : La demande présentée par M. A... devant le tribunal administratif de Nantes est rejetée.

Article 3 : Les conclusions présentées en appel au titre des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 par Me C..., avocat de M. A..., sont rejetées.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... A..., à Me C... et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée, pour information, au préfet de la Loire-Atlantique.

Délibéré après l'audience du 3 novembre 2020 à laquelle siégeaient :

- M. Lainé, président de chambre,

- M. Rivas, président assesseur,

- M. B..., premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 20 novembre 2020.

Le rapporteur,

T. B...Le président,

L. Lainé

Le greffier,

V. Desbouillons

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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N° 20NT00310

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Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 20NT00310
Date de la décision : 20/11/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. LAINE
Rapporteur ?: M. Thurian JOUNO
Rapporteur public ?: M. BESSE
Avocat(s) : CHAUMETTE

Origine de la décision
Date de l'import : 04/12/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2020-11-20;20nt00310 ?
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