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12/11/2020 | FRANCE | N°19NT00544

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 6ème chambre, 12 novembre 2020, 19NT00544


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme E... C... a demandé au tribunal administratif d'Orléans, d'une part, d'annuler l'arrêté du 11 septembre 2017 par lequel la rectrice de l'académie d'Orléans-Tours lui a infligé la sanction du déplacement d'office, d'autre part, d'enjoindre à cette autorité, de la réintégrer dans ses fonctions au sein de l'école élémentaire Henri IV à Chartres, dans un délai de dix jours à compter de la notification du jugement, sous astreinte de 200 euros par jour de retard, enfin, de mettre à la charge l'Et

at une somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justi...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme E... C... a demandé au tribunal administratif d'Orléans, d'une part, d'annuler l'arrêté du 11 septembre 2017 par lequel la rectrice de l'académie d'Orléans-Tours lui a infligé la sanction du déplacement d'office, d'autre part, d'enjoindre à cette autorité, de la réintégrer dans ses fonctions au sein de l'école élémentaire Henri IV à Chartres, dans un délai de dix jours à compter de la notification du jugement, sous astreinte de 200 euros par jour de retard, enfin, de mettre à la charge l'Etat une somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1703921 du 18 décembre 2018, le tribunal administratif d'Orléans a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 5 février 2019, Mme E... C..., représentée par Me D..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif d'Orléans du 18 décembre 2018 ;

2°) d'annuler l'arrêté du 11 septembre 2017 du directeur académique des services départementaux de l'éducation nationale (DASEN) d'Eure-et-Loir ;

3°) d'enjoindre à cette autorité de la réintégrer dans ses fonctions au sein de l'école élémentaire Henri IV à Chartres, dans un délai de dix jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 200 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement attaqué est entaché d'irrégularité faute d'être suffisamment motivé sur le moyen tiré d'une " erreur manifeste d'appréciation " ;

- l'arrêté du 11 septembre 2017 est entaché d'incompétence ; il ne ressort pas de l'arrêté du 30 janvier 2017 portant délégation à M. A..., directeur académique des services départementaux de l'éducation nationale (DASEN) d'Eure-et-Loir que la signature d'une décision portant sanction disciplinaire relève du champ de délégation ;

- l'arrêté du 11 septembre 2017 est entaché d'une erreur d'appréciation ; la sanction se fonde exclusivement sur le témoignage anonyme d'une enseignante ; les témoignages recueillis en octobre 2016 sont contradictoires alors même que les faits incriminés se sont produits en mars 2016 ; si le jugement relève en se référant au rapport établi le 5 octobre 2016 " qu'elle aurait maintenu les deux bras de l'enfant ", elle a été contrainte de retenir le jeune garçon qui s'apprêtait à frapper sa mère ; l'enfant et sa mère parlaient le guinéen ; elle a constaté la tension qui existait entre eux ; il ne peut lui être reproché d'avoir manqué au devoir de protection physique du jeune garçon alors même que cette prétendue faute n'est pas matériellement établie ; le conseil de discipline de recours avait reconnu que ces faits ne justifiaient pas de sanction.

Par un mémoire en défense, enregistré le 2 octobre 2020, le ministre de l'éducation nationale de la jeunesse et des sports conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par Mme C... ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;

- le décret n° 84-961 du 25 octobre 1984 ;

- l'arrêté du 28 août 1990 portant délégation permanente de pouvoirs aux inspecteurs d'académie, directeurs des services départementaux de l'éducation en matière de gestion des professeurs des écoles ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. B...,

- et les conclusions de M. Lemoine, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. Mme C..., professeur des écoles, exerce depuis le mois de septembre 2014 les fonctions de directrice de l'école élémentaire Henri IV au sein d'une école située en zone d'éducation prioritaire à Chartres. A la fin du mois d'août 2016, une de ses collègues a rapporté auprès de l'inspecteur de l'éducation nationale chargé de la circonscription des faits dont elle a été le témoin le 7 mars 2016, mettant en cause le comportement de Mme C... lors d'un entretien dans son bureau avec un élève turbulent, insultant sa mère et ayant des accès de violence, en présence de ses deux enseignantes. Le directeur académique des services départementaux de l'éducation nationale (DASEN) d'Eure-et-Loir a alors décidé de suspendre Mme C... à compter du 30 septembre 2016 et de faire diligenter une enquête administrative. La remise en main propre, le 30 septembre 2016, de la décision de suspension de Mme C..., décidée par le DASEN, s'est déroulée dans un climat de grande tension et la requérante, qui a très mal vécu cet événement, a finalement été prise en charge par les pompiers et transportée aux urgences. Le 3 octobre 2016, Mme C... a rédigé une déclaration d'accident de service suite aux événements survenus le 30 septembre et a bénéficié, par une décision du 18 janvier 2017, d'un congé de maladie reconnu imputable au service pour la période du 30 septembre 2016 au 18 janvier 2017. Dans le cadre de la procédure disciplinaire engagée à son encontre, la sanction de déplacement d'office a été proposée. Cette proposition de sanction n'ayant pas recueilli l'accord de la majorité des membres présents au sein de la commission administrative paritaire siégeant en conseil de discipline, réunie le 6 décembre 2016, Mme C... a saisi le conseil supérieur de la fonction publique de l'Etat qui a, lors de sa séance du 13 juin 2017, recommandé de ne pas sanctionner l'intéressée. Par un arrêté du 11 septembre 2017, la rectrice de l'académie d'Orléans-Tours a décidé de maintenir la sanction disciplinaire de déplacement d'office contre Mme C....

2. Mme C... a, le 12 novembre 2017, demandé au tribunal administratif d'Orléans l'annulation de l'arrêté du 11 septembre 2017. Elle relève appel du jugement du 18 décembre 2018 par lequel cette juridiction a rejeté sa demande et conteste tant sa régularité que son bien-fondé.

Sur la légalité de l'arrêté du 11 septembre 2017 :

3. Aux termes de l'article 66 de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat : " Les sanctions disciplinaires sont réparties en quatre groupes. Premier groupe : - l'avertissement ; - le blâme. Deuxième groupe : - la radiation du tableau d'avancement ; l'abaissement d'échelon ; - l'exclusion temporaire de fonctions pour une durée maximale de quinze jours ; - le déplacement d'office. Troisième groupe : - la rétrogradation ; - l'exclusion temporaire de fonctions pour une durée de trois mois à deux ans. Quatrième groupe : - la mise à la retraite d'office ; - la révocation. ".

4. Aux termes de la décision contestée, il est reproché à Mme C... : " - d'avoir le 7 mars 2016 au cours d'un entretien avec un élève et sa mère, en présence de deux enseignantes, maintenu les bras de l'enfant pendant que sa mère le frappait et d'avoir ainsi failli dans ses missions de directrice à son devoir de protection ; - d'avoir ensuite, par son attitude, généré des tensions nuisibles au fonctionnement de l'école ". Mme C... conteste l'appréciation qui a été faite des deux griefs retenus à son encontre pour fonder la sanction litigieuse.

5. Mme C... ne peut, en premier lieu, soutenir sérieusement que la sanction serait illégale en tant qu'elle repose exclusivement sur le témoignage anonyme d'une enseignante rapportant les faits survenus le 7 mars 2016. D'une part, et ainsi qu'il a été rappelé au point précédent, la sanction contestée se fonde sur deux griefs distincts et sur deux témoignages recueillis après audition ou reçus par courriel. En effet, il ressort des pièces versées au dossier que l'enseignante qui est à l'origine du signalement litigieux n'a pas témoigné de façon anonyme puisqu'elle a sollicité un rendez-vous auprès de l'inspectrice et a été reçue par cette dernière le 28 août 2016. Invitée alors à produire un témoignage écrit, celui-ci a été classé au dossier de Mme C... afin que celle-ci, dans le respect des droits de la défense, puisse en prendre connaissance. Ce sont les services du rectorat qui ont, dans le respect des règles applicables, procédé à " l'anonymisation " de ce témoignage ainsi que de celui de l'autre enseignante présente lors de l'entretien du 7 mars 2016.

6. Toutefois, en deuxième lieu, et s'agissant du premier manquement professionnel du 7 mars 2016 retenu dans la décision contestée, il est fait grief à Mme C..., d'avoir, par son attitude, failli à son devoir de protection d'un élève en ne s'interposant pas entre lui et sa mère alors que cette dernière le frappait, et même, en le maintenant par la force, d'avoir ainsi permis à la mère de répéter son comportement violent à l'égard de son fils. Il ressort des pièces versées au dossier et doit en conséquence être tenu pour établi que le jeune O. a frappé un autre élève avec un ballon dans la cour de l'école durant la récréation. L'institutrice a alors sermonné l'enfant, lequel lui a répondu par des propos vulgaires et est retourné jouer. L'institutrice l'a alors puni en le mettant à l'écart et a téléphoné à ses parents pour qu'ils viennent le chercher. Ne parvenant pas à maîtriser l'enfant qui s'est mis à l'insulter, elle l'a alors confié à la directrice. A 11 h 30, la mère de l'enfant est venue le chercher dans le bureau de Mme C..., où se trouvaient également Mme D. en charge de la surveillance de la récréation le 7 mars 2016 ainsi que l'institutrice du jeune O. Il est à ce stade constant qu'informée des faits reprochés à son enfant, la mère l'a alors giflé une première fois très violemment et que Mme D. s'est interposée entre la mère qui tentait de le frapper à nouveau et l'enfant. Il n'est pas non plus contesté que Mme C... est allée chercher l'enfant qui s'était réfugié près d'une armoire, l'a assis sur la chaise puis lui a maintenu les bras. Tandis que l'enfant était immobilisé, la mère l'a giflé à nouveau. Par ailleurs selon le témoignage de Mme D., Mme C..., alors qu'elle maintenait les bras de l'enfant, lui aurait dit " qu'il méritait cette sanction ". Si Mme C..., quant à elle, ne conteste pas avoir maintenu les bras de l'enfant elle avance cependant pour expliquer cette attitude qu'après être allée le chercher, elle désirait simplement maintenir l'élève pour que celui-ci écoute ce que l'enseignante et sa mère voulaient lui dire, précisant dans ses écritures que " voyant l'enfant déterminé à frapper sa mère, elle a été contrainte de maintenir ses bras le long du corps ". Il est également avancé que la mère et l'enfant ont alors eu un échange assez vif en langue guinéenne, circonstances que le témoignage Mme D. ne permet pas de remettre en cause. Il ressort ainsi de ces différents éléments que l'entretien s'est déroulé dans un contexte difficile sur le plan de la communication puisque la mère de l'enfant ne comprenait pas le français et qu'il ne peut être tenu pour établi que Mme C... aurait volontairement encouragé la mère de l'enfant à gifler une seconde fois son fils en maintenant ses bras sur l'accoudoir. Le conseil supérieur de la fonction publique de l'Etat saisi par l'intéressée, comme il a été indiqué au point 1, qui a estimé que le témoignage du 6 septembre 2016 transmis le 9 septembre 2016, établi six mois après les événements, ne pouvait être regardé comme établissant les faits reprochés à Mme C... a d'ailleurs rappelé que : " la directrice de l'école a pris plusieurs initiatives pour recadrer cet élève, en organisant notamment trois réunions des équipes éducatives les 12 octobre 2015, 7 décembre 2015 et 26 février 2016 et qu'elle n'a jamais montré sa volonté de sanctionner physiquement l'élève, mais au contraire de l'accompagner en lui apportant le soutien pédagogique nécessaire ". Dans ces conditions, on ne saurait reprocher à Mme C... d'avoir manqué au devoir de protection physique de l'élève, alors que cette attitude regardée comme " fautive " n'est pas matériellement établie.

7. En troisième lieu, le second grief retenu dans la décision contestée tient au fait que Mme C... aurait, " par son attitude, généré des tensions nuisibles à l'école ". Il repose sur le seul témoignage d'un des deux enseignants présents lors de l'entretien du 7 mars 2016 qui a indiqué à l'inspecteur d'académie au mois de septembre 2016 que " la directrice restait enfermée dans son bureau et ne répondait plus à l'équipe ", laquelle serait " en train d'exploser ". Or aucun élément précis, circonstancié ne vient étayer cette affirmation qui est, au demeurant, contredite par des témoignages versés aux débats par Mme C..., ce que confirme d'ailleurs l'analyse du Conseil supérieur de la fonction publique de l'Etat qui a estimé " qu'il n'était pas établi de dissensions internes à l'école autres que celles habituellement rencontrées dans un établissement, notamment en présence d'élèves difficiles ". Ce grief ne peut davantage être regardé comme matériellement établi.

8. Il résulte de ce qui vient d'être dit aux points 5 à 7 que la matérialité des faits reprochés à Mme C... n'étant pas établie, aucune faute ne pouvait être retenue à son encontre de nature à justifier une sanction disciplinaire. Elle est ainsi fondée à demander l'annulation de la sanction de déplacement d'office du 11 septembre 2017 qui lui a été infligée, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête.

Sur les conclusions aux fins d'injonction :

9. En application des dispositions de l'article L.911-1 du code de justice administrative, l'annulation juridictionnelle de la décision ayant illégalement muté un agent public oblige l'autorité compétente à replacer l'intéressé, à la date de sa mutation, dans l'emploi qu'il occupait précédemment et à reprendre rétroactivement les mesures nécessaires pour le placer dans une position régulière. Il y a lieu, par suite, d'enjoindre à la rectrice de l'académie d'Orléans-Tours de réintégrer Mme C... dans ses fonctions au sein de l'école élémentaire Henri IV à Chartres, dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir. Il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.

10. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la régularité du jugement attaqué, que Mme C... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par ce jugement, le tribunal administratif d'Orléans a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 11 septembre 2017.

Sur les frais liés au litige :

11. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros à verser à Mme C... sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1703921 du tribunal administratif d'Orléans du 18 décembre 2018 et l'arrêté du 11 septembre 2017 sont annulés.

Article 2 : Il est enjoint à la rectrice de l'académie d'Orléans-Tours de réintégrer Mme C... dans ses fonctions au sein de l'école élémentaire Henri IV à Chartres, dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir.

Article 3 : L'Etat versera la somme de 2 000 euros à Mme C... au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme E... C... et au ministre de l'éducation nationale de la jeunesse et des sports.

Délibéré après l'audience du 23 octobre 2020, à laquelle siégeaient :

- M. Gaspon, président de chambre,

- M. B..., premier conseiller,

- M. Pons, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 12 novembre 2020.

Le rapporteur,

O. B...Le président,

O. GASPON

La greffière,

E. HAUBOIS

La République mande et ordonne au ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N° 19NT00544 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 19NT00544
Date de la décision : 12/11/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. GASPON
Rapporteur ?: M. Olivier COIFFET
Rapporteur public ?: M. LEMOINE
Avocat(s) : SELARL GRIMALDI MOLINA ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2020-11-12;19nt00544 ?
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