La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

23/10/2020 | FRANCE | N°19NT03396

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 6ème chambre, 23 octobre 2020, 19NT03396


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... D... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler, d'une part, l'arrêté du 20 juin 2019 par lequel le préfet de Maine-et-Loire a décidé sa remise aux autorités espagnoles en vue de l'examen de sa demande d'asile et, d'autre part, l'arrêté du même jour prononçant son assignation à résidence.

Par un jugement n°1907169 du 12 juillet 2019, le magistrat désigné du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête en

registrée le 15 août 2019, M. D..., représenté par Me F..., demande à la cour :

1°) d'annuler le j...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... D... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler, d'une part, l'arrêté du 20 juin 2019 par lequel le préfet de Maine-et-Loire a décidé sa remise aux autorités espagnoles en vue de l'examen de sa demande d'asile et, d'autre part, l'arrêté du même jour prononçant son assignation à résidence.

Par un jugement n°1907169 du 12 juillet 2019, le magistrat désigné du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 15 août 2019, M. D..., représenté par Me F..., demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Nantes du 12 juillet 2019 ;

2°) d'annuler, d'une part, l'arrêté du 20 juin 2019 par lequel le préfet de Maine-et-Loire a décidé sa remise aux autorités espagnoles en vue de l'examen de sa demande d'asile et, d'autre part, l'arrêté du même jour prononçant son assignation à résidence ;

3°) d'enjoindre au préfet de Maine-et-Loire d'enregistrer sa demande d'asile et de lui délivrer un récépissé dans le délai de quarante-huit heures à compter de la date de notification de l'arrêt à intervenir ou à défaut, de réexaminer sa situation dans le délai de deux mois et, dans l'attente, de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dans le délai de quarante-huit heures, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil d'une somme de 3 000 euros au titre des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que ce dernier, renonce à percevoir la contribution versée par l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle.

Il soutient que :

- le jugement est irrégulier :

* dès lors que la minute du jugement ne comporte pas l'ensemble des signatures requises par les dispositions de l'article R. 741-7 du code de justice administrative ;

* il n'a pas bénéficié de la désignation d'un interprète, qu'il avait sollicitée dans sa demande, pour l'assister lors de l'audience devant le tribunal ;

- le jugement est infondé :

- la décision de transfert méconnait les dispositions l'article 4 du règlement (UE) n°604/2013 du 26 juin 2013 faute de communication des brochures d'informations dans une langue comprise, dès sa présentation dans une structure de premier accueil des demandeurs d'asile ;

- la décision de transfert est entachée d'une erreur d'appréciation dans l'application des dispositions de l'article 16 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 dès lors qu'il est hébergé et pris en charge par son frère à Nantes et que ce dernier le soutient psychologiquement ;

- la décision de transfert est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation quant au refus du préfet de faire usage de la clause discrétionnaire prévue par l'article 17 du règlement (UE) n° 604 du 26 juin 2013, au regard de l'aide dont il bénéficie de la part de son frère, aussi bien d'un point de vue psychologique que d'un point de vue financier ;

Par des mémoires en défense, enregistrés le 5 novembre 2019 et le 23 janvier 2020, le préfet de Maine-et-Loire conclut au non-lieu à statuer sur les conclusions de la requête.

Il soutient que l'arrêté de remise aux autorités espagnoles n'ayant pas été exécuté dans un délai de 6 mois à compter de la notification du jugement, l'Espagne est désormais libérée de son obligation de reprise en charge en application de l'article 29 du règlement n°604/2013 du 26 juin 2013.

Vu la lettre du 14 janvier 2020 par laquelle les parties ont été informées, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, que la cour était susceptible de soulever d'office un moyen d'ordre public tiré du non-lieu à statuer sur les conclusions de la requête tendant à l'annulation de l'arrêté de transfert en raison de l'expiration du délai de 6 mois prévu au 1 de l'article 29 du règlement n°604/2013 du 26 juin 2013.

Vu la réponse au moyen d'ordre public produite par M. D..., enregistrée le 17 janvier 2020.

M. D... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par décision du 23 aout 2019.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le règlement (UE) n°604/2013 du Parlement européen et du Conseil en date du 26 juin 2013 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. A... a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. D..., ressortissant marocain, a sollicité l'asile auprès de la préfecture de la Loire-Atlantique le 19 avril 2019. Suite à la consultation du fichier Eurodac, il est apparu que l'intéressé avait irrégulièrement franchi la frontière espagnole dans la période de douze mois précédant le dépôt de sa première demande d'asile. Les autorités espagnoles ont été saisies pour une prise en charge de M. D... et ces dernières ont expressément accepté leur responsabilité le 14 mai 2019. Le préfet de Maine-et-Loire a alors décidé de remettre le requérant aux autorités espagnoles et l'a assigné à résidence par deux arrêtés en date du 20 juin 2019. Saisi par M. D... d'une demande d'annulation de ces deux arrêtés, le magistrat désigné du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Sur le non-lieu à statuer :

2. Aux termes de l'article 29 du règlement n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil en date du 26 juin 2013 : " Le transfert du demandeur ou d'une autre personne visée à l'article 18, paragraphe 1, point c) ou d), de l'Etat membre requérant vers l'Etat membre responsable s'effectue conformément au droit national de l'Etat membre requérant, après concertation entre les Etats membres concernés, dès qu'il est matériellement possible et, au plus tard, dans un délai de six mois à compter de l'acceptation par un autre Etat membre de la requête aux fins de prise en charge ou de reprise en charge de la personne concernée ou de la décision définitive sur le recours ou la révision lorsque l'effet suspensif est accordé conformément à l'article 27, paragraphe 3. /2. Si le transfert n'est pas exécuté dans le délai de six mois, l'Etat membre responsable est libéré de son obligation de prendre en charge ou de reprendre en charge la personne concernée et la responsabilité est alors transférée à l'Etat membre requérant. Ce délai peut être porté à un an au maximum s'il n'a pas pu être procédé au transfert en raison d'un emprisonnement de la personne concernée ou à dix-huit mois au maximum si la personne concernée prend la fuite. ".

3. Il résulte de ces dispositions que lorsque le délai de six mois fixé pour l'exécution de la mesure de transfert a été interrompu par l'introduction d'un recours, il recommence à courir à compter de la décision juridictionnelle qui n'est plus susceptible de faire obstacle à la mise en oeuvre de la procédure de remise. Quel que soit le sens de la décision rendue par le premier juge, ce délai court à compter du jugement qui, l'appel étant dépourvu de caractère suspensif, rend à nouveau la mesure de transfert susceptible d'exécution.

4. Il ressort des pièces du dossier que le délai initial de six mois dont disposait le préfet de Maine-et-Loire pour procéder à l'exécution de sa décision de transférer M. D... aux autorités espagnoles a été interrompu par la saisine du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes. Ce délai a recommencé à courir à compter de la notification à l'administration du jugement du 12 juillet 2019 rendu par ce dernier et il ne ressort pas des pièces du dossier que ce délai ait fait l'objet d'une prolongation ou que la décision de transfert ait été exécutée. Par suite, la décision de transfert est devenue caduque à la date du présent arrêt et les conclusions de M. D... tendant à l'annulation de l'arrêté de transfert du 20 juin 2019 sont devenues sans objet. Il n'y a plus lieu d'y statuer. En revanche, l'arrêté portant assignation à résidence de l'intéressé ayant été exécuté et ayant produit des effets, il y a lieu de statuer sur les conclusions de la requête tendant à son annulation.

Sur la régularité du jugement attaqué :

5. Aux termes de l'article L. 742-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans sa rédaction applicable en l'espèce : " I. - L'étranger qui a fait l'objet d'une décision de transfert mentionnée à l'article L. 742-3 peut, dans le délai de quinze jours à compter de la notification de cette décision, en demander l'annulation au président du tribunal administratif. / Le président ou le magistrat qu'il désigne à cette fin parmi les membres de sa juridiction ou les magistrats honoraires inscrits sur la liste mentionnée à l'article L. 222-2-1 du code de justice administrative statue dans un délai de quinze jours à compter de sa saisine. / Aucun autre recours ne peut être introduit contre la décision de transfert. / L'étranger peut demander au président du tribunal ou au magistrat désigné par lui le concours d'un interprète. L'étranger est assisté de son conseil, s'il en a un. Il peut demander au président du tribunal administratif ou au magistrat désigné à cette fin qu'il lui en soit désigné un d'office. (...) ".

6. Il ressort des conclusions présentées par M. D... devant le tribunal administratif qu'il avait sollicité le bénéfice du concours d'un interprète en langue arabe lors de l'audience. Toutefois, il ne ressort d'aucune mention du jugement attaqué que le requérant a effectivement bénéficié de l'assistance d'un interprète lors de l'audience tenue le 12 juillet 2019 devant le tribunal. Dans ces conditions, M. D... a été privé d'une garantie. Par suite, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens relatifs à sa régularité, le jugement attaqué est irrégulier et doit être annulé.

7. Il y a lieu d'évoquer et de statuer sur la demande présentée par M. D... devant le tribunal administratif de Nantes tendant à l'annulation de l'arrêté du préfet de Maine-et-Loire du 20 juin 2019 portant assignation à résidence.

Sur les conclusions aux fins d'annulation de l'arrêté portant assignation à résidence :

En ce qui concerne l'exception d'illégalité de l'arrêté de transfert :

8. En premier lieu, en application de l'article L. 742-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, la décision de transfert dont fait l'objet un ressortissant de pays tiers ou un apatride qui a déposé auprès des autorités françaises une demande d'asile dont l'examen relève d'un autre Etat membre ayant accepté de le prendre ou de le reprendre en charge doit être motivée, c'est-à-dire qu'elle doit comporter l'énoncé des motifs de droit et considérations de fait qui en constituent le fondement. Pour l'application de ces dispositions, est suffisamment motivée une décision de transfert qui mentionne le règlement du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 et comprend l'indication des éléments de fait sur lesquels l'autorité administrative se fonde pour estimer que l'examen de la demande présentée devant elle relève de la responsabilité d'un autre Etat membre, une telle motivation permettant d'identifier le critère du règlement communautaire dont il est fait application. En l'occurrence, l'arrêté attaqué mentionne le règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ainsi que la consultation du fichier Eurodac ayant permis l'identification de l'Etat responsable de la demande d'asile du requérant. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisante motivation de l'arrêté de transfert doit être écarté.

9. En deuxième lieu, par un arrêté du 10 mai 2019, le ministre de l'intérieur a désigné le préfet de Maine-et-Loire comme étant l'autorité préfectorale compétente pour déterminer l'Etat responsable de l'examen d'une demande d'asile présentée sur le territoire métropolitain pour les demandes concernant les demandeurs domiciliés dans un département de la région Pays-de-la-Loire. Par un arrêté du 11 juin 2019, régulièrement publié au recueil des actes administratifs de la préfecture, le préfet de Maine-et-Loire a donné délégation à Mme E... B..., directrice de l'immigration et des relations avec les usagers à la préfecture de Maine-et-Loire, à l'effet de signer notamment les décisions relevant de la procédure Dublin III dont les arrêtés de transfert. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de l'arrêté de transfert en cause doit être écarté.

10. En troisième lieu, aux termes de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 susvisé du 26 juin 2013 : " 1. Dès qu'une demande de protection internationale est introduite au sens de l'article 20, paragraphe 2, dans un État membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de l'application du présent règlement, et notamment : a) des objectifs du présent règlement et des conséquences de la présentation d'une autre demande dans un État membre différent (...) b) des critères de détermination de l'État membre responsable, de la hiérarchie de ces critères (...) c) de l'entretien individuel en vertu de l'article 5 et de la possibilité de fournir des informations sur la présence de membres de la famille, de proches ou de tout autre parent dans les États membres, y compris des moyens par lesquels le demandeur peut fournir ces informations ; d) de la possibilité de contester une décision de transfert et, le cas échéant, de demander une suspension du transfert ; e) du fait que les autorités compétentes des États membres peuvent échanger des données le concernant aux seules fins d'exécuter leurs obligations découlant du présent règlement ; f) de l'existence du droit d'accès aux données le concernant et du droit de demander que ces données soient rectifiées (...) 2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend. Les États membres utilisent la brochure commune (...). Cette brochure commune comprend également des informations relatives à l'application du règlement (UE) n° 603/2013 et, en particulier, à la finalité pour laquelle les données relatives à un demandeur peuvent être traitées dans Eurodac. La brochure commune est réalisée de telle manière que les États membres puissent y ajouter des informations spécifiques aux États membres. Ces actes d'exécution sont adoptés en conformité avec la procédure d'examen visée à l'article 44, paragraphe 2, du présent règlement. / 3. Si c'est nécessaire à la bonne compréhension du demandeur, les informations lui sont également communiquées oralement, par exemple lors de l'entretien individuel visé à l'article 5. ". Enfin selon les dispositions de l'article 5 du même règlement : " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'Etat membre responsable, l'Etat membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4 (...) ".

11. Il résulte de ces dispositions que le demandeur d'asile auquel l'administration entend faire application du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 doit se voir remettre, en temps utile pour lui permettre de faire valoir ses observations, c'est-à-dire au plus tard lors de l'entretien prévu par les dispositions de l'article 5 du même règlement, entretien qui doit notamment permettre de s'assurer qu'il a compris correctement ces informations, l'ensemble des éléments prévus au paragraphe 1 de l'article 4 du règlement. Eu égard à la nature de ces informations, la remise par l'autorité administrative de la brochure prévue par les dispositions de l'article 4 du règlement du 26 juin 2013 citées au point précédent constitue pour le demandeur d'asile une garantie.

12. Il ressort des pièces du dossier que M. D... s'est vu remettre, le 19 avril 2019, date de son entretien à la préfecture de Loire-Atlantique, la brochure A intitulée " J'ai demandé l'asile dans l'Union européenne - Quel pays sera responsable de ma demande ' " et la brochure B intitulée : " Je suis sous procédure Dublin - qu'est-ce que cela signifie ' ". Ces brochures lui ont été remises en langue arabe, langue qu'il a déclaré comprendre. Ces documents lui ont également été traduits oralement en arabe par un traducteur en lien téléphonique. M. D... a signé sans aucune réserve son résumé d'entretien individuel, le 19 avril 2019, attestant que le guide du demandeur d'asile et l'information sur les règlements communautaires lui ont été remis dans une langue qu'il déclare comprendre. Il n'a d'ailleurs jamais manifesté la moindre incompréhension à cet égard. Aucun élément en outre ne permet d'affirmer que la durée effective de l'entretien individuel aurait été insuffisante pour prendre connaissance des informations remises. Enfin, la décision de transfert mentionne expressément que l'intéressé a été reçu par un agent de la préfecture de Loire-Atlantique pour un entretien individuel mené en lien téléphonique avec un interprète en langue arabe. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article 4 du règlement (UE) n° 604-2013 du 26 juin 2013 doit être écarté.

13. En quatrième lieu, aux termes de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 susvisé : " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'État membre responsable, l'État membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4. / (...) / 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national. (...) ".

14. Aucune disposition n'impose la mention sur le compte rendu de l'entretien individuel prévu à l'article 5 précité de l'identité de l'agent qui a mené l'entretien. En vertu des dispositions combinées des articles L. 741-1 et R. 741-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, et de l'arrêté du 10 mai 2019 désignant les préfets compétents pour enregistrer les demandes d'asile et déterminer l'Etat responsable de leur traitement, le préfet de Loire-Atlantique était compétent pour enregistrer la demande d'asile de M. D... et procéder à la détermination de l'Etat membre responsable de l'examen de cette demande. Par suite, les services de la préfecture de Loire-Atlantique, et en particulier les agents recevant les étrangers au sein du guichet unique des demandeurs d'asile mis en place dans cette préfecture, doivent être regardés comme ayant la qualité, au sens de l'article 5 précité du règlement n° 604/2013, de " personne qualifiée en vertu du droit national " pour mener l'entretien prévu à cet article. Il ressort des pièces du dossier que M. D... a été reçu en entretien par un agent habilité de la préfecture de Loire-Atlantique le 19 avril 2019. La signature de l'agent ayant conduit l'entretien est apposée sur le résumé de l'entretien individuel ainsi que le nom de la préfecture de Loire-Atlantique. Ces éléments sont suffisants pour établir que l'entretien a été mené par une personne qualifiée au sens du droit national. En outre, rien ne permet de supposer que la confidentialité de cet entretien n'a pas été respectée. Enfin, il ressort également des pièces du dossier que l'entretien a été conduit par le biais d'un interprète intervenant à distance par voie de télécommunications de l'organisme AFTCom, agréé par le ministre de l'intérieur le 23 avril 2019. Contrairement à ce qui est allégué par le requérant, la mise en oeuvre des dispositions mentionnées plus haut n'implique nullement que l'administration soit impérativement tenue de prendre des diligences particulières pour prévoir la présence physique d'un interprète pour assister le demandeur lors de l'entretien individuel. Par suite, le moyen tiré de ce que la décision du préfet de Maine-et-Loire méconnaîtrait les dispositions sus rappelées de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 doit être écarté.

15. En cinquième lieu, aux termes de l'article 21 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. L'État membre auprès duquel une demande de protection internationale a été introduite et qui estime qu'un autre État membre est responsable de l'examen de cette demande peut, dans les plus brefs délais et, en tout état de cause, dans un délai de trois mois à compter de la date de l'introduction de la demande au sens de l'article 20, paragraphe 2, requérir cet autre État membre aux fins de prise en charge du demandeur. Nonobstant le premier alinéa, en cas de résultat positif ("hit") Eurodac avec des données enregistrées en vertu de l'article 14 du règlement (UE) n° 603/2013, la requête est envoyée dans un délai de deux mois à compter de la réception de ce résultat positif en vertu de l'article 15, paragraphe 2, dudit règlement. Si la requête aux fins de prise en charge d'un demandeur n'est pas formulée dans les délais fixés par le premier et le deuxième alinéas, la responsabilité de l'examen de la demande de protection internationale incombe à l'État membre auprès duquel la demande a été introduite (...) ".

16. Il ressort des pièces du dossier que M. D... a été reçu le 19 avril 2019 à la préfecture de Loire-Atlantique pour solliciter son admission provisoire au séjour en vue de demander l'asile. Le préfet de Loire-Atlantique a consulté le jour même l'unité centrale Eurodac. A la suite de cette consultation, le préfet a, le 23 avril suivant, sur le fondement de l'article 13.1 du règlement (UE) n° 604/2013 susvisé, adressé une requête de reprise en charge de l'intéressé aux autorités espagnoles qui ont explicitement accepté leur responsabilité le 14 mai 2019. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article 21 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ne peut qu'être écarté.

17. En sixième lieu, et d'une part, aux termes de l'article 13 du règlement (UE) n° 604/2013 : " 1. Lorsqu'il est établi, sur la base de preuves ou d'indices tels qu'ils figurent dans les deux listes mentionnées à l'article 22, paragraphe 3, du présent règlement, notamment des données visées au règlement (UE) n o 603/2013, que le demandeur a franchi irrégulièrement, par voie terrestre, maritime ou aérienne, la frontière d'un État membre dans lequel il est entré en venant d'un État tiers, cet État membre est responsable de l'examen de la demande de protection internationale. Cette responsabilité prend fin douze mois après la date du franchissement irrégulier de la frontière. (...) ".

18. D'autre part, il résulte de l'annexe II au règlement (UE) n° 118/2014 que constitue une preuve pour la détermination de l'Etat membre responsable de l'examen de la demande d'asile, le résultat positif fourni par le fichier " Eurodac " par suite de la comparaison des empreintes du demandeur avec les empreintes collectées au titre de l'article 9 du règlement (UE) n° 603/2013. Aux termes de ce dernier article : " 1. Chaque État membre relève sans tarder l'empreinte digitale de tous les doigts de chaque demandeur d'une protection internationale âgé de 14 ans au moins et la transmet au système central dès que possible et au plus tard 72 heures suivant l'introduction de la demande de protection internationale telle que définie à l'article 20, paragraphe 2, du règlement (UE) n° 604/2013, accompagnée des données visées à l'article 11, points b) à g) du présent règlement. / (...) ". Aux termes de l'article 22 du même règlement : " (...) 2. Dans le cadre de la procédure de détermination de l'État membre responsable, des éléments de preuve et des indices sont utilisés. (...) a) Éléments de preuve - i) Il s'agit de la preuve formelle qui détermine la responsabilité en vertu du présent règlement, aussi longtemps qu'elle n'est pas réfutée par une preuve contraire. (...) b) Indices - i) Il s'agit d'éléments indicatifs qui, tout en étant réfutables, peuvent être suffisants, dans certains cas, en fonction de la force probante qui leur est attribuée. ii) Leur force probante, pour ce qui est de la responsabilité de l'examen de la demande de protection internationale, est traitée au cas par cas. (...) 4. L'exigence de la preuve ne devrait pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour la bonne application du présent règlement. (...) "

19. Il ressort de la fiche décadactylaire n° FR19930259600 produite par le préfet qu'ont été relevées les empreintes de six des doigts de M. D... dans la partie intitulée " empreintes roulées " et les empreintes de six des doigts de l'intéressé dans la partie intitulée " empreintes de contrôle ". La fiche décadactylaire n° ES21838468473, également produite par le préfet, comporte les empreintes des dix doigts de l'intéressé dans la partie " empreintes roulées " et dans la partie " empreintes de contrôle ". Le courrier du 19 avril 2019 informant le préfet du résultat des recherches entreprises sur le fichier Eurodac indique sans émettre la moindre réserve qu'" il ressort de l'examen méthodique que les empreintes saisies [...] sont identiques à celle relevées le 10/10/2018 par les autorités espagnoles sous le numéro ES21838468473 " et que : " il est possible d'affirmer que toutes les empreintes concernées et analysées lors de la validation des présentes recherches ont été produites par une seule et même personne ". Dans ces conditions, M. D... n'est pas fondé à soutenir que les empreintes décadactylaires relevées en France ne correspondraient pas à celles relevées en Espagne pour déterminer ce pays comme étant responsable de l'examen de la demande d'asile de l'intéressé.

20. En septième lieu, aux termes de l'article 16 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du conseil du 26 juin 2013 : " 1. Lorsque, du fait d'une grossesse, d'un enfant nouveau-né, d'une maladie grave, d'un handicap grave ou de la vieillesse, le demandeur est dépendant de l'assistance de son enfant, de ses frères ou soeurs, ou de son père ou de sa mère résidant légalement dans un des États membres, ou lorsque son enfant, son frère ou sa soeur, ou son père ou sa mère, qui réside légalement dans un État membre est dépendant de l'assistance du demandeur, les États membres laissent généralement ensemble ou rapprochent le demandeur et cet enfant, ce frère ou cette soeur, ou ce père ou cette mère, à condition que les liens familiaux aient existé dans le pays d'origine, que l'enfant, le frère ou la soeur, ou le père ou la mère ou le demandeur soit capable de prendre soin de la personne à charge et que les personnes concernées en aient exprimé le souhait par écrit.(...) ".

21. Si M. D... fait valoir la présence en France de son frère, il ne produit aucun élément probant à l'appui de ses allégations selon lesquelles il souffrirait d'une maladie psychiatrique grave pour laquelle la présence de son frère auprès de lui serait nécessaire. Il ne démontre pas davantage que les liens familiaux auraient existé dans le pays d'origine et qu'il serait dépendant de son frère. Enfin, ni avant l'édiction de la décision attaquée, ni au jour de sa notification, les intéressés n'ont exprimé par écrit, le souhait que l'article 16 soit appliqué. Par suite, le moyen tiré de l'erreur d'appréciation par le préfet dans l'application des dispositions de l'article 16 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 doit être écarté.

22. En dernier lieu, aux termes de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. / L'Etat membre qui décide d'examiner une demande de protection internationale en vertu du présent paragraphe devient l'Etat membre responsable et assume les obligations qui sont liées à cette responsabilité. (...) ". La mise en oeuvre par les autorités françaises de l'article 17 doit être assurée à la lumière des exigences définies par le second alinéa de l'article 53-1 de la Constitution, aux termes duquel : " les autorités de la République ont toujours le droit de donner asile à tout étranger persécuté en raison de son action en faveur de la liberté ou qui sollicite la protection de la France pour un autre motif " ainsi qu'à la lumière des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales selon lequel : " Nul ne peut être soumis à la torture ni a des peines ou traitements inhumains ou dégradants. ".

23. Eu égard à ce qui a été dit au paragraphe 21, M. D... se bornant à se prévaloir des mêmes arguments pour soutenir que le préfet de Maine-et-Loire aurait commis une erreur manifeste d'appréciation en ne décidant pas d'examiner la demande d'asile du requérant sur le fondement des dispositions de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 et en transférant l'intéressé vers l'Espagne, le rejet de ce moyen s'impose également.

24. Il résulte de ce qui précède que M. D... n'est pas fondé à demander l'annulation de l'arrêté portant assignation à résidence du 20 juin 2019 par exception d'illégalité de l'arrêté de transfert du même jour.

En ce qui concerne la légalité propre de la mesure d'assignation à résidence :

25. En premier lieu, l'arrêté attaqué a été signé par Mme B..., directrice de l'immigration et des relations avec les usagers à la préfecture de Maine-et-Loire. Par arrêté du 11 juin 2019 régulièrement publié au recueil des actes administratifs de cette préfecture, le préfet de Maine-et-Loire a donné délégation à Mme B..., à l'effet de signer notamment les arrêtés d'assignations à résidence en application du règlement Dublin III. Dès lors, le moyen tiré de l'incompétence du signataire de l'arrêté en litige manque en fait.

26. En second lieu, aux termes de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " I.- L'autorité administrative peut prendre une décision d'assignation à résidence à l'égard de l'étranger qui ne peut quitter immédiatement le territoire français mais dont l'éloignement demeure une perspective raisonnable, lorsque cet étranger : (...) / 1° bis Fait l'objet d'une décision de transfert en application de l'article L. 742-3 ou d'une requête aux fins de prise en charge ou de reprise en charge en application du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride (...) ". Aux termes de l'article R. 561-2 du même code : " L'autorité administrative détermine le périmètre dans lequel l'étranger assigné à résidence (...) est autorisé à circuler muni des documents justifiant de son identité et de sa situation administrative et au sein duquel est fixée sa résidence. Elle lui désigne le service auquel il doit se présenter, selon une fréquence qu'il fixe dans la limite d'une présentation par jour, en précisant si cette obligation s'applique les dimanches et les jours fériés ou chômés ". Il résulte de ces dispositions que le préfet peut prendre à l'encontre d'un étranger qui fait l'objet d'une décision de transfert et qui présente des garanties propres à prévenir le risque de soustraction à l'exécution de cette mesure d'éloignement, une mesure d'assignation à résidence.

27. Une mesure d'assignation à résidence prise sur le fondement des dispositions précitées ne présente pas, par elle-même, le caractère d'une mesure privative de liberté au sens de l'article 5 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ni ne méconnaît les dispositions de l'article 66 de la Constitution aux termes desquelles " Nul ne peut être arbitrairement détenu ". Par suite, M. D... ne saurait utilement se prévaloir de ces stipulations ou dispositions pour contester la mesure d'assignation à résidence prise à son encontre. Ensuite, il ne ressort pas des pièces du dossier que la décision d'assignation à résidence en litige procéderait d'une erreur d'appréciation de la situation personnelle de M. D..., lequel se borne à alléguer l'absence de moyens de transport personnel et des problèmes de santé non établis qui ne sont pas de nature à faire obstacle aux prescriptions édictées par l'arrêté en cause, notamment l'obligation de pointer trois jours par semaine au commissariat central de Nantes muni de ses effets personnels.

28. Il résulte de ce qui précède que M. D... n'est pas fondé à demander l'annulation de l'arrêté du 20 juin 2019 prononçant son assignation à résidence.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

29. Le présent arrêt qui rejette les conclusions à fin d'annulation de la demande n'implique aucune mesure d'exécution. Il y a lieu, par suite, de rejeter les conclusions à fin d'injonction.

Sur les frais liés au litige :

30. Ces dispositions font obstacle à l'octroi d'une somme au titre des frais exposés et non compris dans les dépens à la partie perdante. Par suite, il y a lieu de rejeter les conclusions de la demande présentées sur le fondement des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Nantes du 12 juillet 2019 est annulé.

Article 2 : La demande de M. D... devant le tribunal administratif de Nantes est rejetée.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... D... et au ministre de l'intérieur.

Copie sera adressée au préfet de Maine-et-Loire.

Délibéré après l'audience du 9 octobre 2020, à laquelle siégeaient :

- M. Gaspon, président de chambre,

- M. Coiffet, président assesseur,

- M. A..., premier conseiller.

Lu en audience publique, le 23 octobre 2020.

Le rapporteur,

F. A... Le président,

O. GASPON

Le greffier,

P. CHAVEROUX

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N° 19NT03396 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 19NT03396
Date de la décision : 23/10/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. GASPON
Rapporteur ?: M. François PONS
Rapporteur public ?: M. LEMOINE
Avocat(s) : PHILIPPON

Origine de la décision
Date de l'import : 06/11/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2020-10-23;19nt03396 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award