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22/10/2020 | FRANCE | N°19NT01360

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 1ère chambre, 22 octobre 2020, 19NT01360


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Mihail C... Ltd a demandé au tribunal administratif d'Orléans de prononcer la décharge, en droits et pénalités, du rappel de taxe sur la valeur ajoutée auquel elle a été assujettie au titre de l'année 2012.

Par un jugement n° 1800118 du 31 janvier 2019, le tribunal administratif d'Orléans a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés le 4 avril 2019 et les 15 janvier, 14 février et 1er octobre 2020, la société Mihail

C... Ltd, représentée par Me Collin, demande à la cour dans le dernier état de ses écritures :

1°) ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Mihail C... Ltd a demandé au tribunal administratif d'Orléans de prononcer la décharge, en droits et pénalités, du rappel de taxe sur la valeur ajoutée auquel elle a été assujettie au titre de l'année 2012.

Par un jugement n° 1800118 du 31 janvier 2019, le tribunal administratif d'Orléans a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés le 4 avril 2019 et les 15 janvier, 14 février et 1er octobre 2020, la société Mihail C... Ltd, représentée par Me Collin, demande à la cour dans le dernier état de ses écritures :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de prononcer cette décharge ;

3°) à titre subsidiaire, de substituer au taux de droit commun de taxe sur la valeur ajoutée le taux réduit de 7 % ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la procédure d'imposition n'est pas régulière dès lors que la procédure de taxation d'office n'a pas été précédée d'une mise en demeure ;

- elle ne dispose pas d'un établissement stable en France ; elle dispose d'une base fixe aux Etats-Unis qui n'a pas cessé de fonctionner et qui n'est pas un simple lieu de stockage ;

- le travail artistique de M. C... a été réalisé avant son arrivée en France ; ses tableaux ont été réalisés aux Etats-Unis ; les ventes d'oeuvres y ont été effectuées ;

- le preneur de ses prestations de services, soit l'entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée (EURL) Mihail C..., établie en France, a la qualité de redevable de la taxe sur la valeur ajoutée conformément au 1° de l'article 259 du code général des impôts ;

- si la taxe sur la valeur ajoutée était exigible en 2012, elle devrait faire l'objet d'une autoliquidation ;

- seul le taux de taxe sur la valeur ajoutée à 7 % est applicable compte tenu de la nature de l'oeuvre de M. C... réalisée aux Etats-Unis et non en France ;

- elle conteste l'application de la majoration de 80% pour activité occulte.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 24 octobre 2019 et les 28 janvier et 30 septembre 2020, le ministre de l'action et des comptes publics conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par la société Mihail C... Ltd ne sont pas fondés.

Un mémoire enregistré le 7 octobre 2020 a été présenté par le ministre des comptes publics.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention fiscale signée entre la France et les Etats-Unis du 31 août 1994 ;

- le code de la propriété intellectuelle ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Geffray,

- les conclusions de Mme Chollet, rapporteur public,

- et les observations de Me Collin, représentant la société Mihail C... Ltd.

Considérant ce qui suit :

1. La société Mihail C... Ltd, société de droit américain, qui a pour activité la création artistique, notamment la décoration interne des théâtres, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité, au titre d'un établissement stable en France selon l'administration, portant sur la période correspondant aux années 2008 à 2012 à l'issue de laquelle elle a été assujettie à des rappels de taxe sur la valeur ajoutée au titre de l'année 2012, assortis d'intérêts de retard et de pénalités pour activité occulte. Par un jugement du 31 janvier 2019, le tribunal administratif d'Orléans a rejeté sa demande tendant à la décharge, en droits et pénalités, de ces rappels. La société relève appel du jugement.

Sur l'assujettissement à la taxe sur la valeur ajoutée des prestations de services :

2. Aux termes de l'article 256 du code général des impôts : " Sont soumises à la taxe sur la valeur ajoutée les livraisons de biens et les prestations de services effectuées à titre onéreux par un assujetti agissant en tant que tel ". Aux termes de l'article 256 A du même code : " Sont assujetties à la taxe sur la valeur ajoutée les personnes qui effectuent de manière indépendante une des activités économiques mentionnées au cinquième alinéa, quels que soient le statut juridique de ces personnes, leur situation au regard des autres impôts et la forme ou la nature de leur intervention. / Ne sont pas considérés comme agissant de manière indépendante : / - les salariés et les autres personnes qui sont liés par un contrat de travail ou par tout autre rapport juridique créant des liens de subordination en ce qui concerne les conditions de travail, les modalités de rémunération et la responsabilité de l'employeur ; / - les travailleurs à domicile dont les gains sont considérés comme des salaires, lorsqu'ils exercent leur activité dans les conditions prévues aux articles L. 7412-1, L. 7412-2 et L. 7413-2 du code du travail. / Les activités économiques visées au premier alinéa se définissent comme toutes les activités de producteur, de commerçant ou de prestataire de services, y compris les activités extractives, agricoles et celles des professions libérales ou assimilées. Est notamment considérée comme activité économique une opération comportant l'exploitation d'un bien meuble corporel ou incorporel en vue d'en retirer des recettes ayant un caractère de permanence. ". Aux termes de l'article 259 du même code, dans sa rédaction applicable à l'année 2012 : " Le lieu des prestations de services est situé en France : 1° Lorsque le preneur est un assujetti agissant en tant que tel et qu'il a en France : a) Le siège de son activité économique, sauf lorsqu'il dispose d'un établissement stable non situé en France auquel les services sont fournis ; (...) ".

3. La société Mihail C... Ltd a facturé à l'entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée (EURL) Mihail C... un montant de 450 000 dollars toutes taxes comprises pour une prestation de services qui est la cession à l'EURL d'un fonds documentaire permettant l'utilisation d'une anthologie de représentations artistiques de la période 1987-2007, comportant trois thèmes, en vue de la mise à disposition de ce fonds à une société tierce par l'EURL. Le paiement de cette prestation a été effectué à hauteur de 149 970 dollars le 27 janvier 2012 et de 299 970 dollars le 27 mars 2012, soit une somme totale de 343 582 euros.

4. Depuis l'arrivée de M. et Mme C... dans le château de Chamoussseau (Indre) durant l'été 2007, les oeuvres vendues, les projets réalisés et les redevances perçues par la société requérante sont le fruit du travail d'artiste de M. C..., qui, avec son épouse, sont résidents fiscaux français au titre des années 2010 à 2012. M. C... a fait venir des Etats-Unis sa bibliothèque d'ouvrages d'art et de tableaux, qui constitue un outil indispensable à son travail portant notamment sur des projets russes ou français pour satisfaire des commandes adressées à la société Mihail C... Ltd. Celle-ci règle des factures pour l'utilisation de services de sociétés en France ou pour des achats aux Etats-Unis ainsi que les factures des fournisseurs américains ou français qui sont adressées au château de Chamousseau. En outre, c'est en France que la société a procédé à la vente d'oeuvres d'art entre 2008 à 2012 pour un montant global de 167 733,50 euros et réalisé des projets artistiques importants pour des clients français et russes au cours des mêmes années pour 3 715 603,28 euros grâce à l'utilisation par elle des moyens matériels qui viennent d'être rappelés. Dans ces conditions, la société requérante détenait en France un établissement stable de production artistique pour l'application des dispositions de l'article 256 du code général des impôts et était, dès lors, redevable de la taxe sur la valeur ajoutée en France.

5. La société requérante n'est pas fondée à se prévaloir des stipulations du 2° de l'article 14 et de l'article 7 de la convention fiscale signée entre la France et les Etats-Unis du 31 août 1994 dès lors que la taxe sur la valeur ajoutée n'entre pas dans le champ d'application de cette convention.

Sur la régularité de la procédure d'imposition :

6. Aux termes de l'article L. 66 du livre des procédures fiscales : " Sont taxés d'office : / (...) 2° à l'impôt sur les sociétés, les personnes morales passibles de cet impôt qui n'ont pas déposé dans le délai légal leur déclaration, sous réserve de la procédure de régularisation prévue à l'article L. 68 ; (...) / 5° aux taxes assises sur les salaires ou les rémunérations les personnes assujetties à ces taxes qui n'ont pas déposé dans le délai légal les déclarations qu'elles sont tenues de souscrire, sous réserve de la procédure de régularisation prévue à l'article L. 68. ". ". Aux termes de l'article L. 68 du même livre, dans sa rédaction applicable : " La procédure de taxation d'office prévue aux 2° et 5° de l'article L. 66 n'est applicable que si le contribuable n'a pas régularisé sa situation dans les trente jours de la notification d'une mise en demeure. / Toutefois, il n'y a pas lieu de procéder à cette mise en demeure : (...) / 3° Si le contribuable ne s'est pas fait connaître d'un centre de formalités des entreprises ou du greffe du tribunal de commerce (...) ".

7. Compte tenu de ce qui a été dit au point 4, la société requérante disposait d'un établissement stable en France. N'ayant pas déposé dans les délais légaux les déclarations en matière de taxe sur la valeur ajoutée, la procédure de taxation d'office lui était applicable. En application des dispositions citées au point 2, cette procédure ne nécessitait pas une mise en demeure préalable en matière de taxes sur le chiffre d'affaires dès lors que la société, comme en l'espèce, ne s'était pas fait connaître d'un centre de formalités des entreprises ou du greffe du tribunal de commerce.

Sur le taux de taxe sur la valeur ajoutée applicable :

8. Aux termes de l'article 279 du code général des impôts, dans sa rédaction applicable à la période en litige : " La taxe sur la valeur ajoutée est perçue au taux réduit de 7 % en ce qui concerne : (...) / g. Les cessions des droits patrimoniaux reconnus par la loi aux auteurs des oeuvres de l'esprit (...) ".

9. La bibliothèque de livres et d'images, objet de la facturation adressée à l'EURL Mihail C..., a été constituée aux Etats-Unis par M. D... entre 1987 et 2007 et est composée d'oeuvres originales de l'artiste et de ses travaux de recherche. Pour constituer cette bibliothèque, M. C... identifie et acquiert le matériel visuel dont il a besoin, concernant plus de 700 thèmes, découpe les supports, trie les images et les colle sur des feuilles de papier noir, groupées en catégories et sous-catégories, sous format numérique pour être mis à la disposition de tiers à l'occasion de divers événements. Si la société requérante qualifie ce travail de " travail de recherche " de M. C... et fait valoir qu'elle a également cédé des droits patrimoniaux sur des oeuvres originales de M. C... en lien avec les trois thèmes faisant l'objet de la cession à l'EURL Mihail C..., les éléments ainsi collectés ne constituent pas une oeuvre de l'esprit au sens des dispositions précitées et de celles de l'article L. 112-2 du code de la propriété intellectuelle mais une technique de recueil et d'assemblage d'oeuvres en un fonds documentaire. Dès lors, les conclusions de la société Mihail C... Ltd tendant à l'application du taux réduit de 7 % en matière de taxe sur la valeur ajoutée doivent être rejetées.

Sur la majoration de 80 % pour activité occulte :

10. En vertu du c du 1 de l'article 1728 du code général des impôts, le défaut de production dans les délais prescrits d'une déclaration ou d'un acte comportant l'indication d'éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'impôt entraîne l'application, sur le montant des droits mis à la charge du contribuable d'une majoration de 80 % en cas de découverte d'une activité occulte. Dans le cas où un contribuable n'a ni déposé dans le délai légal les déclarations qu'il était tenu de souscrire ni fait connaître son activité à un centre de formalités des entreprises ou au greffe du tribunal de commerce, l'administration doit être réputée apporter la preuve, qui lui incombe, de l'exercice occulte de l'activité professionnelle si le contribuable n'est pas lui-même en mesure d'établir qu'il a commis une erreur justifiant qu'il ne se soit acquitté d'aucune de ces obligations déclaratives. S'agissant d'un contribuable qui fait valoir qu'il a satisfait à l'ensemble de ses obligations fiscales dans un État autre que la France, la justification de l'erreur commise doit être appréciée en tenant compte tant du niveau d'imposition dans cet autre État que des modalités d'échange d'informations entre les administrations fiscales des deux États.

11. La société requérante, qui n'établit pas avoir commis une erreur, n'a déposé aucune des déclarations qu'elle était tenue de souscrire en matière de taxe sur la valeur ajoutée en France et n'a pas davantage fait connaître son activité à un centre de formalités des entreprises ou au greffe du tribunal de commerce. Dans le cadre d'une demande d'assistance administrative internationale du 23 mars 2011, les autorités fiscales américaines ont indiqué le 27 juillet 2012 que la société requérante n'avait souscrit aucune déclaration de résultats au titre des années 2007 à 2009 aux Etats-Unis. Par suite, c'est à bon droit que l'administration a appliqué la majoration pour activité occulte en France.

12. Il résulte de tout ce qui précède que la société Mihail C... Ltd n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif d'Orléans a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions relatives aux frais liés au litige doivent être rejetées.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de la société Mihail C... Ltd est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société Mihail C... Ltd et au ministre des comptes publics.

Délibéré après l'audience du 8 octobre 2020, à laquelle siégeaient :

- M. Bataille, président de chambre,

- M. Geffray, président assesseur,

- M. Brasnu, premier conseiller.

Lu en audience publique le 22 octobre 2020.

Le rapporteur,

J.-E. GeffrayLe président,

F. Bataille

La greffière,

A. Rivoal

La République mande et ordonne au ministre des comptes publics, en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 19NT01360


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 19NT01360
Date de la décision : 22/10/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. BATAILLE
Rapporteur ?: M. Jean-Eric GEFFRAY
Rapporteur public ?: Mme CHOLLET
Avocat(s) : SHUBERT COLLIN ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 05/11/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2020-10-22;19nt01360 ?
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