La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

09/10/2020 | FRANCE | N°19NT03859

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 2ème chambre, 09 octobre 2020, 19NT03859


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. E... C..., agissant en son nom personnel et pour celui de ses enfants allégués, J... et Mohamed C..., a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 28 février 2018 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours contre la décision du 1er novembre 2017 par laquelle les autorités consulaires françaises à Conakry ont refusé de délivrer à Mme J... C... et à Mohamed C... des visas de long séjour en qualité d'

enfants d'un ressortissant français.

Par un jugement n° 1810571 du 14 mars 2019...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. E... C..., agissant en son nom personnel et pour celui de ses enfants allégués, J... et Mohamed C..., a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 28 février 2018 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours contre la décision du 1er novembre 2017 par laquelle les autorités consulaires françaises à Conakry ont refusé de délivrer à Mme J... C... et à Mohamed C... des visas de long séjour en qualité d'enfants d'un ressortissant français.

Par un jugement n° 1810571 du 14 mars 2019, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 1er octobre 2019, M. E... C..., agissant en son nom personnel et pour celui de ses enfants allégués, J... et Mohamed C..., représenté par Me H..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 14 mars 2019 ;

2°) d'annuler la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France du 28 février 2018 ;

3°) d'enjoindre, sous astreinte, au ministre de l'intérieur de délivrer les visas de long séjour sollicités, dans le délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros à verser à son conseil au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

­ le jugement attaqué est irrégulier pour être entaché, d'une part, d'une erreur de fait quant à la date de naissance de Mohamed C... et quant à la présence de M. E... C... lors de sa conception et, d'autre part, d'un défaut d'examen de la situation du jeune G... C... ;

­ la décision contestée de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France est entachée d'une erreur d'appréciation dès lors que le caractère inauthentique des actes d'état civil produits n'est pas établi ;

­ il ne revient pas, en outre, aux autorités administratives françaises de mettre en doute le bien-fondé d'une décision rendue par une autorité juridictionnelle étrangère, soit, en l'espèce, les jugements supplétifs tenant lieu d'actes de naissance des enfants qui ont été rendus dans les formes du pays, et qui ont servi de base à la délivrance des passeports ;

­ si ces jugements supplétifs ont été ensuite annulés à leur demande, cette circonstance ne saurait établir la fraude, ni leur mauvaise foi ;

­ la possession d'état est établi par les pièces du dossier ;

­ la décision contestée porte une atteinte disproportionnée au droit au respect de leur vie privée et familiale en méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et méconnaît les stipulations du premier paragraphe de l'article 3 de la Convention internationale relative aux droits de l'enfant.

Par un mémoire en défense, enregistré le 16 septembre 2020, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.

Il soutient qu'aucun des moyens soulevés par le requérant n'est fondé et s'en remet au surplus à ses écritures de première instance.

M. E... C... été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle partielle (25 %) par une décision du 6 août 2019.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu

­ le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

­ le code civil ;

­ la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

­ le décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991 ;

­ le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le président de la cour a désigné Mme B..., présidente assesseur, pour présider les formations de jugement en cas d'absence ou d'empêchement de M. Pérez, président de la 2ème chambre en application de l'article R. 222 26 du code de justice administrative.

Le rapport de M. A...'hirondel a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. E... C..., né le 11 juin 1975 au Liberia, est entré en France le 15 novembre 2003 où il s'est vu accorder le bénéfice de la protection subsidiaire par une décision de la Cour nationale du droit d'asile du 5 octobre 2006. Il a acquis la nationalité française par décret du 10 juillet 2015. Les 22 mars 2017 et 19 juin 2017, des demandes de visas ont été déposées respectivement pour le jeune G... C... né le 12 janvier 2001 à Conakry (Guinée) et Mme J... C..., née le 2 août 1999 à Matoto (Guinée) qui se présentent comme ses enfants. Par des décisions du 1er novembre 2017, les autorités consulaires françaises à Conakry (Guinée) ont rejeté ces demandes de visa. Le 28 décembre 2017, M. E... C... a saisi la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France d'un recours contre les décisions consulaires, lequel a été rejeté par une décision expresse du 28 février 2018. M. E... C... relève appel du jugement du tribunal administratif de Nantes du 14 mars 2019 qui a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

2. L'article L. 111-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile prévoit, en son premier alinéa, que la vérification des actes d'état civil étrangers doit être effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil. L'article 47 du code civil dispose quant à lui que : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ". Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties. Pour juger qu'un acte d'état civil produit devant lui est dépourvu de force probante, qu'il soit irrégulier, falsifié ou inexact, le juge doit en conséquence se fonder sur tous les éléments versés au dossier dans le cadre de l'instruction du litige qui lui est soumis. Ce faisant, il lui appartient d'apprécier les conséquences à tirer de la production par l'étranger d'une carte consulaire ou d'un passeport dont l'authenticité est établie ou n'est pas contestée, sans qu'une force probante particulière puisse être attribuée ou refusée par principe à de tels documents.

3. Pour refuser de délivrer les visas de long séjour sollicités, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France s'est fondée sur les motifs tirés de ce que les actes de naissance présentés au dossier ont été, d'une part, établis très tardivement suite à des jugements supplétifs rendus pour les deux enfants en 2015, sur simples déclarations de témoins, sans explications circonstanciées et qu'ils présentent, d'autre part, des anomalies leur ôtant tout caractère probant, que l'extrait d'acte de naissance de M. C... n'était pas conforme au numéro d'identification unique porté sur son passeport, lequel a été ainsi établi sur la base d'un autre document et qu'il existe, après vérification, un doute sérieux sur l'identité de l'enfant J... C... pour laquelle un visa a été sollicité à Bamako en 2014 sous un autre patronyme.

4. Il ressort des pièces du dossier qu'ont été présentés à l'appui de la demande de visas, pour le jeune G... C..., le volet n° 1 de l'acte de naissance n° 164 dressé le 22 janvier 2001 au centre d'état civil de la commune de Matoto ainsi qu'un acte de naissance n° 3449 transcrit le 11 décembre 2015 suivant un jugement supplétif du 9 décembre 2015 rendu par le tribunal de première instance (TPI) de Conakry II et, pour Mme J... C..., le volet n°1 de l'acte de naissance n° 1560 dressé le 16 août 1999 au centre d'état civil de la commune de Matoto ainsi qu'un acte de naissance n° 3450 transcrit le 11 décembre 2015 suivant un jugement supplétif du 9 décembre 2015 rendu par le TPI de Conakry II. Par des jugements du 2 juillet 2018, le TPI de Conakry II a annulés les jugements supplétifs tenant lieu d'actes de naissance des 9 décembre 2015 ainsi que les copies des transcriptions délivrées le 11 décembre 2015 sur le fondement de ces jugements au motif qu'ils étaient nuls et non avenus dès lors que les extraits originaux des actes de naissance avaient été retrouvés. Par suite, eu égard à l'effet rétroactif qui s'attache à l'annulation prononcée par les jugements du TPI de Conakry II, les documents annulés ne sauraient établir le lien de filiation allégué. Toutefois, cette seule circonstance n'est pas de nature à remettre en cause l'authenticité des actes d'état civil originaux présentés à l'appui des demandes de visa.

5. Selon une note du 19 mai 2014 adressée par les autorités guinéennes au consulat de France en Guinée, le numéro d'identification national unique porté sur les passeports biométriques composé de quinze chiffes, comporte du 11ème au 13ème chiffre, les trois chiffres portés sur l'acte de naissance fourni et authentifié par l'administration. S'agissant du passeport du jeune G... C..., ont été portés les chiffres " 344 ", ce qui correspond à l'acte de naissance retranscrit le 11 décembre 2015 suivant le jugement supplétif du 9 décembre 2015. Il ressort des pièces du dossier que cet acte retranscrit contient, s'agissant de l'état civil de l'intéressé, les mêmes mentions que ceux figurant dans l'extrait d'acte de naissance n° 164 dressé le 22 janvier 2001. Par suite, et compte tenu du motif d'annulation retenu par le jugement du tribunal de première instance de Conakry II du 2 juillet 2018, la seule circonstance que le passeport du jeune G... C... ne comporte pas les trois chiffres identifiant l'extrait d'acte de naissance n°164 ne saurait, en l'espèce, établir le caractère inauthentique de ce dernier acte.

6. De même, l'acte délivré par la greffière en chef, notaire à la justice de paix de Coyah enregistré le 16 février 2017 autorisant les enfants à sortir du territoire national, lequel ne constitue pas un acte de l'état civil, n'est pas de nature à remettre en cause les mentions portées sur les actes de naissance des demandeurs. En tout état de cause, le ministre ne saurait se prévaloir des maladresses rédactionnelles de cet acte dès lors que celui-ci indique expressément que J... et Mohamed C... sont les enfants de " Monsieur E... et de Madame D... F... ".

7. Par ailleurs, le requérant allègue, ainsi qu'il ressort au demeurant du carnet de santé de l'intéressée, que Mme J... C... craignait être soumise, dans son pays d'origine, à l'excision. Si cette dernière a tenté de fuir son pays, en sollicitant, sous un nom d'emprunt, un visa de court séjour pour se rendre auprès de son " oncle ", M. E... C..., cette circonstance n'est pas de nature à établir le caractère non probant de l'acte d'état civil n° 1560 dressé le 16 août 1999 qu'elle a présenté à l'appui de sa demande de visa.

8. Enfin, le ministre ne saurait utilement soutenir que les actes de naissance ne seraient pas cohérents avec le récit présenté par M. C... devant la Cour nationale du droit d'asile à l'appui de sa demande d'asile dès lors que la cour ne s'est pas fondée, pour lui accorder la protection subsidiaire, sur la réalité des faits allégués par l'intéressé mais seulement sur la circonstance que les autorités du Libéria, pays dont il est originaire et qu'il a été contraint de fuir en 1992, n'était pas en mesure d'assurer la protection contre les agissements dont il a été victime. En revanche, il ressort de ces mêmes pièces que, lors de sa demande d'asile, et alors même qu'il ne l'aurait pas réitéré lors de sa demande d'acquisition de la nationalité française, M. C... a déclaré Mme D... F..., née le 12 avril 1980, comme sa conjointe, épousée selon les seules formes religieuses, et les jeunes J... C..., née le 2 août 1999 et Mohamed C..., né le 12 janvier 2001 comme les enfants du couple. L'imprécision portée par M. C... dans le " formulaire OFPRA " sur le lieu de naissance exact de ces enfants ne saurait établir le caractère frauduleux de ses déclarations. Il s'agit, au demeurant, des mentions portées dans les rôles de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides ainsi qu'il résulte de sa note du 18 avril 2007. Enfin, peu de temps après avoir obtenu la protection subsidiaire, M. C... a engagé les démarches afin de se faire rejoindre en France par la famille qu'il avait déclarée lors de sa demande d'asile.

9. Il suit de là qu'à défaut d'établir le caractère inauthentique des actes de naissance nos 164 et 1560 présentés respectivement pour Mohamed et J... C..., ces actes doivent être regardés comme établissant le lien de filiation unissant les intéressés à M. E... C....

10. Par suite, M. C... est fondé à soutenir que la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a, par les motifs qu'elle a retenus, inexactement appliqué les dispositions précitées et à demander, pour ce motif, l'annulation de la décision contestée.

11. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner la régularité du jugement attaqué, ni les autres moyens de la requête, que M. C... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

12. L'exécution du présent arrêt implique nécessairement qu'un visa de long séjour soit délivré à Mme J... C... et au jeune G... C.... Il y a lieu d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer un tel visa aux intéressés dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt, sans qu'il soit besoin de prononcer une astreinte.

Sur les frais liés au litige :

13. M. E... C... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle partielle. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 200 euros à Me H... dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et à l'article 108 du décret du 19 décembre 1991.

D É C I D E :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Nantes du 14 mars 2019 et la décision de la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France du 28 février 2018 sont annulés.

Article 2 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer à Mme J... C... et au jeune G... C..., sous réserve d'un changement dans les circonstances de droit ou de fait, un visa de long séjour dans le délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 3 : Le versement de la somme de 1 200 euros à Me H... est mis à la charge de l'Etat dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et à l'article 108 du décret du 19 décembre 1991.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. E... C... et au ministre de l'intérieur.

Délibéré après l'audience du 22 septembre 2020, à laquelle siégeaient :

- Mme B..., présidente de la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,

- M. A...'hirondel, premier conseiller,

- Mme Bougrine, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 9 octobre 2020.

Le rapporteur,

M. I... La présidente,

H. B...

Le greffier,

A. BRISSET

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

1

2

N° 19NT03859


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 19NT03859
Date de la décision : 09/10/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme DOUET
Rapporteur ?: M. Michel LHIRONDEL
Rapporteur public ?: M. GIRAUD
Avocat(s) : BOURGEOIS

Origine de la décision
Date de l'import : 24/10/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2020-10-09;19nt03859 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award