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02/10/2020 | FRANCE | N°19NT01392

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 4ème chambre, 02 octobre 2020, 19NT01392


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Edeis concessions a demandé au tribunal administratif de Caen, d'une part, d'annuler la convention de délégation de service public de gestion de l'aéroport de Caen-Carpiquet ou, subsidiairement, de résilier ladite convention et, d'autre part, de condamner la communauté urbaine de Caen la Mer à lui verser la somme de 998 246 euros, au besoin à parfaire, augmentée des intérêts au taux légal, capitalisés chaque année après une année d'intérêt, à compter du 12 septembre 2018, à titre d'

indemnisation de son préjudice en raison de son éviction illégale.

Par un jugement...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Edeis concessions a demandé au tribunal administratif de Caen, d'une part, d'annuler la convention de délégation de service public de gestion de l'aéroport de Caen-Carpiquet ou, subsidiairement, de résilier ladite convention et, d'autre part, de condamner la communauté urbaine de Caen la Mer à lui verser la somme de 998 246 euros, au besoin à parfaire, augmentée des intérêts au taux légal, capitalisés chaque année après une année d'intérêt, à compter du 12 septembre 2018, à titre d'indemnisation de son préjudice en raison de son éviction illégale.

Par un jugement n° 1700522 du 8 février 2019, le tribunal administratif de Caen a rejeté la demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 8 avril 2019 et le 1er avril 2020, la société Edeis concessions, représentée par Me D..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 8 février 2019 du tribunal administratif de Caen ;

2°) d'ordonner avant dire droit un supplément d'instruction aux fins de production par la communauté urbaine Caen la Mer et par la Chambre de commerce et d'industrie (CCI) de Caen-Normandie de divers documents financiers ;

3°) d'annuler la convention de délégation de service public de gestion et d'exploitation de l'aéroport de Caen-Carpiquet ;

4°) de condamner la communauté urbaine Caen la Mer à lui verser la somme de 998 246 euros, au besoin à parfaire, augmentée des intérêts au taux légal, capitalisés chaque année après une année d'intérêt, à compter du 12 septembre 2018, à titre d'indemnisation de son préjudice en raison de son éviction illégale ;

5°) de mettre à la charge de la communauté urbaine Caen la Mer la somme de 10 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- l'équilibre économique de l'offre de la CCI diffère substantiellement de celui de l'exposante et il impliquait un contrôle obligatoire par l'autorité concédante sur la structure des coûts de l'offre de la CCI ; il n'a pas été démontré en défense que l'offre de l'établissement public consulaire tient compte de l'ensemble des coûts directs et indirects concourant à la détermination du prix ; le jugement est entaché d'une contradiction de motifs en ce qu'il retient à la fois qu'il n'y aurait pas eu violation de l'égal accès à la commande publique alors que divers éléments constitutifs des coûts de la CCI pour déterminer son prix n'ont pas été communiqués ; il y a eu renversement de la charge de la preuve dès lors que la personne publique n'a pas justifié qu'elle a pris en compte l'intégralité des coûts concourant à la formation des prix, notamment des frais de structure ;

- il appartenait aux premiers juges de vérifier que l'offre de la CCI ne faussait pas la concurrence sauf à méconnaitre leur office ; il conviendra d'ordonner la production d'une version non occultée du compte d'exploitation prévisionnel de la CCI et du rapport d'analyse des offres finales ainsi que de divers documents comptables afin de pleinement effectuer ce contrôle ;

- la CCI a bénéficié pour déterminer son prix d'un avantage tiré de son statut d'établissement public dès lors que seul ce dernier lui permet d'accepter un risque important de pertes corrélé à une absence d'espérance de gains ; il y a atteinte aux exigences d'égal accès à la commande publique et au principe de libre concurrence ;

- le rejet de ses conclusions indemnitaires pour irrecevabilité est entaché d'une erreur de droit dès lors qu'une décision administrative de rejet de sa demande existait à la date du jugement et subsidiairement à la date où elle a présenté ses conclusions indemnitaires ; ses conclusions indemnitaires reposent à bon droit sur son compte d'exploitation prévisionnel.

Par un mémoire en défense, enregistré le 10 D... 2020, la communauté urbaine Caen La Mer, représentée par Mes Hamri et Nicolas, conclut au rejet de la requête, et demande de mettre à la charge de la société Edeis concessions une somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les moyens soulevés par société Edeis concessions ne sont pas fondés pour demander l'annulation du jugement ;

- subsidiairement, si des vices affectant le choix du contractant étaient retenus, ils ne sont pas d'une gravité telle qu'ils justifient l'annulation du contrat dès lors qu'il n'y a pas eu volonté du pouvoir adjudicateur de favoriser un candidat ;

- subsidiairement, il y a lieu de rejeter les conclusions indemnitaires pour des motifs de fond dès lors que la société Edeis concessions n'avait aucune chance sérieuse d'être désignée titulaire du marché et le montant du manque à gagner invoqué n'est pas justifié.

Par un mémoire enregistré le 14 D... 2020, la chambre de commerce et d'industrie territoriale (CCI) Caen Normandie, représentée par Me A..., conclut au rejet de la requête, et demande de mettre à la charge de la société Edeis concessions une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les moyens soulevés par société Edeis concessions ne sont pas fondés pour demander l'annulation du jugement ;

- subsidiairement, les conclusions aux fins d'annulation de la convention et les conclusions indemnitaires présentées ne pourront qu'être écartées dès lors notamment que les irrégularités soulevées ne sont pas d'une gravité telle qu'ils impliquent l'annulation de la convention.

Par une ordonnance du 11 mars 2020 la clôture d'instruction a été fixée au 2 avril 2020 et prorogée de plein droit jusqu'au 23 juin 2020 inclus par l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020.

Un mémoire présenté pour la communauté urbaine Caen La Mer a été enregistré le 7 septembre 2020.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code de commerce ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. B...,

- les conclusions de M. Besse, rapporteur public,

- et les observations de Me C..., représentant la communauté urbaine Caen La Mer.

Considérant ce qui suit :

1. Par délibération du 25 juin 2015, le conseil communautaire de la communauté d'agglomération de Caen la Mer a décidé de renouveler la délégation de service public concernant la gestion et l'exploitation de l'aéroport de Caen-Carpiquet. Le 29 septembre 2016, le conseil communautaire a attribué la délégation au délégataire sortant, la chambre de commerce et d'industrie (CCI) territoriale de Caen-Normandie, et a écarté l'offre présentée par la SNC Lavalin qui a depuis lors cédé ses activités aéroportuaires à la société Edeis management, devenue Edeis concessions. Cette dernière a demandé au tribunal administratif de Caen l'annulation ou la résiliation de la convention de délégation et la condamnation de la communauté urbaine Caen la Mer à l'indemniser du préjudice subi en raison de son éviction illégale de cette délégation. Par un jugement du 8 février 2019, dont la société Edeis concessions relève appel, le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

2. Aucun texte ni aucun principe n'interdit, en raison de sa nature, à une personne publique, de se porter candidate à l'attribution d'un marché public ou d'un contrat de délégation de service public. Lorsqu'une personne publique est candidate à l'attribution d'un contrat de concession, il appartient à l'autorité concédante, dès lors que l'équilibre économique de l'offre de cette personne publique diffère substantiellement de celui des offres des autres candidats, de s'assurer, en demandant la production des documents nécessaires, que l'ensemble des coûts directs et indirects a été pris en compte pour la détermination de cette offre, afin que ne soient pas faussées les conditions de la concurrence et que soient respecté le principe de l'égal accès aux contrats de la commande publique. Le respect de ces exigences suppose également que l'établissement public candidat n'ait pas bénéficié, pour déterminer l'équilibre économique de son offre, d'un avantage découlant des ressources ou des moyens qui lui sont attribués au titre de sa mission de service public. Il incombe ainsi au juge du contrat, saisi d'un moyen en ce sens, de vérifier que le contrat n'a pas été attribué à une personne publique qui a présenté une offre qui, faute de prendre en compte l'ensemble des coûts exposés, a faussé les conditions de la concurrence.

3. La CCI de Caen-Normandie, seule actionnaire de la société Aéroport de Caen-Normandie, société dédiée constituée pour la gestion de la délégation de service public en application de l'article 4-3 du règlement de consultation, a été renouvelée comme titulaire de cette délégation de service public. Il ressort du rapport d'analyse des offres que sa proposition a été préférée à celle de la SNC Lavalin, aux droits de laquelle vient la société Edeis concessions, après constat du fait que son offre était la mieux placée en ce qui concerne le premier critère fixé par le règlement de consultation "valeur technique / qualité du service rendu", seconde derrière la société SNC Lavalin au regard du deuxième critère "équilibre économique du projet et robustesse financière" et ex aequo au regard du dernier critère "robustesse juridique et transparence du montage et des engagements pris", ces critères étant appréciés de manière décroissante. La société Edeis conteste ce choix en soutenant que l'offre de la CCI de Caen Normandie a faussé la concurrence et méconnu l'égalité d'accès à la commande publique aux motifs que, d'une part, ni l'autorité délégante ni la CCI n'ont démontré que l'offre de l'attributaire tient compte de l'intégralité des coûts directs et indirects concourant à la détermination du prix, d'autre part, la CCI aurait bénéficié, pour déterminer son prix, d'un avantage tiré de son statut d'établissement public.

4. En premier lieu, la société Edeis concessions fait valoir que les choix financiers de l'offre retenue sont incohérents au regard du déficit d'exploitation constaté sur la période antérieure et de la très faible rentabilité attendue de son offre qui ne permet pas de résorber les déficits passés. Toutefois, l'appréciation de l'équilibre économique d'une offre ne peut se limiter à la rémunération de son capital et la circonstance que la marge que la CCI attributaire du contrat prévoit de dégager soit faible ne signifie pas à elle seule que l'exploitant choisi n'aurait pas intégré dans son offre l'ensemble des coûts directs et indirects concourant à la formation des prix et tarifs des services. En l'espèce, il résulte de l'instruction, notamment du rapport d'analyse des offres, que l'offre de la CCI repose sur un équilibre qui privilégie divers investissements de structure favorables au développement du trafic aérien, qui lui ont permis de satisfaire pleinement au premier critère de la valeur technique et de la qualité de service rendu, et est présentée à l'équilibre alors même que la CCI a fait le choix stratégique d'un taux de marge prévisionnel limité à 0,3 % en moyenne. D'ailleurs, contrairement à ce que soutient la requérante, les hypothèses des nombres de passagers sur lesquels était fondée l'offre de l'attributaire du contrat n'avaient rien d'hasardeuses puisqu'il résulte des premiers résultats de l'exploitation de l'aéroport qu'elles ont été largement dépassées pour les années 2017 à 2019. Dans ces conditions, si l'équilibre économique de l'offre faite par la CCI Caen Normandie reposait sur des choix de gestion et de stratégie de développement différents, il ne résulte pas de l'instruction qu'il différait substantiellement de celui de l'offre de la société SNC Lavalin.

5. En deuxième lieu, si la société Edeis concessions soutient qu'il n'est pas établi que l'offre retenue intègre tous les coûts directs et indirects concourant à la détermination des prix, il résulte de l'instruction que, d'une part, le compte prévisionnel d'exploitation produit dans l'offre de la CCI de Caen Normandie a été établi sur un document type qui est le même que celui rempli par la SNC Lavalin pour son propre dossier de candidature et il n'est nullement établi que la CCI n'aurait pas rempli certaines des rubriques de ce document, qui pour son offre fait apparaître un équilibre entre les charges et les produits. D'autre part, il ressort du rapport d'analyse des offres que les différences des comptes prévisionnels des deux candidates en ce qui concerne les charges correspondent à des stratégies de gestion différentes mais que rien n'établit que la CCI aurait omis ou sous-estimé certains postes de charges. En particulier, la CCI établit par la production de diverses factures qu'elle est rémunérée par la société exploitante de l'aéroport des prestations qu'elle assume pour cette dernière, telles que sa comptabilité. Par ailleurs, les coûts de structures présentés dans l'offre n'apparaissent pas sous estimés dès lors qu'ils sont cohérents avec ceux observés avant la conclusion du renouvellement de la délégation et en augmentation, même légère, au regard de l'augmentation prévue du trafic aérien. D'ailleurs, le rapport d'analyse des offres finales relève que, pour l'essentiel, "les hypothèses de charges retenues par les deux candidats sont extrêmement proches". Enfin, la réalisation d'un bénéfice supposé " normal " n'est pas un critère nécessaire de l'équilibre économique de l'offre de la personne publique candidate dès lors que celle-ci n'apparaît pas structurellement déficitaire et qu'il n'est pas établi qu'elle compromettrait la bonne exécution du service.

6. En troisième lieu, il résulte de ce qui a été dit précédemment que l'équilibre économique de l'offre de l'établissement public consulaire ne diffère pas substantiellement de celui de l'offre concurrente présentée par la SNC Lavalin. Dès lors, la société Edeis concessions ne saurait utilement soutenir que la communauté urbaine Caen la Mer aurait dû s'assurer, en demandant la production des documents nécessaires, que l'offre de la CCI de Caen Normandie n'avait pas faussé la concurrence en omettant de prendre en compte l'ensemble des coûts et en profitant des ressources et moyens qui lui sont attribués au titre de sa mission de service public. Dans ces conditions, alors même que divers documents n'ont été communiqués que de manière partielle afin de respecter le secret des affaires, c'est sans contradiction de motifs que les premiers juges ont jugé que l'offre présentée par la CCI ne faussait pas la concurrence et ne contrevenait pas à l'égalité d'accès aux contrats de la commande publique sans recourir à la faculté qui leur était ouverte, si nécessaire, de demander à cette dernière ou à la communauté urbaine de justifier par des documents comptables ou tout autre moyen d'information approprié des éléments présentés dans l'offre de l'attributaire du contrat. Pour le même motif il y a lieu d'écarter la demande de supplément d'instruction avant dire droit présentée par la société Edeis concessions devant la cour.

7. En quatrième lieu, aucune irrégularité n'ayant été relevée dans l'appréciation de la validité du contrat, il y a lieu d'écarter par voie de conséquence les conclusions indemnitaires présentées par la société Edeis concessions au motif de l'illégalité de l'attribution de la délégation de service public en cause à la CCI de Caen Normandie.

8. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il y ait lieu de procéder à la mesure d'instruction sollicitée, que la société Edeis concessions n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande.

Sur les frais d'instance :

9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à l'octroi d'une somme au titre des frais exposés et non compris dans les dépens à la partie perdante. Il y a lieu, dès lors, de rejeter les conclusions présentées à ce titre par la société Edeis concessions. En revanche, il convient, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de cette dernière, sur le fondement des mêmes dispositions, le versement d'une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés respectivement par la communauté urbaine Caen la Mer et la chambre de commerce et d'industrie territoriale de Caen Normandie.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de la société Edeis concessions est rejetée.

Article 2 : La société Edeis concession versera respectivement à la communauté urbaine Caen la Mer et à la chambre de commerce et d'industrie territoriale de Caen Normandie une somme de 1 500 euros chacune au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société Edeis concessions, à la communauté urbaine Caen la Mer et à la chambre de commerce et d'industrie territoriale Caen Normandie.

Délibéré après l'audience du 15 septembre 2020, à laquelle siégeaient :

- M. Lainé, président de chambre,

- M. B..., président assesseur,

- M. Jouno, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 2 octobre 2020.

Le rapporteur,

C. B...

Le président,

L. Lainé

La greffière,

V. Desbouillons

La République mande et ordonne au préfet du Calvados en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 19NT01392


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 19NT01392
Date de la décision : 02/10/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. LAINE
Rapporteur ?: M. Christian RIVAS
Rapporteur public ?: M. BESSE
Avocat(s) : CABINET PARME AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 08/10/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2020-10-02;19nt01392 ?
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