Vu la procédure suivante :
Procédures contentieuses antérieures :
I. M. G... B... C... a demandé au tribunal administratif de Nantes, d'une part, d'annuler la décision du 13 février 2017 par laquelle le préfet des Alpes Maritimes a rejeté sa demande de naturalisation ainsi que la décision implicite par laquelle le ministre de l'intérieur a rejeté son recours hiérarchique dirigé contre cette décision et, d'autre part, de lui accorder la nationalité française.
II. Mme H... B... C... a demandé au tribunal administratif de Nantes, d'une part, d'annuler la décision du 13 février 2017 par laquelle le préfet des Alpes Maritimes a rejeté sa demande de naturalisation ainsi que la décision implicite par laquelle le ministre de l'intérieur a rejeté son recours hiérarchique dirigé contre cette décision et, d'autre part, de lui accorder la nationalité française.
Par un jugement n°s 1708747, 1708748 du 10 mars 2020, le tribunal administratif de Nantes a annulé les décisions implicites du ministre de l'intérieur, a enjoint au ministre de procéder au réexamen des demandes de M. et Mme B... C... dans un délai de trois mois à compter de la notification du jugement et a rejeté le surplus des demandes.
Procédures devant la cour :
I. Par une requête et un mémoire, enregistrés le 18 mars 2020 et le 20 mai 2020 sous le n°20NT01041, le ministre de l'intérieur demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes du 10 mars 2020 ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. G... B... C... devant le tribunal administratif de Nantes.
Il soutient que :
contrairement à ce qu'a jugé le tribunal administratif de Nantes, la décision litigieuse n'est pas entachée d'une erreur manifeste d'appréciation au regard des liens que M. G... B... C... a conservé avec son pays d'origine, lesquels sont révélés par la " note blanche " adressée à la cour ;
les autres moyens invoqués par M. G... B... C... en première instance ne sont pas fondés.
Par un mémoire en défense, enregistré le 27 mai 2020, M. G... B... C..., représenté par Me Escudier, conclut au rejet de la requête, à ce qu'il soit mis à la charge de l'Etat la somme de 1 800 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative et que l'Etat soit condamné à lui verser la somme de 2 000 euros pour recours abusif.
Il soutient qu'aucun des moyens de la requête du ministre n'est fondé.
II. Par une requête et un mémoire, enregistrés le 18 mars 2020 et le 20 mai 2020 sous le n°20NT01043, le ministre de l'intérieur demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes du 10 mars 2020 ;
2°) de rejeter la demande présentée par Mme H... B... C... devant le tribunal administratif de Nantes.
Il soutient que :
contrairement à ce qu'a jugé le tribunal administratif de Nantes, la décision litigieuse n'est pas entachée d'une erreur manifeste d'appréciation au regard des liens que l'époux de la postulante, M. G... B... C..., a conservé avec son pays d'origine, lesquels sont révélés par la " note blanche " adressée à la cour. Compte tenu de la durée et de l'effectivité de la communauté de vie entre les époux, les agissements du conjoint peuvent être pris en compte pour rejeter la demande de naturalisation de l'intéressée ;
les autres moyens invoqués par Mme H... B... C... en première instance ne sont pas fondés.
Par un mémoire en défense, enregistré le 27 mai 2020, Mme H... B... C..., représentée par Me Escudier, conclut au rejet de la requête, à ce qu'il soit mis à la charge de l'Etat la somme de 1 800 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative et que l'Etat soit condamné à lui verser la somme de 2 000 euros pour recours abusif.
Elle soutient qu'aucun des moyens de la requête du ministre n'est fondé.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
le code civil ;
le décret n° 93-1362 du 30 décembre modifié ;
le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
le rapport de M. L'hirondel,
les conclusions de M. Giraud, rapporteur public,
et les observations de Mme D..., représentant le ministre de l'intérieur.
Considérant ce qui suit :
1. Le ministre de l'intérieur relève appel, par deux requêtes enregistrées le 18 mars 2020, du jugement du tribunal administratif de Nantes du 10 mars 2020 ayant annulé ses décisions implicites rejetant les demandes de naturalisation présentées, l'une par M. G... B... C..., l'autre par Mme H... B... C..., son épouse. Ces requêtes présentent à juger des questions semblables et ont fait l'objet d'une instruction commune. Il y a lieu de les joindre pour y statuer par un seul arrêt.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
2. Aux termes de l'article 21-15 du code civil : " L'acquisition de la nationalité française par décision de l'autorité publique résulte d'une naturalisation accordée par décret à la demande de l'étranger ". Aux termes de l'article 48 du décret susvisé du 30 décembre 1993 relatif aux déclarations de nationalité, aux décisions de naturalisation, de réintégration, de perte, de déchéance et de retrait de la nationalité française : " Si le ministre chargé des naturalisations estime qu'il n'y a pas lieu d'accorder la naturalisation ou la réintégration sollicitée, il prononce le rejet de la demande. Il peut également en prononcer l'ajournement en imposant un délai ou des conditions (...) ". En vertu de ces dispositions, il appartient au ministre de porter une appréciation sur l'intérêt d'accorder la nationalité française à l'étranger qui la sollicite. Dans le cadre de cet examen d'opportunité, il peut légalement prendre en compte les liens particuliers unissant le postulant à un Etat ou une autorité publique étrangère.
3. Il résulte des écritures du ministre chargé des naturalisations qu'eu égard à l'environnement dans lequel évolue M. G... B... C..., son loyalisme envers notre pays et ses institutions n'est pas avéré. Il indique également que compte tenu de l'ancienneté et de la stabilité de la communauté de vie avec son conjoint, Mme H... B... C... ne peut ignorer ses activités et relations et doit être regardée comme ne présentant pas également un loyalisme suffisant envers la France et ses institutions.
4. Pour justifier sa décision, le ministre de l'intérieur s'est prévalu en première instance de deux notes des services de la direction générale de la sécurité intérieure des 22 novembre 2016 et 18 juin 2018, dont les éléments d'information ont été synthétisés dans une " note blanche " communiquée dans la présente instance.
5. En premier lieu, selon cette note, M. G... B... C... a bénéficié, entre 2006 et 2010, dans le cadre de ses études dans le domaine des systèmes électroniques et du génie électrique, d'une bourse attribuée par l'Institut Supérieur des Sciences Appliquées et de Technologie de Damas (ISSAT), lequel intègre le Centre d'études et de Recherches Scientifiques (CERS) qui participe activement aux programmes proliférants syriens. D'une part, ainsi qu'il ressort des pièces du dossier, et le reconnait au demeurant le ministre, M. B... C... n'a bénéficié d'une telle bourse que pour la seule année 2006, l'intéressé ayant été ensuite engagé, de 2007 à 2010, en qualité d'allocataire de recherche à l'université de Nantes, pour préparer un doctorat sur le thème " Etude et développement d'émetteurs de puissance compacts optimisés en rendement et en consommation pour les télécommunications ". D'autre part, ni la note, ni le ministre n'apportent d'éléments suffisamment précis et circonstanciés permettant de suspecter que, du seul fait de sa qualité de boursier de l'ISSAT, le postulant a pu participer aux travaux du CERS. Par ailleurs, il ressort des pièces du dossier, notamment du curriculum vitae de M. B... C... qu'il a produit à l'appui de sa demande de naturalisation ainsi que des écritures de première instance, que ce dernier réside en France depuis 2007 où il a continué ses études à l'université de Nantes débouchant sur la délivrance de deux diplômes en 2007 et 2010, puis a intégré en 2011 l'école Polytech' de Nantes, a été recruté à compter de 2012, au sein de la société Insight SiP à Sophia Antipolis et a signé, enfin, le 4 janvier 2017, un contrat de travail à durée indéterminée avec la société Ampleon. Alors que le requérant précise, sans être utilement contredit, ne plus être retourné dans son pays d'origine depuis 2009, le ministre n'apporte au soutien de ses allégations selon lesquelles M. B... C... serait impliqué dans les programmes proliférants et qu'il serait proche du régime syrien en place aucun début d'élément permettant à la cour d'apprécier ce risque.
6. En deuxième lieu, le ministre soutient que M. B... C... a manqué de transparence en n'évoquant, lors de son entretien de juin 2016, que les applications civiles des projets sur lesquels il a travaillé alors qu'entre 2000 et 2006, il a été ingénieur au département de télécommunication de l'ISSAT de Damas. Le requérant fait valoir qu'à sa demande de naturalisation était joint son curriculum vitae lequel précise notamment les projets auxquels il a été appelé à collaborer durant cette période. Le ministre n'apporte aucun élément de nature à douter de l'exhaustivité de la liste des missions figurant dans ce document. Il ne ressort également pas des pièces du dossier que le postulant ait été appelé à donner des précisions complémentaires sur les projets auxquels il aurait collaboré au sein de l'ISSAT.
7. En troisième lieu, la circonstance que lors de cet entretien, M. B... C... ait pu citer trois organismes syriens de recherche dépendants du CERS n'est pas à elle seule de nature à en déduire la participation de l'intéressé à ces organismes, lesquels pouvaient être connus de ce dernier du seul fait de sa formation professionnelle et pour avoir intégré, pendant six ans, de 2000 à 2006, l'ISSAT. En citant ces organismes, l'intéressé a, au demeurant, fait preuve de transparence.
8. Il suit de là que les seuls éléments sur lesquels se sont fondés le ministre ne sont pas de nature à faire douter du loyalisme de M. B... C... envers la France et ses institutions. Par suite, alors même qu'il dispose d'un large pouvoir d'apprécier l'opportunité d'accorder la nationalité française, le ministre a entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation. Compte tenu du motif retenu pour refuser la naturalisation de Mme H... B... C... et rappelé au point 3, cette décision est entachée de la même erreur manifeste d'appréciation.
9. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l'intérieur n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a annulé ses décisions implicites.
Sur l'amende pour recours abusif :
10. L'amende pour requête abusive, prévue par l'article R. 741-12 du code de justice administrative, constitue un pouvoir propre du juge, dont il n'appartient pas au défendeur de solliciter la mise en oeuvre. Par suite, les conclusions en ce sens de M. G... B... C... et de Mme H... B... C... sont irrecevables et doivent être rejetées alors même, en tout état de cause, que les requêtes du ministre ne présentent en l'espèce aucun caractère abusif.
Sur les frais liés au litige :
Pour l'application des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat la somme globale de 1 200 euros au titre des frais exposés par M. G... B... C... et par Mme H... B... C... et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : Les deux requêtes visées ci-dessus du ministre de l'intérieur sont rejetées.
Article 2 : L'Etat versera à M. G... B... C... et à Mme H... B... C... la somme globale de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le surplus des conclusions de M. G... B... C... et de Mme H... B... C... est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur, à M. G... B... C... et à Mme H... B... C....
Délibéré après l'audience du 8 septembre 2020, à laquelle siégeaient :
M. Pérez, président,
Mme Douet, président-assesseur,
M. L'hirondel, premier conseiller.
Lu en audience publique le 1er octobre 2020.
Le rapporteur,
M. LHIRONDEL
Le président,
A. PEREZ
Le greffier,
K. BOURON
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N°s 20NT01041, 20NT01043