Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. C... E... et M. D... G... E... ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision implicite de rejet née du silence gardé par la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France à leur recours formé contre la décision notifiée le 15 janvier 2019 par laquelle les autorités consulaires françaises à Lomé (Togo) ont refusé de délivrer un visa de long séjour au titre du regroupement familial à M. D... G... E... et à M. H... E....
Par un jugement n° 1905729 du 31 octobre 2019, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 8 janvier 2020, M. C... E... et M. D... G... E..., représentés par Me B..., demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 31 octobre 2019 ;
2°) d'annuler la décision du 26 avril 2019 ainsi que la décision implicite de rejet de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France ;
3°) d'enjoindre, sous astreinte, au ministre de délivrer les visas de long séjour sollicités dans un délai de huit jours à compter de l'arrêt à intervenir ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
le jugement est irrégulier pour avoir omis de viser et de prendre en compte le dernier mémoire qu'ils ont produit, lequel était accompagné de pièces justificatives ;
les autorités consulaires n'ont pas procédé, en méconnaissance des dispositions de l'article R. 421-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, aux vérifications nécessaires antérieurement à l'avis favorable de regroupement familial. A supposer même que l'administration ait effectivement procédé à des vérifications auprès des autorités locales, elle ne justifie à aucun moment des modalités de cette vérification, du contenu ou du résultat effectif de ces vérifications ;
la décision contestée est entachée d'une erreur d'appréciation dès lors que l'absence des dates et lieux de naissance des parents sur l'acte de naissance de l'enfant D... n'est pas de nature à établir une absence de filiation alors que des actes de possession d'état viennent conforter la réalité de ce lien de filiation ;
la possession d'état est également établie à l'égard du jeune H... E... alors que son acte de naissance ne méconnaît pas les dispositions de l'article 202 du code de la famille togolais ;
M. E... rend visite régulièrement à ses enfants au Togo dès que l'état de ses finances et ses obligations professionnelles le permettent ;
les jugements de délégation de l'autorité parentale ainsi que les autorisations de sortie du territoire ont été produits contrairement à ce qu'a soutenu le ministre en première instance ;
pour le surplus, ils s'en remettent à leurs écritures de première instance.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu
le code civil ;
le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
le code des relations entre le public et l'administration ;
le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. A...'hirondel a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. C... E..., ressortissant béninois, né le 15 novembre 1969, a sollicité une autorisation de regroupement familial au bénéfice de ses enfants allégués, M. D... G... E..., né le 8 avril 2000 à Cotonou (Bénin) et le jeune H... E..., né le 18 août 2010 à Lomé (Togo), laquelle lui a été délivrée par le préfet de l'Eure le 11 juillet 2017. Par une décision du 15 janvier 2019, l'autorité consulaire française à Lomé (Togo) a refusé, dans le cadre de cette procédure, de délivrer les visas de long séjour aux intéressés. Les requérants ont contesté cette décision devant la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France par un recours enregistré le 25 février 2019. En l'absence de réponse, une décision implicite de rejet est née à compter du 25 avril 2019. Le 26 avril 2019, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a pris une décision expresse de rejet de leur recours. Par un jugement du 31 octobre 2019, le tribunal administratif de Nantes, après avoir requalifié les conclusions de la requête, a rejeté leur demande tendant à l'annulation de la décision de la commission de recours du 26 avril 2019.
2. M. C... E... et de M. D... G... E... relèvent appel de ce jugement et demandent à la cour d'annuler tant la décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France que sa décision expresse du 26 avril 2019. Toutefois, la décision expresse du 26 avril 2019 de la commission s'est substituée à sa première décision. Les conclusions de la requête de M. C... E... et de M. D... G... E... doivent être ainsi regardées comme dirigées exclusivement contre cette seconde décision.
Sur la régularité du jugement attaqué :
3. Le défaut de visa d'un mémoire produit avant la clôture de l'instruction n'est pas de nature à rendre irrégulière la décision si le mémoire n'apporte aucun élément nouveau auquel il n'aurait pas été répondu dans les motifs.
4. Les requérants font valoir que le tribunal administratif a, en méconnaissance des prescriptions de l'article R. 7412 du code de justice administrative, omis de mentionner, dans les visas de sa décision, le mémoire en réplique qu'ils avaient produit avant la clôture de l'instruction en réponse au mémoire en défense présenté par le ministre de l'intérieur. Il ressort des pièces de première instance, alors que les requérants contestaient, dans leur requête introductive d'instance, la légalité de la décision implicite rendue par la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France, que le ministre de l'intérieur informait le tribunal de l'intervention d'une décision expresse de la commission, se substituant à la décision implicite, permettant alors aux intéressés de connaître les motifs de la décision, et sollicitait, par ailleurs, une substitution des motifs. Dans leur mémoire en réponse, enregistré au greffe du tribunal le 12 octobre 2019, les requérants contestaient chacun des motifs allégués par le ministre et produisaient, à l'appui de leurs écritures, de nouvelles pièces. Il résulte du jugement attaqué que ce mémoire n'est pas visé et que les premiers juges ont écarté les moyens des requérants au regard des seuls arguments qu'ils avaient développés dans leur requête introductive d'instance. Par suite, en s'abstenant de viser et d'examiner le mémoire en réplique présenté par les requérants qui contenait des éléments nouveaux, les premiers juges ont entaché le jugement attaqué d'irrégularité. Ce jugement doit, par suite, être annulé.
5. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par les requérants devant le tribunal administratif de Nantes.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
En ce qui concerne la légalité externe :
6. En premier lieu, la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France s'est substituée à la décision consulaire. Par suite, le moyen tiré du vice de procédure de la décision des autorités consulaires en l'absence de consultation des autorités locales togolaises afin des vérifier l'authenticité des actes d'état civil présentés à l'appui des demandes de visa est, en tout état de cause, inopérant.
7. En second lieu, à supposer que les requérants aient entendu soulever le défaut de motivation de la décision en litige, il ressort des termes de cette décision, qu'après avoir visé notamment les articles L. 211-1 et L. 411-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France s'est fondée sur les motifs tirés de ce que les actes d'état civil produits présentent diverses incohérences de nature à leur ôter tout caractère probant, et ne permettent pas d'établir l'identité des demandeurs et par suite le lien de filiation allégué avec le requérant. Par suite, le moyen tiré du défaut de motivation de la décision attaquée doit être écarté.
En ce qui concerne la légalité interne :
8. Aux termes de l'article L. 111-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " (...) La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil ". Aux termes de l'article 47 du code civil : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ".
9. Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties. Pour juger qu'un acte d'état civil produit devant lui est dépourvu de force probante, qu'il soit irrégulier, falsifié ou inexact, le juge doit en conséquence se fonder sur tous les éléments versés au dossier dans le cadre de l'instruction du litige qui lui est soumis.
10. Pour refuser de délivrer les visas de long séjour aux intéressés, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France s'est fondée sur le motif tiré de ce que les actes de naissance des demandeurs présentent diverses incohérences, notamment en ce qui concerne la date d'établissement (antérieure au jugement supplétif), l'absence de signature pour l'acte de naissance n° 974 de l'enfant D... E... et des surcharges, sans mention en marge, sur plusieurs rubriques notamment la filiation paternelle sur l'acte de naissance n° 506/2010 concernant l'enfant H... E..., leur ôtant toute valeur probante.
S'agissant du lien de filiation allégué envers le jeune H... E... :
11. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que l'acte de naissance n° 506/2010 a été établi sur la déclaration de la mère de l'enfant et non antérieurement à un jugement supplétif. Par suite, la commission a fait une inexacte application des dispositions précitées en retenant ce motif. De même, il n'apparaît pas que l'acte de naissance n°506/2010 contient des surcharges ou des ratures.
12. Toutefois, le ministre soutient également que cet acte n'a pas été dressé selon la procédure prévue par les dispositions de l'article 202 du code des personnes et de la famille togolais.
13. Aux termes de l'article 202 du code des personnes et de la famille togolais : " La filiation des enfants nés hors mariage résulte à l'égard de la mère du seul fait de la naissance. / Toutefois, dans le cas où l'acte de naissance ne porte pas l'indication du nom de la mère, elle doit être établie par une reconnaissance. / A l'égard du père, la preuve de la filiation ne peut résulter que d'une reconnaissance. / La reconnaissance résulte aussi de la déclaration de naissance dans laquelle le père a pris cette qualité. ". Selon l'article 205 de ce même code : " La reconnaissance par le père de l'enfant né hors mariage est valable si elle est faite dans l'acte de naissance, par acte dressé par le président du tribunal, le juge compétent ou un notaire (...) ".
14. En vertu de ces dispositions, la mention portée, dans l'acte de naissance, par la mère de l'enfant sur l'identité du père n'est valable que si l'acte a été dressé par le président du tribunal, le juge compétent ou un notaire. En l'espèce, l'extrait d'acte de naissance n°506 a été dressé sur la déclaration de la mère par le président de la délégation spéciale du 2ème arrondissement du centre d'état civil de la commune de Lomé. Cet acte, qui n'a pas été établi par une des autorités visées à l'article 205 du code des personnes et de la famille togolais, ne présente pas, dans ces conditions, un caractère suffisamment probant pour justifier le lien de filiation avec le père mentionné par celui-ci.
15. En second lieu, aux termes de l'article 311-1 du code civil : " La possession d'état s'établit par une réunion suffisante de faits qui révèlent le lien de filiation et de parenté entre une personne et la famille à laquelle elle est dite appartenir. / Les principaux de ces faits sont : / 1° Que cette personne a été traitée par celui ou ceux dont on la dit issue comme leur enfant et qu'elle-même les a traités comme son ou ses parents ; / 2° Que ceux-ci ont, en cette qualité, pourvu à son éducation, à son entretien ou à son installation ; / 3° Que cette personne est reconnue comme leur enfant, dans la société et par la famille ; / 4° Qu'elle est considérée comme telle par l'autorité publique ; / 5° Qu'elle porte le nom de celui ou ceux dont on la dit issue. " Selon l'article 311-2 du même code : " La possession d'état doit être continue, paisible, publique et non équivoque. ".
16. M. C... E..., dont il ressort des pièces du dossier qu'il est entré en France en juillet 2001, soutient justifier d'une possession d'état à l'égard de l'enfant au motif qu'il a procédé à quatre transferts d'argent au Togo au profit de la mère les 23 juin 2015 (68,61 euros), 23 octobre 2015 (121,96 euros), 16 août 2016 (30,49 euros) et 6 avril 2018 (38,11 euros). Toutefois, alors que de plus il n'établit pas ni même allègue avoir notamment entretenu avec l'enfant des relations épistolaires ou téléphoniques, ces justificatifs sont insuffisants pour établir une possession d'état, qui doit être en particulier continue, au sens des dispositions précitées du code civil.
17. Au surplus, il ressort des pièces du dossier que M. C... E... a fait l'objet le 25 mars 2009 d'un arrêté portant refus de séjour et obligation de quitter le territoire français pris par le préfet de la Seine-et-Marne. Alors que le jeune H... E... est né le 18 août 2010, il ne ressort pas des pièces du dossier que l'arrêté du préfet de la Seine-et-Marne ait été respecté ou mis à exécution, de sorte que l'intéressé se trouvait au Togo au moment de la conception de l'enfant, dès lors que M. C... E... a sollicité, dès le 29 mars 2010 son admission exceptionnelle au séjour par le travail en déposant un dossier auprès de la préfecture de Seine-et-Marne et que sa demande de régularisation a été notamment examinée au regard de l'ancienneté de sa présence en France.
18. Il résulte de ce qui précède que la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France n'a pas fait une inexacte application des dispositions précitées en estimant que le lien de filiation entre le jeune H... E... et M. C... E... n'était pas établi.
S'agissant du lien de filiation allégué envers M. D... G... E... :
19. En premier lieu, pour le même motif que celui énoncé au point 11, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a fait une inexacte application des dispositions précitées en déniant toute valeur probante à l'acte de naissance n°974 de M. D... G... E... au motif qu'il serait antérieur à un jugement supplétif. De même, et contrairement à ce qu'elle a retenu, cet acte contient la signature de l'officier de l'état civil qui l'a dressé.
20. En second lieu, l'intéressé étant né au Bénin et l'acte de naissance n°974 ayant été, par suite, dressé par l'officier de l'état civil de la commune de Cotonou (Bénin), le ministre de l'intérieur n'est pas fondé à soutenir qu'en l'absence des mentions concernant les dates et lieux de naissance des parents, cet acte méconnaît les dispositions de l'article 10 de la loi n°009-010 du 9 juin 2009 relative à l'organisation de l'état civil au Togo. La circonstance que ces mentions ne sont également pas portées sur l'acte de naissance n°1179 transcrit le 8 mai 2013 est sans incidence dès lors que cet acte n'a que pour seul objet d'assurer la transcription de l'acte de naissance établie par les autorités béninoises dans l'état civil étranger de Lomé.
21. Il suit de là que le caractère inauthentique de l'acte de naissance de M. D... G... E... n'est pas établi par les pièces du dossier.
22. Toutefois, pour établir que la décision attaquée était légale, le ministre de l'intérieur invoque, dans son mémoire en défense de première instance enregistré et communiqué aux requérants, outre le motif tiré du caractère inauthentique de l'acte, un autre motif tiré, en ce qui concerne la demande présentée par M. D... G... E..., de ce que les requérants n'apportent aucun élément de possession d'état. Toutefois, dès lors que, ainsi qu'il a été dit, le lien de filiation a été établi par un acte d'état civil présenté à l'appui de la demande de visa, ce motif n'est pas légalement justifié.
23. Il résulte de tout ce qui précède que les requérants sont seulement fondés à demander l'annulation de la décision de la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France en tant qu'elle concerne la demande de visa présentée par M. D... G... E....
Sur les conclusions à fin d'injonction :
24. Compte tenu des motifs du présent arrêt, il y a lieu d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer, dans un délai d'un mois à compter de sa notification, un visa de long séjour à M. D... G... E..., sans qu'il soit nécessaire d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais liés au litige :
25. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative et de mettre à la charge de l'Etat la somme que M. C... E... et M. D... G... E... demandent au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens.
D É C I D E:
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Nantes du 31 octobre 2019 est annulé en tant qu'il rejette les conclusions tendant à l'annulation de la décision de la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France du 4 avril 2019 refusant la délivrance d'un visa de long séjour à M. D... G... E....
Article 2 : La décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France du 4 avril 2019 est annulée en tant qu'elle refuse la délivrance d'un visa de long séjour à M. D... G... E....
Article 3 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer à M. D... G... E... un visa de long séjour dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... E..., à M. D... G... E... et au ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 8 septembre 2020, à laquelle siégeaient :
M. Pérez, président,
Mme Douet, président-assesseur,
M. A...'hirondel, premier conseiller.
Lu en audience publique le 1er octobre 2020.
Le rapporteur,
M. F...
Le président,
A. PEREZ
Le greffier,
K. BOURON
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 20NT00073