Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. E... B... a demandé au tribunal administratif de Rennes, d'une part, d'annuler la décision du président de l'université de Rennes 1 du 28 janvier 2016 refusant de lui accorder la protection fonctionnelle et, d'autre part, de condamner l'université de Rennes 1 à lui verser la somme de 10 000 euros en réparation du préjudice subi à raison de faits constitutifs de harcèlement moral dont il estime avoir été victime.
Par un jugement nos 1601211, 1601214 du 11 mars 2019, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 13 mai et le 30 septembre 2019, M. B..., représenté par Me G..., demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Rennes du 11 mars 2019 ;
2°) d'une part, d'annuler la décision du président de l'université de Rennes 1 du 28 janvier 2016 refusant de lui accorder la protection fonctionnelle et, d'autre part, de condamner l'université de Rennes 1 à lui verser la somme de 10 000 euros en réparation du préjudice subi à raison de faits constitutifs de harcèlement moral dont il estime avoir été victime ;
3°) d'enjoindre au président de l'université de Rennes 1 de lui accorder la protection fonctionnelle et de lui attribuer le matériel indispensable à son activité d'enseignant-chercheur ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- c'est à tort que le tribunal a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision attaquée dès lors qu'il a été victime de harcèlement moral depuis 2010, du fait du refus de lui attribuer le matériel nécessaire à ses fonctions pour disposer de conditions de travail décentes ;
- il est fondé à demander la condamnation de l'université de Rennes 1 à lui verser la somme de 10 000 euros en réparation du préjudice moral subi.
Par des mémoires en défense, enregistrés le 24 juillet et le 20 novembre 2019, l'université de Rennes 1 conclut au rejet de la requête et à ce que soit mis à la charge de M. B... la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que les moyens soulevés par M. B... sont infondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'éducation ;
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- le décret n° 84-431 du 6 juin 1984 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. A... ;
- les conclusions de M. Lemoine, rapporteur public ;
- et les observations de Me F..., substituant Me G..., avocate de M. B..., et de Me C... substituant Me D..., représentant l'université de Rennes 1.
Une note en délibéré, présentée pour M. B..., a été enregistrée le 17 septembre 2020.
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., professeur des universités en sciences physiques de l'université de Rennes 1, a présenté au président de l'université, par courrier du 20 novembre 2015, une demande tendant à se voir accorder la protection fonctionnelle à raison de faits propres à caractériser un harcèlement moral à son encontre constitués par le refus de lui attribuer le matériel nécessaire à ses fonctions et à l'attribution d'une indemnité en réparation du préjudice qu'il estime avoir subi. Par décision du 28 janvier 2016, le président de l'université Rennes 1 a rejeté sa demande. Par sa requête, M. B... relève appel du jugement du 11 mars 2019 par lequel le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 28 janvier 2016 et à la condamnation de l'Université de Rennes 1 à lui payer la somme de 10 000 euros en réparation du préjudice moral allégué.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. D'une part, aux termes de l'article 11 de la loi du 13 juillet 1983, dans sa rédaction applicable à la date de la décision attaquée : " I.- A raison de ses fonctions et indépendamment des règles fixées par le code pénal et par les lois spéciales, le fonctionnaire ou, le cas échéant, l'ancien fonctionnaire bénéficie, dans les conditions prévues au présent article, d'une protection organisée par la collectivité publique qui l'emploie à la date des faits en cause ou des faits ayant été imputés de façon diffamatoire. (...) IV.-La collectivité publique est tenue de protéger le fonctionnaire contre les atteintes volontaires à l'intégrité de la personne, les violences, les agissements constitutifs de harcèlement, les menaces, les injures, les diffamations ou les outrages dont il pourrait être victime sans qu'une faute personnelle puisse lui être imputée. Elle est tenue de réparer, le cas échéant, le préjudice qui en est résulté. (...) ".
3. Ces dispositions établissent à la charge de l'administration une obligation de protection de ses agents dans l'exercice de leurs fonctions, à laquelle il ne peut être dérogé que pour des motifs d'intérêt général. Cette obligation de protection a pour objet, non seulement de faire cesser les attaques auxquelles l'agent est exposé, mais aussi d'assurer à celui-ci une réparation adéquate des torts qu'il a subis. La mise en oeuvre de cette obligation peut notamment conduire l'administration à assister son agent dans l'exercice des poursuites judiciaires qu'il entreprendrait pour se défendre. Il appartient dans chaque cas à l'autorité administrative compétente de prendre les mesures lui permettant de remplir son obligation vis-à-vis de son agent, sous le contrôle du juge et compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'espèce.
4. D'autre part, aux termes du premier alinéa de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ".
5. Il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral, de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'un tel harcèlement. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile.
6. Pour apprécier si des agissements dont il est allégué qu'ils sont constitutifs d'un harcèlement moral revêtent un tel caractère, le juge administratif doit tenir compte des comportements respectifs de l'agent auquel il est reproché d'avoir exercé de tels agissements et de l'agent qui estime avoir été victime d'un harcèlement moral. En revanche, la nature même des agissements en cause exclut, lorsque l'existence d'un harcèlement moral est établie, qu'il puisse être tenu compte du comportement de l'agent qui en a été victime pour atténuer les conséquences dommageables qui en ont résulté pour lui. Le préjudice résultant de ces agissements pour l'agent victime doit alors être intégralement réparé.
7. Pour démontrer la réalité du harcèlement moral allégué, M. B... fait valoir que, à la suite de la réorganisation en 2008 de l'équipe " Physique des lasers " de l'Institut de Physique de Rennes (IPR) de l'université dans laquelle il exerçait ses activités devenue ultérieurement équipe " Photonique et Lasers ", et du fait de l'existence de différents avec certains membres de cette équipe concernant l'occupation des salles et l'usage du matériel d'expériences, il aurait été mis à l'écart et menacé d'expulsion du laboratoire par la directrice de l'IPR. Cette mise à l'écart serait consécutive à la dénonciation, début 2010, d'une convention signée en mai 2009 tendant à le maintenir au sein de l'IPR tout en lui attribuant des espaces de travail et matériels séparés de ceux de l'équipe " Photonique et Lasers ", ce qui aurait conduit à le priver de locaux et de matériels pour exercer son activité d'enseignant chercheur. Il fait valoir que, bien qu'une médiation ait été menée en juin 2010, conjointement par le médiateur de l'université de Rennes I et la médiatrice du Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS), médiation qui a débouché sur un accord portant création d'une Unité de Recherche Universitaire (URU) en octobre 2010 et qui impliquait l'attribution de deux pièces dédiées à l'URU ainsi que le déménagement du matériel nécessaire à son activité scientifique, le matériel nécessaire à cette activité ne lui aurait pas été attribué. A la suite d'une demande d'une seconde médiation en juillet 2012, il est apparu que la liste de matériels qu'il avait demandés n'aurait jamais été validée par l'IPR et que les matériels attendus auraient été " réformés, hors d'usage ou en utilisation par d'autres enseignants ". Enfin, malgré l'attribution d'un budget pour l'acquisition de nouveaux matériels en septembre 2013, il n'aurait pu trouver une unité de recherche à laquelle se rattacher, ce qui aurait empêché l'amélioration de ses conditions de travail. En définitive, face au différend l'opposant à l'équipe " Photoniques et Lasers ", l'université n'aurait rien fait pour faire en sorte qu'il puisse disposer de conditions de travail décentes, malgré son engagement. Ces différents éléments, appréciés dans leur ensemble, sont susceptibles de faire présumer l'existence du harcèlement allégué.
8. Pour démontrer que les agissements en cause sont étrangers à tout harcèlement, l'université de Rennes 1 soutient qu'elle ne s'est livré à aucun agissement pouvant revêtir la qualification de harcèlement moral à l'égard du requérant et qu'elle a fait preuve de bienveillance. Elle fait valoir que confrontée au climat dégradé régnant entre les enseignants-chercheurs, les chercheurs, les techniciens de la physique de l'IPR et la nouvelle équipe " Photonique et lasers ", elle a activement participé à la recherche d'une solution. A son initiative, une solution de compromis avait été trouvée par la signature d'une convention en novembre 2009. A la suite de l'échec de ce compromis, elle a saisi les médiateurs du CNRS et de l'Université, cette médiation ayant conduit au constat que l'échec de poursuite de l'activité de recherche de M. B... ne pouvait être imputé qu'à son propre comportement en raison du non-respect de ses engagements contractuels. Elle aurait également, en mai 2010, au vu du rapport de médiation, fait la proposition de constitution d'une URU dédiée, solution provisoire dans le cadre de sa politique de regroupement des forces scientifiques au sein d'unités reconnues par le ministère de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation et labellisées par les organismes de recherche. Elle aurait aussi accepté la reconduction de cette URU, afin de trouver une solution et accompagné activement M. B... pour son intégration dans une unité de recherche.
9. En premier lieu, ainsi que l'a relevé le tribunal, il résulte des dispositions combinées de l'article L. 713-1 du code de l'éducation et de l'article 4 des statuts de l'université de Rennes 1 adoptés par le conseil d'administration du 26 juin 2014, que les moyens au sein d'une université sont alloués aux composantes de l'établissement, soit, aux termes des statuts de l'université de Rennes 1, par laboratoire, institut ou Unité de Formation et de Recherche (UFR). L'article 2 du décret statutaire du 6 juin 1984 garantissant l'indépendance des chercheurs, ne fait pas obstacle à ce que le conseil d'administration de l'université accorde des moyens seulement aux unités de formation et de recherche et autres composantes, visées par les dispositions du code de l'éducation. Le conseil d'administration de l'université n'était pas davantage tenu, en vertu desdites dispositions, d'accorder des moyens individuels aux chercheurs non intégrés dans une unité de recherche ou un laboratoire.
10. En second lieu, il résulte de l'instruction que les problèmes rencontrés par M. B... dans l'exercice de ses fonctions d'enseignant-chercheur, et notamment la difficulté à pouvoir disposer du matériel nécessaire à l'exercice de ses missions, ne sont pas liés à des agissements répétés de l'université de Rennes 1 à son égard, mais sont la conséquence de relations professionnelles délétères avec l'équipe " Photonique et Lasers " de l'IPR de l'Université, disposant du matériel dédié, faisant suite à la mise en place d'une unité mixte de recherche, le requérant ayant choisi de ne pas intégrer cette nouvelle unité de recherche, notamment du fait d'un changement dans la direction de l'unité. Aucun élément au dossier ne permet d'établir que M. B... aurait délibérément été mis à l'écart de cette nouvelle unité de recherche, ou qu'une demande de rattachement à l'équipe " Photonique et lasers " aurait été formalisée, demande à laquelle l'université n'aurait pas donné suite. M. B... convient d'ailleurs que sa volonté de ne pas intégrer la nouvelle unité serait liée à des considérations de " compétences " et de " connaissances professionnelles ", car il n'était pas envisageable selon lui d'intégrer une unité de recherche dont la nature des travaux ne correspondait pas à ses qualifications. Confrontée à cette situation dégradée, l'université a au contraire pris l'initiative d'une solution de compromis par la signature d'une convention en juillet 2009 rattachant l'intéressé à l'Institut d'Electronique et de Télécommunications de Rennes (IETR), pour lui permettre de mener ses recherches dans de bonnes conditions. Puis l'université a saisi les médiateurs du CNRS et de l'université pour une médiation ayant aboutie à un rapport du 21 juillet 2010 relevant que, s'agissant de M. B... : " il a été marqué par la conviction de son droit absolu à pouvoir fonctionner comme il l'entend dans l'université et au sein de l'IPR, indépendamment des réactions que ce fonctionnement peut susciter ". En mai 2010, suite au rapport de médiation, l'université a proposé la constitution d'une URU, solution provisoire permettant d'héberger l'activité scientifique du requérant, proposition n'ayant pas aboutie faute de présentation d'un projet scientifique par l'intéressé, comme le soutient l'université sans être contredite. Enfin, l'université a tenté de procéder, à l'amiable, à la répartition du matériel et des locaux de l'ancienne équipe " Physique des Lasers " et de mettre à disposition du requérant un budget dédié pour lui permettre d'acquérir de nouveaux équipements permettant le développement de ses axes de recherches, conditionnée à la présentation d'un projet scientifique ciblé que M. B... ne soutient ni même n'allègue avoir déposé. Dans ces conditions, les problèmes rencontrés par M. B... dans l'exercice de ses fonctions d'enseignant-chercheur, notamment les difficultés pour disposer du matériel nécessaire à l'exercice de son activité, sont imputables, en l'espèce, au propre comportement de l'intéressé et ne résultent pas d'agissements de l'université de Rennes 1 permettant de caractériser l'existence d'un harcèlement moral, au sens des dispositions susvisées de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983.
11. Il résulte de ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du président de l'université de Rennes 1 du 28 janvier 2016 refusant de lui accorder la protection fonctionnelle.
Sur les conclusions à fin d'indemnisation :
12. Il résulte de ce qui précède que l'université de Rennes 1 n'a commis aucune faute. Par suite, les conclusions à fin d'indemnisation présentées par M. B... ne peuvent qu'être rejetées.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
13. Le présent arrêt qui rejette les conclusions à fin d'annulation de la requête n'implique aucune mesure d'injonction. Par suite, les conclusions susvisées ne peuvent qu'être rejetées.
Sur les frais liés au litige :
14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il soit mis à la charge de l'université de Rennes 1, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme réclamée par M. B... au titre des frais liés au litige. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de M. B... le versement à l'université de Rennes 1 de 2 500 euros au titre des mêmes frais.
DECIDE :
Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.
Article 2 : Il est mis à la charge de M. B... le versement à l'université de Rennes 1 d'une somme de 2 500 euros en application de l'article L.761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. E... B... et à l'Université de Rennes 1.
Délibéré après l'audience du 11 septembre 2020, à laquelle siégeaient :
- M. Lenoir, président de chambre,
- M. Coiffet, président-assesseur,
- M. A..., premier conseiller.
Lu en audience publique, le 29 septembre 2020.
Le rapporteur,
F. A...Le président,
H. LENOIR
La greffière,
E. HAUBOIS
La République mande et ordonne à la ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation en ce qui la concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 19NT01827