Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. et Mme D... ont demandé au tribunal administratif d'Orléans de condamner solidairement l'Etat et la commune de Fleury-les-Aubrais à leur verser la somme de 88 853, 99 euros en réparation de leurs préjudices immobilier et professionnel résultant de l'illégalité des permis de construire délivrés, le 26 juin 2006, par le préfet du Loiret et, le 12 juin 2009, par le maire de Fleury-les-Aubrais à l'office public d'aménagement et de construction (OPAC) du Loiret. Par un jugement n° 1601103 du 3 novembre 2016, le tribunal administratif d'Orléans a rejeté leur demande.
Par un arrêt n° 16NT04158 du 4 décembre 2017, la cour administrative d'appel de Nantes a rejeté l'appel formé par M. et Mme D... contre ce jugement.
Par une décision n° 417915 du 24 juillet 2019, le Conseil d'Etat statuant au contentieux a annulé cet arrêt en tant qu'il rejette les conclusions de M. et Mme D... tendant à l'indemnisation de leur préjudice immobilier, a renvoyé l'affaire à la cour administrative d'appel de Nantes, dans la mesure de la cassation prononcée, et a rejeté le surplus des conclusions du pourvoi.
Procédure devant la cour :
Avant cassation :
Par une requête et un mémoire enregistrés le 29 décembre 2016 et le 19 septembre 2017 M. et Mme B... D..., représentés par Me E..., demandent à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 3 novembre 2016 du tribunal administratif d'Orléans ;
2°) de condamner solidairement l'Etat et la commune de Fleury-les-Aubrais à leur verser la somme de 88 853, 99 euros en réparation des préjudices immobilier et professionnel résultant de l'illégalité des permis de construire délivrés, le 26 juin 2006, par le préfet du Loiret et, le 12 juin 2009, par le maire de Fleury-les-Aubrais à l'OPAC du Loiret ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat et de la commune la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- le point de départ du délai de prescription quadriennale est le moment où le jugement du 3 novembre 2016 du tribunal administratif d'Orléans est devenu définitif ;
- la délivrance illégale du permis de construire à l'OPAC du Loiret est constitutive d'une faute ;
- ils ont subi un préjudice immobilier évalué à 33 853,99 euros résultant de la perte de valeur vénale de leur immeuble et de la nécessité de faire réaliser une isolation phonique de leur logement ;
- ils ont subi un préjudice professionnel de 55 000 euros en raison de la réalisation des travaux d'octobre 2006 à juillet 2008.
Par un mémoire en défense enregistré le 20 septembre 2017, le ministre de la cohésion des territoires conclut au rejet de la requête.
Il faut valoir que les moyens soulevés par M. et Mme D... ne sont pas fondés.
Par un mémoire en défense enregistré le 21 février 2017 et le 11 octobre 2017, la commune de Fleury-les-Aubrais, représenté par Me F..., conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 2 500 euros soit mise à la charge de M. et Mme D... au titre de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que les moyens soulevés par M. et Mme D... ne sont pas fondés.
Après cassation :
Par un mémoire en défense, enregistré le 12 septembre 2019, la commune de Fleury-les-Aubrais, représentée par Me F..., conclut au rejet de la requête et demande à la cour de mettre à la charge de M. et Mme D... le versement de la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que :
- la créance des requérants est prescrite depuis le 31 décembre 2012 en application de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1968, les requérants ayant une parfaite connaissance de l'origine du dommage dès l'arrêt de la cour du 28 octobre 2008 annulant le permis de construire ;
- sa responsabilité ne peut être engagée dans la mesure où les travaux ont été réalisés en vertu du permis de construire délivré le 26 juin 2006 par le préfet du Loiret et non par ses propres services ;
- le préjudice immobilier invoqué n'est pas établi.
Par un mémoire, enregistré le 14 octobre 2019, M. B... D... et Mme C... I... épouse D..., représentés par Me G..., demandent à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 3 novembre 2016 du tribunal administratif d'Orléans;
2°) de condamner solidairement l'Etat et la commune de Fleury-les-Aubrais à leur verser une indemnité d'un montant de 33 853,99 euros en réparation du préjudice immobilier résultant de l'illégalité des permis de construire délivrés, le 26 juin 2006, par le préfet du Loiret et, le 12 juin 2009, par le maire de Fleury-les-Aubrais à l'OPAC du Loiret, assortie des intérêts au taux légal à compter du 30 décembre 2015, date de réception par l'administration de leur demande d'indemnisation ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat et de la commune de Fleury-les-Aubrais, solidairement, le versement de la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- leur créance n'est pas prescrite, le délai de prescription ayant été interrompu en application de l'article 2 de la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968, par les nombreux recours juridictionnels engagés pour faire reconnaître l'illégalité des permis de construire puis pour obtenir réparation des préjudices causés par autorisations illégales ;
- leurs conclusions sont recevables du point de vue de la liaison du contentieux ;
- la perte de valeur vénale de leur bien immobilier provient des nuisances sonores causées par le passage sous le porche des véhicules des occupants des constructions illégalement autorisées ;
- compte tenu du coût des travaux nécessaires d'isolation phonique de l'appartement et de la décote de sa valeur sur le marché du fait de la persistance des nuisances sonores malgré ces travaux, le préjudice immobilier sera réparé par une indemnité d'un montant de 33 853,99 euros.
Par un mémoire en défense, enregistré le 11 décembre 2019, le ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales conclut au rejet de la requête. Il soutient qu'il reprend les mêmes moyens que ceux présentés en défense dans l'instance
n° 16NT04158.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de l'urbanisme ;
- la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme A...,
- les conclusions de M. Mas, rapporteur public,
- et les observations de Me H..., substituant Me G..., pour la commune de Fleury-Les-Aubrais.
Considérant ce qui suit :
1. Par un arrêté du 26 juin 2006, le préfet du Loiret a délivré à l'office public d'aménagement et de construction (OPAC) du Loiret un permis de construire en vue de la restructuration et de la réhabilitation de cinq logements et de la création de six logements sur un terrain situé sur le territoire de la commune de Fleury-les-Aubrais. La cour administrative d'appel a annulé cet arrêté par un arrêt du 28 octobre 2008 devenu définitif. Le maire de Fleury-les-Aubrais, par un arrêté du 12 juin 2009, a délivré à l'OPAC, devenu l'office public de l'habitat LogemLoiret, un permis de régularisation qui a été annulé par un jugement du tribunal administratif d'Orléans du 29 avril 2011 devenu définitif. Les travaux ayant toutefois été réalisés, M. et Mme D..., propriétaires d'un appartement voisin du projet litigieux, ont saisi le tribunal administratif d'Orléans d'une demande tendant à la condamnation solidaire de l'Etat et de la commune de Fleury-les-Aubrais à leur verser une indemnité en réparation des préjudices résultant de l'illégalité de ces autorisations de construire. Leur demande a été rejetée par un jugement du 3 novembre 2016. La cour administrative d'appel de Nantes a rejeté l'appel qu'ils ont formé contre ce jugement par un arrêt du 4 décembre 2017. Par une décision n° 417915 du 24 juillet 2019, le Conseil d'Etat statuant au contentieux a annulé cet arrêt en tant qu'il a rejeté les conclusions de M. et Mme D... tendant à la réparation de leur préjudice immobilier, a renvoyé l'affaire devant la cour, dans la mesure de la cassation prononcée, et a rejeté le surplus des conclusions du pourvoi.
Sur la fin de non-recevoir opposée par le ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales aux conclusions indemnitaires de la demande de M. et Mme D... en tant qu'elles sont dirigées contre l'Etat :
2. Aux termes de l'article L. 114-2 du code des relations entre le public et l'administration : " lorsqu'une demande est adressée à une administration incompétente, cette dernière la transmet à l'administration compétente et en avise l'intéressé. " En application de ces dispositions, la demande préalable indemnitaire de M. et Mme D... reçue le 29 décembre 2015 par la commune de Fleury-les-Aubrais doit être regardée comme ayant été adressée à l'autorité administrative compétente pour en connaître. Par suite, la fin de non-recevoir opposée par le ministre doit être rejetée.
Sur l'exception de prescription quadriennale :
3. Aux termes de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l'Etat, les départements, les communes et les établissements publics : " Sont prescrites, au profit de l'Etat, des départements et des communes, sans préjudice des déchéances particulières édictées par la loi, et sous réserve des dispositions de la présente loi, toutes créances qui n'ont pas été payées dans un délai de quatre ans à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle les droits ont été acquis. (...) ". Aux termes de l'article 2 de la même loi : " La prescription est interrompue par : / Toute demande de paiement ou toute réclamation écrite adressée par un créancier à l'autorité administrative, dès lors que la demande ou la réclamation a trait au fait générateur, à l'existence, au montant ou au paiement de la créance, alors même que l'administration saisie n'est pas celle qui aura finalement la charge du règlement. / Tout recours formé devant une juridiction, relatif au fait générateur, à l'existence, au montant ou au paiement de la créance, quel que soit l'auteur du recours et même si la juridiction saisie est incompétente pour en connaître, et si l'administration qui aura finalement la charge du règlement n'est pas partie à l'instance. (...) / Un nouveau délai de quatre ans court à compter du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle a eu lieu l'interruption. Toutefois, si l'interruption résulte d'un recours juridictionnel, le nouveau délai court à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle la décision est passée en force de chose jugée. ".
4. Ainsi qu'il a été exposé au point 1, la construction litigieuse a fait l'objet d'un premier permis de construire du 26 juin 2006 et d'un second permis de régularisation du 12 juin 2009 qui ont tous deux été annulés à la suite des recours contentieux engagés par M. et Mme D.... L'illégalité des constructions autorisées par ces autorisations n'a été définitivement constatée que par le jugement du 29 avril 2011 du tribunal administratif d'Orléans. Il suit de là que la créance éventuelle des intéressés n'était pas atteinte par la prescription quadriennale prévue par la loi du 31 décembre 1968 à la date du 29 décembre 2015 à laquelle ils ont adressé leur demande indemnitaire préalable à la commune de Fleury-les-Aubrais. L'exception tirée de ce que la créance détenue par M. et Mme D... serait prescrite ne peut donc qu'être écartée.
Sur la réparation du préjudice immobilier :
5. Les tiers à un permis de construire illégal peuvent rechercher la responsabilité de la personne publique au nom de laquelle a été délivré le permis, si le projet de construction est réalisé. Ils ont droit, sous réserve du cas dans lequel le permis a été régularisé, à obtenir réparation de tous les préjudices qui trouvent directement leur cause dans les illégalités entachant la décision. A cet égard, la perte de valeur vénale des biens des demandeurs constitue un préjudice actuel susceptible d'être indemnisé, sans qu'ait d'incidence la circonstance qu'ils ne feraient pas état d'un projet de vente.
6. Les requérants demandent la condamnation solidaire de la commune de Fleury-les-Aubrais et de l'Etat à réparer le préjudice immobilier causé par la réalisation des travaux illégalement autorisés par les deux permis de construire des 26 juin 2006 et 12 juin 2009. Contrairement à ce que soutient la commune, les travaux à l'origine des préjudices allégués, achevés dès juillet 2008, n'ont pas été réalisés sur le seul fondement du permis de construire du 26 juin 2006 délivré par le préfet mais également sur le fondement du permis de construire du 12 juin 2009 délivré par le maire dont l'objet était de régulariser les travaux autorisés par ce permis initial. Il suit de là qu'il y a lieu de condamner solidairement la commune et l'Etat à réparer les préjudices directs et certains subis par les époux D....
7. M. et Mme D... sont propriétaires d'un appartement mitoyen d'un porche qui constitue l'unique voie d'accès aux constructions édifiées en vertu des permis illégaux, dotées chacune d'un garage et d'une place de stationnement et desservies également par un parking collectif de 8 places. Il résulte de l'instruction que le passage des véhicules sous ce porche, lequel était jusqu'alors utilisé seulement et occasionnellement par des piétons, ainsi que dans l'étroite voie d'accès des constructions provoque des nuisances sonores importantes qui trouvent directement leur cause dans la délivrance des permis de construire illégaux. Il résulte, également, de l'instruction, notamment du devis établi le 4 mars 2014 versé au dossier, que le coût des travaux d'isolation phonique de leur appartement s'élève à la somme non sérieusement contestée de 21 553,99 euros. M et Mme D... peuvent donc prétendre à obtenir réparation du préjudice immobilier lié à la réalisation de ces travaux à hauteur de cette somme. En revanche, il ne résulte pas de l'instruction, notamment des estimations d'agences immobilières produites par les requérants, qu'une fois les travaux d'isolation acoustique réalisés, il subsisterait des nuisances sonores d'une importance telle qu'elles feraient perdre de la valeur à leur bien immobilier, lequel se trouve en zone urbaine, le long de la rue du Faubourg Bannier, axe routier classé en catégorie 3 par l'arrêté préfectoral du 24 juin 2002 modifié relatif au classement du bruit des infrastructures des transports terrestres, puis en catégorie 4 de l'arrêté préfectoral du 2 mars 2017 portant classement des infrastructures de transports terrestres. Par suite, M. et Mme D... ne peuvent prétendre au versement de l'indemnité supplémentaire de 12 300 euros qu'ils demandent correspondant, selon leurs écritures, " à la décote de la valeur du fait de la persistance des nuisances sonores après les travaux ", laquelle n'est pas établie.
8. Il résulte des développements qui précèdent que la commune de Fleury-les-Aubrais et l'Etat doivent être solidairement condamnés à verser à M. et Mme D... une indemnité d'un montant de 21 553,99 euros au titre du préjudice immobilier, augmentée des intérêts au taux légal à compter du 30 décembre 2015, date de réception par l'administration de leur demande indemnitaire préalable.
9. Il résulte de tout ce qui précède que M. et Mme D... sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif d'Orléans a rejeté les conclusions de leur demande relative à la réparation du préjudice immobilier dont ils se prévalent.
Sur les frais liés au litige :
10. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge solidairement de la commune de Fleury-les-Aubrais et de l'Etat le versement à M. et Mme D... d'une somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. En revanche, ces dispositions font obstacle à ce que soit mis à la charge de M. et Mme D..., qui ne sont pas la partie perdante dans la présente instance, le versement à la commune de Fleury-les-Aubrais de la somme qu'elle demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement du 3 novembre 2016 du tribunal administratif d'Orléans est annulé en tant qu'il a rejeté les conclusions de la demande de M. et Mme D... relatives à la réparation du préjudice immobilier dont ils se prévalent.
Article 2 : L'Etat et la commune de Fleury-les-Aubrais sont solidairement condamnés à verser à M. et Mme D... une indemnité d'un montant de 21 553,99 euros, augmentée des intérêts au taux légal à compter du 30 décembre 2015.
Article 3 : L'Etat et la commune de Fleury-les-Aubrais verseront solidairement à M. et Mme D... la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de M. et Mme D... est rejeté.
Article 5 : Les conclusions présentées par la commune de Fleury-les-Aubrais sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... D..., à Mme C... I... épouse D..., à la commune de Fleury-les-Aubrais et au ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales.
Copie en sera adressée, pour information, au préfet du Loiret.
Délibéré après l'audience du 4 septembre 2020, à laquelle siégeaient :
- Mme Buffet, président assesseur,
- M. Franck, premier conseiller,
- Mme A..., premier conseiller.
Lu en audience publique le 22 septembre 2020.
Le rapporteur,
C. A...
La présidente,
C. BUFFET
Le greffier,
C. POPSE
La République mande et ordonne au
ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales
en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis
en ce qui concerne les voies de droit commun
contre les parties privées, de pourvoir
à l'exécution de la présente décision.
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N° 19NT03103