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10/09/2020 | FRANCE | N°19NT01601

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 1ère chambre, 10 septembre 2020, 19NT01601


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. E... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler les arrêtés du 6 avril 2019 par lesquels le préfet de la Loire-Atlantique lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai et a fixé le pays de destination et l'a assigné à résidence pour une durée de quarante-cinq jours et de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Par un jugement n° 1903690

du 15 avril 2019, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. E... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler les arrêtés du 6 avril 2019 par lesquels le préfet de la Loire-Atlantique lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai et a fixé le pays de destination et l'a assigné à résidence pour une durée de quarante-cinq jours et de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Par un jugement n° 1903690 du 15 avril 2019, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes a annulé ces arrêtés (article 1er), a mis à la charge de l'Etat, au bénéfice du conseil de M. E..., la somme de 750 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 (article 2) et a rejeté le surplus des conclusions (article 3).

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 25 avril 2019, le préfet de la Loire-Atlantique demande à la cour :

1°) d'annuler les articles 1er et 2 de ce jugement ;

2°) de rejeter la demande de M. E....

Il soutient que :

- le tribunal administratif a retenu, à tort, le moyen tiré de l'incompétence du signataire ;

- il s'en remet, pour le surplus, à ses écritures de première instance.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 25 février 2020 et 15 juillet 2020, M. E..., représenté par Me B..., conclut au rejet de la requête et demande que soit mise à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros en application des articles 37 et 75 de la loi du 10 juillet 1991.

Il fait valoir qu'il reprend les moyens de fait et de droit soulevés en première instance.

M. E... a été maintenu au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par décision du 28 février 2020.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 modifiée ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme D...,

- et les observations de Me B..., représentant M. E....

Considérant ce qui suit :

1. Par arrêté du 6 avril 2019, le préfet de la Loire-Atlantique a fait obligation à M. E..., ressortissant tunisien né en 1992, de quitter sans délai le territoire français et a fixé le pays de renvoi. Par un arrêté du même jour, il a ordonné son assignation à résidence. M. E... a sollicité auprès du tribunal administratif de Nantes l'annulation de ces décisions. Par un jugement n° 1903690 du 15 avril 2019, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes a annulé ces arrêtés (article 1er), a mis à la charge de l'Etat, au bénéfice du conseil de M. E..., la somme de 750 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 (article 2) et a rejeté le surplus des conclusions (article 3). Le préfet de la Loire-Atlantique relève appel des articles 1er et 2 de ce jugement.

Sur le moyen d'annulation retenu par le tribunal administratif :

2. Pour annuler l'arrêté portant obligation de quitter le territoire français et fixation du pays de renvoi ainsi que, par voie de conséquence, l'arrêté portant assignation à résidence, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes a retenu le moyen tiré de l'incompétence du signataire de l'acte.

3. Il ressort de l'article 7 de l'arrêté du 3 décembre 2018 que le préfet de la Loire-Atlantique a, afin de pouvoir assurer la permanence préfectorale pendant les jours non ouvrables (samedi, dimanche et jours fériés) ou de fermeture exceptionnelle de la préfecture, donné délégation à M. A..., sous-préfet de l'arrondissement de Saint-Nazaire, à l'effet notamment de signer les décisions portant obligation de quitter le territoire français, les décisions fixant le pays de renvoi et les arrêtés portant assignation à résidence. Dès lors, M. A... était compétent pour signer les décisions contestées qui ont été adoptées le samedi 6 avril 2019. Par suite, le préfet de la Loire-Atlantique est fondé à soutenir que c'est à tort que, pour annuler les arrêtés du 6 avril 2019, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes s'est fondé sur ce motif.

4. Il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. E... devant le tribunal administratif de Nantes et devant la cour.

Sur la décision portant obligation de quitter le territoire français :

5. En premier lieu, aux termes de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " I. _ L'autorité administrative peut obliger à quitter le territoire français un étranger non ressortissant d'un Etat membre de l'Union européenne, d'un autre Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen ou de la Confédération suisse et qui n'est pas membre de la famille d'un tel ressortissant au sens des 4° et 5° de l'article L. 121-1, lorsqu'il se trouve dans l'un des cas suivants : / 1° Si l'étranger ne peut justifier être entré régulièrement sur le territoire français, à moins qu'il ne soit titulaire d'un titre de séjour en cours de validité ; / 2° Si l'étranger s'est maintenu sur le territoire français au-delà de la durée de validité de son visa ou, s'il n'est pas soumis à l'obligation du visa, à l'expiration d'un délai de trois mois à compter de son entrée sur le territoire sans être titulaire d'un premier titre de séjour régulièrement délivré ; (...) ".

6. M. E... déclare être venu en France après être entré en 2011 sur le territoire italien, où lui a été délivré un titre de séjour. Il justifie avoir été hébergé à compter de 2012 dans un foyer de l'association du Logis Saint-Jean à Nantes. S'il justifie, par la production du titre de séjour italien, être entré régulièrement en France, il s'y est toutefois maintenu au-delà d'un délai de trois mois sans être titulaire d'un titre de séjour. Il était par suite au nombre des étrangers pouvant faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire français en application des dispositions du 2° du I de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. La décision contestée trouve donc son fondement légal dans les dispositions du 2° du I de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile qui peuvent être substituées à celles du 1° du I de cet article L. 511-1, non applicables dès lors que l'intéressé est entré en France régulièrement. Cette substitution de base légale n'a pour effet de priver l'intéressé d'aucune garantie et l'administration dispose du même pouvoir d'appréciation pour appliquer l'une ou l'autre des deux dispositions. Dans ces conditions, la demande de substitution de base légale présentée par le préfet de la Loire-Atlantique doit être accueillie.

7. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Ne peuvent faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire français : (...) 6° L'étranger ne vivant pas en état de polygamie qui est père ou mère d'un enfant français mineur résidant en France, à condition qu'il établisse contribuer effectivement à l'entretien et à l'éducation de l'enfant dans les conditions prévues par l'article 371-2 du code civil depuis la naissance de celui-ci ou depuis au moins deux ans ; (...) ".

8. Il ressort des pièces du dossier que M. E... est père d'un enfant français né le 25 février 2015, qui a été confié aux services de l'aide sociale à l'enfance à compter du 21 mai 2015. Si le requérant justifie d'un droit de visite qui lui a été accordé par le juge des enfants à hauteur d'une visite en présence d'un tiers toutes les trois semaines depuis le 22 mai 2016 et de calendriers de visite établis par les associations organisant ces visites, les pièces produites permettent seulement d'établir que, du fait de périodes réitérées d'incarcération, le requérant n'a, à la date de la décision attaquée, effectivement rencontré sa fille que deux fois à l'occasion de visites organisées les 23 mars 2016 et 22 novembre 2016. Par ailleurs, les justificatifs de mandats, d'achats de vêtements ou de jouets, ne sont pas de nature, compte tenu de leur fréquence particulièrement faible, à démontrer qu'il contribue effectivement à l'entretien et à l'éducation de sa fille depuis au moins deux ans. Par suite, le requérant n'est pas fondé à soutenir qu'il figure au nombre des étrangers qui ne peuvent être éloignés en vertu du 6° de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

9. En troisième lieu, M. E... est entré en France en 2011 selon ses déclarations. Il a fait l'objet d'un refus de séjour assorti d'une obligation de quitter le territoire français par arrêté du 9 novembre 2016, confirmé par le tribunal administratif de Nantes puis la présente cour, qu'il n'a pas exécuté. S'il est père d'un enfant français, il ressort des pièces du dossier qu'à la date de la décision attaquée, M. E... était séparé de la mère de l'enfant. Par ailleurs, il a été incarcéré à de nombreuses reprises depuis la date de naissance de l'enfant et notamment du 18 juillet 2018 au 27 mars 2019, de sorte que les pièces permettent seulement d'établir, ainsi qu'il a été dit au point 8, qu'il a rencontré sa fille seulement à deux reprises en 2016. Il ne justifie par ailleurs d'aucun lien d'une particulière intensité avec les membres de sa famille présents sur le territoire français et n'est pas dépourvu de toute attache dans son pays d'origine. Dans ces conditions, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté.

10. En quatrième lieu, M. E... n'apportant pas la preuve qu'il contribue effectivement à l'entretien et à l'éducation de son enfant français, il n'est pas fondé à soutenir que le préfet a, en lui faisant obligation de quitter le territoire français, méconnu l'intérêt supérieur de celui-ci, en méconnaissance du paragraphe 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant. Pour le même motif, il n'est pas fondé à soutenir que la décision contestée constitue une immixtion arbitraire ou illégale dans la vie privée de l'enfant et de sa famille, en méconnaissance de l'article 16 de cette même convention.

Sur la décision de refus d'un délai de départ :

11. Aux termes du II de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " (...) Toutefois, l'autorité administrative peut, par une décision motivée, décider que l'étranger est obligé de quitter sans délai le territoire français (...) 3° S'il existe un risque que l'étranger se soustrait à cette obligation [de quitter le territoire français]. Ce risque est regardé comme établi, sauf circonstance particulière, dans les cas suivants : a) Si l'étranger, qui ne peut justifier être entré régulièrement sur le territoire français, n'a pas sollicité la délivrance d'un titre de séjour ; / b) Si l'étranger s'est maintenu sur le territoire français au-delà de la durée de validité de son visa ou, s'il n'est pas soumis à l'obligation du visa, à l'expiration d'un délai de trois mois à compter de son entrée en France, sans avoir sollicité la délivrance d'un titre de séjour ; / c) Si l'étranger s'est maintenu sur le territoire français plus d'un mois après l'expiration de son titre de séjour, de son récépissé de demande de carte de séjour ou de son autorisation provisoire de séjour, sans en avoir demandé le renouvellement ; / d) Si l'étranger s'est soustrait à l'exécution d'une précédente mesure d'éloignement ; / e) Si l'étranger a contrefait, falsifié ou établi sous un autre nom que le sien un titre de séjour ou un document d'identité ou de voyage ou s'il a fait usage d'un tel titre ou document ; / f) Si l'étranger ne présente pas de garanties de représentation suffisantes, notamment parce qu'il ne peut présenter des documents d'identité ou de voyage en cours de validité, qu'il a refusé de communiquer les renseignements permettant d'établir son identité ou sa situation au regard du droit de circulation et de séjour ou a communiqué des renseignements inexacts, qu'il a refusé de se soumettre aux opérations de relevé d'empreintes digitales ou de prise de photographie prévues au deuxième alinéa de l'article L. 611-3, qu'il ne justifie pas d'une résidence effective et permanente dans un local affecté à son habitation principale ou qu'il s'est précédemment soustrait aux obligations prévues aux articles L. 513-4, L. 513-5, L. 552-4, L. 561-1, L. 561-2 et L. 742-2 ; / g) Si l'étranger, entré irrégulièrement sur le territoire de l'un des Etats avec lesquels s'applique l'acquis de Schengen, fait l'objet d'une décision d'éloignement exécutoire prise par l'un de ces Etats ou s'est maintenu sur le territoire d'un de ces Etats sans justifier d'un droit de séjour ; / h) Si l'étranger a explicitement déclaré son intention de ne pas se conformer à son obligation de quitter le territoire français. "

12. En premier lieu, la décision portant obligation de quitter le territoire français n'étant pas annulée, M. E... n'est pas fondé à soutenir que la décision de refus d'un délai de départ doit l'être par voie de conséquence de cette annulation.

13. En deuxième lieu, les dispositions de l'article 7 de la directive n°2008/115/CE ayant été transposées, M. E... ne peut utilement s'en prévaloir.

14. En troisième lieu, ainsi qu'il a été dit au point 9, M. E... a fait l'objet d'un refus de séjour assorti d'une obligation de quitter le territoire français par arrêté du 9 novembre 2016 qu'il n'a pas exécuté. Ce motif justifiait, à lui seul, que le préfet, estimant le risque de soustraction à la mesure d'éloignement établi, refuse d'accorder au requérant un délai de départ volontaire.

Sur la décision fixant le pays de renvoi :

15. La décision portant obligation de quitter le territoire français n'étant pas annulée, M. E... n'est pas fondé à soutenir que la décision fixant le pays de renvoi doit l'être par voie de conséquence de cette annulation.

Sur la décision portant assignation à résidence :

16. En premier lieu, l'arrêté du 6 avril 2019 portant assignation à résidence mentionne les articles L. 561-2 et R. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ainsi que des éléments de fait précis concernant la situation personnelle de M. E.... Par suite, il comporte les éléments de droit et de fait qui en constituent le fondement et est suffisamment motivé.

17. En deuxième lieu, la décision portant obligation de quitter le territoire français n'étant pas annulée, M. E... n'est pas fondé à soutenir que la décision d'assignation à résidence doit l'être par voie de conséquence de cette annulation.

18. En troisième lieu, en se bornant à soutenir, sans aucune autre explication, que la mesure d'assignation à résidence apparaît disproportionnée compte-tenu de sa situation, le requérant ne met pas la cour à même de se prononcer sur le moyen ainsi soulevé. Par suite, il ne peut qu'être écarté.

19. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de la Loire-Atlantique est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a annulé son arrêté du 20 août 2018. Par voie de conséquence, les conclusions aux fin d'injonction et d'astreinte et celles présentées au titre des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.

DECIDE :

Article 1er : Les articles 1er et 2 du jugement du tribunal administratif de Nantes du 15 avril 2019 sont annulés.

Article 2 : La demande présentée par M. E... et ses conclusions d'appel sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur, à M. C... E... et à Me B....

Copie sera adressée, pour information, au préfet de la Loire-Atlantique.

Délibéré après l'audience du 27 août 2020, à laquelle siégeaient :

- M. Bataille, président de chambre,

- M. Geffray, président assesseur,

- Mme D..., premier conseiller.

Lu en audience publique, le 10 septembre 2020.

Le rapporteur,

F. D...Le président,

F. Bataille

Le greffier,

A. Rivoal

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

No 19NT01601


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 19NT01601
Date de la décision : 10/09/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. BATAILLE
Rapporteur ?: Mme Fanny MALINGUE
Rapporteur public ?: Mme CHOLLET
Avocat(s) : CABINET MAXIME GOUACHE

Origine de la décision
Date de l'import : 22/09/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2020-09-10;19nt01601 ?
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