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17/07/2020 | FRANCE | N°19NT03758

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 3ème chambre, 17 juillet 2020, 19NT03758


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme E... D... a demandé au tribunal administratif d'Orléans d'annuler l'arrêté du 4 janvier 2019 par lequel le préfet du Loiret a refusé de renouveler son titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination.

Par un jugement n° 1900615 du 4 juin 2019 le tribunal administratif d'Orléans a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 20 septembre 2019 Mme D..., repr

sentée par Me B..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif d'O...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme E... D... a demandé au tribunal administratif d'Orléans d'annuler l'arrêté du 4 janvier 2019 par lequel le préfet du Loiret a refusé de renouveler son titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination.

Par un jugement n° 1900615 du 4 juin 2019 le tribunal administratif d'Orléans a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 20 septembre 2019 Mme D..., représentée par Me B..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif d'Orléans du 4 juin 2019 ;

2°) d'annuler l'arrêté du 4 janvier 2019 par lequel le préfet du Loiret a refusé de renouveler son titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français et a fixé le pays de destination ;

3°) d'enjoindre au préfet du Loiret de lui délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " ou, à défaut, de réexaminer sa situation et de lui délivrer dans l'attente une autorisation provisoire de séjour dans un délai d'un mois à compter de la date de notification de l'arrêt à intervenir et sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, la somme de 1 500 euros à verser à son conseil dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et à l'article 108 du décret du 19 décembre 1991.

Elle soutient que :

- le jugement est irrégulier faute de viser et prendre en compte le mémoire qu'elle a produit le 15 janvier 2019, soit avant la clôture de l'instruction ;

- la décision portant refus de titre de séjour méconnaît les dispositions du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et est entaché d'une erreur de fait ;

- la décision portant refus de titre de séjour procède d'une erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle ;

- la décision portant refus de titre de séjour méconnaît les dispositions de l'article L. 312-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- l'illégalité de la décision portant refus de titre de séjour prive de base légale la décision portant obligation de quitter le territoire français.

Par un mémoire en défense enregistré le 21 novembre 2019, le préfet du Loiret conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que les moyens soulevés par Mme D... ne sont pas fondés.

Mme D... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 14 août 2019.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme C... a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme D..., ressortissante centrafricaine née en 1980, est entrée en France au mois de septembre 2015 sous couvert d'un visa de court séjour délivré par les autorités consulaires françaises. Par un arrêté du 14 septembre 2016, le préfet du Loiret a refusé de lui délivrer un titre de séjour en qualité d'étranger malade et lui a fait obligation de quitter le territoire français. Alors que le recours formé par Mme D... contre cet arrêté était pendant devant le tribunal administratif d'Orléans, elle s'est finalement vu délivrer par le préfet du Loiret, pour raisons médicales, une carte de séjour temporaire valable du 14 février 2017 au 13 février 2018. Par un arrêté du 4 janvier 2019, le préfet du Loiret a refusé de renouveler ce titre de séjour, a fait à l'intéressée obligation de quitter le territoire français et a fixé le pays de destination. Mme D... relève appel du jugement du 4 juin 2019 par lequel le tribunal administratif d'Orléans a rejeté son recours contre cet arrêté.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Aux termes de l'article R. 613-2 du code de justice administrative : " Si le président de la formation de jugement n'a pas pris une ordonnance de clôture, l'instruction est close trois jours francs avant la date de l'audience (...) ". Lorsque le juge est saisi avant clôture d'un mémoire émanant de l'une des parties à l'instance, il lui appartient dans tous les cas, conformément au principe selon lequel, devant les juridictions administratives, le juge dirige l'instruction, de prendre connaissance de ce mémoire avant de rendre sa décision et de le viser.

3. Il ressort des pièces du dossier que Mme D... a fait parvenir au greffe du tribunal administratif d'Orléans le 15 mai 2019, avant la clôture de l'instruction intervenue, en application des dispositions de l'article R. 613-2 du code de justice administrative, trois jours francs avant l'audience fixée le 21 mai 2019, un nouveau mémoire dont les visas du jugement attaqué ne font pas mention. Les motifs du jugement ne sauraient, en l'espèce, suppléer à cette carence. Il en résulte que le jugement attaqué est entaché d'une irrégularité substantielle au regard des dispositions combinées des articles R. 741-2 et R. 741-7 du code de justice administrative. Dès lors, Mme D... est fondée à en demander l'annulation.

4. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par

Mme D... devant le tribunal administratif d'Orléans.

Sur les conclusions à fin d'annulation de l'arrêté du préfet du Loiret du 4 janvier 2019 :

5. En premier lieu, aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention "vie privée et familiale" est délivrée de plein droit : / (...) 11° A l'étranger résidant habituellement en France, si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié. (...) La décision de délivrer la carte de séjour est prise par l'autorité administrative après avis d'un collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, dans des conditions définies par décret en Conseil d'Etat. (...) ".

6. Il ressort des pièces du dossier que, pour refuser de renouveler le titre de séjour de Mme D..., le préfet du Loiret s'est appuyé sur un avis du collège de médecins du service médical de l'OFII du 7 décembre 2018 selon lequel l'état de santé de cette dernière nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité, mais qu'elle peut effectivement bénéficier d'un traitement approprié en Centrafrique et est en état de voyager vers ce pays.

7. Sous réserve des cas où la loi attribue la charge de la preuve à l'une des parties, il appartient au juge administratif, au vu des pièces du dossier, et compte tenu, le cas échéant, de l'abstention d'une des parties à produire les éléments qu'elle est seule en mesure d'apporter et qui ne sauraient être réclamés qu'à elle-même, d'apprécier si l'état de santé d'un étranger nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité, sous réserve de l'absence d'un traitement approprié dans le pays de renvoi, sauf circonstance humanitaire exceptionnelle. La partie qui justifie d'un avis du collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) venant au soutien de ses dires doit être regardée comme apportant des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence ou l'absence d'un état de santé de nature à justifier la délivrance ou le refus d'un titre de séjour. Dans ce cas, il appartient à l'autre partie, dans le respect des règles relatives au secret médical, de produire tous éléments permettant d'apprécier l'état de santé de l'étranger et, le cas échéant, la possibilité pour celui-ci de bénéficier effectivement d'un traitement approprié dans le pays de renvoi. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si l'état de santé d'un étranger justifie la délivrance d'un titre de séjour dans les conditions ci-dessus rappelées, se détermine au vu de ces échanges contradictoires et, en cas de doute, il lui appartient de compléter ces échanges en ordonnant toute mesure d'instruction utile.

8. Il est constant que Mme D..., qui soutient qu'elle ne pourrait pas bénéficier des soins appropriés à son état de santé dans son pays d'origine, souffre d'une fuite mitrale sur prolapsus valvulaire avec risque de complications en cas de survenue d'une endocardite, qui nécessite une surveillance régulière comprenant une consultation cardiologique, une échocardiographie ainsi qu'une échographie d'effort le cas échéant. Pour établir l'existence en République centrafricaine de soins appropriés à la prise en charge de l'intéressée, le préfet du Loiret produit deux fiches BMA 10159 et BMA 10587 du Medical Country of Origin Information (MedCOI) dont les mentions sont corroborées par un avis du médecin conseil de la direction générale des étrangers en France du 25 mars 2019 et qui attestent, pour la première, de la possibilité d'un suivi cardiologique au centre médico-social de l'ambassade de France à Bangui et, pour la seconde, de la possibilité d'un diagnostic par échographie à l'hôpital communautaire de Bangui. Mme D... soutient toutefois, sans être contestée, que le centre médico-social de l'ambassade de France n'est accessible qu'aux ressortissants français et des autres Etats membres de l'Union européenne et qu'il n'est de surcroît pas en mesure de faire face à la demande de soins, et produit à l'appui de ses affirmations une capture d'écran du site de l'ambassade de France en République centrafricaine qui fait apparaître que le centre médico-social " manque de moyens " pour faire face à sa mission, " compte tenu de de la faiblesse des infrastructures sanitaires centrafricaines ". Elle produit, d'autre part, deux certificats médicaux datés des 3 janvier et 5 juillet 2019 établis par le cardiologue centrafricain qui l'a suivie, aux termes desquels le plateau technique en République centrafricaine ne permet plus une prise en charge et un suivi sérieux. Compte tenu de ces éléments, Mme D... doit être regardée, dans les circonstances de l'espèce, comme établissant l'impossibilité pour elle de bénéficier effectivement d'un traitement approprié dans son pays de renvoi. Dans ces conditions, le préfet a, en refusant de renouveler le titre de séjour " étranger malade " qu'il avait délivré à l'intéressée, fait une inexacte application du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. L'arrêté du 4 janvier 2019 du préfet du Loiret doit, pour ce motif, être annulé.

Sur les conclusions à fin d'injonction sous astreinte :

9. L'annulation de l'arrêté du préfet du Loiret du 4 janvier 2019 implique, eu égard à son motif, qu'un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " soit délivré à Mme D... dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt. Il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.

Sur les frais d'instance :

10. Mme D... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle. Ainsi son avocat peut se prévaloir des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique. Il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros à payer à Me B... au titre des frais exposés et non compris dans les dépens, dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et à l'article 108 du décret du 19 décembre 1991.

DÉCIDE :

Article 1 : Le jugement n° 1900615 du tribunal administratif d'Orléans du 4 juin 2019 est annulé.

Article 2 : L'arrêté du 4 janvier 2019 du préfet du Loiret est annulé.

Article 3 : Il est enjoint au préfet du Loiret de délivrer à Mme D... un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la demande de Mme D... et de sa requête est rejeté.

Article 5 : L'Etat versera à Me B... la somme de 1 500 euros dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et à l'article 108 du décret du 19 décembre 1991.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à Mme E... D... et au ministre de l'intérieur.

Une copie sera transmise au préfet du Loiret.

Délibéré après l'audience du 2 juillet 2020, à laquelle siégeaient :

- Mme A..., présidente,

- Mme F..., présidente-assesseure,

- Mme C..., premier conseiller.

Lu en audience publique, le 17 juillet 2020.

Le rapporteur

M. C...Le président

I. A...Le greffier

R. Mageau

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N°19NT03758


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 19NT03758
Date de la décision : 17/07/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme PERROT
Rapporteur ?: Mme Muriel LE BARBIER
Rapporteur public ?: M. GAUTHIER
Avocat(s) : DUPLANTIER

Origine de la décision
Date de l'import : 28/07/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2020-07-17;19nt03758 ?
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