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17/07/2020 | FRANCE | N°19NT01985

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 3ème chambre, 17 juillet 2020, 19NT01985


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) du Calvados a demandé au tribunal administratif de Caen de condamner le centre hospitalier universitaire (CHU) de Caen à lui verser la somme de 249 179,69 euros au titre du remboursement des débours engagés pour son assuré M. B... D....

Par un jugement n°1700799 du 3 avril 2019, le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés les 24 mai et 20 juin 2019 la caisse p

rimaire d'assurance maladie du Calvados, représentée par Me C..., demande à la cour :

1°) ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) du Calvados a demandé au tribunal administratif de Caen de condamner le centre hospitalier universitaire (CHU) de Caen à lui verser la somme de 249 179,69 euros au titre du remboursement des débours engagés pour son assuré M. B... D....

Par un jugement n°1700799 du 3 avril 2019, le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés les 24 mai et 20 juin 2019 la caisse primaire d'assurance maladie du Calvados, représentée par Me C..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 3 avril 2019 du tribunal administratif de Caen ;

2°) de condamner le CHU de Caen à lui verser une somme de 249 179,69 euros, assortie des intérêts légaux et capitalisés ;

3°) de condamner le CHU de Caen à lui verser le montant légal maximum de l'indemnité forfaitaire de gestion ;

4°) de mettre à la charge du CHU de Caen la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les conclusions de l'expertise devant la commission de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux de Basse Normandie sont erronées en ce qui concerne la conformité de la prise en charge initiale de M. D... aux données acquises de la science ; la stabilisation recherchée n'était pas adaptée à une luxation par écrasement ; la stratégie thérapeutique recommandée en cas d'écrasement du pied est une stabilisation par fixation de broches ; les questions posées à l'expert n'étaient pas assez précises en ce qui concerne la pertinence de l'approche thérapeutique retenue par le CHU ;

- il est nécessaire de procéder à une contre-expertise plus précise sur l'appréciation du diagnostic posé par le CHU et la pertinence du choix thérapeutique opéré.

Par un mémoire en défense enregistré le 4 mars 2020 le centre hospitalier universitaire de Caen, représenté par Me E..., conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que les moyens invoqués par la CPAM du Calvados ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de la sécurité sociale ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. A...,

- les conclusions de M. Gauthier, rapporteur public,

- et les observations de Me F..., substituant Me E..., représentant le CHU de Caen.

Considérant ce qui suit :

1. M. D..., victime d'un accident de travail, a été conduit le 3 septembre 2009 au service des urgences du centre hospitalier universitaire (CHU) de Caen. Après un diagnostic de luxation de l'articulation de Chopart associée à une fracture du péroné, il a subi une intervention chirurgicale afin de procéder à la réduction de la luxation et à une ostéosynthèse par plaque de la fracture du péroné. M. D... ayant par la suite dû subir deux autres opérations d'arthrodèse du pied en mai et décembre 2010, suivies de deux longues périodes de rééducation, et conservant d'importantes séquelles, a saisi en 2011 la commission de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux (CCI) de Basse Normandie d'une demande d'indemnisation. La commission a alors fait procéder à une expertise, dont les conclusions ont été rendues en septembre 2011 et au vu desquelles elle a rejeté la demande de M. D.... La caisse primaire d'assurance maladie du Calvados, qui a pris en charge les différentes dépenses résultant des soins fournis à l'intéressé, a formé le 27 janvier 2017 une demande préalable d'indemnisation auprès du CHU de Caen afin de demander le remboursement de ses débours, estimant que la prise en charge médicale de M. D... avait été fautive. Le CHU a rejeté cette demande le 15 mars 2017. La CPAM du Calvados a alors formé un recours indemnitaire devant le tribunal administratif de Caen, par lequel elle réclame le remboursement des débours engagés par elle à hauteur de 249 179,69 euros. Elle relève appel du jugement du 3 avril 2019 par lequel le tribunal administratif a rejeté sa demande.

2. La prescription d'une mesure d'expertise en application des dispositions de l'article R. 532-1 du code de justice administrative est subordonnée au caractère utile de cette mesure. Il appartient au juge, saisi d'une demande d'expertise dans le cadre d'une action en responsabilité du fait des conséquences dommageables d'un acte médical, d'apprécier son utilité au vu des pièces du dossier, notamment du rapport de l'expertise prescrite par la commission régionale de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux s'il existe, et au regard des motifs de droit et de fait qui justifient, selon la demande, la mesure sollicitée.

3. La CPAM du Calvados, qui a pris en charge les diverses dépenses de santé et les indemnités journalières consécutives aux suites de l'opération chirurgicale subie par M. D... du fait de l'accident de travail dont il a été victime, conteste les conclusions de l'expertise réalisée dans le cadre de la procédure d'indemnisation engagée par l'intéressé devant la CCI de Basse Normandie, selon lesquelles la prise en charge médicale dont l'intéressé a bénéficié a été conforme aux données acquises de la science. Selon elle, les différentes prises en charge dont M. D... a fait l'objet en décembre 2009 et en mai 2010 n'ont été rendues nécessaires que parce que M. D... n'a pas, dès son admission aux urgences, fait l'objet d'une prise en charge adéquate, notamment en ce qui concerne la luxation de l'articulation dite de Lisfranc, dont l'existence n'a été mise en évidence, de manière tardive, qu'en décembre 2009, alors qu'une fixation par vis ou agrafes dès le départ aurait permis, en assurant un blocage complet, d'éviter une telle complication, à la différence de l'opération d'ostéosynthèse par plaque pratiquée par le CHU.

4. Si le tribunal administratif a rejeté la demande de la CPAM du Calvados en jugeant que, au vu du rapport d'expertise établi à la demande de la commission de conciliation et d'indemnisation ayant conclu à l'absence d'imputabilité des dommages subis par M. D... au centre hospitalier, la responsabilité fautive de ce dernier ne pouvait être retenue, il résulte toutefois de l'instruction que cette expertise est affectée de plusieurs lacunes. La première tient à l'absence de précision quant à la pathologie qu'entendait prendre en charge le CHU, et en particulier sur le point de savoir si une luxation de l'articulation dite de Lisfranc avait également été initialement diagnostiquée. La seconde imprécision, alors même que le rapport indique que " Le dommage constaté constitue une évolution connue des traumatismes graves à haute cinétique au niveau de la talo-crurale et du pied ", ce qui paraît contradictoire avec l'indication selon laquelle " le risque qu'une lésion d'écrasement du pied puisse se compliquer d'une luxation sous-talienne et une luxation Chopart-Lisfranc associée à une fracture du péroné est rare et grave ", porte sur la conclusion selon laquelle, malgré ce qui vient d'être indiqué, le dommage de M. D... serait néanmoins sans lien avec les soins prodigués par le centre hospitalier. La CPAM du Calvados, de son côté, produit plusieurs articles médicaux qui soulignent la difficulté objective à poser un diagnostic correct en matières de traumatismes liés à un écrasement du pied.

5. En l'état du dossier, aucun élément ne permet de se prononcer sur le point de savoir si l'acte médical pratiqué sur M. D... le 3 septembre 2009 par le CHU de Caen était réellement le mieux adapté à son état, et si un autre acte médical aurait été de nature à éviter les différentes interventions que l'intéressé a ensuite dû subir. Il y a ainsi lieu, avant dire droit, de procéder à une expertise complémentaire aux fins de déterminer si, au regard de l'état pathologique présenté par M. D... lors de son admission aux urgences le 3 septembre 2009, une autre indication opératoire que celle qui a été pratiquée s'imposait et, dans l'affirmative, dans quelle mesure une telle intervention aurait été de nature à éviter les diverses complications ensuite subies par l'intéressé.

D E C I D E :

Article 1er : Avant de statuer sur les conclusions de la requête de la caisse primaire d'assurance maladie du Calvados, il sera procédé à une expertise, au contradictoire de la CPAM et du centre hospitalier universitaire de Caen, par un médecin désigné par le président de la cour.

Article 2 : L'expert, médecin en chirurgie orthopédique, aura pour mission :

- d'examiner M. D... et prendre connaissance de son entier dossier médical ;

- de décrire l'état de santé de M. D... consécutif à son accident du travail, tel que constaté lors de son entrée au service des urgences du CHU de Caen ;

- de décrire les conditions dans lesquelles il a été pris en charge à compter de ce moment dans les services du CHU de Caen ;

- de fournir tous éléments permettant d'apprécier si, en l'état des données acquises de la science, des techniques et des règles de l'art, des fautes, omissions, négligences ou erreurs ont été commises à l'occasion des actes médicaux dont il a fait l'objet en ces occasions ;

- de faire connaître, en particulier, si le diagnostic de son état a été correctement et complètement posé à cette date, notamment en ce qui concerne la présence initiale d'une luxation de l'articulation du Lisfranc ;

- de faire connaître les lésions, affections et séquelles imputables à d'éventuels manquements dans l'établissement du diagnostic ;

- d'en préciser, le cas échéant, la nature et le degré de gravité et de dire si, à son avis, et dans quelle mesure, ces fautes, omissions, négligences ou erreurs fautives sont à l'origine des séquelles dont souffre M. D... ; préciser, en particulier, si une autre indication thérapeutique (arthrodèse d'urgence ') aurait été, de nature, et dans quelles proportions, à éviter celles-ci ;

- d'évaluer, s'il y a lieu, la perte de chance pour M. D... d'éviter une aggravation de son état de santé ou d'obtenir une amélioration de ce dernier résultant d'un éventuel manquement aux règles de l'art ou d'un éventuel aléa thérapeutique ;

- de fournir à la cour, plus généralement, tous éléments susceptibles de lui permettre d'éclairer le présent litige.

Article 3 : L'expert accomplira sa mission dans les conditions prévues par les articles R. 621-2 à R. 621-14 du code de justice administrative. Il prêtera serment par écrit devant le greffier en chef de la cour. Il pourra recueillir les déclarations de toutes personnes informées; et aura la faculté de s'adjoindre tout spécialiste ou sachant de son choix sur la liste de la cour ou du tribunal.

Article 4 : L'expert déposera un pré-rapport afin de permettre aux parties de faire valoir contradictoirement leurs observations préalablement au dépôt du rapport définitif.

Article 5 : L'expert déposera son rapport au greffe de la cour en deux exemplaires dans le délai de trois mois et en notifiera copie aux parties.

Article 6 : Tous droits et moyens des parties sur lesquels il n'est pas expressément statué par le présent arrêt sont réservés jusqu'en fin d'instance.

Article 7 : Le présent jugement sera notifié à la caisse primaire d'assurance maladie du Calvados et au centre hospitalier universitaire de Caen.

Copie en sera adressée à M. B... D....

Délibéré après l'audience du 2 juillet 2020, à laquelle siégeaient :

- Mme Perrot, président,

- M. A..., premier conseiller,

- Mme Le Barbier, premier conseiller.

Lu en audience publique le 17 juillet 2020.

Le rapporteur

A. A...

Le président

I. Perrot Le greffier

R. Mageau

La République mande et ordonne au ministre des solidarités et de la santé en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N° 1901985 4


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 19NT01985
Date de la décision : 17/07/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme PERROT
Rapporteur ?: M. Arnaud MONY
Rapporteur public ?: M. GAUTHIER
Avocat(s) : SCP JULIA JEGU BOURDON

Origine de la décision
Date de l'import : 28/07/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2020-07-17;19nt01985 ?
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