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17/07/2020 | FRANCE | N°19NT01354

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 3ème chambre, 17 juillet 2020, 19NT01354


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... C... a demandé au tribunal administratif de Nantes de condamner solidairement, ou l'un à défaut de l'autre, le grand port maritime de Nantes Saint-Nazaire et la communauté d'agglomération de la région nazairienne et de l'estuaire à l'indemniser des préjudices qu'elle estime avoir subis à la suite de sa chute, le 27 septembre 2015, alors qu'elle circulait à pied sur le site du port de Saint-Nazaire.

Par un jugement n° 1606849 du 5 février 2019, le tribunal administratif de Nantes a décl

aré le grand port maritime de Nantes Saint-Nazaire et la communauté d'agglomérati...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... C... a demandé au tribunal administratif de Nantes de condamner solidairement, ou l'un à défaut de l'autre, le grand port maritime de Nantes Saint-Nazaire et la communauté d'agglomération de la région nazairienne et de l'estuaire à l'indemniser des préjudices qu'elle estime avoir subis à la suite de sa chute, le 27 septembre 2015, alors qu'elle circulait à pied sur le site du port de Saint-Nazaire.

Par un jugement n° 1606849 du 5 février 2019, le tribunal administratif de Nantes a déclaré le grand port maritime de Nantes Saint-Nazaire et la communauté d'agglomération de la région nazairienne et de l'estuaire solidairement responsables des dommages subis par

Mme C... et a, avant dire droit, ordonné une expertise médicale afin d'évaluer les préjudices subis par cette dernière.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 5 avril 2019, la communauté d'agglomération de la région nazairienne et de l'estuaire, représentée par Me D..., demande à la cour :

1°) au besoin après avoir ordonné une expertise ayant pour objet de déterminer les responsabilités encourues, d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes du 5 février 2019 ;

2°) de rejeter les conclusions de la demande présentée par Mme C... devant le tribunal administratif de Nantes en tant qu'elles sont dirigées contre elle ;

3°) de mettre à la charge de Mme C... et du grand port maritime de

Nantes Saint-Nazaire la somme de 2 000 euros chacun au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les premiers juges ont retenu sa responsabilité sur la base d'une expertise amiable non contradictoire diligentée par l'assureur du grand port maritime de Nantes Saint-Nazaire ;

- il n'est pas établi que la cavité dans laquelle a chuté Mme C... résulterait d'un affaissement d'un ouvrage public lui appartenant ;

- le lien de causalité entre l'ouvrage public et le dommage n'est pas établi, dès lors que Mme C... a chuté dans un trou sans lien avec les canalisations d'eaux usées dont elle a la garde et non dans le regard d'une canalisation, comme l'a jugé à tort le tribunal administratif de Nantes ;

- Mme C... ayant chuté dans le périmètre de compétence du grand port maritime de Nantes Saint-Nazaire dans un trou situé à proximité d'une chambre de tirage d'un câble, elle doit pour sa part être mise hors de cause ;

- à titre subsidiaire, Mme C... doit être regardée comme ayant, par son défaut d'attention, commis une faute de nature à l'exonérer de toute responsabilité.

Par un mémoire en défense enregistré le 1er juillet 2019 Mme C..., représentée par Me F..., conclut au rejet de la requête et demande à la cour de mettre solidairement ou individuellement à la charge de la communauté d'agglomération de la région nazairienne et de l'estuaire et/ou du grand port maritime de Nantes Saint-Nazaire la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les moyens soulevés par la communauté d'agglomération de la région nazairienne et de l'estuaire ne sont pas fondés.

Par un mémoire enregistré le 18 février 2020 le grand port maritime de

Nantes Saint-Nazaire, représenté par Me E... demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement attaqué du tribunal administratif de Nantes ;

2°) de rejeter la demande de Mme C... ;

3°) de mettre à la charge de tout succombant la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient qu'il doit être mis hors de cause, dès lors que l'accident de Mme C... n'a pas eu lieu sur le domaine public dont il a la charge.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. B...,

- et les conclusions de M. Gauthier, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. Mme C... a été victime le 27 septembre 2015 d'une chute accidentelle dans une excavation non protégée et non signalée alors qu'elle circulait à pied sur une voie désaffectée située en bordure du boulevard des Apprentis à Saint-Nazaire. Elle a saisi le tribunal administratif de Nantes d'une demande tendant à la réparation de ses préjudices par le grand port maritime de Nantes Saint-Nazaire (GPMNSN) et/ou la communauté d'agglomération de la région nazairienne et de l'estuaire (CARENE). Par un jugement du 5 février 2019, le tribunal a retenu la responsabilité solidaire du GPMNSN et de la CARENE et a ordonné une expertise médicale avant dire droit pour évaluer les préjudices subis par Mme C.... La CARENE relève appel de ce jugement. Le GPMSN demande également son annulation.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Le respect du caractère contradictoire de la procédure d'expertise implique que les parties soient mises à même de discuter devant l'expert des éléments de nature à exercer une influence sur la réponse aux questions posées par la juridiction saisie du litige. Lorsqu'une expertise est entachée d'une méconnaissance de ce principe ou lorsqu'elle a été ordonnée dans le cadre d'un litige distinct, ses éléments peuvent néanmoins, s'ils sont soumis au débat contradictoire en cours d'instance, être régulièrement pris en compte par le juge, soit lorsqu'ils ont le caractère d'éléments de pur fait non contestés par les parties, soit à titre d'éléments d'information dès lors qu'ils sont corroborés par d'autres éléments du dossier.

3. La CARENE soutient que les premiers juges ont retenu le principe de sa responsabilité en se fondant sur une expertise non contradictoire diligentée par l'assureur du GPMNSN et ont, par suite, entaché leur jugement d'irrégularité. Toutefois, et quel que soit son intitulé, le document litigieux, dès lors qu'il n'est pas une expertise judiciaire ordonnée dans le cadre du présent litige mais une pièce produite par l'une des parties, n'avait pas à être soumis à une procédure contradictoire avant d'être versé à l'instruction. Par ailleurs, il résulte des termes du jugement attaqué que les premiers juges se sont bornés à utiliser des éléments de fait contenus dans ce document. Enfin, ce dernier ayant pu être critiqué par la CARENE dans le cadre de l'instance devant le tribunal administratif de Nantes, le jugement attaqué n'est pas irrégulier.

Sur le lien de causalité entre les dommages de Mme C... et l'ouvrage public :

4. Il appartient à l'usager d'un ouvrage public qui demande réparation d'un préjudice qu'il estime imputable à cet ouvrage de rapporter la preuve de l'existence d'un lien de causalité entre le préjudice invoqué et l'ouvrage. Le maître de l'ouvrage ne peut être exonéré de l'obligation d'indemniser la victime qu'en rapportant, à son tour, la preuve soit de l'entretien normal de l'ouvrage, soit que le dommage est imputable à une faute de la victime ou à un cas de force majeure.

5. Il résulte de l'instruction, en particulier des témoignages de deux personnes présentes au moment de l'accident et d'une attestation du service d'incendie et de secours (SDIS) de la Loire Atlantique, qui a secouru Mme C..., que celle-ci a chuté dans une cavité non protégée et non signalée située en limite d'une route désaffectée conduisant à l'ancien pont du Brivet, à Saint-Nazaire, le 27 septembre 2015. Le lien de causalité entre cet ouvrage et le dommage de Mme C... est donc établi. La responsabilité du maître de cet ouvrage est donc susceptible d'être engagée.

Sur la responsabilité du GPMNSN :

6. Le GPMNSN produit pour la première fois en appel un plan de l'emprise de son domaine à Saint-Nazaire, dont l'exactitude n'est pas contestée par les parties. Il en ressort sans ambiguïté que l'accident dont Mme C... a été victime s'est produit à l'extérieur de cette emprise. Par suite, la responsabilité du GPMNSN ne pouvait être engagée, et le jugement doit être annulé sur ce point.

Sur la responsabilité de la CARENE :

7. Il résulte de l'instruction, en particulier des photographies du site de l'accident prises en septembre et en octobre 2015 par Mme C... et de la déclaration circonstanciée d'un témoin oculaire de sa chute, assortie d'un croquis précis, que, contrairement à ce qu'a estimé le tribunal administratif de Nantes, l'intéressée n'est pas tombée dans le regard de la canalisation d'eaux usées, de forme rectangulaire, se trouvant sur les lieux et relevant de la CARENE, mais dans une autre excavation, de forme carrée, située à proximité de la première et dont la trappe avait été déplacée. En l'état des éléments figurant au dossier, cette seconde excavation ne peut être regardée comme résultant " d'un affaissement localisé du comblement de la tranchée dans laquelle cheminait la canalisation d'eaux usées " comme l'a suggéré l'expert mandaté par l'assureur du GPMNSN, dès lors qu'elle a visiblement été aménagée par l'homme. Dans ces conditions, les éléments dont elle dispose ne permettent à la cour ni d'apprécier la nature exacte de cet ouvrage ni d'identifier la collectivité publique qui, le cas échéant, en a la garde. Par suite, il y a lieu, avant dire droit et dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, d'ordonner une expertise afin d'éclairer la cour sur ce point.

8. Il résulte de ce qui précède que le GPMNSN est fondé à demander l'annulation du jugement attaqué en tant que le tribunal administratif de Nantes l'a déclaré solidairement responsable des préjudices subis par Mme C.... Pour le surplus, il y a lieu d'ordonner une expertise comme indiqué au point précédent.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1606849 du tribunal administratif de Nantes en date du 5 février 2019 est annulé en tant qu'il a déclaré le GPMNSN responsable des préjudices subis par

Mme C... et l'a solidairement condamné à indemniser celle-ci.

Article 2 : Avant de statuer sur les conclusions de la CARENE, il est ordonné une expertise, confiée à un expert en travaux publics, qui aura pour mission d'apprécier la nature de l'ouvrage dans lequel a chuté Mme C... le 27 septembre 2015 et d'identifier, le cas échéant, la collectivité publique qui en a la garde.

Article 3 : L'expertise sera menée contradictoirement entre la CARENE, Mme C... et la caisse primaire d'assurance maladie de la Loire-Atlantique.

Article 4 : L'expert sera désigné par le président de la cour. Il accomplira sa mission dans les conditions prévues par les articles R. 621-2 à R. 621-14 du code de justice administrative.

Article 5 : Tous droits et moyens des parties sur lesquels il n'est pas expressément statué par le présent arrêt sont réservés jusqu'à la fin de l'instance.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à la CARENE, à Mme A... C..., aux GPMNSN et à la caisse primaire d'assurance maladie de la Loire-Atlantique.

Délibéré après l'audience du 18 juin 2020, à laquelle siégeaient :

- Mme Perrot, président de chambre,

- M. Mony, premier conseiller,

- M. B..., premier conseiller.

Lu en audience publique, le 17 juillet 2020.

Le rapporteur

E. B...Le président

I. Perrot

Le greffier

R. Mageau

La République mande et ordonne au ministre de la cohésion des territoires en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 19NT01354


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 19NT01354
Date de la décision : 17/07/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme PERROT
Rapporteur ?: M. Eric BERTHON
Rapporteur public ?: M. GAUTHIER
Avocat(s) : OUEST AVOCAT CONSEILS

Origine de la décision
Date de l'import : 28/07/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2020-07-17;19nt01354 ?
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