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17/07/2020 | FRANCE | N°18NT04164

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 6ème chambre, 17 juillet 2020, 18NT04164


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme E... B... a demandé au tribunal administratif de Caen de condamner le centre communal d'action sociale (CCAS) de Jullouville à lui verser la somme de 30 000 euros en réparation des préjudices subis du fait du harcèlement moral dont elle déclare avoir été victime au cours de l'année 2014 ou, à défaut, à raison du manquement de l'employeur à son obligation de sécurité ayant conduit à l'accident de service du 6 novembre 2014.

Par un jugement n° 1701263 du 27 septembre 2018, le tribunal admi

nistratif de Caen a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme E... B... a demandé au tribunal administratif de Caen de condamner le centre communal d'action sociale (CCAS) de Jullouville à lui verser la somme de 30 000 euros en réparation des préjudices subis du fait du harcèlement moral dont elle déclare avoir été victime au cours de l'année 2014 ou, à défaut, à raison du manquement de l'employeur à son obligation de sécurité ayant conduit à l'accident de service du 6 novembre 2014.

Par un jugement n° 1701263 du 27 septembre 2018, le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 27 novembre 2018, Mme B..., représentée par Me C..., demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Caen du 27 septembre 2018 ;

2°) de condamner le CCAS de Jullouville à lui verser la somme de 30 000 euros en réparation des préjudices subis du fait du harcèlement moral dont elle déclare avoir été victime au cours de l'année 2014 ou, à défaut, à raison du manquement de l'employeur à son obligation de sécurité ayant conduit à l'accident de service du 6 novembre 2014 ;

3°) de mettre à la charge du CCAS de Jullouville la somme de 2 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- elle a été victime de harcèlement moral de la part de la directrice de la maison de retraite " Les Jardins d'Henriette " entre l'été 2014 et le 6 novembre 2014 ;

- la responsabilité pour faute de son employeur peut être engagée dès lors que la dégradation de son état de santé résulte de l'attitude de l'administration ;

- la responsabilité sans faute de son employeur peut également être engagée.

- elle est fondée à obtenir une réparation à hauteur de 20 000 euros au titre de son préjudice moral consécutivement à la tentative de suicide dont elle a été victime et de 10 000 euros en réparation du trouble causé dans ses conditions d'existence.

Par un mémoire en défense, enregistré le 31 décembre 2019, le CCAS de Jullouville conclut au rejet de la requête et de mettre à la charge de Mme B... la somme de 2 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que les moyens soulevés par Mme B... ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. A... ;

- et les conclusions de M. Lemoine, rapporteur public ;

Considérant ce qui suit :

1. Mme B..., auxiliaire de soins de première classe, employée par le CCAS de Jullouville (Manche) dans l'établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) " Les Jardins d'Henriette " depuis le 1er novembre 2011, a été placée en congé de longue maladie par décision du 8 septembre 2015, à la suite d'une tentative de suicide commise le 6 novembre 2014. Le 12 mars 2017, la requérante a demandé au président du CCAS la réparation des préjudices subis à raison de faits de harcèlement moral en lien avec l'accident de service du 6 novembre 2014. Cette demande a été rejetée par une décision du 10 mai 2017. Par sa requête visée ci-dessus, Mme B... relève appel du jugement du 27 septembre 2018 par lequel le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande tendant à la condamnation du CCAS de Jullouville à lui verser la somme de 30 000 euros en réparation des préjudices allégués du fait du harcèlement moral dont elle déclare avoir été victime au cours de l'année 2014 ou, à défaut, à raison du manquement de l'employeur à son obligation de sécurité ayant conduit à l'accident de service du 6 novembre 2014.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

En ce qui concerne le harcèlement moral :

2. Aux termes de l'article 11 de la loi du 13 juillet 1983, dans sa rédaction alors applicable : " Les fonctionnaires bénéficient, à l'occasion de leurs fonctions, d'une protection organisée par la collectivité publique dont ils dépendent, conformément aux règles fixées par le code pénal et les lois spéciales. / (...) La collectivité publique est tenue de protéger les fonctionnaires contre les menaces, violences, voies de fait, injures, diffamations ou outrages dont ils pourraient être victimes à l'occasion de leurs fonctions, et de réparer, le cas échéant, le préjudice qui en est résulté. / La collectivité publique est tenue d'accorder sa protection au fonctionnaire ou à l'ancien fonctionnaire dans le cas où il fait l'objet de poursuites pénales à l'occasion de faits qui n'ont pas le caractère d'une faute personnelle. (...) ". Aux termes du premier alinéa de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. (...) ".

3. D'une part, il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral, de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'un tel harcèlement. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile.

4. D'autre part, pour apprécier si des agissements dont il est allégué qu'ils sont constitutifs d'un harcèlement moral revêtent un tel caractère, le juge administratif doit tenir compte des comportements respectifs de l'agent auquel il est reproché d'avoir exercé de tels agissements et de l'agent qui estime avoir été victime d'un harcèlement moral. En revanche, la nature même des agissements en cause exclut, lorsque l'existence d'un harcèlement moral est établie, qu'il puisse être tenu compte du comportement de l'agent qui en a été victime pour atténuer les conséquences dommageables qui en ont résulté pour lui. Le préjudice résultant de ces agissements pour l'agent victime doit alors être intégralement réparé.

5. Pour démontrer la réalité du harcèlement moral allégué, Mme B... soutient qu'elle a été victime, entre l'été 2014 et le 6 novembre 2014, de harcèlement moral de la part de sa supérieure hiérarchique, la directrice de l'EHPAD " Les Jardins d'Henriette " dans lequel elle exerce ses fonctions d'auxiliaire de soins. Elle fait valoir que le management initié par cette directrice correspondait à du harcèlement moral à l'égard de ses subalternes, de pression exercée, de mises en cause permanentes, de stress et de mauvaise ambiance distillés par cette directrice. Elle produit à l'appui des allégations différents témoignages de personnels de l'établissement. Dans ce contexte, elle aurait été convoquée, le 5 novembre 2014, dans le bureau de la directrice à l'occasion d'un entretien au cours duquel la directrice aurait exigé la remise de sa démission sur la base d'accusations mensongères. Opposant un refus d'obtempérer, Mme B... aurait alors été gravement invectivée. L'intéressée a ensuite été placée en congé de longue maladie par décision du 8 septembre 2015, consécutivement à une tentative de suicide commise le 6 novembre 2014. A la suite de ces évènements, la requérante a déposé plainte auprès du procureur de la République du tribunal de grande instance de Coutances le 25 novembre 2015 du chef de harcèlement moral. Ces différents éléments sont de nature à faire présumer le harcèlement moral allégué.

6. Pour démontrer que les agissements en cause sont étrangers à tout harcèlement, le CCAS de Jullouville fait valoir qu'aucun agissement de la directrice de l'EHPAD pouvant revêtir la qualification de harcèlement moral à l'égard de la requérante n'a été établi, que les éléments mis en avant par cette dernière résultent de simples affirmations ne reposant sur aucun commencement de preuve et que les faits mentionnés sont, en tout état de cause, étrangers à toute considération de harcèlement moral.

7. En premier lieu, il résulte de l'instruction que les témoignages produits par la requérante à l'appui de ses accusations se bornent à contredire les accusations de maltraitance de la directrice du CCAS et font état de comportements de cette dernière peu circonstanciés. Si certains de ces témoignages, comme celui de Mme D..., ancienne infirmière de l'établissement, relèvent la " mauvaise ambiance interne " régnant dans l'établissement, l'existence de " réflexions désobligeantes " de la directrice à l'égard de certains membres du personnel, des " dysfonctionnements du service ", une " pression hiérarchique " excessive créant un " stress " chez certains membres du personnel et des changements d'humeur brutaux et inexpliqués de la part de la direction, ces éléments, à les supposer avérés, ne permettent pas d'établir que Mme B... aurait personnellement été victime d'agissements répétés de harcèlement moral de la part de cette directrice.

8. En second lieu, à supposer que les affirmations de la requérante selon lesquelles sa supérieure hiérarchique aurait, dans un entretien du 5 novembre 2014, eu des paroles violentes et proféré des menaces à son égard en l'accusant de maltraitance et de comportements déplacés envers certains résidents, en lui demandant de remettre sa démission sous peine de saisine de l'agence régionale de santé (ARS), puissent être regardées comme vraisemblables, il ne résulte cependant pas de l'instruction que la directrice de l'établissement aurait, à cette occasion, demandé à Mme B... d'antidater sa lettre de démission. En tout état de cause, si cet entretien a pu causer un choc émotionnel important à Mme B..., entrainant des arrêts de travail et une tentative de suicide, reconnue comme imputable au service, ce seul évènement, quand bien même il aurait eu pour effet d'altérer la santé psychique de l'intéressée et de la pousser à tenter de se suicider le lendemain, ne saurait être regardé comme participant d'agissements répétés de nature à caractériser un harcèlement moral au sens des dispositions citées de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983. Il résulte également de l'instruction que la plainte pour harcèlement moral déposée par l'intéressée auprès du procureur du tribunal de grande instance de Coutances le 25 novembre 2015 a été classée sans suite par une décision du 1er février 2016, l'infraction alléguée ayant été jugée " insuffisamment caractérisée ". Dans ces conditions, Mme B... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement contesté, le tribunal administratif de Caen a rejeté ses conclusions indemnitaires présentée sur le fondement d'une responsabilité du CCAS en raison des agissements de harcèlement moral dont elle aurait été victime.

En ce qui concerne la responsabilité pour faute de l'administration pour cause de manquement à son obligation de sécurité :

9. Aux termes de l'article L. 4121-1 du code du travail, dans sa rédaction applicable aux faits de l'espèce : " L'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. Ces mesures comprennent : 1° Des actions de prévention des risques professionnels et de la pénibilité au travail ; 2° Des actions d'information et de formation ; 3° La mise en place d'une organisation et de moyens adaptés. L'employeur veille à l'adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes. " Aux termes de l'article L. 4121-2 du même code : " L'employeur met en oeuvre les mesures prévues à l'article L. 4121-1 sur le fondement des principes généraux de prévention suivants : 1° Eviter les risques ; 2° Evaluer les risques qui ne peuvent pas être évités ; 3° Combattre les risques à la source (...) ; ".

10. Il ne résulte pas de l'instruction que, en l'espèce, l'administration aurait manqué à ses obligations tendant à prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs sous sa responsabilité, notamment dans le cadre de la prévention du risque général lié au harcèlement moral. Aucun élément ne permet d'affirmer que le CCAS, alerté sur le comportement managérial contesté de la directrice de l'établissement, n'aurait pas pris des mesures appropriées en temps utile pour prévenir le risque de harcèlement moral, alors même que le président du CCAS reconnait, dans son audition par la gendarmerie dans le cadre de l'enquête préliminaire, que la directrice de l'EHPAD a été " invitée à quitter son poste " en raison du " mécontentement du personnel ". Par suite, la faute de l'administration dans le cadre du respect des obligations précitées n'est pas établie. En conséquence, Mme B... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement contesté, le tribunal administratif de Caen a rejeté les conclusions indemnitaires qu'elle avait présenté en raison de la méconnaissance par le CCAS de ses obligations de protection de ses agents au sens des dispositions mentionnées au point 9.

En ce qui concerne la responsabilité sans faute de l'administration :

11. Il résulte de l'instruction que l'accident du le 6 novembre 2014 a été reconnu comme imputable au service. Par suite, Mme B... est fondée à obtenir sur le fondement de la responsabilité sans faute du CCAS de Jullouville une réparation complémentaire du préjudice anormal subi en lien direct avec le service. Toutefois, si l'intéressée soutient qu'elle est victime d'agoraphobie, d'un fort sentiment de dévalorisation, d'une incapacité de travailler et de troubles dans ses conditions d'existence dont elle demande réparation, à supposer même que ces préjudices soient avérés, aucun lien direct et certain avec l'accident de service du 6 novembre 2014 n'est établi.

12. Il résulte de tout ce qui précède que Mme B... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal a rejeté sa demande tendant à la condamnation du CCAS de Jullouville en réparation des divers chefs préjudices mentionnés précédemment.

Sur les frais liés au litige :

13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il soit mis à la charge du CCAS de Jullouville, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme réclamée par Mme B... au titre des frais liés au litige. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce de mettre à la charge de Mme B... la somme réclamée par le CCAS de Jullouville sur le même fondement.

DECIDE :

Article 1er : La requête de Mme B... est rejetée.

Article 2 : Les conclusions du CCAS de Jullouville sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... et au centre communal d'action sociale de Jullouville.

Délibéré après l'audience du 26 juin 2020, à laquelle siégeaient :

- M. Lenoir, président de chambre,

- M. Coiffet, président-assesseur,

- M. A..., premier conseiller.

Lu en audience publique, le 17 juillet 2020.

Le rapporteur,

F. A...Le président,

H. LENOIR

Le greffier,

E. HAUBOIS

La République mande et ordonne à la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales en ce qui la concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 18NT04164


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 18NT04164
Date de la décision : 17/07/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. LENOIR
Rapporteur ?: M. François PONS
Rapporteur public ?: M. LEMOINE
Avocat(s) : AARPI LEHOUX et CONDAMINE

Origine de la décision
Date de l'import : 28/07/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2020-07-17;18nt04164 ?
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