Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société Doux SA et Mes Gorrias et Ellouet, commissaires à l'exécution du plan, ont demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler le titre de recettes, lié à la référence U_RMDPC/n° 00306, émis par l'Etablissement national des produits de l'agriculture et de la mer (FranceAgriMer) le 31 juillet 2014, ainsi que la décision par laquelle FranceAgriMer a implicitement rejeté le recours gracieux formé par la société Doux à l'encontre de ce titre.
Par un jugement n° 1403597 du 11 avril 2018, le tribunal administratif de Rennes a rejeté leur demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire enregistrés le 18 mai 2018 et le 3 mars 2020, la
SCP Abitbol et Rousselet et la Selarl AJIRE en qualité d'administrateurs judiciaires de la société Doux SA ainsi que la SAS David-Goic et la Selarl EP et Associés, en qualité de liquidateurs judiciaires de la société Doux SA, représentées par Me B..., demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Rennes du 11 avril 2018 ;
2°) d'annuler le titre de recettes et la décision contestés ;
3°) de mettre à la charge de FranceAgriMer la somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elles soutiennent que :
- le tribunal a omis de répondre au moyen tiré de ce que le titre de recettes contesté faisait peser sur la société Doux la charge d'une preuve impossible ;
- en se prononçant sur la légalité de l'absence de disposition expresse prévoyant les modalités de révision des normes de teneur en eau, alors que le moyen soulevé devant lui portait sur l'absence de révision de ces normes, le tribunal administratif a omis de répondre à ce dernier moyen ;
- le jugement attaqué est insuffisamment motivé s'agissant de l'absence d'incidence sur la légalité de la décision contestée de l'irrégularité des contrôles réalisés antérieurement à cette décision ;
- le titre de recettes contesté est illégal en ce qu'il fait peser sur la société Doux la charge d'une preuve impossible à rapporter ;
- il ne saurait être exigé de la société Doux qu'elle produise les résultats de contrôles physiques démontrant que les poulets qu'elle a exportés respectent les normes obligatoires en vigueur dans les pays de destination alors qu'elle a suffisamment rapporté cette preuve par les pièces qu'elle a produites ; la décision contestée méconnaît ainsi les dispositions du 4ème alinéa du paragraphe 1 de l'article 28 du règlement (CE) n° 612/2009, qui ne l'imposent pas ;
- les contrôles physiques réalisés par les services des douanes sur les exportations faisant l'objet du titre de recettes contesté sont entachés d'irrégularités ; les contrôles physiques menés sur les onze dernières déclarations d'exportation, qui ont été réalisés au cours de l'enquête ouverte par la décision du 22 juillet 2013 et lui sont donc postérieurs, n'ont pas donné lieu à contre-analyse ; l'ensemble des contrôles physiques ont été réalisés en méconnaissance des dispositions des articles 118 et 119 du code des douanes communautaire, du principe du contradictoire et des droits de la défense ; la société Doux aurait dû être présente ou représentée lors de l'analyse des échantillons prélevés ; l'analyse de la teneur en eau des poulets congelés aurait dû être réalisée uniquement par des laboratoires nationaux de référence en application du paragraphe 5 de l'article 16 du règlement n° 543/2008 ; la société Doux ne saurait assumer la charge de la preuve de ce que les échantillons analysés ne sont pas arrivés au laboratoire dans un état de congélation suffisant alors qu'elle n'était ni présente ni représentée lors des analyses effectuées sur ces échantillons ; s'agissant de la déclaration d'exportation EXA n° 131910155, la teneur en eau prétendument excessive est compensée par l'excédent de produit pour lequel la société Doux SA n'a pas perçu de restitution à l'exportation ; l'extrapolation effectuée par FranceAgriMer était erronée, ce que l'étude scientifique produite par la société Doux SA, qui conclut à l'absence de fiabilité des tests chimiques, suffit à démontrer ;
- les contrôles physiques contestés sont juridiquement rattachés au titre de recettes litigieux dès lors que celui-ci a été émis au terme d'une enquête ouverte par une décision du 22 juillet 2013 ; l'illégalité de cette décision du 22 juillet 2013, du fait de l'irrégularité des contrôles en considération desquels elle a été prise, prive de base légale le titre de recettes litigieux ;
- elles sont fondées à invoquer le principe de confiance légitime, dès lors que la société Doux n'était pas en mesure de savoir, avant l'arrêt de la CJUE du 9 mars 2017, que la teneur en eau des poulets congelés déterminait le droit de percevoir des restitutions à l'exportation ;
- les premiers juges se sont bornés à un contrôle abstrait de la légalité des sanctions qui ont été infligées à la société Doux alors que ces sanctions sont manifestement disproportionnées ; en effet les demandes de restitutions à l'exportation auxquelles elles se rapportent ont été présentées à titre conservatoire postérieurement à la suppression des restitutions à l'exportation de poulets congelés prévue par le règlement n° 689/2013, finalement annulé par l'arrêt de la CJUE du 20 septembre 2017 rendu sur pourvoi formé par la société Doux et d'une société concurrente ;
- c'est à tort qu'a été infligée une pénalité de 200 %, le comportement de la société Doux n'entrant pas dans le champ du b) du paragraphe 1 de l'article 48 du règlement (CE) n° 612/2009, et c'est à tort que les premiers juges ont estimé que le comportement de la société Doux était susceptible de causer un préjudice aux finances de l'Union européenne.
Par deux mémoires en défense enregistrés les 31 décembre 2019 et 10 avril 2020 FranceAgriMer, représenté par Me C..., conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge des sociétés requérantes la somme de 10 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il fait valoir que les moyens soulevés par les sociétés requérantes ne sont pas fondés.
Vu les pièces du dossier.
Vu :
- la Constitution du 4 octobre 1958 ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le règlement (CE) n° 450/2008 (code douanes communautaire) ;
- le règlement (CE) n° 543/2008 ;
- le règlement (CE) n° 612/2009 ;
- l'arrêt de la CJCE du 5 février 1987, Piange Kraftfutterwerke GmbH et Co., aff. 288/85 ;
- l'arrêt de la CJCE du 18 novembre 1987, Maizena GmbH et autres contre Bundesanstalt für landwirtschaftliche Marktordnung, aff. 137/85 ;
- l'arrêt de la CJCE du 30 novembre 2000, HMIL Ltd, aff. C-436/98 ;
- l'arrêt de la CJCE du 11 juillet 2002, Käserei Champignon Hofmeister GmbH et Co.KG, aff. C-210/00 ;
- l'arrêt de la CJCE du 14 avril 2005, Hauptzollamt Hamburg-Jonas, aff. C-385/03 ;
- l'arrêt de la CJUE du 9 mars 2017, Doux SA, en redressement, contre Etablissement national des produits de l'agriculture et de la mer (FranceAgriMer), aff. C-141/15 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme D...,
- les conclusions de M. Gauthier, rapporteur public,
- les observations de Me A..., substituant Me B..., représentant la SCP Abitbol et Rousselet et la Selarl AJIRE, administrateurs judiciaires de la société Doux SA et la SAS David-Goic et la Selarl EP et Associés, liquidateurs judiciaires de la société Doux SA, et les observations de Me C..., représentant FranceAgriMer.
Considérant ce qui suit :
1. La société Doux a, au titre d'exportations prévues postérieurement au 21 juillet 2013, réclamé à l'Etablissement national des produits de l'agriculture et de la mer (FranceAgriMer), par deux courriers successifs des 27 novembre et 9 décembre 2013, le versement d'avances de restitutions s'élevant à un montant total de 1 955 386,55 euros et demeurées impayées. En réponse, FranceAgriMer a sollicité de la société la production de pièces susceptibles d'établir son droit à restitution, soit en démontrant que les volailles concernées respectaient les valeurs limites de teneur en eau prévues par le règlement (CE) n° 543/2008 et remplissaient la condition de qualité saine, loyale et marchande du 1er alinéa du paragraphe 1 de l'article 28 du règlement (CE) n° 612/2009, soit en justifiant que ces volailles étaient compatibles avec une condition particulière obligatoire relative à la teneur en eau dans le pays d'exportation, en application de l'alinéa 4 du paragraphe 1 du même article. La société Doux SA s'étant bornée à réitérer sa demande de paiements d'avances sur restitutions par un courrier du 24 décembre 2013, l'établissement l'a informée, par un courrier du 19 mars 2014, de ce qu'il envisageait de lui infliger la pénalité prévue au b) du paragraphe 1 de l'article 48 du règlement (CE) n° 612/2009, applicable lorsqu'il est constaté que, en vue de l'octroi d'une restitution à l'exportation, un exportateur a demandé une restitution supérieure à la restitution applicable. Par un courrier du
31 juillet 2014, FranceAgriMer a ultérieurement notifié à la société Doux SA un titre de recettes d'un montant de 3 732 271,35 euros (soit 1 955 386,55 euros x 200%), au titre des sanctions ainsi annoncées. Après avoir formé un recours gracieux demeuré sans réponse, la société Doux SA a contesté ce titre de recettes devant le tribunal administratif de Rennes, qui a rejeté sa demande par un jugement n° 1403597 du 11 avril 2018 dont la SCP Abitbol et Rousselet et la Selarl AJIRE d'une part, en leur qualité d'administrateurs judiciaires de la société Doux SA ainsi que la SAS David-Goic et la Selarl EP et Associés d'autre part, en leur qualité de liquidateurs judiciaires de la société Doux SA, relèvent appel.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. En premier lieu, le tribunal administratif, qui n'est pas tenu de répondre à tous les arguments développés par les parties devant lui, a examiné la légalité du titre de recettes contesté au regard de l'ensemble des moyens soulevés et, notamment, de celui tiré de ce que cette décision faisait peser sur la société Doux la charge d'une preuve impossible dès lors qu'elle était dans l'incapacité d'établir la conformité aux valeurs limites de teneur en eau des poulets qu'elle destinait à l'exportation. Par suite, le moyen tiré de ce que le jugement attaqué serait entaché d'une omission de réponse à un moyen doit être écarté.
3. En deuxième lieu, dès lors que le tribunal a écarté le moyen tiré de que les demandeurs ne pouvaient sérieusement attribuer le dépassement de la teneur en eau à la carence des autorités de contrôle, la circonstance qu'un tel moyen n'aurait pas été soulevé est en tout état de cause sans incidence sur la régularité du jugement attaqué. Par ailleurs, les premiers juges se sont bien prononcés, aux points 4 et 6 du jugement attaqué, sur le moyen tiré de l'obsolescence des plafonds de teneur en eau fixés par le règlement (CE) n° 543/2008 qui résulterait de la circonstance que ces plafonds n'ont pas été révisés. Le jugement attaqué n'est donc pas irrégulier sur ce point.
4. En troisième lieu, contrairement à ce que soutiennent les requérantes, les premiers juges ont écarté avec une motivation suffisante le moyen tiré de ce que l'irrégularité des contrôles effectués antérieurement à la décision contestée aurait dû entraîner son annulation par voie de conséquence.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
En ce qui concerne le bien-fondé de la créance :
a) L'application du 4ème alinéa du paragraphe 1 de l'article 28 du règlement (CE) n° 612/2009 :
5. Les requérantes soutiennent que FranceAgriMer a fait une inexacte appréciation des pièces produites par la société Doux SA, qui suffisaient à établir que les poulets exportés respectaient les normes obligatoires en vigueur dans les pays de destination, que ne saurait être exigée à ce titre la production de résultats de contrôles physiques, condition qui n'est pas prévue au 4ème alinéa du paragraphe 1 de l'article 28 du règlement (CE) n° 612/2009. Ils font également valoir que l'absence de réglementation relative à la teneur en eau dans le pays de destination suffit à démontrer que la réglementation de cet Etat déroge à celle en vigueur au sein de l'Union européenne.
6. D'une part, aux termes du paragraphe 1 de l'article 28 du règlement (CE)
n° 612/2009 : " Aucune restitution n'est octroyée lorsque les produits ne sont pas de qualité saine, loyale et marchande le jour d'acceptation de la déclaration d'exportation. / Les produits satisfont à l'exigence du premier alinéa lorsqu'ils peuvent être commercialisés sur le territoire de la Communauté dans des conditions normales et sous la désignation apparaissant sur la demande d'octroi de la restitution et que, lorsque ces produits sont destinés à la consommation humaine, leur utilisation à cette fin n'est pas exclue ou considérablement diminuée en raison de leurs caractéristiques ou de leur état. / La conformité des produits aux exigences visées au premier alinéa doit être examinée conformément aux normes ou aux usages en vigueur au sein de la Communauté. / Toutefois, la restitution est également octroyée lorsque, dans le pays de destination, les produits exportés sont soumis à des conditions particulières obligatoires, notamment sanitaires ou hygiéniques, qui ne correspondent pas aux normes ou aux usages en vigueur au sein de la Communauté. Il appartient à l'exportateur de démontrer, sur demande de l'autorité compétente, que les produits sont conformes auxdites conditions obligatoires dans le pays tiers de destination. (...) ".
7. D'autre part, aux termes du paragraphe 1 de l'article 15 du règlement (CE)
n° 543/2008 portant modalités d'application du règlement (CE) n° 1234/2007 du Conseil en ce qui concerne les normes de commercialisation pour la viande de volaille : " Sans préjudice des dispositions de l'article 16, paragraphe 5, et de l'article 17, paragraphe 3, les poulets congelés et surgelés, lorsqu'ils sont l'objet d'un commerce ou d'une profession ne peuvent être commercialisés à l'intérieur de la Communauté que si la teneur en eau ne dépasse pas les valeurs techniques inévitables constatées selon la méthode d'analyse décrite à l'annexe VI (test d'égouttage) ou celle de l'annexe VII (test chimique) ".
8. Par un arrêt du 9 mars 2017, Doux SA, en redressement, contre Etablissement national des produits de l'agriculture et de la mer (FranceAgriMer) (C-141/15), la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE), statuant sur un renvoi préjudiciel adressé par le tribunal administratif de Rennes, a dit pour droit que l'exigence de qualité " saine, loyale et marchande " posée par l'alinéa 1er du règlement (CE) n° 612/2009 doit être interprétée en ce sens que les poulets congelés dont la teneur en eau dépasse les limites fixées par le règlement (CE) n° 543/2008 ne sont pas commercialisables dans des conditions normales sur le territoire de l'Union européenne et ne satisfont donc pas à l'exigence de qualité saine, loyale et marchande.
9. Il résulte de la combinaison des dispositions précitées du paragraphe 1 de l'article 28 du règlement (CE) n° 612/2009 et du paragraphe 1 de l'article 15 du règlement (CE) n° 543/2008, telles qu'interprétées par la CJUE, que la dérogation prévue au 4ème alinéa du paragraphe 1 de l'article 28 du règlement (CE) n° 612/2009 ne permet à un exportateur de déroger à la condition de qualité saine, loyale et marchande à laquelle le 1er alinéa du même paragraphe 1 subordonne le bénéfice de restitutions à l'exportation que lorsque, dans le pays de destination, des conditions particulières obligatoires, notamment sanitaires, ne correspondant pas aux normes ou aux usages en vigueur au sein de l'Union européenne, sont de nature à faire obstacle à l'exportation de produits qui respecteraient la condition européenne de qualité saine, loyale et marchande qui, s'agissant de poulets congelés, suppose que soient respectées les valeurs limites de teneur en eau définies au paragraphe 1 de l'article 15 du règlement (CE) n° 543/2008.
10. Par suite, pour démontrer que les exportations litigieuses entraient dans le champ de la dérogation prévue au 4ème alinéa du paragraphe 1 de l'article 28 du règlement (CE)
n° 612/2009, il appartenait à la société Doux SA d'apporter la preuve que la réglementation en vigueur dans les pays à destination desquels elle exporte ses poulets comportait des conditions particulières obligatoires, notamment sanitaires ou hygiéniques, l'empêchant de respecter la condition de qualité saine, loyale et marchande qui, s'agissant de poulets congelés suppose que soient respectée les valeurs limites de teneur en eau définies au paragraphe 1 de l'article 15 du règlement (CE) n° 543/2008. Or, en se bornant à produire des attestations aux termes desquelles les poulets litigieux ont été estimés " de qualité suffisante " en Arabie saoudite et en Russie, la société Doux SA n'apporte pas une telle preuve. Au contraire, la circonstance que la réglementation des pays à destination desquels la société exporte des poulets congelés ne comporte pas d'exigences particulières quant à la teneur en eau de ces produits démontre qu'il n'existait pas d'obstacle à ce que celle-ci respecte la condition de qualité saine, loyale et marchande au sens des dispositions européennes, à laquelle est subordonné le droit à restitution dont elle entend bénéficier. Par suite, c'est sans entacher sa décision ni d'erreur de droit ni d'erreur d'appréciation que FranceAgriMer a estimé que la société Doux SA ne pouvait obtenir d'avances sur restitutions pour ce motif.
b) La régularité des contrôles physiques réalisés :
11. Il résulte des éléments de fait qui ont été rappelés au point 1 du présent arrêt, qui sont confirmés par le rappel des faits opérés par les parties dans leurs écritures respectives, que le titre de recettes contesté dans la présente instance a pour origine l'enquête administrative ordonnée par FranceAgriMer dans la décision du 22 juillet 2013 qui fait l'objet de l'instance n°18NT02012 et les conséquences qu'en a tirées l'établissement en refusant de reconnaître un droit à restitution à la société Doux lorsque celle-ci n'était pas en mesure de justifier, notamment par la production des résultats d'autocontrôles, de la qualité saine et loyale des produits exportés. Il est ainsi dépourvu de lien avec les contrôles physiques opérés par les services des douanes entre 2010 et 2013, et qui sont l'objet des instances n°18NT2014, 02229, 02230, 02246, 02262, 02263 et 02266. Par suite, l'ensemble des moyens relatifs à la régularité de ces contrôles physiques invoqués par les sociétés requérantes, qui n'ont aucune incidence sur la légalité du titre de recettes contesté dans la présente instance, sont inopérants.
c) La preuve de l'existence d'une " qualité saine, loyale et marchande " des produits :
12. D'une part, dans son arrêt précité C-141/15 du 9 mars 2017, la Cour de justice de l'Union européenne a jugé que dans la mesure où l'exportateur, en introduisant une demande de restitution, doit être regardé comme assurant l'existence d'une " qualité saine, loyale et marchande ", il incombe à celui-ci de démontrer selon les règles de preuve du droit national que cette condition est bien remplie au cas où la déclaration serait mise en doute par les autorités nationales.
13. D'autre part, aux termes de l'article 16 du règlement (CE) n° 543/2008 : " (...) 2. Dans tous les cas visés au paragraphe 1, deuxième alinéa, et, en tout cas, au moins une fois tous les deux mois, les vérifications de la teneur en eau des poulets congelés et surgelés visée à l'article 15, paragraphe 1, sont effectuées par sondage, pour chaque abattoir, conformément aux indications figurant aux annexes VI ou VII, au choix des autorités compétentes de l'État membre. Ces contrôles ne doivent pas être effectués en ce qui concerne les carcasses pour lesquelles la preuve est apportée, à la satisfaction de l'autorité compétente, qu'elles sont destinées exclusivement à l'exportation. (...) ".
14. Si les dispositions rappelées au point 13 excluent du champ des contrôles effectués par les autorités compétentes les carcasses destinées exclusivement à l'exportation, elles n'ont ni pour objet ni pour effet de dispenser le producteur, dès lors qu'il entend prétendre au bénéfice des restitutions à l'exportation, de se réserver par tous moyens les preuves que ses produits, même non contrôlés par les autorités nationales, répondent à la condition de qualité saine, loyale et marchande. Par suite, la société Doux, à laquelle il incombait de sa propre initiative d'effectuer des prélèvements aux fins de contrôle sur les carcasses destinées à l'exportation, n'est pas fondée à soutenir qu'elle ne disposerait d'aucun moyen pour établir qu'elle remplit les conditions pour bénéficier d'un droit à restitution.
d) Le principe de confiance légitime :
15. Le principe de confiance légitime, qui fait partie des principes généraux du droit de l'Union européenne, peut être invoqué par tout opérateur économique de bonne foi auprès duquel une autorité nationale a fait naître, à l'occasion de la mise en oeuvre du droit de l'Union européenne, des espérances fondées, y compris, sous réserve que cela ne porte pas une atteinte excessive à un intérêt public ou au principe de légalité, dans le cas où elle l'a fait bénéficier d'un avantage indu mais que l'opérateur pouvait néanmoins, eu égard à la nature de cet avantage, aux conditions dans lesquelles il a été attribué et au comportement de l'administration postérieurement à cette attribution, légitimement regarder comme lui étant définitivement acquis. Toutefois, lorsqu'un opérateur économique prudent et avisé est en mesure de prévoir l'adoption d'une mesure de nature à affecter ses intérêts, il ne peut invoquer le bénéfice d'un tel principe lorsque cette mesure est finalement adoptée.
16. Les requérantes soutiennent que le principe de confiance légitime a été méconnu dans la mesure où la société Doux pouvait légitimement estimer que les restitutions lui étaient acquises, dès lors qu'elle n'était pas en mesure de savoir dès le 26 octobre 2010 que la teneur en eau des poulets congelés déterminait le droit de percevoir des restitutions à l'exportation, ce qu'elle n'a appris qu'à l'occasion de l'arrêt de la CJUE du 9 mars 2017. Elles se prévalent à ce titre de l'absence totale de contrôle de la teneur en eau et de versement des restitutions à l'exportation pendant plusieurs dizaines d'années, alors pourtant qu'il incombe aux autorités compétentes de réaliser des contrôles des produits exportés lorsqu'elles nourrissent des doutes sur leur qualité saine, loyale et marchande. Elles invoquent également le fait que l'interprétation des dispositions des règlement (CE) n°543/2008 et (CE) n° 612/2009 n'était pas claire, comme en témoignent la procédure préjudicielle devant la CJUE et la circonstance que la France a, dans un premier temps, adopté la même position que la Société Doux s'agissant de la notion de qualité saine, loyale et marchande des poulets congelés destinés à l'exportation.
17. Dans son arrêt précité C-141/15 du 9 mars 2017, la CJUE a toutefois jugé que dans la mesure où l'exportateur, en introduisant une demande de restitution, doit être regardé comme assurant l'existence d'une " qualité saine, loyale et marchande ", il incombe à celui-ci de démontrer selon les règles de preuve du droit national que cette condition est bien remplie au cas où la déclaration serait mise en doute par les autorités nationales. Il résulte par ailleurs des dispositions précitées du paragraphe 2 de l'article 16 du règlement (CE) n° 543/2008 que les autorités nationales ne sont pas tenues de procéder à des contrôles systématiques du respect de la teneur en eau des volailles destinées à l'exportation, de sorte que la société Doux SA, qui ne s'était pas mise elle-même en mesure de vérifier que les produits qu'elle destinait à l'exportation respectaient les normes européennes en la matière, ne pouvait tirer de la seule absence de contrôles la conclusion que ses produits remplissaient la condition de qualité saine, loyale et marchande à laquelle est subordonné le droit à restitution. Dès lors, et alors que les requérantes n'établissent pas ni même n'allèguent que l'administration aurait laissé entendre à la société Doux SA que le bénéfice de restitutions à l'exportation était acquis en dépit du non-respect des valeurs-limites de teneur en eau des produits que cette dernière destinait à l'exportation, elles ne sont pas fondées à soutenir que l'administration aurait, par son comportement, fait naître à l'occasion de la mise en oeuvre du droit de l'Union européenne des espérances fondées quant à l'existence d'un droit à restitution. Par suite, le titre de recette contesté n'a pas méconnu le principe de confiance légitime.
e) L'illégalité de la décision du 22 juillet 2013 :
18. Par un arrêt n° 18NT02012 de ce jour, la légalité de la décision du 22 juillet 2013 par laquelle FranceAgriMer a décidé de reprendre l'instruction des demandes de restitutions à l'exportation présentées postérieurement au 21 avril 2013 et de bloquer en conséquence la libération des garanties afférentes aux avances de restitutions sollicitées a été confirmée. Par suite, les requérantes ne sont pas fondées à se prévaloir, par la voie de l'exception, de l'illégalité de cette décision.
En ce qui concerne l'ampleur des sanctions :
19. Aux termes de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 : " La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu'en vertu d'une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée ". Aux termes du paragraphe 1 de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. (...) ".
20. En premier lieu, aux termes du paragraphe 1 de l'article 32 du règlement (CE) n° 612/2009 : " Lorsque le montant avancé est supérieur au montant effectivement dû pour l'exportation en cause ou pour une exportation équivalente, l'autorité compétente engage sans tarder la procédure de l'article 29 du règlement (CEE) no 2220/85 en vue du paiement par l'exportateur de la différence entre ces deux montants, augmentée de 10 %. / Toutefois, la majoration de 10 % n'est pas recouvrée lorsque, par suite d'un cas de force majeure : / - les preuves prévues par le présent règlement pour bénéficier de la restitution ne peuvent être apportées, ou / - le produit atteint une destination autre que celle pour laquelle l'avance a été calculée. ". Ainsi que l'a jugé la Cour de justice des Communautés européennes dans les arrêts du 18 novembre 1987, Maizena GmbH et autres contre Bundesanstalt für landwirtschaftliche Marktordnung (137/85) et du 5 février 1987, Piange Kraftfutterwerke GmbH et Co. (288/85), une telle majoration de 10 %, eu égard à son objectif qui est d'éviter que les exportateurs qui se voient accorder un préfinancement par le biais d'une avance sur restitution à l'exportation, ne bénéficient indument d'un crédit à titre gratuit s'il s'avérait ultérieurement qu'il n'y avait pas lieu d'accorder la restitution demandée, ne saurait être considérée disproportionnée, alors que de surcroît, la majoration n'est pas recouvrée lorsque, par suite d'un cas de force majeure, les preuves prévues pour bénéficier de la restitution ne peuvent être apportées ou que le produit atteint une destination autre que celle pour laquelle l'avance a été calculée. Par suite, les moyens soulevés par voie d'exception et tirés de l'illégalité du dispositif de sanction institué par les dispositions du paragraphe 1 de l'article 32 du règlement (CE) n° 612/2009 au regard de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et, en tout état de cause, du principe d'individualisation des peines découlant de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen doivent être écartés.
21. En deuxième lieu, aux termes de l'article 48 du règlement (CE) n° 612/2009 : " 1. Lorsqu'il est constaté que, en vue de l'octroi d'une restitution à l'exportation, un exportateur a demandé une restitution supérieure à la restitution applicable, la restitution due pour l'exportation en question est la restitution applicable à l'exportation effectivement réalisée, diminuée d'un montant correspondant : / a) à la moitié de la différence entre la restitution demandée et la restitution applicable à l'exportation effectivement réalisée ; / b) au double de la différence entre la restitution demandée et la restitution applicable si l'exportateur a fourni intentionnellement des données fausses. / (...) ".
22. Ainsi que l'a jugé la Cour de justice de la Communauté européenne dans l'arrêt du 11 juillet 2002 Käserei Champignon Hofmeister GmbH et Co.KG (C-210/00) au sujet de l'article 11 du règlement (CE) n° 3665/87, dont les termes sont repris au paragraphe 1 de l'article 48 du règlement (CE) n° 612/2009, il ressort des dispositions précitées que la sanction prévue par ces dispositions, qui a pour objet de sanctionner une demande de restitution à l'exportation supérieure à la restitution effectivement due, est proportionnelle à la différence entre la restitution réclamée et la restitution due et modulée de la moitié au double de la différence entre ces deux termes suivant que l'exportateur a, ou non, fourni intentionnellement des données fausses. Dans ces conditions, le juge, en statuant sur le bien-fondé, en leur principe comme en leur montant, des actions en recouvrement de restitutions regardées comme indues par l'établissement ainsi que des sanctions qui s'y rapportent, est mis en mesure d'exercer un contrôle sur la proportionnalité des sanctions infligées au montant de la différence entre la restitution réclamée et la restitution due, ainsi que sur leur adéquation au comportement de l'exportateur, dont il lui revient d'apprécier le caractère intentionnellement frauduleux. Par suite, les moyens soulevés par voie d'exception et tirés de l'illégalité du dispositif de sanction institué par les dispositions du paragraphe 1 de l'article 48 du règlement (CE) n° 612/2009 au regard de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et, en tout état de cause, de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen doivent être écartés.
23. D'une part, les sanctions infligées à la société Doux en l'espèce, calculées sur la base de la différence entre la restitution réclamée et la restitution due, et par application du taux prévu lorsqu'il n'est pas reproché à l'exportateur d'avoir fourni intentionnellement de fausses données, ne sont pas en elles-mêmes disproportionnées et ne méconnaissent ni les dispositions de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ni les stipulations de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
24. D'autre part, il résulte de l'instruction que la société Doux, qu'un différend opposait alors à l'administration sur le point de savoir si la teneur en eau des carcasses de poulets congelés destinées à l'exportation devait être prise en compte dans l'appréciation de la condition de qualité, saine, loyale et marchande de ces produits dont dépend notamment le droit à restitution, s'est vu notifier dès le 17 octobre 2012 l'avis de la Commission européenne aux termes duquel " une volaille congelée ou surgelée destinée à l'exportation, avec une teneur en eau supérieure à celle fixée par les normes de commercialisation, ne peut pas bénéficier d'une restitution à l'exportation ". Par suite, cette société, en s'abstenant à partir de cette date au plus tard de vérifier que les produits qu'elle destinait à l'exportation respectaient la condition de teneur maximale, doit être regardée comme ayant intentionnellement affirmé, à tort, que ses produits étaient de qualité, saine, loyale et marchande. C'est, par suite, à bon droit et sans commettre d'erreur manifeste d'appréciation que FranceAgriMer a estimé qu'un tel comportement relevait du champ d'application du b) du paragraphe 1 de l'article 48 du règlement (CE) n° 612/2009.
25. Enfin, contrairement à ce que soutiennent les requérantes, la circonstance qu'aucun préjudice n'aurait en l'espèce été causé aux finances de l'Union européenne dès lors que la société Doux SA n'a pas perçu les restitutions litigieuses est sans incidence à cet égard. En effet, ainsi que l'a jugé la CJCE dans son arrêt du 14 avril 2005, Hauptzollamt Hamburg-Jonas
(aff. C-385/03), la finalité du mécanisme de restitutions à l'exportation implique que les sanctions en litige soient appliquées non pas après que le budget communautaire a subi une perte financière résultant du versement indu d'une restitution à l'exportation, mais à un stade en amont, lorsque l'exportateur transmet, intentionnellement ou non, des informations erronées.
26. Il résulte de tout ce qui précède que les requérantes ne sont pas fondées à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a rejeté les conclusions de la société Doux SA et de Mes Gorrias et Ellouet tendant à l'annulation du titre de recettes litigieux ainsi que de la décision implicite de rejet du recours gracieux présenté pour contester ce titre de recettes.
Sur les frais de l'instance :
27. Dans les circonstances de l'espèce, il ne paraît pas inéquitable de laisser à la charge de chacune des parties les frais exposés par elle et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la SCP Abitbol et Rousselet et la Selarl AJIRE en qualité d'administrateurs judiciaires de la société Doux SA ainsi que de la SAS David-Goic et la
Selarl EP et Associés, en qualité de liquidateurs judiciaires de la société Doux SA, est rejetée.
Article 2 : Les conclusions présentées par FranceAgriMer au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la SCP Abitbol et Rousselet, à la Selarl AJIRE, à la SAS David-Goic, à la Selarl EP et Associés et à FranceAgriMer.
Délibéré après l'audience du 2 juillet 2020, à laquelle siégeaient :
- Mme Perrot, président de chambre,
- Mme E..., présidente-assesseure,
- Mme D..., premier conseiller.
Lu en audience publique, le 17 juillet 2020.
Le rapporteur
M. D...Le président
I. Perrot Le greffier
R. Mageau
La République mande et ordonne au ministre de l'agriculture et de l'alimentation en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N°18NT02016