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17/07/2020 | FRANCE | N°18NT02012

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 3ème chambre, 17 juillet 2020, 18NT02012


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Doux SA et Mes Gorrias et Ellouet, commissaires à l'exécution du plan, ont demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler la décision du 22 juillet 2013 par laquelle l'Etablissement national des produits de l'agriculture et de la mer (FranceAgriMer) a décidé de reprendre l'instruction des demandes de restitutions à l'exportation présentées postérieurement au 21 avril 2013 et de bloquer en conséquence la libération des garanties afférentes aux avances de restitutions sollicitées.>
Par un jugement avant-dire droit n° 1303442 du 20 mars 2015, le tribunal admini...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Doux SA et Mes Gorrias et Ellouet, commissaires à l'exécution du plan, ont demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler la décision du 22 juillet 2013 par laquelle l'Etablissement national des produits de l'agriculture et de la mer (FranceAgriMer) a décidé de reprendre l'instruction des demandes de restitutions à l'exportation présentées postérieurement au 21 avril 2013 et de bloquer en conséquence la libération des garanties afférentes aux avances de restitutions sollicitées.

Par un jugement avant-dire droit n° 1303442 du 20 mars 2015, le tribunal administratif de Rennes a sursis à statuer jusqu'à ce que la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) se soit prononcée, sur le fondement des stipulations de l'article 267 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, sur les questions préjudicielles qu'il lui a posées.

Par un arrêt du 9 mars 2017, C-141/15, la CJUE a répondu aux questions qui lui avaient été posées par le tribunal administratif de Rennes.

Par un jugement n° 1303442 du 11 avril 2018, le tribunal administratif de Rennes a rejeté la demande dont il avait été saisi.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés les 18 mai 2018 et 3 mars 2020 la SCP Abitbol et Rousselet et la Selarl AJIRE en qualité d'administrateurs judiciaires de la société Doux SA ainsi que la SAS David-Goic et la Selarl EP et Associés, en qualité de liquidateurs judiciaires de la société Doux SA, représentées par Me B..., demandent à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Rennes du 11 avril 2018 ;

2°) d'annuler la décision contestée ;

3°) de mettre à la charge de FranceAgriMer la somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elles soutiennent que :

- le tribunal a omis de répondre au moyen tiré de ce que la décision du 22 juillet 2013 faisait peser sur la société Doux la charge d'une preuve impossible ;

- en se prononçant sur la légalité de l'absence de disposition expresse prévoyant les modalités de révision des normes de teneur en eau, alors que le moyen soulevé devant lui portait sur l'absence de révision de ces normes, le tribunal administratif n'a pas respecté le périmètre du litige qui lui était soumis ;

- le jugement attaqué est insuffisamment motivé s'agissant de l'absence d'incidence sur la légalité de la décision contestée de l'irrégularité des contrôles réalisés antérieurement à cette décision ;

- la décision contestée est illégale en ce qu'elle fait peser sur la société Doux la charge d'une preuve impossible à rapporter ;

- la décision contestée méconnaît les dispositions du paragraphe 8 de l'article 46 du règlement (CE) n° 612/2009, qui n'ouvrent pas la possibilité de suspendre la libération des garanties constituées en contrepartie des demandes d'avances de restitutions ;

- FranceAgriMer ne pouvait pas davantage suspendre la libération des garanties relatives aux certificats de préfixation, qui ne sont pas liées à la reconnaissance du droit à restitutions mais au droit d'exporter ;

- il ne saurait être exigé de la société Doux qu'elle produise les résultats de contrôles physiques démontrant que les poulets qu'elle a exportés respectent les normes obligatoires en vigueur dans les pays de destination alors qu'elle a suffisamment rapporté cette preuve par les pièces qu'elle a produites ; la décision contestée méconnaît ainsi les dispositions du 4ème alinéa du paragraphe 1 de l'article 28 du règlement (CE) n° 612/2009, qui ne l'imposent pas ;

- elles sont fondées à invoquer la méconnaissance du principe de confiance légitime, dès lors que la société Doux n'était pas en mesure de savoir, avant l'arrêt de la CJUE du 9 mars 2017, que la teneur en eau des poulets congelés déterminait le droit de percevoir des restitutions à l'exportation ;

- les irrégularités entachant les contrôles physiques réalisés sur les exportations faisant l'objet des titres de recettes par ailleurs contestés par la société Doux auraient dû conduire à l'annulation, par voie de conséquence, de la décision contestée du 22 juillet 2013.

Par un mémoire en défense enregistré le 14 janvier 2020 FranceAgriMer, représenté par Me C..., conclut au rejet de la requête et à ce que soit mis à la charge des sociétés requérantes le versement de la somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il fait valoir que les moyens soulevés par les sociétés requérantes ne sont pas fondés.

FranceAgriMer a produit le 26 mai 2020 un nouveau mémoire, qui n'a pas été communiqué.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le règlement (CE) n° 376/2008 :

- le règlement (CE) n° 543/2008 ;

- le règlement (CE) n° 612/2009 ;

- l'arrêt de la CJUE C-141/15 du 9 mars 2017, Doux SA, en redressement, contre Etablissement national des produits de l'agriculture et de la mer (FranceAgriMer) ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme D...,

- les conclusions de M. Gauthier, rapporteur public,

- les observations de Me A..., substituant Me B..., représentant la

SCP Abitbol et Rousselet et la Selarl AJIRE, administrateurs judiciaires de la société Doux SA et la SAS David-Goic et la Selarl EP et Associés, liquidateurs judiciaires de la société Doux SA, et les observations de Me C..., représentant FranceAgriMer.

Considérant ce qui suit :

1. Par une décision du 22 juillet 2013, l'Etablissement national des produits de l'agriculture et de la mer (FranceAgriMer), chargé notamment de verser aux opérateurs français en faisant la demande les restitutions à l'exportation prévues par les dispositions communautaires, a informé la société Doux, spécialisée dans la production de viande de volaille congelée destinée à l'exportation, de l'ouverture d'une enquête administrative portant sur les dossiers de demandes de restitutions à l'exportation déposés complets auprès de ses services postérieurement au 21 avril 2013 ainsi que du blocage consécutif de la libération des garanties constituées pour bénéficier d'avances sur les restitutions à l'exportation pour ces dossiers. L'établissement sollicitait par ailleurs de la société Doux la production de pièces susceptibles d'établir son droit à restitution, soit en démontrant que les volailles concernées respectaient les valeurs limites de teneur en eau prévues par le règlement (CE) n° 543/2008 et remplissaient la condition de " qualité saine, loyale et marchande " posée au 1er alinéa du paragraphe 1 de l'article 28 du règlement (CE) n° 612/2009, soit en justifiant que ces volailles étaient compatibles avec les conditions sanitaires particulières obligatoires dans les pays d'exportation tiers à l'Union européenne, en application de l'alinéa 4 du paragraphe 1 de ce dernier règlement. La société Doux et Mes Gorrias et Ellouet, commissaires à l'exécution du plan, ont demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler cette décision.

2. Par un jugement n° 1303442 avant-dire droit du 20 mars 2015, le tribunal administratif de Rennes a sursis à statuer et posé à la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) les cinq questions préjudicielles suivantes : 1°) le seuil de teneur en eau fixé par l'article 15 du règlement (CE) n° 543/2008 et ses annexes VI et VII constitue-t-il une exigence de " qualité saine, loyale et marchande " au sens de l'article 28.1 du règlement (CE) n° 612/2009 de la Commission et de l'arrêt Nowaco Germany GmbH contre Hauptzollamt Hamburg-Jonas du 7 septembre 2006 ' ; 2°) une volaille congelée dépassant le seuil de teneur en eau fixé par l'article 15 du règlement (CE) n° 543/2008 et ses annexes VI et VII, accompagnée d'un certificat de salubrité délivré par l'autorité compétente, peut-elle être commercialisée au sein de l'Union dans des conditions normales au sens de l'article 28 du règlement (CE) n° 612/2009 et, le cas échéant, dans quelles conditions ' ; 3°) le fait que le seuil de teneur en eau soit resté fixé à 5,1% selon l'annexe VI du règlement du 16 juin 2008 et non modifié depuis plusieurs décennies en dépit des modifications alléguées dans les pratiques d'élevage et des critiques émises dans certaines études scientifiques sur l'obsolescence de cette valeur limite est-elle ou non conforme avec le droit de l'Union européenne et notamment le principe de sécurité juridique ' ; 4°) les annexes VI et VII du règlement (CE) n° 453/2008 sont-elles suffisamment précises pour la réalisation des contrôles prévus à l'article 15 du règlement ou la France devait-elle définir les " modalités pratiques des contrôles " " à tous les stades de commercialisation " sauf à rendre inopposables les contrôles réalisés durant la phase d'exportation des produits ' ; 5°) les demandes d'analyse contradictoire qui s'appliquent, selon les dispositions combinées des paragraphes 2 et 5 de l'article 16 du règlement n° 543/2008, aux résultats des contrôles en abattoirs peuvent-elles être étendues aux contrôles réalisés au stade de la commercialisation des produits exportés, et ce en présence des parties, en application notamment de l'article 41 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne '

3. Par un arrêt du 9 mars 2017 (aff. C-141/15), la CJUE a dit pour droit que : 1°) L'examen de la troisième question n'a révélé aucun élément de nature à affecter la validité des plafonds de teneur en eau de la viande de poulet congelée définis à l'article 15, paragraphe 1, et aux annexes VI et VII du règlement (CE) n° 543/2008 de la Commission, du 16 juin 2008, portant modalités d'application du règlement (CE) n° 1234/2007 du Conseil en ce qui concerne les normes de commercialisation pour la viande de volaille, tel que modifié par le règlement d'exécution (UE) n° 1239/2012 de la Commission, du 19 décembre 2012 ; 2°) L'article 28, paragraphe 1, du règlement (CE) n° 612/2009 de la Commission du 7 juillet 2009 portant modalités communes d'application du régime des restitutions à l'exportation pour les produits agricoles, tel que modifié par le règlement (UE) n° 173/2011 de la Commission du 23 février 2011, doit être interprété en ce sens que les poulets congelés ou surgelés dont la teneur en eau dépasse les limites fixées par le règlement n° 543/2008, tel que modifié par le règlement d'exécution n° 1239/2012, ne sont pas commercialisables dans des conditions normales sur le territoire de l'Union européenne et ne satisfont pas à l'exigence de qualité saine, loyale et marchande, même s'ils sont accompagnés d'un certificat de salubrité délivré par l'autorité compétente ; 3°) Les annexes VI et VII du règlement n° 543/2008, tel que modifié par le règlement d'exécution n° 1239/2012, étant suffisamment précises pour réaliser les contrôles des poulets congelés et surgelés destinés à être exportés avec restitution à l'exportation, la circonstance qu'un État membre n'ait pas arrêté les modalités pratiques dont l'adoption est prévue à l'article 18, paragraphe 2, de ce règlement ne rend pas ces contrôles inopposables aux entreprises concernées ; 4°) L'exportateur de poulets congelés ou surgelés peut, conformément à l'article 118, paragraphe 2, et à l'article 119, paragraphe 1, deuxième alinéa, du règlement (CE) n° 450/2008 du Parlement européen et du Conseil du 23 avril 2008 établissant le code des douanes communautaire (code des douanes modernisé), d'une part, assister personnellement ou en étant représenté à l'examen de ces marchandises ou au prélèvement d'échantillons et, d'autre part, demander un examen ou un échantillonnage supplémentaire des marchandises s'il estime que les résultats obtenus par les autorités compétentes ne sont pas valables.

4. Par un jugement n° 1303442 du 11 avril 2018 mettant fin au litige, le tribunal administratif de Rennes a rejeté le recours formé dans les conditions rappelées au point 1. La SCP Abitbol et Rousselet et la Selarl AJIRE, agissant en qualité d'administrateurs judiciaires de la société Doux SA, et la SAS David-Goic et la Selarl EP et Associés, agissant en qualité de liquidateurs judiciaires de la même société, relèvent appel de ce jugement.

Sur la régularité du jugement attaqué :

5. En premier lieu, le tribunal administratif, qui n'est pas tenu de répondre à tous les arguments développés par les parties devant lui, a examiné la légalité de la décision du 22 juillet 2013 au regard de l'ensemble des moyens soulevés et, notamment, de celui tiré de ce que cette décision ferait peser sur la société Doux la charge d'une preuve impossible dès lors qu'elle est dans l'incapacité d'établir la conformité aux valeurs limites de teneur en eau des poulets déjà exportés. Il ressort en particulier de l'examen du jugement attaqué que les premiers juges ont estimé, contrairement à ce que soutenaient les requérantes, qu'il appartenait à la société Doux qui, en présentant une demande de restitution devait être regardée comme ayant assuré que l'exigence de " qualité saine, loyale et marchande " de ses produits posée par le règlement n° 612/2009 était remplie, de le démontrer selon les règles de preuve du droit national, la circonstance que l'administration n'aurait pendant plusieurs années pas réalisé de contrôles étant sans incidence à cet égard. Par suite, le moyen tiré de ce que le jugement attaqué serait entaché d'une omission de réponse à un moyen doit être écarté.

6. En deuxième lieu, contrairement à ce que soutiennent les requérantes, les premiers juges se sont bien prononcés, au point 3 du jugement attaqué, sur le moyen tiré du caractère inadapté des plafonds de teneur en eau fixés par le règlement (CE) n° 543/2008 et non révisés depuis et, au point 5, sur l'absence de définition, dans le même règlement, des modalités de révision des normes relatives à la teneur en eau des poulets. Le jugement attaqué n'est donc pas irrégulier sur ce point.

7. En troisième et dernier lieu, contrairement à ce que soutiennent les requérantes, le tribunal administratif de Rennes a écarté avec une motivation suffisante le moyen tiré de de ce que l'irrégularité des contrôles effectués antérieurement à la décision contestée aurait dû entraîner son annulation par voie de conséquence.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

En ce qui concerne le refus de libérer les garanties :

8. En premier lieu, aux termes du paragraphe 1 de l'article 31 du règlement (CE)

n° 612/2009 : " Sur demande de l'exportateur, les États membres avancent tout ou partie du montant de la restitution, dès l'acceptation de la déclaration d'exportation, à condition que soit constituée une garantie dont le montant est égal au montant de cette avance, majoré de

10 % (...) ". Aux termes de l'article 46 de ce règlement : " 1. La restitution n'est payée que, sur demande spécifique de l'exportateur, par l'État membre dans le territoire duquel la déclaration d'exportation a été acceptée. / (...) 2. Le dossier pour le paiement de la restitution ou la libération de la garantie doit être déposé, sauf cas de force majeure, dans les douze mois suivant la date d'acceptation de la déclaration d'exportation. (...) / 8. Le paiement visé au paragraphe 1 est effectué par les autorités compétentes dans un délai de trois mois à compter du jour où celles-ci disposent de tous les éléments permettant le règlement du dossier, sauf dans les cas suivants: / (...) b) si une enquête administrative particulière a été ouverte concernant le droit à la restitution. Dans ce cas, le paiement n'intervient qu'après reconnaissance du droit à la restitution (...) ".

9. Si les requérantes entendent contester le principe du blocage de la libération des garanties constituées en contrepartie du versement par avance des droits à restitution, il résulte toutefois de la combinaison des dispositions précitées que de telles garanties ont précisément pour objet d'éviter que les restitutions versées par avance ne puissent pas être récupérées par l'autorité publique dans l'hypothèse où les conditions du droit à restitution n'auraient en définitive pas été respectées, de sorte que la libération des garanties comme le paiement des restitutions peuvent être bloqués dans l'attente de la réalisation d'une enquête administrative destinée à établir la réalité du droit à restitution revendiqué.

10. En second lieu, aux termes du paragraphe 1 de l'article 4 du règlement (CE) n° 612/2009 portant modalités communes d'application du régime des restitutions à l'exportation pour les produits agricoles : " Le droit à la restitution est subordonné à la présentation d'un certificat d'exportation comportant fixation à l'avance de la restitution, sauf en ce qui concerne les exportations de marchandises ". Par ailleurs, aux termes du paragraphe 2 de l'article 7 du règlement (CE) n° 376/2008 portant modalités communes d'application du régime des certificats d'importation, d'exportation et de préfixation pour les produits agricoles, alors en vigueur : " Le certificat d'exportation comportant fixation à l'avance de la restitution oblige à exporter au titre de ce certificat, et, sauf cas de force majeure, pendant la durée de sa validité, la quantité spécifiée des produits en cause. / Si l'exportation des produits est soumise à la présentation d'un certificat d'exportation, le certificat d'exportation comportant fixation à l'avance de la restitution détermine le droit d'exporter et le droit à la restitution. (...) ".

11. Les requérantes soutiennent que la décision contestée est également illégale en tant qu'elle suspend la libération des garanties constituées en contrepartie de la délivrance des certificats de préfixation, alors que ces garanties seraient sans lien avec la reconnaissance du droit à restitution. Toutefois, il résulte des dispositions précitées du paragraphe 2 de l'article 7 du règlement (CE) n° 376/2008 que l'obligation résultant du certificat de préfixation, dont le respect conditionne la libération de la garantie afférente, s'entend de l'exportation effective des produits spécifiés par ce certificat, et que cette obligation concerne tant la quantité des produits exportés que leur conformité aux normes européennes. Dès lors, si une enquête administrative telle que celle évoquée au b) du paragraphe 1 de l'article 46 du règlement 612/2009 est diligentée, en vue précisément de vérifier que les produits exportés correspondent, notamment s'agissant de leur qualité, à ceux pour lesquels le certificat de préfixation a été délivré, la libération de la garantie constituée en contrepartie du certificat de préfixation peut être suspendue tant que le droit d'exporter, tout comme celui de bénéficier d'une restitution, demeure incertain. Par suite, c'est sans commettre d'erreur de droit que FranceAgriMer a suspendu la libération des garanties afférentes aux certificats de préfixation relatifs aux exportations au titre desquelles avait été diligentée une enquête administrative.

En ce qui concerne le non-respect du plafond de teneur en eau :

12. En premier lieu, les requérantes soutiennent que FranceAgriMer a fait une inexacte appréciation des pièces produites par la société Doux, lesquelles étaient suffisantes pour établir que les carcasses de poulets exportées respectaient les normes obligatoires en vigueur dans les pays de destination. Elles font valoir en particulier que ne saurait être exigée à ce titre la production de résultats de contrôles physiques réalisés sur les produits avant leur exportation, et que l'ajout d'une telle condition, qui n'est pas prévue par le 4ème alinéa du paragraphe 1 de l'article 28 du règlement (CE) n° 612/2009, revient à imposer à l'entreprise d'apporter, en matière de teneur en eau, une preuve impossible. Elles font également valoir que l'absence de réglementation relative à la teneur en eau dans le pays de destination suffit à démontrer que la réglementation de cet Etat déroge à celle en vigueur au sein de l'Union européenne.

13. D'une part, aux termes du paragraphe 1 de l'article 28 du règlement (CE)

n° 612/2009 : " Aucune restitution n'est octroyée lorsque les produits ne sont pas de qualité saine, loyale et marchande le jour d'acceptation de la déclaration d'exportation. / Les produits satisfont à l'exigence du premier alinéa lorsqu'ils peuvent être commercialisés sur le territoire de la Communauté dans des conditions normales et sous la désignation apparaissant sur la demande d'octroi de la restitution et que, lorsque ces produits sont destinés à la consommation humaine, leur utilisation à cette fin n'est pas exclue ou considérablement diminuée en raison de leurs caractéristiques ou de leur état. / La conformité des produits aux exigences visées au premier alinéa doit être examinée conformément aux normes ou aux usages en vigueur au sein de la Communauté. / Toutefois, la restitution est également octroyée lorsque, dans le pays de destination, les produits exportés sont soumis à des conditions particulières obligatoires, notamment sanitaires ou hygiéniques, qui ne correspondent pas aux normes ou aux usages en vigueur au sein de la Communauté. Il appartient à l'exportateur de démontrer, sur demande de l'autorité compétente, que les produits sont conformes auxdites conditions obligatoires dans le pays tiers de destination. (...) ".

14. D'autre part, aux termes du paragraphe 1 de l'article 15 du règlement (CE)

n° 543/2008 portant modalités d'application du règlement (CE) n° 1234/2007 du Conseil en ce qui concerne les normes de commercialisation pour la viande de volaille : " Sans préjudice des dispositions de l'article 16, paragraphe 5, et de l'article 17, paragraphe 3, les poulets congelés et surgelés, lorsqu'ils sont l'objet d'un commerce ou d'une profession ne peuvent être commercialisés à l'intérieur de la Communauté que si la teneur en eau ne dépasse pas les valeurs techniques inévitables constatées selon la méthode d'analyse décrite à l'annexe VI (test d'égouttage) ou celle de l'annexe VII (test chimique) ". Par ailleurs, aux termes de l'article 16 du même règlement : " 1. L'absorption d'eau doit être vérifiée régulièrement, conformément aux indications figurant à l'annexe IX, ou conformément aux indications figurant à l'annexe VI dans les abattoirs, au moins une fois par période de travail de huit heures. (...) / 2. Dans tous les cas visés au paragraphe 1, deuxième alinéa, et, en tout cas, au moins une fois tous les deux mois, les vérifications de la teneur en eau des poulets congelés et surgelés visée à l'article 15, paragraphe 1, sont effectuées par sondage, pour chaque abattoir, conformément aux indications figurant aux annexes VI ou VII, au choix des autorités compétentes de l'État membre. Ces contrôles ne doivent pas être effectués en ce qui concerne les carcasses pour lesquelles la preuve est apportée, à la satisfaction de l'autorité compétente, qu'elles sont destinées exclusivement à l'exportation (...) ".

15. Par l'arrêt C-141/15 du 9 mars 2017 rappelé au point 3, la CJUE a dit pour droit que l'exigence de qualité " saine, loyale et marchande " posée par l'alinéa 1er du règlement (CE) n° 612/2009 doit être interprétée en ce sens que les poulets congelés dont la teneur en eau dépasse les limites fixées par le règlement (CE) n° 543/2008 ne satisfont pas à cette exigence et ne sont donc pas commercialisables dans des conditions normales sur le territoire de l'Union européenne.

16. Il résulte de la combinaison des dispositions précitées du paragraphe 1 de l'article 28 du règlement (CE) n° 612/2009 et du paragraphe 1 de l'article 15 du règlement (CE)

n° 543/2008, telles qu'interprétées par la CJUE, que la dérogation prévue au 4ème alinéa du paragraphe 1 de l'article 28 du règlement (CE) n° 612/2009 ne permet à un exportateur de déroger à la condition de qualité saine, loyale et marchande à laquelle le 1er alinéa du même paragraphe 1 subordonne le bénéfice de restitutions à l'exportation que lorsque, dans le pays de destination, des conditions particulières obligatoires, notamment sanitaires, ne correspondant pas aux normes ou aux usages en vigueur au sein de l'Union européenne, sont de nature à faire obstacle à l'exportation de produits qui respecteraient la condition européenne de qualité saine, loyale et marchande qui, s'agissant de poulets congelés, suppose que soient respectées les valeurs limites de teneur en eau définies au paragraphe 1 de l'article 15 du règlement (CE) n° 543/2008.

17. Par suite, il appartenait à la société Doux, si elle entendait démontrer que les exportations litigieuses entraient dans le champ de la dérogation prévue au 4ème alinéa du paragraphe 1 de l'article 28 du règlement (CE) n° 612/2009 et pouvaient en conséquence bénéficier du droit à restitution, d'apporter la preuve que la réglementation en vigueur dans les pays importateurs de ses produits comportait des conditions particulières obligatoires, notamment sanitaires, faisant obstacle au respect des normes de teneur en eau auxquelles le droit de l'Union européenne subordonne le bénéfice des restitutions à l'exportation. En se bornant à produire des attestations rédigées en termes généraux selon lesquelles les poulets litigieux ont été estimés de qualité suffisante en Arabie saoudite et en Russie, les requérantes n'apportent pas la preuve, qui leur incombe, que la société Doux se trouvait contrainte de ne pas respecter le plafond européen de teneur en eau de ses poulets pour être en mesure d'exporter ses produits dans les pays concernés. La circonstance invoquée que la réglementation des pays à destination desquels la société Doux exportait des poulets congelés ne comporte pas d'exigences particulières en matière de teneur en eau contribue d'ailleurs à établir qu'il n'existait pas d'obstacle au respect par la société de la condition de qualité saine, loyale et marchande au sens européen du terme.

18. Enfin, la circonstance que les dispositions précitées du paragraphe 2 de l'article 16 du règlement (CE) n° 543/2008 précisent que les autorités nationales ne procèdent au contrôle dans l'entreprise du respect des règles relatives, notamment, à la teneur en eau, que s'agissant des seuls poulets destinés au marché européen, n'a ni pour objet ni pour effet de dispenser l'entreprise elle-même de se ménager, par ses propres contrôles et dès lors qu'elle entend bénéficier du régime des restitutions, les moyens de prouver que les produits qu'elle destine à l'exportation vers des pays tiers respectent également les normes européennes.

19. Il suit de là que c'est sans entacher sa décision d'erreur de droit ni d'erreur d'appréciation et sans exiger l'administration d'une preuve impossible à rapporter que FranceAgriMer a estimé que la société Doux n'établissait la conformité de ses produits ni aux normes ou aux usages en vigueur au sein de l'Union européenne ni, à défaut, à des conditions particulières obligatoires et dérogatoires dans les pays d'exportation au sens du 4ème alinéa du paragraphe 1 de l'article 28 du règlement (CE) n° 612/2009.

20. En second lieu, aux termes de l'article 46 du règlement (CE) n° 612/2009 : " 1. La restitution n'est payée que, sur demande spécifique de l'exportateur, par l'État membre dans le territoire duquel la déclaration d'exportation a été acceptée. / (...) 8. Le paiement visé au paragraphe 1 est effectué par les autorités compétentes dans un délai de trois mois à compter du jour où celles-ci disposent de tous les éléments permettant le règlement du dossier, sauf dans les cas suivants: / (...) b) si une enquête administrative particulière a été ouverte concernant le droit à la restitution. Dans ce cas, le paiement n'intervient qu'après reconnaissance du droit à la restitution ; (...) ".

21. Les requérantes soutiennent que les irrégularités entachant les contrôles physiques réalisés sur les exportations faisant l'objet des titres de recettes contestés par la société Doux dans le cadre d'autres litiges auraient dû conduire à l'annulation, par voie de conséquence, de la décision du 22 juillet 2013. Il résulte toutefois de l'instruction que le blocage de la libération des garanties constituées pour bénéficier d'avances sur restitutions auquel FranceAgriMer a procédé par le biais de la décision contestée ne trouve pas son origine dans ces contrôles mais dans l'ouverture, par la même décision, d'une enquête administrative visant à obtenir de la société Doux, sur le fondement des dispositions précitées du paragraphe 8 de l'article 46 du règlement (CE) n° 612/2009, qu'elle établisse la " qualité saine, loyale et marchande " des produits exportés et l'existence d'un droit à restitution au titre des exportations pour lesquelles des demandes de libération de garanties ont été adressées à l'établissement à compter du 22 avril 2013. Par suite, le moyen tiré de l'irrégularité des contrôles physiques opérés sur les lots afférents à des déclarations d'exportation antérieures ne peut qu'être écarté.

En ce qui concerne le principe de confiance légitime :

22. Le principe de confiance légitime, qui fait partie des principes généraux du droit de l'Union européenne, peut être invoqué par tout opérateur économique de bonne foi auprès duquel une autorité nationale a fait naître, à l'occasion de la mise en oeuvre du droit de l'Union européenne, des espérances fondées, y compris, sous réserve que cela ne porte pas une atteinte excessive à un intérêt public ou au principe de légalité, dans le cas où elle l'a fait bénéficier d'un avantage indu mais que l'opérateur pouvait néanmoins, eu égard à la nature de cet avantage, aux conditions dans lesquelles il a été attribué et au comportement de l'administration postérieurement à cette attribution, légitimement regarder comme lui étant définitivement acquis. Toutefois, lorsqu'un opérateur économique prudent et avisé est en mesure de prévoir l'adoption d'une mesure de nature à affecter ses intérêts, il ne peut invoquer le bénéfice d'un tel principe lorsque cette mesure est finalement adoptée.

23. Les requérantes soutiennent que le principe de confiance légitime a été méconnu dans la mesure où la société Doux pouvait légitimement estimer que les restitutions lui étaient acquises, dès lors qu'elle n'était pas en mesure de savoir dès le 26 octobre 2010 que la teneur en eau des poulets congelés déterminait le droit de percevoir des restitutions à l'exportation, ce qu'elle n'a appris qu'à l'occasion du prononcé de l'arrêt de la CJUE du 9 mars 2017. Elles se prévalent à ce titre du versement pendant plusieurs dizaines d'années des restitutions à l'exportation sans aucun contrôle de la teneur en eau, alors pourtant qu'il incombe aux autorités compétentes de réaliser des contrôles des produits exportés lorsqu'elles nourrissent des doutes sur leur qualité saine, loyale et marchande. Elles invoquent également le fait que, en dépit du changement de pratique inopiné des services des douanes qui ont commencé à contrôler, sans mesure transitoire, la teneur en eau des volailles, l'interprétation des dispositions des règlement (CE) n° 543/2008 et (CE) n° 612/2009 n'était pas claire, comme en témoignent la procédure préjudicielle devant la CJUE et la circonstance que l'Etat français a adopté dans ce cadre la même position que la société Doux s'agissant de la notion de qualité saine, loyale et marchande des poulets congelés destinés à l'exportation.

24. Dans son arrêt précité C-141/15 du 9 mars 2017, la CJUE a toutefois jugé que dans la mesure où l'exportateur, en introduisant une demande de restitution, doit être regardé comme assurant l'existence d'une " qualité saine, loyale et marchande ", il incombe à celui-ci de démontrer selon les règles de preuve du droit national que cette condition est bien remplie au cas où la déclaration serait mise en doute par les autorités nationales. Il résulte par ailleurs des dispositions précitées du paragraphe 2 de l'article 16 du règlement (CE) n° 543/2008 que les autorités nationales ne sont pas tenues de procéder à des contrôles systématiques du respect de la teneur en eau des volailles destinées à l'exportation, de sorte que la société Doux, qui ne s'était pas mise elle-même en mesure de vérifier que les produits qu'elle destinait à l'exportation respectaient les normes européennes en la matière, ne pouvait tirer de la seule absence de contrôles la conclusion que ses produits remplissaient la condition de qualité saine, loyale et marchande à laquelle est subordonné le droit à restitution. Par suite, et alors que les requérantes n'établissent pas ni même n'allèguent que l'administration aurait laissé entendre à la société Doux que le bénéfice de restitutions à l'exportation était acquis en dépit du non-respect des valeurs-limites de teneur en eau des produits que cette dernière destinait à l'exportation, elles ne sont pas fondées à soutenir que l'administration aurait, par son comportement, fait naître à l'occasion de la mise en oeuvre du droit de l'Union européenne des espérances fondées quant à l'existence d'un droit à restitution. Par suite, la décision contestée n'a pas méconnu le principe de confiance légitime.

25. Il résulte de ce qui précède que les requérantes ne sont pas fondées à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a rejeté leur demande.

Sur les frais de l'instance :

26. Dans les circonstances de l'espèce, il ne paraît pas inéquitable de laisser à la charge de chacune des parties les frais exposés par elle et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de la SCP Abitbol et Rousselet, de la Selarl AJIRE, de la

SAS David-Goic et de la Selarl EP et Associés est rejetée.

Article 2 : Les conclusions présentées par FranceAgriMer au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la SCP Abitbol et Rousselet, à la Selarl AJIRE, à la SAS David-Goic, à la Selarl EP et Associés et à l'Etablissement national des produits de l'agriculture et de la mer.

Délibéré après l'audience du 2 juillet 2020, à laquelle siégeaient :

- Mme Perrot, président de chambre,

- Mme E..., présidente-assesseure,

- Mme D..., premier conseiller.

Lu en audience publique, le 17 juillet 2020.

Le rapporteur

M. D...Le président

I. Perrot Le greffier

R. Mageau

La République mande et ordonne au ministre de l'agriculture et de l'alimentation en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N°18NT02012


Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Références :

Publications
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Composition du Tribunal
Président : Mme PERROT
Rapporteur ?: Mme Muriel LE BARBIER
Rapporteur public ?: M. GAUTHIER
Avocat(s) : VOGEL et VOGEL

Origine de la décision
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 3ème chambre
Date de la décision : 17/07/2020
Date de l'import : 28/07/2020

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 18NT02012
Numéro NOR : CETATEXT000042133224 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2020-07-17;18nt02012 ?
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