Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Le ministre de l'intérieur a demandé au tribunal administratif de Nantes, en premier lieu, de condamner solidairement la société Quille Construction, aux droits de laquelle vient la société Bouygues Bâtiment Grand Ouest et la société Dekra Industrial, à lui verser la somme de 54 393, 75 euros TTC avec intérêts et capitalisation des intérêts, en second lieu, de condamner solidairement les sociétés Jousselin Construction et Dekra Industrial à lui verser la somme de 819 702, 50 euros TTC avec intérêts et capitalisation des intérêts, en troisième lieu, de condamner la société Quille Construction, aux droits de laquelle vient la société Bouygues Bâtiment Grand Ouest, à lui verser la somme de 17 250 euros TTC avec intérêts et capitalisation des intérêts, et en dernier lieu de mettre à la charge solidaire des trois sociétés la somme de 27 535, 58 euros au titre des frais d'expertise, avec intérêts et capitalisation.
Par un jugement n° 1508725 du 20 juin 2018, le tribunal administratif de Nantes a, en premier lieu, admis l'intervention de la société Jousselin Préfabrication, en deuxième lieu, condamné solidairement les sociétés Bouygues Bâtiment Grand Ouest et Dekra Industrial à verser à l'Etat la somme de 45 670, 89 euros avec intérêts à compter du 20 octobre 2015 et capitalisation des intérêts à compter du 20 octobre 2016 et à chaque échéance annuelle, en troisième lieu, condamné solidairement les sociétés Jousselin Construction, Dekra Industrial et le groupement de maîtrise d'oeuvre, composé des société Atelier d'Architecture O. Arene - C. Edeikins et société Mizrahi, à verser à l'Etat la somme de 813 582, 51 euros, avec intérêts à compter du 20 octobre 2015 et capitalisation des intérêts à compter du 20 octobre 2016 et à chaque échéance annuelle, en quatrième lieu, condamné la société Bouygues Bâtiment Grand Ouest à garantir la société Dekra Industrial à hauteur de 90 % de la condamnation prononcée par l'article 2 du jugement, en cinquième lieu, condamné la société Dekra Industrial à garantir la société Bouygues Bâtiment Grand Ouest à hauteur de 10 % de la condamnation prononcée à l'article 2, en sixième lieu, condamné la société Jousselin Construction et le groupement de maîtrise d'oeuvre à garantir la société Dekra Industrial à hauteur respectivement de 70 % et de 25 % de la condamnation prononcée à l'article 3, en septième lieu, condamné la société Dekra Industrial et le groupement de maîtrise d'oeuvre à garantir la société Jousselin Construction à hauteur respectivement de 5 % et 25 % de la condamnation prononcée à l'article 3, en huitième lieu, condamné les sociétés Jousselin Construction et Dekra Industriel à garantir le groupement de maîtrise d'oeuvre à hauteur respectivement de 70 % et 5% de la condamnation prononcée à l'article 3, et en dernier lieu, mis à la charge solidaire de la société Bouygues Bâtiment Grand Ouest, de la société Jousselin Construction, de la société Dekra Industrial et du groupement de maîtrise d'oeuvre la somme de 33 655, 58 euros au titre des frais d'expertise.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 31 juillet 2018 et le 15 avril 2019, la société Atelier d'Architecture O. Arene - C. Edeikins et la société BET Mizrahi, représentées par la SELARL Claire Livory Avocat, demandent à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1508725 du tribunal administratif de Nantes du 20 juin 2018 en tant :
- qu'il les a condamnées à l'article 3 au titre des désordres affectant les tablettes,
- qu'il les a condamnées aux articles 6 et 7 à garantir d'une part, la société Dekra Industrial et d'autre part, la société Jousselin Construction ;
- qu'il n'a pas condamné la société Dekra Industrial et la société Jousselin Construction à les garantir en totalité dans son article 8 ;
- qu'il les a condamnées à l'article 9 au paiement des frais d'expertise judiciaire ;
2°) statuant à nouveau, à titre principal, de rejeter les conclusions de la société Dekra Industrial, de la société Jousselin Construction ou de toute autre partie à leur encontre ;
3°) à titre subsidiaire, de condamner solidairement la société Dekra Industrial, la société Jousselin Construction, la société Bouygues Bâtiment Grand Ouest à les garantir en totalité de toutes condamnations prononcées à leur encontre ;
4°) de mettre à la charge de toute partie perdante la somme de deux mille euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elles soutiennent que :
- le tribunal administratif de Nantes a statué ultra petita ; la demande du ministre de l'intérieur en première instance était uniquement dirigée contre la société Dekra Industrial, la société Quillet et la société Jousselin Construction, sur le fondement de la responsabilité décennale ; seule la société Dekra Industrial et la société Jousselin Construction ont ultérieurement dirigé des conclusions en garantie contre elles ; en ne se bornant pas à statuer sur la demande en garantie mais en les condamnant à titre principal aux côtés des autres intervenants au profit de l'Etat, le tribunal administratif de Nantes a statué ultra petita ; la société Dekra Industrial ne pouvait demander une condamnation solidaire des constructeurs puisque l'Etat, maître d'ouvrage, ne la demandait pas à son encontre ;
- les demandes de condamnation présentées par la société Dekra Industrial et la société Jousselin Construction, fondées sur les articles 1792 et suivants du code civil, et L. 111-23 et suivants du code de la construction et de l'habitation, étaient mal fondées ; elles ne pouvaient fonder leurs demandes sur la responsabilité décennale de la maitrise d'oeuvre, n'ayant aucun lien contractuel avec elle ; la société Jousselin Construction n'avait même donné aucun fondement juridique à ses demandes ; les demandes de garantie ne pouvaient être fondées que sur la responsabilité quasi-délictuelle en l'absence de tout lien contractuel avec la maitrise d'oeuvre ; ni la société Dekra Industrial ni la société Jousselin Construction n'ont établi une faute de leur part ;
- eu égard aux missions qui leur étaient confiées, elles n'ont commis aucune faute et c'est à tort que le tribunal administratif a retenu leur responsabilité ; l'expert n'a à aucun moment retenu leur responsabilité, notamment pour le désordre lié aux tablettes en ductal(r) :
o elles n'avaient une mission EXE que partielle et n'avaient notamment pas pour mission les études d'exécution du lot " gros oeuvre " dont les tablettes en ductal font partie, alors que l'origine du désordre réside dans un problème d'étude d'exécution et de la conséquence de l'éclatement de la tête de poteau ;
o elles n'avaient à l'égard des tablettes en ductal(r) qu'une simple mission de visa, se limitant à la détection des anomalies normalement décelables par l'homme de l'art, sans contrôle ni vérification intégrale des documents établis par les entreprises ;
o elle n'a pu commettre de faute dans l'exécution de sa mission DET puisque les anomalies ne correspondent pas à un problème de mise en oeuvre, mais exclusivement un problème d'étude d'exécution ;
- à titre subsidiaire, elles doivent être garanties solidairement et intégralement par la société Dekra Industrial et la société Jousselin Construction sur le fondement de la responsabilité quasi-délictuelle résultant des dispositions de l'article 1240 du code civil ; elles doivent également être garanties par la société Bouygues Bâtiment Grand Ouest au titre des condamnations pouvant être prononcées à leur encontre au titre des frais d'expertise et des désordres affectant les tablettes :
o la société Dekra Industrial a commis des manquements en ne contrôlant pas suffisamment les plans et les travaux s'agissant du désordre affectant les poteaux ; s'agissant des tablettes, elle a insuffisamment contrôlé les notes de calculs et détails et l'exécution ;
o la société Jousselin Construction est à l'origine d'une insuffisance de prise en compte de la souplesse des câbles, de garantie de la tension et de la raideur de ceux-ci, de l'insuffisance de garantie de résistance des tablettes, du défaut de dépure des fixations hautes et d'un défaut de résultat ;
o la société Bouygues Bâtiment Grand Ouest est responsable pour les têtes de poteaux, facteur aggravant pour la fissuration des tablettes.
Par un mémoire en défense, enregistré le 2 janvier 2019, le ministre de l'intérieur, demande à la cour de rejeter la requête des sociétés Atelier d'Architecture O. Arene - C. Edeikins et BET Mizrahi et de corriger le jugement n° 1508725 du tribunal administratif de Nantes du 20 juin 2018 de son erreur matérielle.
Il soutient que :
- le litige ne concerne qu'un seul des désordres, le désordre affectant les tablettes en ductal(r) ;
- le tribunal administratif s'est bien prononcé uniquement sur les appels en garantie mais il existe une erreur matérielle entre les motifs du jugement et le dispositif ; il ne demandera l'indemnisation des désordres portant sur les tablettes en ductal(r) qu'à la société Jousselin Construction ou la société Dekra Industrial ;
- les conditions de l'engagement de la responsabilité décennale des constructeurs étaient bien remplies.
Par un mémoire en défense, enregistré le 4 janvier 2019, la société Bouygues Bâtiment Grand Ouest, représentée par Me B..., demande à la cour :
1°) de lui donner acte qu'elle s'en remet à la sagesse de la cour quant à l'annulation de l'article 3 du dispositif du jugement n° 1508725 du tribunal administratif de Nantes du 20 juin 2018 et de confirmer le jugement pour le surplus ;
2°) de rejeter les conclusions de la société Atelier d'Architecture O. Arene - C. Edeikins et de la société Mizrahi dirigées à son encontre ;
3°) de mettre à la charge solidaire de la société Atelier d'Architecture O. Arene - C. Edeikins et de la société Mizrahi la somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- elle s'en remet à la sagesse de la Cour quant à la demande d'annulation partielle présentée par la société Atelier d'Architecture O. Arene - C. Edeikins et la société Mizrahi ;
- les conclusions subsidiaires de condamnation solidaire présentées à son encontre doivent être rejetées dès lors que l'expert n'a aucunement retenu que les désordres relatifs aux têtes de poteaux, pour lesquels sa responsabilité a été engagée, auraient participé au phénomène de fissuration des tablettes ; c'est à bon droit que le tribunal administratif de Nantes a écarté sa responsabilité pour le désordre affectant les tablettes.
Par des mémoires en défense, enregistrés le 8 février 2019 et le 18 avril 2019, la société Dekra Industrial, représentée par la SCP Sanguinede di Frenna et Associés, demande à la cour :
1°) de rejeter la requête de la société Atelier d'Architecture O. Arene - C. Edeikins et de la société Mizrahi et de la mettre hors de cause ;
2°) de mettre à la charge de la société Atelier d'Architecture O. Arene - C. Edeikins et de la société Mizrahi la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le tribunal administratif de Nantes n'a pas statué ultra petita puisque tant elle-même que la société Jousselin Construction présentaient des demandes à fin de condamnation du groupement de maitrise d'oeuvre ; la portée utile de leur actions en garantie consistait bien à voir le groupement de maîtrise d'oeuvre condamné in solidum à leurs côtés pour être intégralement garanties par lui ; en tant que défenderesse initiale devant le tribunal administratif de Nantes, elle pouvait attraire à l'instance le groupement de maitrise d'oeuvre pour la constituer comme défenderesse supplémentaire et obtenir contre elle une condamnation ;
- ses demandes contre le groupement de maîtrise d'oeuvre étaient bien fondées sur la responsabilité quasi-délictuelle, les constructeurs n'étant pas contractuellement liés entre eux ;
- sa responsabilité dans l'intervention du dommage ne peut être que minime, la responsabilité incombant en grande partie au groupement de maîtrise d'oeuvre :
o en application des articles L. 111-23 et L. 111-24 du code de la construction et de l'habitation, la responsabilité du contrôleur technique s'inscrit dans la stricte limite de sa mission contractuelle ; en outre, en application de l'article L. 111-25 du code, l'activité de contrôle technique est incompatible avec l'exercice de toute activité de conception, d'exécution ou d'expertise d'un ouvrage ; le contrôleur technique ne saurait donc être assimilé à un maître d'oeuvre ;
o elle a à plusieurs reprises recommandé que la pose des tablettes en béton soit réalisée dans le respect des recommandations contenues dans l'avis technique d'expérimentation (ATEX) ; il ne lui appartenait pas de vérifier que ses avis sont suivis d'effets par les constructeurs ;
o c'est à juste titre que le tribunal administratif de Nantes n'a pas suivi l'expert et a imputé une part de la responsabilité à la maitrise d'oeuvre ; le procédé constructif retenu, qui imposait la nécessité de resserrer régulièrement le système de câblage de la façade de l'hôtel de police, résultait d'un choix délibéré de la maitrise d'oeuvre ; le groupement de maitrise d'oeuvre n'a pas non plus pris les mesures nécessaires, au stade notamment de l'exécution pour satisfaire aux recommandations de l'ATEX ; contrairement à ce que soutient le groupement de maîtrise d'oeuvre, les tablettes ne faisaient pas partie du lot n° 2, pour lequel il n'avait eu qu'une mission EXE partielle, mais d'un lot spécifique ;
- elle demande donc la confirmation du jugement du tribunal administratif de Nantes et à être garantie de toute condamnation au-delà de 5 % ; en application de l'article L. 111-24 du code de la construction et de l'habitation, elle ne sera tenue que de supporter la part de responsabilité imputée.
Par un mémoire en défense, enregistré le 28 novembre 2019, la SAS Jousselin Construction, représentée par Me A..., demande à la cour :
1°) de rejeter la requête de la société Atelier d'Architecture O. Arene - C. Edeikins et de la société Mizrahi ;
2°) de rejeter l'appel provoqué de la société Dekra Industrial ;
3°) de confirmer le jugement n° 1508725 du tribunal administratif de Nantes du 20 juin 2018 ;
4°) de condamner la société Dekra Industrial et le groupement de maîtrise d'oeuvre composé de la société Atelier d'Architecture O. Arene - C. Edeikins et de la société Mizrahi à la garantir respectivement à hauteur de 10 % et 20 % des condamnations prononcées à son encontre au titre des désordres affectant les tablettes habillant les façades de l'hôtel de police de Nantes ;
5°) de mettre à la charge solidaire de la société Dekra Industrial, de la société Atelier d'Architecture O. Arene - C. Edeikins et de la société Mizrahi la somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- elle s'en remet à l'appréciation de la Cour concernant l'existence ou non d'un ultra petita ;
- le jugement doit néanmoins être confirmé en ce qu'il a accueilli son appel en garantie, sur un fondement quasi-délictuel ;
o la responsabilité du groupement de maîtrise d'oeuvre, à qui il appartenait de détecter les anomalies, doit être retenue à hauteur de 20 % ; la maîtrise d'oeuvre était bien investie d'une mission EXE relative aux études d'exécution des tablettes qui étaient exclues du lot " gros oeuvre " ; il lui revenait en outre de délivrer son visa sur les documents produits et il avait une mission de suivi de l'exécution des travaux dans le cadre de laquelle auraient dû être décelées les anomalies ; le maître d'oeuvre devait être d'autant plus vigilant qu'il s'agissait d'un procédé innovant bénéficiant d'une ATEX émise avec une appréciation réservée et au regard de recommandations précises ;
o la responsabilité du contrôleur technique qui n'a pas su détecter le défaut d'épure des fixations hautes et le paramètre géométrique de l'inclinaison des câbles à l'origine de la fissuration du rang supérieur de tablettes, doit être retenue à hauteur de 10 % ; dès lors que l'appel principal doit être rejeté, l'appel provoqué de la société Dekra Industrial doit être rejeté ; en tout état de cause, l'appel de la société Dekra Industrial est mal fondé ; il y a un lien d'imputabilité entre les désordres affectant les tablettes et l'objet de la mission du contrôleur technique qui avait pour mission de contribuer notamment à la solidité des ouvrages ; sa mission ne se limitait pas à un simple avis en phase de conception puisqu'il résulte du contrat du contrôleur technique que ce dernier avait un rôle sur le chantier en phase de réalisation des travaux, rôle d'autant plus important que les tablettes bénéficiaient d'une ATEX avec avis réservé.
Par une ordonnance du 1er octobre 2019, la clôture de l'instruction a été fixée au 29 novembre 2019.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code civil ;
- le code de la construction et de l'habitation ;
- le code des marchés publics ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme E..., première conseillère,
- les conclusions de M. Besse, rapporteur public,
- et les observations de Me D..., représentant la société Dekra Industrial et de Me C..., représentant la SAS Jousselin Constructions.
Considérant ce qui suit :
1. L'Etat a décidé la construction d'un nouvel hôtel de police à Nantes (Loire-Atlantique), par la construction de deux nouveaux bâtiments, l'un R + 4 et l'autre R + 1, avec deux niveaux de sous-sols et la réhabilitation d'un bâtiment existant. La maîtrise d'oeuvre a été confiée, par un contrat du 26 juin 2001, à un groupement solidaire constitué de la société Atelier d'Architecture O. Arene - C. Edeikins, architectes, et de l'EURL A.S. Mizrahi, cabinet d'ingénieur conseil et économiste. Le contrôle technique a été confié, par un contrat du 23 octobre 2000, à la SA Afitest, relevant de la société Norisko puis la société Dekra Industrial. Le marché public de construction du nouvel hôtel de police de Nantes a été divisé en plusieurs lots, dont le lot n° 2 " Démolitions, Désamiantage, Gros-oeuvre Fondations, VRD " attribué le 24 juillet 2006 à un groupement solidaire constitué par la société GTB Construction, devenue la société Quillet Construction, et la société SEMEN TP, et le lot n° 4 " Tablettes de façade béton BUHP et câblerie " attribué le 7 juillet 2006 à la SAS Jousselin. Les travaux objets du marché ont débuté en novembre 2006. La réception des travaux a été prononcée, avec réserves, le 12 décembre 2008.
2. Confronté le 19 décembre 2011 au détachement d'un bloc de béton de la tête d'un poteau situé en façade du premier bâtiment, le ministre de l'intérieur a saisi, le 27 février 2012, le juge des référés du tribunal administratif de Nantes d'une demande tendant à la désignation d'un expert, demande à laquelle il a été fait droit par une ordonnance du 26 mars 2012. L'expert désigné par le juge des référés a rendu son rapport en novembre 2014. Saisi en octobre 2015 par le ministre de l'intérieur, le tribunal administratif de Nantes, par un jugement n° 1508725 du 20 juin 2018, a, en premier lieu, condamné solidairement la société Bouygues Bâtiment Grand Ouest et la société Dekra Industrial à verser la somme de 45 670, 89 euros à l'Etat au titre des désordres relatifs aux têtes de poteaux, en deuxième lieu, condamné solidairement la société Jousselin Construction, la société Dekra Industrial et le groupement de maitrise d'oeuvre, constitué par la société Atelier d'Architecture O. Arene - C. Edeikins et la société Mizrahi, à verser la somme de 813 582, 51 euros à l'Etat au titre des désordres affectant les tablettes en ductal(r), en troisième lieu condamné la société Bouygues Bâtiment Grand Ouest à garantir la société Dekra Industrial à hauteur de 90 % des condamnations prononcées à l'article 2 du jugement, en quatrième lieu, condamné la société Dekra Industrial à garantir la société Bouygues Bâtiment Grand Ouest à hauteur de 10 % des condamnations prononcées à l'article 2 du jugement, en cinquième lieu, condamné la société Jousselin Construction et le groupement de maîtrise d'oeuvre à garantir la société Dekra Industrial à hauteur respectivement de 70 % et 25 % des condamnations prononcées à l'article 3 du jugement, en sixième lieu, condamné la société Dekra Industrial et le groupement de maîtrise d'oeuvre à garantir la société Jousselin Construction à hauteur respectivement de 5 % et 25 % des condamnations prononcées à l'article 3 du jugement, en septième lieu, condamné la société Jousselin Construction et la société Dekra Industrial à garantir le groupement de maîtrise d'oeuvre à hauteur respectivement de 70 % et 5% des condamnations prononcées à l'article 3 du jugement et en dernier lieu, condamné solidairement la société Bouygues Bâtiment Grand Ouest, la société Jousselin Construction, la société Dekra Industrial et le groupement de maîtrise d'oeuvre à verser à l'Etat la somme de 33 655, 58 euros au titre des frais d'expertise.
3. Le groupement de maitrise d'oeuvre, constitué par la société Atelier d'Architecture O. Arene - C. Edeikins et la société Mizrahi, relèvent appel du jugement du tribunal administratif de Nantes du 20 juin 2018 en tant d'une part, qu'il l'a condamnée solidairement à l'article 3 de son jugement et d'autre part, en tant qu'il l'a condamnée à garantir la société Dekra Industrial et la société Jousselin Construction et n'a pas condamné ces dernières à les garantir en totalité, et enfin qu'il a mis à sa charge les frais de l'expertise solidairement avec les autres sociétés. Par ailleurs, par la voie de l'appel incident, la société Jousselin Construction conteste les articles 6, 7 et 8 du jugement du tribunal administratif de Nantes du 20 juin 2018.
Sur la régularité du jugement attaqué :
4. Il résulte de l'instruction, notamment de la requête présentée le 20 octobre 2015 par le ministre de l'intérieur devant le tribunal administratif de Nantes et de son mémoire en réplique enregistré le 23 novembre 2017 devant ce tribunal, que le ministre de l'intérieur n'avait présenté aucune demande tendant à la condamnation du groupement de maitrise d'oeuvre, constitué par la société Atelier d'Architecture O. Arene - C. Edeikins et la société Mizrahi. La circonstance que de leur côté, la société Dekra Industrial, contrôleur technique, et la société Jousselin Construction, titulaire du lot n° 4, ont présenté devant le tribunal administratif de Nantes des conclusions tendant à être garanties en tout ou partie des condamnations éventuellement prononcées à leur encontre par le groupement de maîtrise d'oeuvre ne saurait en aucun cas constituer des conclusions tendant à la condamnation de ce groupement au bénéfice de l'Etat, seul détenteur en l'espèce de l'action en garantie décennale. Dans ces conditions, la société Atelier d'Architecture O. Arene - C. Edeikins et la société Mizrahi sont fondées à soutenir que c'est à tort que par l'article 3 du jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes les a condamnées, solidairement avec la société Jousselin Construction et la société Dekra Industrial, à verser une somme de 813 582, 51 euros à l'Etat au titre des désordres affectant les tablettes en ductal(r) de l'hôtel de police de Nantes.
5. Il résulte de ce qui précède que les sociétés appelantes sont fondées à demander l'annulation de l'article 3 du jugement du tribunal administratif de Nantes du 20 juin 2018 en tant qu'il les a condamnées, solidairement avec la société Jousselin Construction et la société Dekra Industrial, à verser une somme de 813 582, 51 euros à l'Etat. Par ailleurs, le groupement de maîtrise d'oeuvre ne pouvant, ainsi qu'il a été dit, être condamné solidairement avec les sociétés Jousselin Construction et Dekra Industrial, il ne peut bénéficier de la garantie de celles-ci pour le paiement solidaire de la somme de 813 582,51 euros. Ainsi, l'article 8 du jugement, par lequel le tribunal décide que " les sociétés Jousselin Construction et Dekra Industrial garantiront le groupement de maîtrise d'oeuvre (...) à hauteur respectivement de 70 % et 5 % des condamnations prononcées à l'article 3 du présent jugement à son encontre. ", qui est fondé sur la condamnation dont l'annulation est prononcée par le présent arrêt, doit donc être annulé par voie de conséquence de l'annulation mentionnée ci-dessus de l'article 3 de ce même jugement.
Sur le surplus des conclusions d'appel du groupement de maîtrise d'oeuvre et l'appel incident de la société Jousselin Construction :
6. Le surplus des conclusions d'appel du groupement de maîtrise d'oeuvre et l'appel incident de la société Jousselin Construction visent uniquement à la remise en cause de la répartition des responsabilités retenue par le tribunal administratif de Nantes quant à l'apparition des désordres affectant les tablettes en ductal(r) sur la façade de l'hôtel de police de Nantes et des appels en garantie présentés par la société Dekra Industrial et la société Jousselin Construction, qui, ainsi qu'il a été dit ci-dessus au point 5 du présent arrêt, doivent être seuls condamnés solidairement à indemniser l'Etat à hauteur de 813 582, 51 euros avec intérêts au taux légal à compter du 20 octobre 2015 et capitalisation de ces intérêts à compter du 20 octobre 2016 et à chaque échéance annuelle. Il résulte, en outre, de l'instruction que les conclusions à fin de garantie, dirigées notamment contre le groupement de maîtrise d'oeuvre, présentées devant le tribunal administratif de Nantes par la société Dekra Industrial et la société Jousselin Construction ne l'étaient aucunement sur le fondement de la responsabilité décennale, qui bénéficie au seul maître d'ouvrage, mais nécessairement sur le fondement quasi-délictuel des fautes respectives commises par chacun des constructeurs et le contrôleur technique.
7. En premier lieu, il résulte de l'instruction, notamment des conclusions du sapiteur ayant assisté l'expert désigné par le juge des référés du tribunal administratif de Nantes, que la fissuration de la tablette supérieure de la façade du bâtiment n° 1 a été provoquée par un paramétrage géométrique défavorable de l'inclinaison des câbles porteurs, créant une contrainte sur les tablettes supérieure à la limite admissible, et par l'existence d'un point de liaison du câble incliné très déformable. Les autres tablettes en béton de la façade ont été fragilisées par la non prise en compte de l'action dynamique du vent et par des allongements des câbles porteurs et chutes de tension, entrainant elles aussi des contraintes supplémentaires sur les tablettes qui les ont fragilisées. Il a également été relevé que les différents câbles soutenant les tablettes de la façade présentaient des tensions hétérogènes et étaient notamment trop souples, provoquant des contraintes de flexion supplémentaires sur les tablettes, notamment au droit des suspentes. Il a enfin été relevé que les lames des tablettes présentaient une résistance insuffisante pour absorber les dénivellations découlant elles-mêmes du caractère hétérogène de la tension des câbles de fixation. En revanche, l'éclatement de deux têtes de poteaux de la façade, ultérieur, n'a pu avoir qu'un caractère aggravant sur la survenue des dommages mais non être à son origine. Il sera fait une juste appréciation de la responsabilité de la société Jousselin Construction, titulaire du lot spécifique relatif aux tablettes en béton, qui devait réaliser l'ensemble de la façade en tablettes, avec notamment la câblerie de soutien et les accessoires en inox, et qui, en outre, n'a pas informé le maître d'ouvrage de la nécessité de prévoir régulièrement des interventions de resserrage des serre-câbles, dans la survenue des désordres affectant la solidité des tablettes en la fixant à 80 %.
8. En deuxième lieu, il résulte de l'instruction, notamment du marché de maîtrise d'oeuvre conclu en juin 2001, que le groupement de maîtrise d'oeuvre constitué par la société Atelier d'Architecture O. Arene - C. Edeikins et la société Mizrahi, s'était notamment vu confier une mission comportant la mission VISA des plans d'exécution des entreprises et la mission de direction de l'exécution des travaux (DET). Il ne résulte ni des constatations opérées par l'expert ou par son sapiteur, ni de l'instruction que les défauts affectant le câblage et la solidité des tablettes en ductal(r) auraient été décelables par le maître d'oeuvre lors de la phase d'examen des plans d'exécution présentées par la société Jousselin Construction, titulaire du lot n° 4. En revanche, il résulte de l'instruction que postérieurement à l'attribution du marché à la société Jousselin Construction en janvier 2006, une appréciation technique d'expérimentation (ATEX) a été délivrée en février 2008 par le centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB) concluant à un avis réservé. Cette ATEX soulignait que la stabilité des tablettes en béton devait être révisée pour tenir compte des conditions de neige et de vent et du risque d'appui accidentel d'une personne. Elle comportait également de nombreuses remarques sur le câblage de soutien des tablettes en béton, recommandant que la raideur des câbles soit garantie dans le temps, qu'un dénivellement d'appui au droit des câbles soit justifié, que la conception de la platine haute des câbles verticaux soit améliorée pour éviter une trop grande traction le long de l'axe du cordon de soudure et soulignait que la rupture d'un seul câble en partie haute pourrait provoquer l'effondrement de l'ensemble de la résille supportée par ce câble. Dès lors, l'ATEX recommandait de renouveler certains calculs concernant la résistance des tablettes et soit d'obtenir des garanties quant au maintien de la raideur des câbles soit de prévoir des interventions régulières de resserrage des serre-câbles. Néanmoins, il ne résulte pas de l'instruction et n'est pas même soutenu que le groupement de maîtrise d'oeuvre, ayant connaissance de cette ATEX réservée au cours de l'exercice de sa mission de DET, aurait veillé à l'application stricte des recommandations de l'ATEX. Dans ces conditions, il sera fait une juste appréciation de sa part de responsabilité dans la survenue des désordres affectant les tablettes en béton de la façade de l'hôtel de police de Nantes en la fixant à 10 %.
9. En dernier lieu, aux termes de l'article L. 111-24 du code de la construction et de l'habitation : " Le contrôleur technique est soumis, dans les limites de la mission à lui confiée par le maître de l'ouvrage à la présomption de responsabilité édictée par les articles 1792, 1792-1 et 1792-2 du code civil, reproduits aux articles L. 111-13 à L. 111-15, qui se prescrit dans les conditions prévues à l'article 1792-4-1 du même code reproduit à l'article L. 111-18. (...) ". Par ailleurs, l'article R. 111-39 du même code dispose, dans sa rédaction applicable que : " Le contrôle technique obligatoire porte sur la solidité des ouvrages de viabilité, de fondation, d'ossature, de clos et de couvert et des éléments d'équipement qui font indissociablement corps avec ces ouvrages, ainsi que sur les conditions de sécurité des personnes dans les constructions (...) ". Aux termes de l'article R. 111-43 du même code, dans sa rédaction applicable : " Au cours de la phase de conception, le contrôleur technique procède à l'examen critique de l'ensemble des dispositions techniques du projet. / Pendant la période d'exécution des travaux, il s'assure notamment que les vérifications techniques qui incombent à chacun des constructeurs énumérés à l'article 1792-1 (1°) du code civil s'effectuent de manière satisfaisante ".
10. Il résulte de l'instruction, notamment du contrat conclu en octobre 2000, que le contrôleur technique s'était vu notamment confier une mission portant sur la solidité des ouvrages et des équipements indissociables et que cette mission s'exerçait depuis la conception de l'ouvrage jusqu'aux vérifications finales, et comprenait la phase d'exécution et de chantier. Il résulte des constatations opérées par l'expert et son sapiteur que le contrôleur technique a insuffisamment vérifié les calculs et détails dressés par l'entreprise titulaire du lot n° 4. En outre, il résulte de l'instruction, notamment des différents documents adressés par la société Norisko puis par la société Dekra Industrial en cours d'exécution du chantier et du rapport final établi par le contrôleur technique, que ce dernier, informé de la teneur et du contenu de l'ATEX évoquée au point 8 du présent arrêt, s'est borné à rappeler à trois reprises la nécessité de prévoir un resserrage des serre-câbles, sans déceler les autres causes de survenue des désordres ni attirer l'attention du maître d'oeuvre et du maître d'ouvrage sur les autres points de mise en garde contenus dans l'ATEX. Dans ces conditions, il sera fait une juste appréciation de la part de responsabilité incombant au contrôleur technique dans la survenue des désordres affectant les tablettes de la façade de l'hôtel de police en la fixant à 10 %.
11. Il résulte de ce qui précède que la société Atelier d'Architecture O. Arene - C. Edeikins et la société Mizrahi sont fondées à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a fixé à 25 % leur part de responsabilité dans la survenue des désordres affectant les tablettes de la façade de l'hôtel de police de Nantes. Cette part de responsabilité doit être ramenée à 10 %, celle de la société Jousselin Construction augmentée à 80 % et celle de la société Dekra Industrial augmentée à 10 %. Il en résulte que le groupement de maitrise d'oeuvre doit être condamné à garantir la société Jousselin Construction et la société Dekra Industrial à hauteur de 10 % des sommes mises à leur charge par l'article 3 du jugement du tribunal administratif de Nantes du 20 juin 2018. La société Jousselin Construction doit être condamnée à garantir la société Dekra Industrial à hauteur de 80 % des sommes mises à sa charge par ce même article 3. La société Dekra Industrial doit, quant à elle, être condamnée à garantir la société Jousselin Construction à hauteur de 10 % des sommes mises à sa charge par ce même article 3.
12. Il résulte de tout ce qui précède que le groupement de maitrise d'oeuvre est également fondé à demander à être garanti par la société Jousselin Construction et la société Dekra Industrial à hauteurs respectives de 80 % et 10 % pour le paiement des frais d'expertise mis à sa charge solidairement par l'article 9 du jugement du tribunal administratif de Nantes du 20 juin 2018.
Sur les frais du litige :
13. Il n'apparait pas inéquitable, dans les circonstances de l'espèce, de laisser à la charge de chacune des parties les frais d'instance qu'elles ont exposés.
DECIDE :
Article 1er : L'article 3 du jugement n° 1508725 du tribunal administratif de Nantes du 20 juin 2018 est annulé en tant qu'il a condamné la société Atelier d'Architecture O. Arene - C. Edeikins et la société Mizrahi, solidairement avec la société Jousselin Construction et la société Dekra Industrial, à verser une somme de 813 582, 51 euros à l'Etat. L'article 8 de ce jugement est également annulé.
Article 2 : La société Jousselin Construction garantira la société Dekra Industrial à hauteur de 80 % des sommes mises à sa charge par l'article 3 du jugement du tribunal administratif de Nantes du 20 juin 2018.
Article 3 : La société Dekra Industrial garantira la société Jousselin Construction à hauteur de 10 % des sommes mises à sa charge par l'article 3 du jugement du tribunal administratif de Nantes du 20 juin 2018.
Article 4 : Le groupement de maîtrise d'oeuvre, constitué par la société Atelier d'Architecture O. Arene - C. Edeikins et la société Mizrahi, garantira la société Jousselin Construction et la société Dekra Industrial à hauteur de 10 % des sommes mises à leur charge par l'article 3 du jugement du tribunal administratif de Nantes du 20 juin 2018.
Article 5 : La société Jousselin Construction et la société Dekra Industrial garantiront à hauteurs respectives de 80 % et 10 % le groupement de maitrise d'oeuvre des frais d'expertise mis à sa charge par l'article 9 du jugement du tribunal administratif de Nantes du 20 juin 2018.
Article 6 : Le jugement du tribunal administratif de Nantes du 20 juin 2018 est réformé en ce qu'il a de contraire aux articles 2 à 5 du présent arrêt.
Article 7 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 8 : Le présent arrêt sera notifié à la société Atelier d'Architecture O. Arene - C. Edeikins et à la société Mizrahi, la société Jousselin Construction, la société Dekra Industrial, la société Bouygues Bâtiment Grand Ouest et au ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 23 juin 2020, à laquelle siégeaient :
- M. Lainé, président,
- M. Jouno, premier conseiller,
- Mme E..., première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe de la juridiction le 10 juillet 2020.
La rapporteure,
M. E...Le président,
L. Lainé
La greffière,
V. Desbouillons
La République mande et ordonne au préfet de la Loire-Atlantique en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 18NT02936
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