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25/06/2020 | FRANCE | N°18NT02943

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 1ère chambre, 25 juin 2020, 18NT02943


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Sucrerie de Toury a demandé au tribunal administratif d'Orléans de condamner l'Etat à lui verser une indemnité de 98 768 euros en réparation du préjudice qu'elle estime avoir subi du fait du retard mis par l'Etat à transposer la directive n° 2003/96/CE du Conseil du 27 octobre 2003 restructurant le cadre communautaire de taxation des produits énergétiques et de l'électricité.

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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Sucrerie de Toury a demandé au tribunal administratif d'Orléans de condamner l'Etat à lui verser une indemnité de 98 768 euros en réparation du préjudice qu'elle estime avoir subi du fait du retard mis par l'Etat à transposer la directive n° 2003/96/CE du Conseil du 27 octobre 2003 restructurant le cadre communautaire de taxation des produits énergétiques et de l'électricité.

Par un jugement n° 1201723 du 31 janvier 2013, le tribunal administratif d'Orléans a rejeté sa demande.

Par un arrêt n° 13NT00966 du 18 décembre 2014, la cour administrative d'appel de Nantes a rejeté l'appel formé par la société Sucrerie de Toury contre ce jugement.

Par une décision n° 387833 du 26 juillet 2018, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, saisi d'un pourvoi formé par la société Sucrerie de Toury, a, après avoir saisi à titre préjudiciel la Cour de justice de l'Union européenne, annulé cet arrêt et a renvoyé l'affaire devant la cour pour y être jugée.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés les 29 mars 2013, 21 janvier 2014, 22 octobre 2018 et 10 décembre 2019, la société Cristal Union, venant aux droits de la société Sucrerie de Toury, représentée par Me B..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de condamner l'Etat à lui verser une indemnité de 98 768 euros, assortie de l'intérêt légal et de la capitalisation à compter de l'enregistrement de la requête ;

3°) à titre subsidiaire, de saisir le Conseil d'Etat ou la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le remboursement de la contribution pour l'aide juridique en application de l'article R. 761-1 du code de justice administrative et une somme de 8 000 euros sur le fondement de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le juge administratif est compétent pour connaître des litiges opposant le service des douanes à un justiciable qui n'est pas redevable de droits de douane ainsi que des actions en responsabilité de l'Etat du fait de la méconnaissance de l'obligation qui incombe au législateur d'assurer la transposition des directives communautaires ;

- l'Etat est tenu de réparer les dommages résultant d'une violation du droit communautaire qui lui est imputable ; alors que l'article 14 a) de la directive n° 2003/96/CE du 27 octobre 2003 a prévu une exonération de taxe pour les produits énergétiques utilisés pour produire de l'électricité et a précisé que les États membres devaient transposer ces dispositions dans leur droit national avant le 1er janvier 2004, la France n'a mis en oeuvre cette exonération, partiellement, qu'à compter de 2006 ;

- les dispositions de l'article 266 quinquies du code des douanes, applicables à compter du 1er janvier 2006, ont imparfaitement transposé la directive n° 2003/96/CE du 27 octobre 2003 puisqu'elles excluaient de l'exonération les installations de cogénération de plus de cinq ans ; les dispositions du code des douanes, prises à la suite de la condamnation de la France par la Cour de justice de l'Union Européenne (CJUE), ne sont toujours pas conformes à la directive qui prévoit une exonération inconditionnelle de taxe sur les produits énergétiques utilisés pour la production d'électricité ;

- contrairement à ce qu'a jugé le tribunal administratif, si les États membres peuvent prévoir des conditions limitant l'exonération en faveur des installations de cogénération pour l'ensemble des produits énergétiques servant à la production combinée de chaleur et d'énergie selon l'article 15-1-c de la directive, ils sont en revanche obligés de prévoir une exonération inconditionnelle en ce qui concerne les produits énergétiques utilisés pour la seule production d'électricité, notamment la quote-part de produit mis en oeuvre pour la production d'électricité dans une installation de cogénération ;

- du fait de ce retard fautif, ses achats de gaz ont, à compter du 1er janvier 2004, été à tort soumis à la taxe intérieure de consommation de gaz naturel (TICGN) ; les dispositions de cette directive étant devenues d'effet direct à compter du 1er janvier 2004, elle peut, faute pour la France de les avoir transposées dans les délais prescrits, s'en prévaloir pour obtenir le remboursement des sommes qu'elle a indûment versées ;

- en vertu de l'article 352 bis du code des douanes, elle ne peut obtenir de ses fournisseurs le remboursement de cette taxe dès lors que celle-ci lui a été répercutée et supporte donc le dommage résultant de l'illégalité du dispositif national ; le préjudice qu'elle a subi correspond au montant de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques que lui ont facturé ses fournisseurs entre le 1er janvier 2006 et le 25 décembre 2007, soit la somme de 98 768 euros, dont le paiement a affecté sa marge bénéficiaire ; il est justifié par la production de ses factures de gaz et la description de son procédé industriel individualisant la part des produits énergétiques utilisés pour produire de l'électricité ;

- en ce qui concerne les sommes versées au titre de l'année 2007, l'administration n'est pas fondée à lui opposer la prescription triennale prévue à l'article 352 du code des douanes dès lors que ce n'est qu'en 2011 que les nouvelles dispositions nationales ont été mises en conformité avec celle de l'article 14 a) de la directive n° 2003/96/CE du 27 octobre 2003 ;

- en ce qui concerne l'année 2006, l'administration ne peut justifier la taxation par le dispositif prévu à l'article 21-5 de la directive dès lors que ces dispositions n'ont été transposées qu'en 2011 et que la taxation dont elle a fait l'objet reposait non sur le dispositif de l'article 21-5 mais sur une interprétation erronée de l'article 14 a) ;

- son action n'est pas prescrite au regard des dispositions de la loi du 31 décembre 1968 dès lors que les conséquences dommageables n'ont pu être appréciées dans toute leur étendue qu'à compter du paiement de la taxe indûment supportée.

Par des mémoires, enregistrés les 21 juin 2013, 10 février 2014 et 1er octobre 2018, le ministre de l'action et des comptes publics conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que :

- la requête tendant à la restitution d'une taxe recouvrée par l'administration des douanes, ou l'action en responsabilité ayant le même objet, est portée devant une juridiction incompétente pour en connaître ;

- la demande est identique à celle introduite devant la juridiction judiciaire, qui a fait l'objet d'une décision de rejet par le tribunal d'instance d'Orléans, confirmée en appel et dont le pourvoi a été rejeté par la Cour de cassation le 27 mai 2015 ;

- le délai de transposition de la directive ayant été fixé au 1er janvier 2004, l'action en responsabilité introduite le 29 décembre 2010 est, en application des dispositions de la loi du 31 décembre 1968, prescrite car la société ne pouvait former sa réclamation indemnitaire que jusqu'au 1er janvier 2009 ;

- le préjudice allégué n'est pas établi, la société ne démontrant pas la part de gaz utilisée pour la production d'électricité et l'équivalence entre le montant de taxe indûment supportée et le montant du préjudice ne pouvant être retenue ; aucun élément n'est apporté quant à une baisse du chiffre d'affaires ou de compression du bénéfice induit par l'absorption du surcoût ;

- il a été accordé le remboursement de la taxe indument acquittée pour la période postérieure au 1er janvier 2007 non couverte par la prescription triennale prévue par l'article 352 du code des douanes conformément à la législation applicable ;

- l'exonération qui est prévue à l'article 14 a) de la directive n° 2003/96/CE du 27 octobre 2003 doit être appréciée par référence aux dispositions de l'article 21-5 de la même directive, lequel ne permet l'exonération totale que si l'électricité produite est elle-même taxée, ce qui n'est pas le cas en l'espèce ; indépendamment de la tardiveté de la transposition de cette directive, le droit national a été appliqué en conformité avec le droit européen.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

- la directive n° 2003/96/CE du Conseil du 27 octobre 2003 ;

- le code des douanes ;

- le code de l'organisation judiciaire ;

- la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 ;

- la loi n° 2000-108 du 10 février 2000 ;

- l'arrêt C-226/07 du 17 juillet 2008 de la Cour de justice des communautés européennes ;

- l'arrêt C-31/17 du 7 mars 2018 de la Cour de justice de l'Union européenne ;

- l'arrêt C-270/18 du 16 octobre 2019 de la Cour de justice de l'Union européenne ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme C...,

- et les conclusions de M. Gauthier, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. La société anonyme (SA) Sucrerie de Toury exploitait une installation de cogénération de chaleur et d'électricité pour laquelle elle utilisait du gaz naturel comme combustible. Le gaz qui lui a été livré entre le 1er janvier 2006 et le 25 décembre 2007 a été soumis, par son fournisseur qui en acquitté le montant, à la taxe intérieure de consommation de gaz naturel prévue à l'article 266 quinquies du code des douanes. Estimant que ces livraisons auraient dû être exonérées de cette taxe en application de l'article 14 de la directive du Conseil du 27 octobre 2003 restructurant le cadre communautaire de taxation des produits énergétiques et de l'électricité, elle a demandé au ministre chargé du budget l'indemnisation du préjudice qu'elle estime avoir subi du fait du retard de l'Etat français à transposer cette directive. Elle a relevé appel du jugement du 31 janvier 2013 par lequel le tribunal administratif d'Orléans a rejeté sa demande tendant à ce que l'État soit condamné à lui verser une indemnité de 98 768 euros. Par un arrêt n° 13NT00966 du 18 décembre 2014, la présente cour a rejeté l'appel formé par la société. Par une décision n° 387833 du 26 juillet 2018, le Conseil d'Etat, saisi d'un pourvoi formé par la société Sucrerie de Toury, aux droits de laquelle est venue la société Cristal Union, a, après avoir saisi à titre préjudiciel la Cour de justice de l'Union européenne, annulé cet arrêt et a renvoyé l'affaire devant la cour pour y être jugée.

Sur la compétence de la juridiction administrative :

2. Aux termes de l'article R. 221-18 du code de l'organisation judiciaire dans sa rédaction applicable au litige : " Sous réserve de la compétence de la juridiction de proximité, le tribunal d'instance connaît des contestations concernant le paiement, la garantie ou le remboursement des créances de toute nature recouvrées par l'administration des douanes et les autres affaires de douanes. ". Aux termes de l'article 357 bis du code des douanes : " Les tribunaux d'instance connaissent des contestations concernant le paiement, la garantie ou le remboursement des créances de toute nature recouvrées par l'administration des douanes et des autres affaires de douane n'entrant pas dans la compétence des juridictions répressives. ". Il résulte de ces dispositions que le juge judiciaire est compétent pour connaître des contestations engagées par les redevables relatives au paiement, à la garantie ou au remboursement des créances de toute nature recouvrées par l'administration des douanes, notamment des accises telles que celles en litige. En revanche, lorsque le redevable choisit de rechercher la responsabilité de l'État du fait de la méconnaissance de l'obligation qui incombe au législateur d'assurer le respect des conventions internationales, notamment faute d'avoir réalisé la transposition, dans les délais qu'elles ont prescrits, des directives communautaires, une telle action relève du régime de la responsabilité de l'État du fait de son activité législative dont la juridiction administrative est seule compétente pour en connaître.

3. La SA Sucrerie de Toury demande la réparation du préjudice qui lui aurait été causé par une transposition tardive et non conforme de la directive n° 2003/96/CE du Conseil du 27 octobre 2003 restructurant le cadre communautaire de taxation des produits énergétiques et de l'électricité. Compte tenu de ce qui a été dit au point 2, une telle action relève de la seule compétence de la juridiction administrative. Par suite, le ministre n'est pas fondé à demander l'annulation du jugement attaqué au motif que le tribunal administratif d'Orléans avait admis à tort la compétence de la juridiction administrative pour en connaître.

Sur la recevabilité de la demande de première instance :

4. Aux termes de l'article 352 bis du code des douanes : " Lorsqu'une personne a indûment acquitté des droits et taxes nationaux recouvrés selon les procédures du présent code, elle peut en obtenir le remboursement, à moins que les droits et taxes n'aient été répercutés sur l'acheteur. ". Aux termes de l'article 266 quinquies de ce code dans sa rédaction applicable : " 1. Le gaz naturel (...) est soumis à une taxe intérieure de consommation lors de sa livraison à l'utilisateur final. / 2. La taxe (...) est due par les entreprises de transport et de distribution, pour chaque facturation mensuelle, sur la fraction des livraisons excédant 400.000 kilowatts/heure. (...) ".

5. Il résulte de la combinaison de ces dispositions que la faculté d'obtenir le remboursement de la taxe intérieure de consommation n'est ouverte qu'aux seules entreprises de transport et de distribution, seules redevables de cette imposition. Par suite, et quand bien même l'administration fiscale a instruit la demande de remboursement présentée par l'intéressée, l'action en remboursement de la taxe litigieuse n'était pas ouverte à la SA Sucrerie de Toury, qui, utilisateur final, n'est pas le redevable de cette taxe. Dès lors, le ministre n'est pas fondé à opposer l'exception de recours parallèle à la recevabilité de la demande de première instance présentée par la société.

Sur l'autorité de chose jugée :

6. Pour les mêmes motifs que ceux exposés aux points 3 et 5 du présent arrêt, le ministre n'est pas fondé à se prévaloir de l'autorité de la chose jugée par le juge judiciaire, à la suite du rejet, par la Cour de cassation, le 27 mai 2015, du pourvoi introduit contre l'arrêt de la cour d'appel d'Orléans du 16 janvier 2014.

Sur la prescription :

7. Aux termes du premier alinéa de l'article 1er de la loi du 31 janvier 1968 relative à la prescription des créances sur l'Etat, les départements, les communes et les établissements publics: " Sont prescrites, au profit de l'Etat, des départements et des communes, sans préjudice des déchéances particulières édictées par la loi, et sous réserve des dispositions de la présente loi, toutes créances qui n'ont pas été payées dans un délai de quatre ans à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle les droits ont été acquis ". Aux termes de l'article 3 de la même loi : " la prescription ne court ni contre le créancier qui ne peut agir, soit par lui-même ou par l'intermédiaire de son représentant légal, soit pour une cause de force majeure, ni contre celui qui peut être légitimement regardé comme ignorant l'existence de sa créance (...) ".

8. Si le fait générateur du dommage invoqué par la société Sucrerie de Toury est constitué par les carences de transposition de la directive 2003/96/CE, le préjudice dont elle demande à être indemnisée réside dans le surcoût de facturation des livraisons de gaz par ses fournisseurs ayant supporté la taxe intérieure de consommation de gaz naturel entre le 1er janvier 2006 et le 25 décembre 2017. Ce préjudice n'a pu naître et son étendue être déterminée avant la facturation des livraisons de gaz naturel. Par suite, la créance dont la société se prévaut n'était pas atteinte par la prescription quadriennale le 29 décembre 2010, date à laquelle elle a adressé sa demande préalable d'indemnisation à l'administration.

Sur la responsabilité de l'Etat :

9. La société requérante soutient que la responsabilité de l'Etat est engagée du fait des conséquences de la mise à sa charge de la taxe intérieure de consommation de gaz naturel prévue à l'article 266 quinquies du code des douanes, en raison de l'illégalité de ces taxes acquittées par ses fournisseurs du fait de l'inobservation de la norme communautaire prévue au a du 1 de l'article 14 de la directive 2003/96/CE du 27 octobre 2003, d'abord par défaut de transposition de ces dispositions en droit interne dans le délai imparti, puis par transposition non conforme compte tenu de l'exonération inconditionnelle que ces dispositions prévoient.

10. Il ressort des dispositions de l'article 266 quinquies du code des douanes, dans ses rédactions successives applicables à la période en litige, que les livraisons de gaz naturel destiné à être utilisé comme combustible pour la production d'électricité sont exonérées de la taxe intérieure de consommation de gaz naturel. Toutefois, les livraisons de gaz destiné à être utilisé dans des installations de cogénération, pour la production combinée de chaleur et d'électricité, ne bénéficient pas de cette exonération, sauf, à compter du 1er janvier 2007, si les producteurs de l'électricité issue de ces installations, d'une part, ne sont pas titulaires d'un contrat au titre de l'obligation d'achat prévue par la loi du 10 février 2000 relative à la modernisation et au développement du service public de l'électricité, d'autre part, renoncent au bénéfice de l'exonération spécifique prévue à l'article 266 quinquies A du code des douanes. Ce dernier prévoit, pour les seules installations mises en service au plus tard le 31 décembre 2007, une exonération du gaz utilisé pendant une durée limitée à cinq ans à compter de leur mise en service. En application de ces dispositions combinées, le gaz utilisé par la société Sucrerie de Toury dans son installation de cogénération n'a pas été exonéré de la taxe intérieure de consommation de gaz naturel.

11. La directive 2003/96/CE du Conseil du 27 octobre 2003 restructurant le cadre communautaire de taxation des produits énergétiques et de l'électricité prévoit, en son article 1er, que : " Les États membres taxent les produits énergétiques et l'électricité conformément à la présente directive ", en son article 14, que : " 1. Outre les dispositions générales de la directive 92/12/CEE concernant les utilisations exonérées de produits imposables, et sans préjudice d'autres dispositions communautaires, les États membres exonèrent les produits suivants de la taxation, selon les conditions qu'ils fixent en vue d'assurer l'application correcte et claire de ces exonérations et d'empêcher la fraude, l'évasion ou les abus : a) les produits énergétiques et l'électricité utilisés pour produire de l'électricité et l'électricité utilisée pour maintenir la capacité de produire de l'électricité. (...) ", en son article 15, que : " 1. Sans préjudice d'autres dispositions communautaires, les Etats membres peuvent appliquer sous contrôle fiscal des exonérations totales ou partielles ou des réductions du niveau de taxation : (...) c) aux produits énergétiques et à l'électricité utilisés pour la production combinée de chaleur et d'énergie ", au troisième alinéa du paragraphe 5 de son article 21, que : " Une entité qui produit de l'électricité pour son propre usage est considérée comme un distributeur. Nonobstant les dispositions de l'article 14, paragraphe 1, point a), les États membres peuvent exonérer les petits producteurs d'électricité, pour autant qu'ils taxent les produits énergétiques utilisés pour produire cette électricité. ", au second alinéa du paragraphe 10 de son article 18, que : " La République française peut appliquer une période transitoire allant jusqu'au 1er janvier 2009 pour adapter son système actuel de taxation de l'électricité aux dispositions prévues dans la présente directive. Jusqu'à cette date, la moyenne du niveau global de la taxation locale actuelle de l'électricité est prise en compte pour évaluer le respect des taux minima fixés dans la présente directive " et, en son article 28 que : " 1. Les États membres adoptent et publient les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à la présente directive au plus tard le 31 décembre 2003. Ils en informent immédiatement la Commission. 2. Ils appliquent les présentes dispositions à partir du 1er janvier 2004 (...) ".

12. En premier lieu, dans l'arrêt C-226/07 du 17 juillet 2008, la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que l'article 14, paragraphe 1, sous a), de la directive 2003/96/CE du Conseil, du 27 octobre 2003, restructurant le cadre communautaire de taxation des produits énergétiques et de l'électricité, en ce qu'il prévoit l'exonération des produits énergétiques utilisés pour produire de l'électricité de la taxation prévue par cette directive, a un effet direct en ce sens qu'il peut être invoqué par un particulier devant les juridictions nationales - en ce qui concerne une période pendant laquelle l'État membre concerné était en défaut d'avoir transposé dans le délai prescrit cette directive dans son droit national - dans le cadre d'un litige, tel que celui au principal, l'opposant aux autorités douanières de cet État, en vue d'écarter l'application d'une réglementation nationale qui serait incompatible avec cette disposition et, partant, d'obtenir le remboursement d'une taxe contraire à celleci. Par suite, la société requérante peut se prévaloir directement de l'article 14, paragraphe 1, sous a) de la directive du 27 octobre 2003.

13. En deuxième lieu, dans l'arrêt C-31/17 du 7 mars 2018, la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que l'article 14, paragraphe 1, sous a), de la directive 2003/96/CE du Conseil du 27 octobre 2003 restructurant le cadre communautaire de taxation des produits énergétiques et de l'électricité, doit être interprété en ce sens que l'exonération obligatoire prévue par cette disposition s'applique aux produits énergétiques utilisés pour la production d'électricité lorsque ces produits sont utilisés pour la production combinée d'électricité et de chaleur, au sens de l'article 15, paragraphe 1, sous c), de cette directive. Par suite, la société requérante est fondée à soutenir qu'elle entre dans le champ d'application de l'article 14, paragraphe 1, sous a) de cette directive à l'égard de son installation de cogénération.

14. En troisième lieu, si le ministre soutient que la taxation litigieuse est conforme aux objectifs de la directive, dès lors que le a) du 1 de son article 14 doit être lu à la lumière du troisième alinéa du paragraphe 5 de son article 21, duquel il résulte, selon lui, que l'exonération de gaz naturel utilisé pour produire de l'électricité est subordonnée à la taxation de l'électricité produite, la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit, dans l'arrêt C-270/18 du 16 octobre 2019 que l'article 21, paragraphe 5, troisième alinéa, seconde phrase, de la directive 2003/96/CE du Conseil du 27 octobre 2003 doit être interprété en ce sens que l'exonération que prévoit cette disposition pour les petits producteurs d'électricité, pour autant que, par dérogation à l'article 14, paragraphe 1, sous a), de cette directive, les produits énergétiques utilisés pour produire cette électricité soient taxés, ne pouvait être appliquée par la République française durant la période transitoire qui lui était accordée, conformément à l'article 18, paragraphe 10, second alinéa, de ladite directive, jusqu'au 1er janvier 2009 et pendant laquelle cet État membre n'a pas instauré le système de taxation de l'électricité prévu par la même directive. Dans les motifs de son arrêt (point 51), la cour a précisé que, durant cette période transitoire, les dispositions relatives à l'exonération des produits énergétiques utilisés pour produire de l'électricité prévues par cette directive étaient pleinement applicables à la République française. Il résulte de l'interprétation ainsi donnée par la Cour de justice de l'Union européenne que les produits énergétiques utilisés pour produire de l'électricité bénéficiaient, au cours de la période transitoire visée par l'article 18, paragraphe 10, second alinéa, de la directive, de l'exonération prévue par son article 14, paragraphe 1, sous a), sans qu'y fît obstacle, le cas échéant, la circonstance que l'électricité produite ne fît l'objet d'aucune taxation. Par suite, le ministre n'est pas fondé à soutenir que l'absence de taxation de l'électricité produite par la société Sucrerie de Toury faisait obstacle à ce qu'elle pût se prévaloir de l'exonération découlant de l'effet direct de l'article 14, paragraphe 1, sous a) de la directive.

15. Il est constant que la directive 2003/96/CE du Conseil du 27 octobre 2003 restructurant le cadre communautaire de taxation des produits énergétiques et de l'électricité n'a pas été transposée en droit interne dans le délai prévu à l'article 28 de cette directive et que les dispositions internes applicables, avant et après la transposition de cette directive notamment par la loi du 25 décembre 2007, ne permettaient pas aux fournisseurs de la société Sucrerie de Toury d'être exonérés de la taxe intérieure de consommation de gaz naturel alors que l'article 14, paragraphe 1, sous a) de cette directive prévoyait cette exonération sans condition. Par suite, la société Sucrerie de Toury est fondée à demander l'engagement de la responsabilité de l'Etat sur le fondement rappelé au point 9.

Sur le préjudice :

16. La société requérante sollicite l'indemnisation, à hauteur de 98 768 euros, du préjudice financier qu'elle estime avoir subi du fait de la majoration indue du coût de ses achats de gaz soumis, à tort, à la taxe intérieure de consommation de gaz naturel, qui a affecté sa marge bénéficiaire.

En ce qui concerne l'existence d'un préjudice :

17. Au soutien de sa demande, elle produit les factures de son fournisseur, dont rien n'indique qu'elles n'intégreraient pas, en faisant exception aux usages économiques courants de fixation des prix à partir de l'intégralité des coûts de production majorés d'une marge bénéficiaire, le montant de la taxe intérieure de consommation sur les produits pétroliers que le fournisseur a supporté. Dans ces conditions, l'absence de toute mention relative à la décomposition du prix du combustible livré dans les installations de cogénération de cette société ne peut être retenue à l'encontre de ce principe économique que le ministre ne conteste pas au demeurant. Par ailleurs, la société ne dispose d'aucune voie de droit lui permettant d'en obtenir le remboursement auprès de ses fournisseurs, de sorte que le surcoût lié au paiement de cette taxe reste à sa charge. Dans ces conditions, elle est fondée, en principe, à demander une indemnisation du préjudice qu'elle a subi.

En ce qui concerne le montant du préjudice :

18. En premier lieu, le ministre fait valoir que la société requérante ne justifie pas que ce surcoût n'était pas intégré ou compensé dans les coûts de fabrication. Toutefois, en faisant valoir qu'elle ne pouvait elle-même répercuter ce surcoût dans la mesure où elle était l'utilisatrice finale de la production d'électricité et que sa production de sucre s'inscrit dans un marché au prix réglementé fixé indépendamment du prix de l'énergie, la société apporte des éléments suffisants justifiant de son incapacité à atténuer intégralement ce surcoût.

19. En second lieu, il résulte de l'instruction et n'est d'ailleurs pas contesté qu'il n'est techniquement pas possible de mesurer la quantité de gaz qui sert à produire de l'électricité. Toutefois, l'estimation de cette quantité a été réalisée à partir d'éléments prévus par la directive européenne 2004/8/CE concernant la promotion de la cogénération sur la base de la demande de chaleur utile dans le marché intérieur de l'énergie et la décision de la Commission du 21 décembre 2006 définissant les valeurs harmonisées de rendement de référence pour la production séparée d'électricité et de chaleur. Cette quantité minimise la consommation de gaz naturel allouée à la production d'électricité en se fondant sur un rendement maximal. Dès lors, si le ministre fait valoir que les proratas de 18,6 % en 2006 et 14,6 % en 2007 ne sont pas justifiés par la production de documents techniques, la méthode mise en oeuvre n'a toutefois pas été remise en cause dans le cadre de l'instruction de la demande de remboursement, à laquelle il a été partiellement fait droit sur ces bases.

20. Il résulte de ce qui précède que la société requérante justifie d'un préjudice financier dont le montant est établi à hauteur des sommes réclamées à ce titre, soit 51 646 euros au titre de l'année 2006 et 47 122 euros au titre de la période du 1er janvier 2007 au 25 décembre 2007.

Sur les intérêts et la capitalisation :

21. La société requérante a droit aux intérêts au taux légal correspondant à l'indemnité de 98 768 euros à compter de la date d'enregistrement de sa requête devant le tribunal administratif, soit le 14 mai 2012, ainsi qu'elle le demande.

22. La capitalisation des intérêts peut être demandée à tout moment devant les juges du fond, même si, à cette date, les intérêts sont dus depuis moins d'une année. En ce cas, cette demande ne prend toutefois effet qu'à la date à laquelle, pour la première fois, les intérêts sont dus pour une année entière. La capitalisation des intérêts a été demandée le 23 novembre 2012. Il y a lieu de faire droit à cette demande à compter du 14 mai 2013, date à laquelle était due, pour la première fois, une année d'intérêts, ainsi qu'à chaque échéance annuelle à compter de cette date.

23. Il résulte de tout ce qui précède que la société Cristal Union est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif d'Orléans a rejeté la demande de la société Sucrerie Toury aux droits de laquelle elle vient.

Sur les frais liés au litige :

24. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros à verser à la société Cristal Union sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et la somme de 35 euros que la société a dû acquitter au titre de la contribution pour l'aide juridique alors prévue à l'article R. 761-1 du code de justice administrative.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1201723 du 31 janvier 2013 du tribunal administratif d'Orléans est annulé.

Article 2 : L'Etat est condamné à verser à la société Cristal Union la somme de 98 768 euros avec intérêts au taux légal à compter du 14 mai 2012. Les intérêts échus à la date du 14 mai 2013 puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date seront capitalisés à chacune de ces dates pour produire eux-mêmes intérêts.

Article 3 : L'Etat versera à la société Cristal Union une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et une somme de 35 euros au titre de l'article R. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la société Cristal Union, venant aux droits de la société Sucrerie de Toury, et au ministre de l'action et des comptes publics.

Délibéré après l'audience du 11 juin 2020, à laquelle siégeaient :

- M. Bataille, président de chambre,

- M. Geffray, président assesseur,

- Mme C..., premier conseiller.

Lu en audience publique le 25 juin 2020.

Le rapporteur,

F. C...Le président,

F. Bataille

Le greffier,

M. A...

La République mande et ordonne au ministre de l'action et des comptes publics en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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N°18NT02943

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Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 18NT02943
Date de la décision : 25/06/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. BATAILLE
Rapporteur ?: Mme Fanny MALINGUE
Rapporteur public ?: M. GAUTHIER
Avocat(s) : PRIOL

Origine de la décision
Date de l'import : 28/07/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2020-06-25;18nt02943 ?
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