La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

19/06/2020 | FRANCE | N°18NT04077

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 3ème chambre, 19 juin 2020, 18NT04077


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme D... A... et M. C... A... ont demandé au tribunal administratif d'Orléans de condamner le centre hospitalier régional (CHR) d'Orléans et l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) à réparer les préjudices consécutifs à l'intervention chirurgicale subie par Mme A... dans l'établissement hospitalier le 19 octobre 2011.

Par un jugement n°1603651 du 20 septembre 2018 le tribunal administratif d'Orléans a rejeté leu

r demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 20 novembre ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme D... A... et M. C... A... ont demandé au tribunal administratif d'Orléans de condamner le centre hospitalier régional (CHR) d'Orléans et l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) à réparer les préjudices consécutifs à l'intervention chirurgicale subie par Mme A... dans l'établissement hospitalier le 19 octobre 2011.

Par un jugement n°1603651 du 20 septembre 2018 le tribunal administratif d'Orléans a rejeté leur demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 20 novembre 2018 M. et Mme A..., représentés par la société Verdier et associés, demandent à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 20 septembre 2018 du tribunal administratif d'Orléans ;

2°) de condamner le CHR d'Orléans et l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) à verser à Mme A... la somme globale de 161 792,10 euros en réparation des préjudices subis par elle et à M. A... la somme de 15 000 euros au titre de son préjudice d'affection et d'ordonner avant-dire droit une expertise comptable afin de chiffrer la perte de gains professionnels futurs de Mme A... ;

3°) de mettre à la charge du CHR d'Orléans la somme de 3 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- leur demande devant le tribunal administratif n'était pas tardive ;

- la responsabilité du CHR d'Orléans est engagée du fait, d'une part, du non-respect de l'obligation d'information et, d'autre part, d'une négligence fautive dans le suivi

post-opératoire ;

- Mme A... remplit tous les critères ouvrant droit à réparation au titre de la solidarité nationale ;

- les préjudices de Mme A... doivent être indemnisés à hauteur de 77,82 euros au titre des frais divers, 23 354 euros au titre de la perte de gains professionnels actuels, 6 250 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire, 12 000 euros au titre des souffrances endurées, 1 500 euros au titre du préjudice esthétique temporaire, 23 669,28 euros au titre des dépenses de santé futures, 46 750 euros au titre du déficit fonctionnel permanent, 10 000 euros au titre du préjudice esthétique permanent et 30 000 euros au titre du préjudice sexuel ;

- une expertise comptable doit être ordonnée afin d'évaluer la perte de gains professionnels future ;

- M. A... subit un préjudice d'affection évalué à 15 000 euros.

Par un mémoire en défense enregistré le 25 janvier 2019 l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM), représenté par l'association d'avocats Vatier et associés, conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que les conditions d'intervention de la solidarité nationale ne sont pas remplies dès lors que le dommage subi par Mme A... ne présente pas un caractère anormal au regard de l'état de santé de l'intéressée et de l'évolution prévisible de celui-ci.

Par un mémoire en défense enregistré le 2 octobre 2019 le centre hospitalier régional d'Orléans, représenté par Me Fabre, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de M. et Mme A... la somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la demande devant le tribunal était tardive ;

- M. A... ne présente pas d'intérêt à agir dès lors que l'engagement de la responsabilité du centre hospitalier fondé sur le défaut d'information est une action personnelle de la victime directe ;

- les moyens invoqués par M. et Mme A... ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Tiger-Winterhalter,

- les conclusions de M. Gauthier, rapporteur public,

- et les observations de Me Périllaud, représentant le centre hospitalier régional d'Orléans.

Considérant ce qui suit :

1. Mme A..., alors âgée de 58 ans, a subi, le 19 octobre 2011, au centre hospitalier régional (CHR) d'Orléans, une hystérectomie sous coelioscopie avec pose de sondes double J, après qu'un cancer épidermoïde du col de l'utérus eut été diagnostiqué. Les suites de cette intervention ont été marquées par la survenue d'un abcès pelvien nécessitant une reprise chirurgicale le 11 novembre 2011. Une fistule urinaire a été diagnostiquée le

13 décembre 2011. Les examens réalisés à cette occasion ont révélé qu'une des sondes uretérales avait été coupée. Une nouvelle sonde a été posée en janvier 2012, puis une autre le 20 mars 2012. Mme A... a été à nouveau hospitalisée du 9 au 13 mai 2012 en raison d'une pyélonéphrite à l'occasion de laquelle une fistule urétéro-vaginale a été diagnostiquée. La persistance des fuites urinaires vaginales a justifié de nouvelles poses de sondes le

11 avril 2013 puis le 4 février 2014. Mme A... reste atteinte d'une fistule urinaire permanente évoluant par épisodes de rétention avec pyélonéphrites et d'écoulements urinaires permanents. Après saisine de la commission régionale de conciliation et d'indemnisation (CRCI) du Centre par l'intéressée, laquelle a émis un avis le 23 juin 2015, M. et Mme A... ont saisi le tribunal administratif d'Orléans d'une demande tendant à la condamnation du CHR d'Orléans et de l'ONIAM à les indemniser de leurs préjudices. Par un jugement du 20 septembre 2018, dont M. et Mme A... relèvent appel, cette juridiction a rejeté leur demande.

Sur les conclusions de la requête dirigées contre le CHR d'Orléans :

En ce qui concerne la faute médicale :

2. Aux termes du I de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute. (...) ".

3. En premier lieu, il résulte de l'instruction, notamment du rapport des experts désignés par la CRCI, que la pose de sondes urétérales dites en double J a été effectuée en pré-opératoire, avant l'intervention d'hystérectomie pratiquée le 19 octobre 2011, afin d'éviter une lésion des uretères en cours d'intervention. Si, en l'espèce, la pose de sondes n'a pas été efficace, l'uretère droit ayant été coupé de manière accidentelle lors de l'intervention, l'hystérectomie a été réalisée conformément aux règles de l'art et aux données acquises de la science et le risque de plaie urinaire lors d'une chirurgie pelvienne est connu et évalué entre 5 et 10 % des cas.

4. En second lieu, si Mme A... a développé un abcès pelvien qui a nécessité une nouvelle intervention le 11 novembre 2011, il résulte de l'instruction que c'est de manière non fautive que la cause de cet abcès n'a pu alors être mise en évidence. La fistule urinaire n'a en effet pu être médicalement détectée qu'en janvier 2012 et une nouvelle sonde double J a alors été immédiatement mise en place. Dans ces conditions, aucune faute de l'hôpital ne saurait être retenue dans le suivi post-opératoire de Mme A....

En ce qui concerne la responsabilité du CHR d'Orléans pour manquement à l'obligation d'information :

5. Aux termes de l'article L. 1111-2 du code de la santé publique : " Toute personne a le droit d'être informée sur son état de santé. Cette information porte sur les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu'ils comportent ainsi que sur les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus. (...) ". Il résulte de ces dispositions qu'un manquement des médecins à leur obligation d'information engage la responsabilité de l'hôpital dans la mesure où il a privé le patient d'une chance de se soustraire au risque lié à l'intervention en refusant qu'elle soit pratiquée. Ce n'est que dans le cas où l'intervention était impérieusement requise, en sorte que le patient ne disposait d'aucune possibilité raisonnable de refus, que les juges du fond peuvent écarter l'existence d'une perte de chance.

6. En premier lieu, alors même qu'il n'est pas possible d'établir de façon certaine que le CHR d'Orléans a informé Mme A... du risque de survenance, dans une proportion de

5 à 10% des cas, d'une plaie urinaire au décours de l'intervention pratiquée le

19 octobre 2011, il résulte toutefois de l'instruction que la patiente, dont la pathologie pouvait être létale à brève échéance, ne disposait d'aucune option thérapeutique pouvant être raisonnablement envisagée. Par suite, l'absence d'information suffisante sur l'opération projetée, qui était impérieusement requise en raison de la gravité du cancer dont elle était atteinte, n'a pas privé Mme A... d'une chance de se soustraire à cette intervention.

7. En second lieu, si Mme A... fait valoir qu'elle n'a pu se préparer à l'éventualité du risque encouru dès lors qu'elle n'en avait pas été informée, elle n'établit ni la réalité ni l'ampleur des troubles subis du fait qu'elle n'a pu se préparer à la survenue de la complication apparue à la suite de l'hystérectomie pratiquée le 19 octobre 2011.

8. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de statuer sur les fins de non-recevoir opposées par le centre hospitalier, que M. et Mme A... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif d'Orléans a rejeté leurs conclusions indemnitaires dirigées contre le CHR d'Orléans.

Sur l'obligation de l'ONIAM au titre de la solidarité nationale :

9. Aux termes du II de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " Lorsque la responsabilité d'un professionnel, d'un établissement, service ou organisme mentionné au I ou d'un producteur de produits n'est pas engagée, un accident médical, une affection iatrogène ou une infection nosocomiale ouvre droit à la réparation des préjudices du patient, et, en cas de décès, de ses ayants droit au titre de la solidarité nationale, lorsqu'ils sont directement imputables à des actes de prévention, de diagnostic ou de soins et qu'ils ont eu pour le patient des conséquences anormales au regard de son état de santé comme de l'évolution prévisible de celui-ci et présentent un caractère de gravité, fixé par décret, apprécié au regard de la perte de capacités fonctionnelles et des conséquences sur la vie privée et professionnelle mesurées en tenant notamment compte du taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique, de la durée de l'arrêt temporaire des activités professionnelles ou de celle du déficit fonctionnel temporaire. / Ouvre droit à réparation des préjudices au titre de la solidarité nationale un taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique supérieur à un pourcentage d'un barème spécifique fixé par décret ; ce pourcentage, au plus égal à 25 %, est déterminé par ledit décret. ".

10. La condition d'anormalité du dommage prévue par ces dispositions doit toujours être regardée comme remplie lorsque l'acte médical a entraîné des conséquences notablement plus graves que celles auxquelles le patient était exposé de manière suffisamment probable en l'absence de traitement. Lorsque les conséquences de l'acte médical ne sont pas notablement plus graves que celles auxquelles le patient était exposé par sa pathologie en l'absence de traitement, elles ne peuvent être regardées comme anormales sauf si, dans les conditions où l'acte a été accompli, la survenance du dommage présentait une probabilité faible. Par suite, elles ne peuvent être regardées comme anormales au regard de l'état du patient lorsque la gravité de cet état a conduit à pratiquer un acte comportant des risques élevés dont la réalisation est à l'origine du dommage.

11. Il résulte de l'instruction, et notamment du rapport des experts désignés par la CRCI, que Mme A... était atteinte d'un carcinome épidermoïde du col de l'utérus de classe II avec une extension au 1/3 supérieur du vagin. Cette pathologie évolutive constitue une cause majeure de décès au sein de la population féminine au-delà de 51 ans. Ainsi, les fuites urinaires dont est atteinte l'intéressée du fait de la survenue d'une fistule urétéro-vaginale ne peuvent être regardées comme notablement plus graves que les conséquences auxquelles elle était exposée en l'absence de traitement du cancer dont elle était atteinte. Par ailleurs, le risque d'apparition d'une fistule a été augmenté du fait de la réalisation de l'hystérectomie sur un terrain irradié, Mme A... ayant bénéficié d'une radiothérapie du 16 mai au 22 juin 2011. Dans ces conditions, les conséquences dommageables de l'hystérectomie subie par Mme A... ne peuvent être regardées comme anormales au regard de son état de santé comme de l'évolution prévisible de celui-ci.

12. Il résulte de ce qui précède que, alors même que les dommages subis par Mme A... sont consécutifs à un acte de soin et que les experts désignés par la CRCI ont constaté que l'intéressée est atteinte d'une incapacité permanente de classe II, la condition d'anormalité fixée par les dispositions précitées du II de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique permettant d'ouvrir droit à une réparation au titre de la solidarité nationale n'est pas remplie. Les conclusions des époux A... dirigées contre l'ONIAM ne peuvent, dès lors, qu'être rejetées, sans qu'il soit besoin d'ordonner l'expertise comptable sollicitée.

Sur les frais liés à l'instance :

13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge du CHR d'Orléans et de l'ONIAM, qui ne sont pas parties perdantes dans la présente instance, la somme demandée par les époux A... au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. et Mme A... la somme demandée par le CHR d'Orléans au même titre.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de M. et Mme A... est rejetée.

Article 2 : Les conclusions du CHR d'Orléans présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D... A..., à M. C... A..., au centre hospitalier régional d'Orléans, à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales et à la caisse primaire d'assurance maladie d'Eure-et-Loir.

Délibéré après l'audience du 4 juin 2020 à laquelle siégeaient :

- Mme Perrot, président,

- Mme Tiger-Winterhalter, présidente-assesseure,

- M. Mony, premier conseiller.

Lu en audience publique le 19 juin 2020.

La rapporteure

N. Tiger-Winterhalter

Le président

I. Perrot

Le greffier

R. Mageau

La République mande et ordonne au ministre des affaires sociales et de la santé en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

18NT04362 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 18NT04077
Date de la décision : 19/06/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme PERROT
Rapporteur ?: Mme Nathalie TIGER-WINTERHALTER
Rapporteur public ?: M. GAUTHIER
Avocat(s) : CABINET FABRE SAVARY FABBRO

Origine de la décision
Date de l'import : 28/07/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2020-06-19;18nt04077 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award