La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

16/06/2020 | FRANCE | N°18NT03298

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 6ème chambre, 16 juin 2020, 18NT03298


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... C... a demandé au tribunal administratif de Rennes de condamner l'Etat à lui verser la somme de 20 000 euros en réparation du préjudice moral subi résultant du harcèlement moral dont il déclare avoir été victime.

Par un jugement n° 1601268 du 29 juin 2018, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 31 aout 2018, M. C..., représenté par la SCP Laudrain-Gicquel, demande à la cour :

1°) d'annu

ler le jugement du tribunal administratif de Rennes du 29 juin 2018 ;

2°) de condamner l'Etat à lui ve...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... C... a demandé au tribunal administratif de Rennes de condamner l'Etat à lui verser la somme de 20 000 euros en réparation du préjudice moral subi résultant du harcèlement moral dont il déclare avoir été victime.

Par un jugement n° 1601268 du 29 juin 2018, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 31 aout 2018, M. C..., représenté par la SCP Laudrain-Gicquel, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Rennes du 29 juin 2018 ;

2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 20 000 euros en réparation du préjudice moral subi résultant du harcèlement moral dont il déclare avoir été victime ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- il a été victime d'une situation de harcèlement moral de la part du directeur adjoint du lycée " Le Gros Chêne " à Pontivy dans lequel il travaille :

* il a signalé, dès le 18 avril 2012 à la chef du Service Régional de la Formation et du Développement (SRFD) de la Direction Régionale de l'Alimentation, de l'Agriculture et de la Forêt (DRAAF) de Bretagne les faits de harcèlement dont il était victime ;

* dès le 27 juin 2013, la commission de réforme a établi un lien entre les faits dénoncés et sa fonction de professeur au sein du lycée agricole, en donnant un avis favorable au congé de longue maladie imputable au service qu'il a sollicité, à compter du 8 mars 2012 ;

* en dépit de ce signalement, rien n'a été fait pour le prémunir de cette situation de harcèlement, si ce n'est trois inspections menées pour justifier l'inertie du ministère de l'agriculture ;

* le directeur adjoint avait déjà fait l'objet d'une mutation, d'un important établissement du Mans, à Pontivy, car il avait provoqué dans ses anciennes fonctions des problèmes similaires ;

* l'élément déclencheur du comportement hostile du directeur adjoint à son égard résulte d'une demande de travail à temps partiel à 80 % pendant trois ans pour s'occuper de son fils autiste sévère ;

* le directeur adjoint, qui ne supportait pas ce passage à temps partiel, a décidé de lui imposer la réalisation d'heures supplémentaires et de modifier une partie de ses enseignements ;

* l'administration n'a pas satisfait à son obligation de prévention et elle n'a pas pris les mesures suffisantes et indispensables à sa protection.

Par un mémoire en défense, enregistré le 27 novembre 2019, le ministre de l'agriculture et de l'alimentation conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par M. C... ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. B... ;

- les conclusions de M. Lemoine, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. M. C..., professeur de chimie-biologie au lycée " Le Gros Chêne " à Pontivy, a signalé, le 18 avril 2012, à la chef du SRFD de la DRAAF de Bretagne des faits de harcèlement moral dont il estime avoir été victime de la part du directeur adjoint de l'établissement. Le 27 juin 2013, la commission de réforme a rendu un avis favorable à l'imputabilité au service du syndrome anxio-dépressif majeur qui lui a été diagnostiqué le 8 mars 2012. Saisi d'une demande en ce sens par l'intéressé, le ministre chargé de l'agriculture lui a accordé la protection fonctionnelle par décision du 17 juillet 2014. Le 23 novembre 2015, M. C... a adressé au ministre chargé de l'agriculture une demande indemnitaire préalable afin d'obtenir au titre de la protection fonctionnelle une indemnisation de son préjudice moral fixée à 20 000 euros. Cette demande a fait l'objet d'un rejet implicite. M. C... relève appel du jugement du 29 juin 2018 par lequel le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 20 000 euros en réparation du préjudice moral subi résultant du harcèlement moral dont il déclare avoir été victime.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

2. Aux termes de l'article 11 de la loi du 13 juillet 1983, dans sa rédaction alors applicable : " Les fonctionnaires bénéficient, à l'occasion de leurs fonctions, d'une protection organisée par la collectivité publique dont ils dépendent, conformément aux règles fixées par le code pénal et les lois spéciales. / (...) La collectivité publique est tenue de protéger les fonctionnaires contre les menaces, violences, voies de fait, injures, diffamations ou outrages dont ils pourraient être victimes à l'occasion de leurs fonctions, et de réparer, le cas échéant, le préjudice qui en est résulté. / La collectivité publique est tenue d'accorder sa protection au fonctionnaire ou à l'ancien fonctionnaire dans le cas où il fait l'objet de poursuites pénales à l'occasion de faits qui n'ont pas le caractère d'une faute personnelle. (...) ". Aux termes du premier alinéa de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. (...) ".

3. D'une part, il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral, de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'un tel harcèlement. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile.

4. D'autre part, pour apprécier si des agissements dont il est allégué qu'ils sont constitutifs d'un harcèlement moral revêtent un tel caractère, le juge administratif doit tenir compte des comportements respectifs de l'agent auquel il est reproché d'avoir exercé de tels agissements et de l'agent qui estime avoir été victime d'un harcèlement moral. En revanche, la nature même des agissements en cause exclut, lorsque l'existence d'un harcèlement moral est établie, qu'il puisse être tenu compte du comportement de l'agent qui en a été victime pour atténuer les conséquences dommageables qui en ont résulté pour lui. Le préjudice résultant de ces agissements pour l'agent victime doit alors être intégralement réparé.

5. En premier lieu, la circonstance que M. C... ait obtenu le bénéfice de la protection fonctionnelle par décision du 17 juillet 2014 ne saurait impliquer la reconnaissance par l'administration d'une situation de harcèlement moral, cette dernière ayant pour finalité de mettre en oeuvre des mesures de prévention et de soutien, pour mettre fin aux attaques de toute nature dont l'agent demandeur estime être victime. De même, si la commission de réforme a émis, le 27 juin 2013, un avis favorable à l'imputabilité au service à compter du 8 mars 2012 du syndrome anxio-dépressif majeur dont souffre M. C..., il résulte de l'instruction que cet avis ne relève aucun lien entre les faits de harcèlement moral dénoncés et l'état de santé de l'intéressé, alors même qu'il ressort des certificats médicaux produits que la personnalité du requérant est décrite comme névrotique obsessionnelle compulsive ayant décompensé depuis 2010 sur un mode anxio-dépressif sévère, M. C... souffrant de troubles manifestes de la concentration, d'un envahissement de la pensée, d'une altération de l'humeur, de troubles du contact et de la relation, de ruminations hostiles et d'un sentiment aigu du préjudice. Enfin, les attestations de collègues produites par M. C... se bornent à faire état de relations conflictuelles avec le directeur adjoint en mentionnant seulement des propos déplacés visant également d'autres enseignants.

7. En second lieu, les courriers produits par le requérant, de sources syndicales et relatifs aux antécédents professionnels du directeur adjoint de l'établissement, sont sans incidence sur la situation de harcèlement moral alléguée au sein du lycée de Pontivy. Si M. C... soutient que sa demande tendant à lui permettre de bénéficier d'un temps partiel à 80%, à laquelle il a été fait droit, aurait été le facteur déclencheur du harcèlement moral dont il aurait été victime et qu'il se serait vu imposer irrégulièrement de ce fait des heures supplémentaires en représailles, il ne résulte pas de l'instruction que le nombre d'heures de travail demandé à M. C... excèderait ses obligations de services et que le changement des heures d'enseignement de l'intéressé, au titre notamment des travaux pratiques, ne serait pas lié à la réorganisation de service à la suite de l'arrivée d'une nouvelle équipe de direction, le rapport d'inspection du 6 février 2014 relevant à cet égard que l'aménagement de l'emploi du temps en part fixe et en part mobile devait être revu. En outre, la demande du proviseur adjoint de consulter la progression pédagogique d'un professeur de son établissement n'excède pas l'usage normal du pouvoir hiérarchique. Enfin, s'agissant de la manière de servir du directeur adjoint, qui a fait l'objet d'un examen spécifique dans le cadre des rapports d'inspection, s'il est relevé un style de management direct, une exigence professionnelle parfois excessive et une personnalité rigide à l'humeur changeante avec des idées arrêtées, intervenant dans un contexte délicat en raison des habitudes d'autogestion prises par les équipes enseignantes, cette seule circonstance ne saurait suffire pour caractériser les faits de harcèlement moral allégués.

8. Il résulte ainsi de l'instruction que les faits évoqués par M. C... à l'appui de sa demande, qui ne sont pas étayés par des éléments nouveaux en appel, ne sont pas susceptibles de faire présumer l'existence du harcèlement moral allégué et traduisent davantage un climat de tensions entre le directeur adjoint de l'établissement et les enseignants, dont M. C..., dans un contexte de réorganisation du fonctionnement général du lycée marqué par un renouvellement de l'équipe pédagogique et du mode de gestion managériale, ainsi qu'il ressort notamment du rapport d'inspection du 19 mai 2014, relevant un climat social fortement dégradé, avec une défaillance des équipes dirigeantes à apporter des réponses adéquates aux problèmes rencontrés, dont certains perduraient depuis plusieurs années.

9. Il résulte de ce qui précède que M. C... n'est pas fondé soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal a administratif de Rennes a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 20 000 euros en réparation du préjudice moral subi résultant du harcèlement moral dont il déclare avoir été victime.

Sur les frais liés au litige :

9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme réclamée par M. C... au titre des frais liés au litige.

DECIDE :

Article 1er : La requête de M. C... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... C... et au ministre de l'agriculture et de l'alimentation.

Délibéré après l'audience du 29 mai 2020, à laquelle siégeaient :

- M. Lenoir, président de chambre,

- Mme Gélard, premier conseiller,

- M. B..., premier conseiller.

Lu en audience publique, le 16 juin 2020.

Le rapporteur,

F. B...Le président,

H. LENOIR

La greffière,

E. HAUBOIS

La République mande et ordonne au ministre de l'agriculture et de l'alimentation en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 18NT03298


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 18NT03298
Date de la décision : 16/06/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. LENOIR
Rapporteur ?: M. François PONS
Rapporteur public ?: M. LEMOINE
Avocat(s) : SCP LAUDRAIN-GICQUEL

Origine de la décision
Date de l'import : 22/09/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2020-06-16;18nt03298 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award