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02/04/2020 | FRANCE | N°18NT02449

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 2ème chambre, 02 avril 2020, 18NT02449


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

D'une part, la société civile immobilière (SCI) Henri a demandé au tribunal administratif de Caen d'annuler l'arrêté du 9 mars 2017 par lequel le maire de Caen a délivré à la société Bouygues Immobilier un permis de construire, valant autorisation de démolir, en vue de l'édification de deux immeubles de 69 logements sur un terrain situé 75, boulevard Yves Guillou sur le territoire de cette commune ainsi que la décision du 28 juin 2017 par laquelle la même autorité a rejeté son recours gracieux. r>
Par un jugement n° 1701624 du 3 mai 2018, le tribunal administratif de Caen a re...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

D'une part, la société civile immobilière (SCI) Henri a demandé au tribunal administratif de Caen d'annuler l'arrêté du 9 mars 2017 par lequel le maire de Caen a délivré à la société Bouygues Immobilier un permis de construire, valant autorisation de démolir, en vue de l'édification de deux immeubles de 69 logements sur un terrain situé 75, boulevard Yves Guillou sur le territoire de cette commune ainsi que la décision du 28 juin 2017 par laquelle la même autorité a rejeté son recours gracieux.

Par un jugement n° 1701624 du 3 mai 2018, le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande.

D'autre part, la SCI Henri a demandé au tribunal administratif de Caen d'annuler le permis de construire modificatif tacite obtenu par la société Bouygues Immobilier le 31 janvier 2018 ainsi que la décision du 25 juillet 2018 par laquelle le maire de Caen a rejeté leur recours gracieux.

Par une ordonnance n° 1802289 du 18 mars 2019, le président du tribunal administratif de Caen a transmis cette demande à la cour sur le fondement de l'article L. 600-5-2 du code de l'urbanisme.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés au greffe de la cour le 26 juin 2018, le 8 octobre 2018, le 18 octobre 2018, le 4 décembre 2018, le 3 juillet 2019, des mémoire enregistrés au greffe du tribunal administratif de Caen dans l'instance n° 1802289 le 26 septembre 2019, le 25 janvier 2019, le 31 octobre 2019 et le 21 février 2019 ainsi qu'un mémoire récapitulatif enregistré au greffe de la cour le 12 décembre 2019, M. E... et la SCI Henri, représentés par Me B..., demandent à la cour, dans le dernier état de leurs écritures :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Caen du 3 mai 2018 ;

2°) d'annuler le permis de construire délivré à la société Bouygues Immobilier le 9 mars 2017, le permis de construire modificatif tacite acquis le 31 janvier 2018, le permis de construire modificatif délivré le 25 septembre 2019 et les décisions du 28 juin 2017 et du 25 juillet 2018 par lesquelles le maire de Caen a rejeté ses recours gracieux contre ces permis ;

3°) de mettre à la charge de la commune de Caen une somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient :

En ce qui concerne le permis de construire initial, que :

- en sa qualité de propriétaire de la parcelle cadastrée NS n° 113, voisine au terrain d'assiette du projet, elle a intérêt à agir compte tenu de la dépréciation de son bien, de la création de vue sur sa propriété et de l'impact visuel ;

- le dossier de la demande est insuffisant au regard des dispositions des articles R. 431-8 et R. 431-10 du code de l'urbanisme ;

- la création de deux nouvelles voies en impasse, d'une longueur supérieure à 50 mètres, n'est pas conforme aux dispositions de l'article UB 3 du règlement du plan local d'urbanisme ;

- la construction projetée, qui n'est pas implantée à l'alignement, n'est pas conforme à l'article UB 6 du règlement du plan local d'urbanisme ;

- les dispositions de l'article UB 7 du règlement du plan local d'urbanisme sont méconnues ;

- la surface d'espaces verts prévue n'est pas conforme aux dispositions de l'article UB 13 de ce règlement ;

- le projet méconnaît les dispositions de l'article R. 111-2 du code de l'urbanisme ;

- la modification n° 2 du plan local d'urbanisme est entachée de détournement de pouvoir ;

- la rétrocession d'une bande de terrain de 3 mètres à la commune de Caen, d'ailleurs abandonnée dans la demande de permis de construire modificatif, n'est qu'un artifice procédant d'une démarche frauduleuse en vue d'obtenir l'autorisation de construire ;

En ce qui concerne le premier permis de construire modificatif, que :

- en sa qualité de propriétaire de la parcelle cadastrée NS n° 113, voisine au terrain d'assiette du projet, elle a intérêt à agir compte tenu de la dépréciation de son bien, de la création de vue sur sa propriété et de l'impact visuel ;

- le dossier de la demande est insuffisant au regard des dispositions de l'articles R. 431-8 du code de l'urbanisme ;

- il méconnaît les dispositions de l'article UB 6 du règlement du plan local d'urbanisme ;

- il méconnaît les dispositions de l'article UB 10 du règlement du plan local d'urbanisme ;

. il méconnaît les dispositions de l'article UB 11.4 du règlement du plan local d'urbanisme.

En ce qui concerne le second permis de construire modificatif, que :

- en sa qualité de propriétaire de la parcelle cadastrée NS n° 113, voisine au terrain d'assiette du projet, elle a intérêt à agir compte tenu de la dépréciation de son bien, de la création de vues sur sa propriété et de l'impact visuel ;

- l'insuffisance du dossier de la demande, au regard des dispositions du c de l'article R. 431-8 du code de l'urbanisme, a empêché les services instructeurs d'apprécier la conformité du projet aux dispositions de l'article UB 11.4 du règlement du plan local d'urbanisme ;

- ce second permis de construire modificatif n'est pas conforme aux dispositions de l'article UB 6 du règlement du plan local d'urbanisme ;

- il méconnaît les dispositions de l'article UB 7 de ce règlement ;

- les dispositions de l'article UB 10 du même règlement ne sont pas respectées ;

- le projet n'est pas conforme aux dispositions du 2 de l'article UB 11.4.

Par des mémoires, enregistrés au greffe de la cour le 18 juillet 2018, le 27 juillet 2018, le 25 octobre 2018, le 21 novembre 2018, le 7 décembre 2018 et le 28 mai 2019, des mémoires enregistrés au greffe du tribunal administratif de Caen dans l'instance n° 1802288 le 26 octobre 2018 et le 28 janvier 2019, ainsi qu'un mémoire récapitulatif enregistré au greffe de la cour le 1er juillet 2019, la société Bouygues Immobilier, représentée par Me C..., conclut, dans le dernier état de ses écritures, au rejet des demandes de la SCI Henri et la mise à la charge de cette dernière d'une somme de 7 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- la requérante n'a pas de réel intérêt à agir contre les permis contestés ;

- les moyens soulevés ne sont pas fondés.

Par des mémoires en défense, enregistrés au greffe de la cour le 3 septembre 2018, le 29 octobre 2018, le 13 novembre 2018, le 5 décembre 2018 et le 31 mai 2019, un mémoire enregistré au greffe du tribunal administratif de Caen dans l'instance n° 1802288 le 4 février 2019 ainsi qu'un mémoire récapitulatif enregistré au greffe de la cour le 2 juillet 2019, la commune de Caen, représentée par Me G..., conclut, dans le dernier état de ses écritures, au rejet des demandes de la SCI Henri et la mise à la charge de cette dernière d'une somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- la requérante n'a pas d'intérêt à agir contre les permis contestés ;

- les moyens tirés de la méconnaissance des dispositions de l'article UB 3 et de l'article UB 11.4 sont inopérants ;

- les autres moyens soulevés ne sont pas fondés.

La clôture de l'instruction est intervenue le 23 décembre 2019 en application d'une ordonnance du même jour prise sur le fondement des articles R. 611-11-1 et R. 613-1 du code de justice administrative.

Des pièces produites par la SCI HENRI ont été enregistrées le 3 janvier 2020.

Vu :

- les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'urbanisme ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme F...,

- les conclusions de M. Derlange, rapporteur public,

- les observations de Me D..., substituant Me B... et représentant la SCI Henri, les observations de Me G..., représentant la commune de Caen et les observations de Me C..., représentant la société Bouygues Immobilier.

Considérant ce qui suit :

1. Par un arrêté du 9 mars 2017, le maire de Caen a délivré à la société Bouygues Immobilier un permis de construire un ensemble immobilier de 69 logements sur les parcelles cadastrées NS n° 106 et NS n° 107, situées 75 boulevard Yves Guillou à Caen, en zone UB, secteur UBa. Le 28 juin 2017, il a rejeté le recours gracieux formé contre cette autorisation par la société civile immobilière (SCI) Henri. Cette dernière relève appel du jugement n° 1701624 du 3 mai 2018 par lequel le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 9 mars 2017 et de la décision du 28 juin 2017.

2. La société Bouygues immobilier a, le 31 octobre 2017, déposé une demande de permis de construire modificatif qu'elle a tacitement obtenu le 31 janvier 2018, soit au cours de l'instance relative au permis de construire initial et pendante devant le tribunal administratif de Caen. Le 26 septembre 2018, la SCI Henri a demandé au tribunal administratif de Caen d'annuler ce permis de construire modificatif ainsi que la décision du 25 juillet 2018 par laquelle le maire de Caen a rejeté son recours gracieux. Par une ordonnance n° 1802289 du 18 mars 2019, le président du tribunal administratif de Caen a, sur le fondement de l'article R. 351-3 du code de justice administrative et de l'article L. 600-5-2 du code de l'urbanisme, transmis cette demande à la cour.

3. Par un arrêté du 25 septembre 2019, le maire de Caen a délivré à la société Bouygues Immobilier un second permis de construire modificatif dont la SCI Henri demande également l'annulation.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

En ce qui concerne les dispositions de l'arrêté du 9 mars 2017 qui n'ont pas été modifiées :

4. En premier lieu, aux termes des dispositions du 2 de l'article UB 3 du règlement du plan local d'urbanisme : " (...) / Les voies nouvelles en impasse doivent présenter une longueur inférieure à 50 mètres. / (...) ". Le titre Ier de ce règlement prévoit que " Sont considérées comme voies, les espaces publics ou privés, existants, à modifier ou à créer qui peuvent assurer la desserte (...) du terrain d'assiette de la construction, d'un alignement à l'autre de la voie. ".

5. Il résulte expressément de ces dispositions que les voies auxquelles elles s'appliquent sont les voies d'accès au terrain d'assiette des constructions et non les voies internes à ce terrain. Dès lors, la requérante ne saurait utilement soutenir que la voie située à l'intérieur du terrain d'assiette et menant aux places de stationnement ainsi que la rampe d'accès au sous-sol prévues par le projet ne seraient pas conformes à la règle qu'elles prescrivent.

6. En second lieu, aux termes de l'article R. 111-2 du code de l'urbanisme : " Le projet peut être refusé ou n'être accepté que sous réserve de l'observation de prescriptions spéciales s'il est de nature à porter atteinte à la salubrité ou à la sécurité publique du fait de sa situation, de ses caractéristiques, de son importance ou de son implantation à proximité d'autres installations. ".

7. Il ressort des pièces du dossier que le projet est desservi par le boulevard Yves Guillou, voie fréquentée par environ 16 000 véhicules par jour et que ses accès se situent sur une portion du boulevard marquée par un virage. Toutefois, la commune de Caen indique que, selon ses services de voirie, le trafic supplémentaire engendré par la création des 69 logements n'est pas significatif compte tenu de la fréquentation de la voie. D'ailleurs, seules 54 places de stationnement sont prévues par le projet. La commune fait également valoir, sans être contredite, que les " accès sont situés sur la partie convexe de la courbe " si bien que la visibilité demeure suffisante. En outre, il ressort des pièces du dossier que la voie considérée comprend deux fois deux voies séparées par un terre-plein central de sorte que la circulation, au niveau du projet, s'effectue dans un seul sens. La proximité d'un rond-point est, par ailleurs, de nature à modérer l'allure des véhicules. Ensuite, il ressort des notices descriptives que l'accès au parking souterrain est prévu avec un recul de 6,70 mètres entre le haut de la rampe et la voie. Ce recul permet aux véhicules de marquer un arrêt tant pour avoir une visibilité sur la voie que pour faciliter le passage en cas de croisement d'un véhicule en entrée et d'un véhicule en sortie. Le plan de masse fait apparaître que le second accès, menant aux places de stationnement situées à l'arrière des bâtiments, présente une largeur de trois mètres et que le portail est en retrait de l'alignement permettant ainsi aux usagers de disposer d'un espace dégagé avant d'accéder à la voie publique. Enfin, ni l'installation d'un " radar virage " ni les coupures de presse faisant état des difficultés engendrées par le stationnement des clients de la boulangerie voisine du projet et leur départ en marche arrière, lesquelles difficultés ont conduit les équipes municipales à réfléchir à un plan d'aménagement, ne suffisent à démontrer que le projet est, lui-même, de nature à accentuer ces difficultés. Dans ces conditions, en autorisant le projet litigieux, le maire de Caen n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions précitées de l'article R. 111-2 du code de l'urbanisme.

En ce qui concerne les dispositions de l'arrêté du 9 mars 2017 qui ont été modifiées :

8. En premier lieu, aux termes de l'article R. 431-8 du code de l'urbanisme : " Le projet architectural comprend une notice précisant : / ° L'état initial du terrain et de ses abords indiquant, s'il y a lieu, les constructions, la végétation et les éléments paysagers existants ; / Les partis retenus pour assurer l'insertion du projet dans son environnement et la prise en compte des paysages, faisant apparaître, en fonction des caractéristiques du projet : / a) L'aménagement du terrain, en indiquant ce qui est modifié ou supprimé ; / c) Le traitement des constructions, clôtures, végétations ou aménagements situés en limite de terrain ; / (...) ". Aux termes de l'article R. 431-10 du même code : " Le projet architectural comprend également : / a) Le plan des façades et des toitures ; lorsque le projet a pour effet de modifier les façades ou les toitures d'un bâtiment existant, ce plan fait apparaître l'état initial et l'état futur ; / b) Un plan en coupe précisant l'implantation de la construction par rapport au profil du terrain ; lorsque les travaux ont pour effet de modifier le profil du terrain, ce plan fait apparaître l'état initial et l'état futur ; / c) Un document graphique permettant d'apprécier l'insertion du projet de construction par rapport aux constructions avoisinantes et aux paysages, son impact visuel ainsi que le traitement des accès et du terrain ; / d) Deux documents photographiques permettant de situer le terrain respectivement dans l'environnement proche et, sauf si le demandeur justifie qu'aucune photographie de loin n'est possible, dans le paysage lointain. Les points et les angles des prises de vue sont reportés sur le plan de situation et le plan de masse. ".

9. La circonstance que le dossier de demande de permis de construire ne comporterait pas l'ensemble des documents exigés par les dispositions du code de l'urbanisme, ou que les documents produits seraient insuffisants, imprécis ou comporteraient des inexactitudes, n'est susceptible d'entacher d'illégalité le permis de construire qui a été accordé que dans le cas où les omissions, inexactitudes ou insuffisances entachant le dossier ont été de nature à fausser l'appréciation portée par l'autorité administrative sur la conformité du projet à la réglementation applicable.

10. D'abord, les notices descriptives et paysagères jointes aux demandes de permis de construire modificatif déposées en 2017 et 2019 décrivent le terrain d'assiette du projet et précisent que " les clôtures existantes Sud et Ouest seront maintenues dans le cadre du projet. La création du parking aérien sur l'arrière de la parcelle oblige à créer un mur de soutènement en béton d'une hauteur de 1,60 m pour assurer la stabilité de ces clôtures. Côté Est, le pignon du bâtiment B vient en limite de propriété, le reste sera clôturé par un mur enduit d'une hauteur d'1m80. ". Elles indiquent également que " aucun arbre des 7 arbres de hautes tiges présent[s] sur la parcelle ne peuvent être conservés. Ainsi, le projet prévoit, en compensation, de planter 7 arbres à hautes tiges en partie Sud et Ouest du terrain ". Des photographies illustrent les arbres à hautes tiges dont la plantation est prévue ainsi que les massifs arbustifs à créer. Le service instructeur a également disposé de plans de masse faisant apparaître, au droit des limites séparatives, les murets existants, les murs et murets de soutènement à créer, avec mention de leur hauteur respective, ainsi que le traitement des espaces verts. Ces derniers ont également été précisément localisés et décrits dans un document graphique nommé " Résumé règlement Espaces verts et arbres plantés " joint à la première demande de permis de construire modificatif. Dans ces conditions, la pétitionnaire doit être regardée comme ayant suffisamment et correctement renseigné le service instructeur quant aux clôtures, végétations et aménagements situés en limites séparatives. L'insuffisance de la notice paysagère jointe à l'appui de la demande du permis initial ne revêt pas d'incidence compte-tenu des modifications ultérieurement apportées par la pétitionnaire à cette pièce.

11. Ensuite, la pétitionnaire a fourni au service quatre et non deux documents photographiques en vue de justifier de l'insertion du projet par rapport aux constructions avoisinantes et aux paysages. Ceux-ci ne sont pas trompeurs contrairement à ce qu'allègue la requérante sans autre précision. S'ils représentent le projet depuis le boulevard Yves Guillou, aucune disposition n'imposait à la pétitionnaire de joindre un document permettant d'appréhender l'impact du projet depuis les propriétés voisines. Le service instructeur a, en outre, été en mesure d'apprécier l'insertion du projet dans son environnement grâce aux éléments descriptifs, assortis de photographies, insérés dans les notices descriptives et paysagères et portant sur les abords du terrain.

12. Enfin, les plans de coupes et de façades ainsi que les notices descriptives et paysagères indiquent que les garde-corps situés sur la toiture-terrasse seront perforés. Le service instructeur était ainsi en mesure d'apprécier, au regard des règles de hauteur et de gabarit prévues à l'article UB 10 du règlement du plan local d'urbanisme, le point haut du projet correspondant au sommet de l'acrotère sans prise en compte des garde-corps dès lors que ceux-ci sont ajourés.

13. En deuxième lieu, aux termes de l'article UB 6 du règlement du plan local d'urbanisme : " (...) / 6.2.2 Dans les secteurs UBa et ses sous-secteurs / Les constructions doivent être implantées à l'alignement. Exceptionnellement, elles peuvent s'implanter en retrait de 5m maximum, dans le cas d'une adaptation à un front bâti existant. / (...) / 6.2.4 Dispositions graphiques / Dans tous les cas, dès lors que figure aux plans de zonage une marge de recul, les constructions doivent être implantées : / - à l'aplomb de la limite de marge de recul imposée ; - à l'aplomb ou en recul de la marge de recul minimale. ". Le règlement définit la marge de recul comme " la partie de terrain située entre l'alignement et la façade de la construction. " et énonce qu'une telle marge de recul " peut être imposée graphiquement (plans de zonage). ".

14. D'une part, lorsqu'un permis de construire a été délivré en méconnaissance des dispositions législatives ou réglementaires relatives à l'utilisation du sol ou sans que soient respectées des formes ou formalités préalables à la délivrance des permis de construire, l'illégalité qui en résulte peut être régularisée par la délivrance d'un permis modificatif dès lors que celui-ci assure le respect des règles de fond applicables au projet en cause, répond aux exigences de forme ou a été précédé de l'exécution régulière de la ou des formalités qui avaient été omises. Il peut, de même, être régularisé par un permis modificatif si la règle relative à l'utilisation du sol qui était méconnue par le permis initial a été entretemps modifiée. Les irrégularités ainsi régularisées ne peuvent plus être utilement invoquées à l'appui d'un recours pour excès de pouvoir dirigé contre le permis initial.

15. Il ressort des pièces du dossier qu'à la date du permis de construire initial, aucune marge de recul n'était imposée par le plan de zonage alors applicable au droit du terrain d'assiette du projet litigieux. Une marge de recul au droit de ce terrain a toutefois été prévue par le plan de zonage issu de la modification du document d'urbanisme approuvée le 4 avril 2017.

16. Si la SCI Henri soutient que cette modification du plan local d'urbanisme serait entachée de détournement de pouvoir, en se prévalant notamment de la concomitance de l'engagement de la procédure de modification et du dépôt de la demande initiale de permis de construire, il ressort des pièces du dossier que la modification en cause, qui a porté sur vingt-cinq points, a créé plusieurs marges de recul imposées sur le territoire communal, notamment le long du boulevard Yves Guillou, de manière à favoriser la " respiration du paysage urbain " et anticiper le passage du tramway envisagé sur cette voie. La société requérante ne conteste pas la réalité de ces partis d'aménagement et d'urbanisme. Ainsi, il ne ressort pas des pièces du dossier que la modification critiquée serait intervenue pour un motif étranger à des considérations d'urbanisme et dans le but exclusif de régulariser une éventuelle illégalité du permis délivré à la société Bouygues immobilier.

17. L'obtention ultérieure d'un permis modificatif tacite fondé sur le plan local d'urbanisme modifié a régularisé l'illégalité, à la supposer établie, résultant de la méconnaissance des dispositions précitées de l'article UB 6.2.2 du règlement du plan local d'urbanisme, qui aurait entaché le permis initial. A cet égard, la SCI Henri ne saurait sérieusement soutenir que le projet ne peut être regardé comme ayant été modifié au regard du nouveau plan de zonage alors que le formulaire de demande de ce permis modificatif décrit son objet comme portant notamment sur l'" Abandon de la rétrocession suite aux modifications du PLU " et est accompagné d'un document graphique, nommé " résumé règlement constructible " sur lequel est portée la mention " REGLEMENT PLU ZONE UBa3 (...) 6 - Implantation sur le Bd GUILLOU recul imposé de 3m ". Par suite, le moyen tiré de ce que le permis de construire litigieux aurait été délivré en méconnaissance des dispositions de l'article UB 6.2.2 ne peut plus être utilement invoqué à l'appui des conclusions dirigées contre le permis initial.

18. D'autre part, alors qu'aux termes du titre Ier du règlement du plan local d'urbanisme, " La marge de recul est la partie de terrain située entre l'alignement et la façade de la construction. ", les dispositions, citées au point 11, de l'article UB 6.2.4 de ce règlement ne sont pas opposables à l'édification d'une clôture à l'alignement, un tel équipement ne constituant pas une construction au sens des dispositions en cause. Dès lors, la société requérante ne peut utilement soutenir qu'en prévoyant un mur de clôture en gabion à l'alignement, le projet ne serait pas conforme à ces dispositions.

19. En troisième lieu, en vertu de l'article UB 7 du règlement du plan local d'urbanisme, les constructions peuvent être implantées, au sein de la bande de constructibilité principale qui, s'agissant du secteur Uba, s'étend sur 18 mètres de profondeur, soit sur les limites séparatives, soit en retrait à condition, dans ce dernier cas, de respecter un retrait au moins égal à la moitié de la hauteur du bâtiment. Ce même article prévoit également que, au-delà de la bande de constructibilité principale, les constructions ou parties de construction doivent être implantées en retrait des limites séparatives à raison d'une distance au moins égale à la hauteur de la façade ou partie de façade de la construction. Le titre Ier du règlement dispose : " La profondeur de la bande de constructibilité principale, qui est fixée dans le règlement de la zone, est mesurée perpendiculairement par rapport : / - soit à l'alignement (...) ; / soit au recul imposé par les dispositions écrites du règlement de zone ou graphiques. / (...) ".

20. D'une part, ainsi qu'il a été dit aux points 15 à 17, le projet litigieux, tel que légalement modifié par le permis du 31 janvier 2018, est implanté à la limite de la marge de recul imposée par le plan de zonage. Dès lors, la SCI Henri ne peut utilement faire valoir que " si l'on décale la bande de constructibilité telle que présente sur le plan de masse de 3 mètres vers le Nord ", de nombreuses parties de la construction se situent au-delà de la bande de constructibilité principale sans respecter un retrait au moins égal à la hauteur.

21. D'autre part, il résulte du titre Ier du règlement du plan local d'urbanisme que, pour l'application de l'article 7 du règlement de zone, le retrait est la distance comptée perpendiculairement de chaque point de la construction au point le plus proche de la limite séparative, les balcons étant toutefois exclus des points de la construction à partir desquels le retrait est mesuré. Dès lors, doit être écarté comme inopérant le moyen tiré de ce que le balcon situé au 3ème étage au-dessus de l'accès secondaire du bâtiment A ainsi que le balcon de 9,79 mètres carrés au sud-ouest ne respecteraient pas les marges de retrait par rapport aux limites séparatives.

22. En quatrième lieu, il résulte de l'article UB 10 du règlement du plan local d'urbanisme que, dans le secteur UBa, sous-secteur UBa3, la hauteur maximale des constructions autorisée est de 14 mètres. Selon le règlement, la mesure de la hauteur s'effectue depuis le point bas qui correspond soit, au niveau du sol existant avant travaux, soit en cas d'affouillement supérieur à deux mètres, au niveau du sol existant après travaux, soit au niveau de la voie, au droit de la construction, lorsque cette dernière est implantée à l'alignement. S'agissant des terrains en pente, la hauteur maximale de la construction est déterminée à partir du point haut du terrain, au droit de la construction. Enfin, le point haut de la construction est mesuré au faîtage ou à l'acrotère.

23. Il est constant que le terrain d'assiette du projet est en pente. Les plans de coupes et de façades font apparaître, en pointillés rouges, une limite de hauteur constructible de 14 mètres déterminée à partir des niveaux hauts du talus existant au droit du boulevard Guillou, représenté par des pointillés bleus. Ce faisant, la pétitionnaire a, contrairement à ce que soutient la SCI Henri, correctement déterminé le point bas pour le calcul de la hauteur de son projet. Par suite, société requérante n'est pas fondée à soutenir que le point bas retenu étant, de manière erronée, surélevé de 1,5 mètre, les règles de hauteur et de gabarit ne seraient pas respectées. Par ailleurs, les garde-corps ajourés prévus sur la toiture-terrasse et dont la requérante fait valoir qu'il n'est pas possible de s'assurer qu'ils auraient été pris en compte, constituent un édicule technique de faible emprise que le titre Ier du règlement du plan local d'urbanisme prévoit de ne pas retenir pour la détermination de la hauteur de la construction. Par suite, alors que la SCI Henri ne conteste pas que la hauteur de la construction projetée ne dépasse pas 14 mètres, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article UB 10 du règlement du plan local d'urbanisme doit être écarté.

24. En cinquième lieu, aux termes des dispositions de l'article UB 11.4.1 du règlement du plan local d'urbanisme, relatives aux clôtures à l'alignement : " (...) / Les parties ajourées des clôtures doivent représenter au moins un tiers de leur surface, exception faite des éléments de clôture constitutifs du portail. ".

25. Le projet contesté, tel que modifié par le permis de construire modificatif délivré le 25 septembre 2019, prévoit un " mur de clôture gabion en limite de propriété (...) traité sur 2/3 de sa hauteur en remplissage pierre d'une hauteur ponctuelle de 42 cm à 1,20 m et sur 1/3 sans remplissage pierre laissant apparaître le treillis ajouré d'une hauteur de 40 cm ". Il s'ensuit que le moyen tiré des dispositions précitées doit être écarté.

26. En sixième lieu, aux termes des dispositions de l'article UB 11.4.2 du règlement du plan local d'urbanisme, relatives aux clôtures en limite séparative : " La conception des clôtures doit permettre le passage d'animaux terrestres de petite taille (hérissons, fouines...). Les murs de pierres doivent être préservés. ".

27. Il ne ressort d'aucune pièce du dossier que le mur en gabion prévu par le projet à l'alignement serait également implanté en limite séparative. Par suite, la requérante ne saurait utilement invoquer les dispositions précitées de l'article UB 11.4.2 ni soutenir que le remplissage de ce mur en gabion ne permet pas le passage d'animaux terrestres de petite taille.

28. En dernier lieu, les dispositions de l'article UB 13 du règlement du plan local d'urbanisme exigent que, dans le secteur UBa et ses sous-secteurs, 30 % de la superficie du terrain située au-delà de la bande de constructibilité principale soient traités en espaces verts.

29. Il ressort des pièces du dossier que la superficie du terrain d'assiette située au-delà de la bande de constructibilité principale, laquelle doit être mesurée à partir de la limite de la marge de recul imposée par le plan de zonage, s'étend non sur 790 mètres carrés, comme le prétend la société requérante, mais sur 587,13 mètres carrés. Ainsi, en prévoyant, dans sa version modifiée, 184,82 mètres carrés d'espèces verts, le projet respecte le ratio de 30 % imposé par les dispositions de l'article UB 13.

En ce qui concerne la fraude :

30. Alors même que la pétitionnaire avait initialement envisagé de rétrocéder à la commune une bande de terrain, l'absence dans le dossier de la demande de permis de construire d'un acte de rétrocession, dont la production n'est exigée par aucune disposition ne permet pas de regarder cette société comme s'étant livrée à une manoeuvre frauduleuse destinée à obtenir l'autorisation de construire en litige. Au demeurant, la société Bouygues Immobilier, bien que disposant de la maîtrise foncière pour déposer sa demande de permis, n'était pas propriétaire du terrain d'assiette du projet de sorte qu'aucun acte de rétrocession ne pouvait figurer au dossier.

31. Il résulte de tout ce qui précède que, sans qu'il soit besoin d'examiner les fins de non-recevoir opposées en défense ni la recevabilité des conclusions de la société requérante dirigées contre le permis de construire modificatif du 31 janvier 2018, les conclusions aux fins d'annulation présentées par la SCI Henri doivent être rejetées.

Sur les frais liés au litige :

32. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la commune de Caen, laquelle n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que demande la SCI Henri au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il y a lieu, en revanche, de mettre à la charge de la SCI Henri, d'une part, le versement à la commune de la somme de 4 000 euros et, d'autre part, le versement à la société Bouygues Immobilier de la somme de 4 000 euros.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de la SCI Henri est rejetée.

Article 2 : La SCI HENRI versera une somme de 4 000 euros à la commune de Caen et une somme de 4 000 euros à la société Bouygues immobilier, sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société civile immobilière Henri, la commune de Caen et la société Bouygues Immobilier.

Délibéré après l'audience du 10 mars 2020, à laquelle siégeaient :

- Mme Brisson, président,

- M. A...'hirondel, premier conseiller,

- Mme F..., premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe de la juridiction le 2 avril 2020.

Le rapporteur,

K. F...

Le président,

C. BRISSONLe greffier,

K. BOURON

La République mande et ordonne au ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 18NT02449


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 18NT02449
Date de la décision : 02/04/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme BRISSON
Rapporteur ?: Mme Karima BOUGRINE
Rapporteur public ?: M. DERLANGE
Avocat(s) : BOUTHORS-NEVEU

Origine de la décision
Date de l'import : 18/04/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2020-04-02;18nt02449 ?
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