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30/03/2020 | FRANCE | N°18NT03355

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 4ème chambre, 30 mars 2020, 18NT03355


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La maison départementale de retraite de Villecante a demandé au tribunal administratif d'Orléans de condamner solidairement les sociétés Griveau, Caraty-Poupart-Lafarge, Qualiconsult et leurs assureurs, la SMABTP et les sociétés AXA et MAF, à lui verser la somme de 288 497 euros en réparation de la perte d'exploitation résultant des désordres ayant affecté cet établissement, la somme de 15 000 euros au titre de dommages et intérêts pour résistance abusive, et la somme de 1 383,90 euros au titre des

dépens.

Par un jugement n° 1600681 du 12 juillet 2018, le tribunal administr...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La maison départementale de retraite de Villecante a demandé au tribunal administratif d'Orléans de condamner solidairement les sociétés Griveau, Caraty-Poupart-Lafarge, Qualiconsult et leurs assureurs, la SMABTP et les sociétés AXA et MAF, à lui verser la somme de 288 497 euros en réparation de la perte d'exploitation résultant des désordres ayant affecté cet établissement, la somme de 15 000 euros au titre de dommages et intérêts pour résistance abusive, et la somme de 1 383,90 euros au titre des dépens.

Par un jugement n° 1600681 du 12 juillet 2018, le tribunal administratif d'Orléans a rejeté la demande de la maison de retraite départementale de Villecante, a condamné la société Caraty-Poupart-Lafarge et la société Qualiconsult à verser à la SMABTP, en sa qualité d'assureur subrogé de la maison départementale de retraite, les sommes respectives de 3 996,73 euros et 118 661,51 euros au titre de l'indemnisation du préjudice matériel et a rejeté le surplus des conclusions des parties.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 5 septembre 2018 et 29 mars 2019, la maison départementale de retraite de Villecante, représentée par Me H..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 12 juillet 2018 du tribunal administratif d'Orléans ;

2°) d'homologuer le rapport d'expertise de M. A... et de réformer le jugement en fixant le partage de responsabilité entre le bureau de contrôle Qualiconsult, le cabinet Caraty Poupart Lafarge et l'entreprise Griveau respectivement à 20 %, 40 % et 40% ;

3°) de condamner solidairement la SMABTP, en qualité d'assureur de la société Griveau, la société Qualiconsult, et son assureur la société Axa France IARD, la société Caraty-Poupard-Lafarge, et son assureur la MAF, à lui verser 288 497 euros en réparation du préjudice complémentaire d'exploitation subi en conséquence du sinistre intervenu le 11 mai 2009, ainsi que 15 000 euros pour résistance abusive, avec intérêts au taux légal à compter de la saisine du tribunal administratif d'Orléans, et une somme de 1 383,90 euros à titre d'indemnisation de ses frais d'assistance comptable exposés en référé ;

4°) de mettre à la charge de la société Qualiconsult, de la société Axa France IARD, de la société Caraty Poupard Lafarge et de la MAF, tous les dépens, incluant les frais de procédure de référé, les frais d'expertise et les dépens de la présente instance ;

5°) de rejeter les demandes et conclusions de la SMABTP, de la société Qualiconsult, de la société Axa France IARD, de la société Caraty-Poupard-Lafarge et de la MAF ;

6°) de mettre à la charge de la SMABTP, en qualité d'assureur de la société Griveau, de la société Qualiconsult, de la société Axa France IARD, de la société Caraty-Poupard-Lafarge, et de la MAF, au titre des frais de première instance, la somme de 10 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

7°) de mettre à la charge de la SMABTP, en qualité d'assureur de la société Griveau, de la société Qualiconsult, de la société Axa France IARD, de la société Caraty-Poupard-Lafarge, et de la MAF, au titre des frais exposés en appel, une somme de 10 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

sur la régularité du jugement :

- le jugement lui oppose l'incompétence de la juridiction administrative pour statuer sur ses demandes tendant au paiement des sommes dues par un assureur au titre de ses obligations de droit privé et à raison du fait dommageable commis par son assuré, alors que cette incompétence " ne résulte pas d'un moyen d'ordre public " ;

- la responsabilité décennale des constructeurs est engagée en raison des désordres ayant affecté la maison de retraite, ainsi que l'a reconnu le tribunal, et les sociétés Griveau, Caraty Poupart Lafarge et Qualiconsult seront reconnues responsables solidairement de ces désordres ;

- c'est à tort que le tribunal a refusé de procéder à l'homologation du rapport d'expertise ;

- ainsi qu'il résulte du rapport d'expertise il existe un préjudice d'exploitation indemnisable au titre de l'année 2010 dès lors que si les travaux de remise en état ont été effectués, l'établissement n'a pu retrouver des résidents immédiatement ; l'analyse du tribunal est erronée en ce qui concerne la dotation allouée par la caisse primaire d'assurance maladie et le surcoût des malades ; le montant total de son préjudice immatériel complémentaire indemnisable est de 288 497 euros ainsi que fixé par le rapport d'expertise ;

- la responsabilité des assureurs des constructeurs responsables est engagée ;

- il y lieu de l'indemniser, pour 15 000 euros, de la résistance abusive opposée par les sociétés intimées à l'indemniser du préjudice complémentaire qu'elle sollicite au titre de ses préjudices immatériels ;

- les parties succombantes lui verseront 1 383,90 euros à titre de réparation des frais exposés pour faire valoir ses droits en se faisant assister de son expert-comptable ;

- la demande de la SMABTP tendant au versement de 15 019 euros par la maison de retraite, correspondant à la différence entre le montant versé par l'assureur dommage-ouvrage et le montant apprécié par les premiers juges, constitue une demande nouvelle, dès lors irrecevable ; en tout état de cause, l'expert mandaté par cette société avait fixé le montant, qu'elle n'a jamais contesté jusque-là, et versé par la société SMABTP ; en tout état de cause le montant retenu par le tribunal au titre de l'indemnisation de son préjudice immatériel est erroné en ce qu'il s'écarte des sommes retenues par l'expert judiciaire et la demande de cette société ne peut qu'être écartée ;

- les demandes de la société Qualiconsult et de la société Axa seront écartées dès lors que le partage de responsabilité retenu par le tribunal sera maintenu ;

- les demandes de la société Caraty Poupart Lafarge seront écartées dès lors que sa responsabilité est engagée dans les désordres à l'origine des préjudices indemnisables subis par la maison de retraite ; sa contestation du quantum auquel elle a été condamnée sera écartée eu égard aux conclusions du rapport d'expertise judiciaire ; la condamnation prononcée à son égard sera solidaire ;

- les demandes de la société Caraty Poupart Lafarge et de la MAF seront rejetées en tant qu'elles demandent la confirmation du jugement attaqué, et en ce qu'elles remettent en cause, sans réelles précisions nouvelles, le quantum retenu par l'expert judiciaire au titre du préjudice immatériel indemnisable de l'exposante.

Par des mémoires enregistrés les 29 janvier et 1er mars 2019, la SMAPTB, représentée par la SCP Pacreau et Courcelles, conclut au rejet de la requête de la maison départementale de retraite de Villecante et demande à la cour :

1°) par la voie de l'appel incident, de condamner la maison départementale de retraite de Villecante à lui verser la somme de 15 019 euros correspondant à la différence entre la somme qu'elle a versée à cet établissement et le montant de l'indemnité fixée par le jugement du 12 juillet 2018 ;

2°) par la voie de l'appel provoqué, de fixer la répartition des responsabilités à 40 % pour la société Griveau, 40 % pour la société Caraty Poupart Lafarge et 20 % pour la société Qualiconsult ;

3°) subsidiairement, de reprendre les pourcentages de responsabilité adoptés par le tribunal administratif et de condamner les sociétés Griveau, Caraty Poupart Lafarge et Qualiconsult en conséquence ;

4°) de débouter les autres parties de toutes leurs demandes ;

5°) d'assortir toutes les condamnations d'un intérêt au taux légal à compter du versement des sommes auxquelles la SMABTP a procédé, ou à défaut, à compter de l'enregistrement de son mémoire, avec anatocisme ;

6°) de juger que les frais d'expertise et les éventuels frais d'instance alloués à la maison départementale de retraite seront répartis selon la clé de répartition fixée au titre du partage de responsabilité ;

7°) de mettre à la charge de toute partie succombante une somme de 10 000 euros au titre des frais d'instance.

Elle soutient que :

- c'est au terme d'une analyse incontestable que le tribunal a estimé à 289 981 euros le montant du préjudice immatériel indemnisable de la maison de retraite ; il y a lieu en conséquence de mettre à la charge de cette dernière la somme de 15 019 euros correspondant à la différence entre la somme que la SMABTP lui a versée en qualité d'assureur dommage ouvrage et celle retenue par les premiers juges ;

- la demande de la requérante présentée à titre d'indemnisation d'une résistance abusive sera écartée dès lors que la SMABTP lui a accordé sa garantie au maximum de ses obligations contractuelles et au-delà de son préjudice immatériel réel subi ;

- il y a lieu de retenir le partage de responsabilité arrêté par les parties dans le cadre de la convention de règlement de l'assurance construction, avec l'accord de l'ensemble des experts ; la responsabilité de la société Qualiconsult est clairement établie à hauteur de 20 % eu égard à sa mission de contrôleur technique, telle que définie notamment par son rapport de fin de mission et ses obligations législatives et réglementaires précisées aux articles L. 111-23 à L. 111-26 et R.111-38 à 42 du code de la construction et de l'habitation.

Par un mémoire en défense, enregistré le 4 février 2019, la société Caraty Poupart Lafarge et la mutuelle des architectes français (MAF), représentées par Me I..., demandent à la cour :

1°) à titre principal, de rejeter la requête de la maison départementale de retraite de Villecante ;

2°) subsidiairement, par la voie de l'appel provoqué, si la cour retient un préjudice immatériel pour la maison départementale de retraite supérieur à 305 000 euros, que les condamnations soient réparties à hauteur de 20 % pour les sociétés Qualiconsult et Axa, 40 % pour la société Caraty Poupart Lafarge et la MAF, 40 % pour la société Griveau et la SMABTP ;

3°) dans l'hypothèse d'une condamnation solidaire, de condamner la SMABTP et la société Qualiconsult à garantir la société Caraty Poupard Lafarge de toutes condamnations en principal, frais et intérêts ;

4°) de rejeter toutes autres conclusions.

Elles soutiennent que :

- les demandes de la maison départementale de retraite de Villecante dirigées contre les assureurs des constructeurs sont portées devant une juridiction incompétente pour en connaitre, ainsi qu'il en a été jugé en première instance ;

- la demande d'indemnisation complémentaire présentée par la maison départementale de retraite de Villecante, pour un montant total de 288 497 euros, sera écartée au vu des calculs de leur expert s'agissant du résultat reconstitué de la section hébergement pour l'année 2009, de la gestion et de l'équilibre budgétaire d'un EHPAD, de la perte de chiffre d'affaires des activités hébergement et dépendance et des économies réalisées ; par ailleurs, l'EHPAD n'établit pas le préjudice financier qu'il allègue au titre de l'année 2010 ;

- les demandes d'exonération de responsabilité de la société Qualiconsult seront écartées ; subsidiairement, la société Caraty Poupart Lafarge ne saurait être condamnée à une somme supérieure à 20 % des travaux de reprise ;

- aucune résistance abusive n'est identifiable en l'espèce ;

- la demande présentée au titre du remboursement de frais d'assistance comptable est distincte des dépens, et, nouvelle en appel au titre des dommages et intérêts, irrecevable.

Par des mémoires enregistrés les 1er février et 3 juin 2019, la société Qualiconsult et la compagnie Axa France, représentées par Me G..., demandent à la cour :

1°) de rejeter la requête d'appel de la maison départementale de retraite de Villecante ainsi que les conclusions d'appel provoqué de la SMABTP, de la société Caraty Poupart Lafarge et de la MAF et de mettre hors de cause les exposantes ;

2°) par la voie de l'appel incident, de réformer le jugement du 12 juillet 2018 en ce qu'il juge que la responsabilité de la société Qualiconsult est engagée et met à sa charge une somme de 118 661,51 euros ;

3°) subsidiairement, de condamner la SMABTP et la société Caraty Poupart Lafarge, solidairement avec la MAF, à garantir intégralement la société Qualiconsult et la société Axa France de toute condamnation éventuelle, en principal, intérêts et frais ;

4°) de mettre les dépens à la charge de toute partie succombante ;

5°) de mettre à la charge de toute partie succombante, solidairement, une somme de 8 000 euros au titre des frais d'instance.

Elles soutiennent que :

- les conclusions présentées à l'encontre de la société Axa France sont irrecevables en raison de l'incompétence de la juridiction ;

- la responsabilité de la société Qualiconsult dans les désordres n'est pas engagée eu égard à sa qualité de contrôleur technique, à sa mission et à l'absence de preuve de l'imputabilité apportée par la maison de retraite faute d'atteinte à la solidité de l'ouvrage ou de l'élément d'équipement défaillant ; il n'est pas démontré par les demandeurs que la société a été mise en mesure d'exercer sa mission ;

- subsidiairement, il y a lieu de mettre exclusivement à la charge de la société Griveau pour 75 %, et à celle du maître d'oeuvre pour 25 %, l'indemnisation demandée ;

- aucune somme n'est due au titre de la demande en dommages et intérêts présentée pour résistance abusive ; celle-ci n'est pas établie, ne constitue pas un préjudice distinct de celui constitué par les troubles nés de l'inondation et son quantum n'est pas justifié ;

- subsidiairement, les demandes de condamnation solidaire seront écartées dès lors que le contrôleur technique n'est ni concepteur ni exécutant ; si elle devait être condamnée la société Qualiconsult serait intégralement relevée et garantie par la SMABTP, assureur de la société Griveau, seule responsable, ou par la société Caraty Poupart Lafarge, et son assureur, en sa qualité de maître d'oeuvre.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code civil ;

- la code de la construction et de l'habitation ;

- le code des assurances ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. C...,

- les conclusions de M. Besse, rapporteur public,

- et les observations de Me B..., représentant la société Caraty Poupart Lafarge et la mutuelle des architectes français, et de Me J..., représentant la société Axa France Iard et la société Qualiconsult.

Considérant ce qui suit :

1. L'établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes, dit maison départementale de retraite de Villecante, sur le territoire de la commune de Dry (Loiret), a engagé des travaux de reconstruction, d'agrandissement et de mise aux normes de ses bâtiments. Il a ainsi conclu en 2006 un marché de maîtrise d'oeuvre avec la société Caraty Poupart Lafarge, un marché de contrôle technique avec la société Qualiconsult et des marchés portant sur le lot n° 5 " charpente " et le lot n° 6 " couverture-zinguerie " avec la société Griveau. Une première phase des travaux, caractérisée par la construction de quatre nouveaux bâtiments, a été réceptionnée le 21 janvier 2009. Le 11 mai suivant, après de fortes pluies, l'établissement a subi un sinistre, l'eau s'étant infiltrée à l'intérieur d'un bâtiment en raison d'un défaut affectant des chéneaux, entraînant notamment l'effondrement de faux plafonds. La SMABTP, en sa qualité d'assureur dommages-ouvrage de la maison départementale de retraite, a indemnisé cette dernière à hauteur de 501 095,76 euros au titre du préjudice matériel subi et de 305 000 euros au titre de son préjudice immatériel. La maison départementale de retraite de Villecante a saisi le juge des référés du tribunal de grande instance d'Orléans afin qu'une expertise soit ordonnée pour déterminer le montant exact de son préjudice immatériel. L'expert désigné par une ordonnance du 19 juillet 2013 a conclu à une perte d'exploitation indemnisable d'un montant total de 590 000 euros, duquel il convient de soustraire la somme de 305 000 euros versée par l'assureur dommages-ouvrage de l'établissement, puis d'ajouter 3 315 euros au titre des intérêts courus sur le solde dû de 285 000 euros. Par ailleurs, la société Griveau, dont l'assureur était la SMABTP, a été placée en liquidation judiciaire.

2. Par un jugement du 12 juillet 2018, dont la maison départementale de retraite fait appel, le tribunal administratif d'Orléans a débouté cet établissement de sa demande indemnitaire et a notamment fait droit aux conclusions reconventionnelles présentées par la SMABTP à l'encontre des sociétés Caraty Poupart Lafarge et Qualiconsult. La maison départementale de retraite de Villecante relève appel de ce jugement tandis que les sociétés Caraty Poupart Lafarge et Qualiconsult, ainsi que leurs assureurs respectifs la mutuelle des architectes de France et la compagnie Axa France, ainsi que la SMABTP, présentent devant la cour des conclusions d'appel incident et provoqué.

Sur la compétence de la cour pour statuer sur les conclusions dirigées contre la compagnie Axa France, la mutuelle des architectes de France et la SMABTP :

3. La maison départementale de retraite présente des conclusions indemnitaires contre ces trois sociétés, en leur qualité d'assureur des trois constructeurs mis en cause pour les désordres ayant affecté en 2009 cet établissement. Toutefois ces conclusions dirigées directement contre les assureurs de personnes privées, qui ne tendent qu'à l'exécution d'une obligation de droit privé fondée sur le contrat d'assurance de chacune des sociétés, ne peuvent qu'être portées devant le juge judiciaire. La juridiction administrative est donc incompétente pour en connaître.

Sur les conclusions d'appel principal de la maison départementale de retraite :

En ce qui concerne la régularité du jugement :

4. La juridiction est tenue de soulever d'office son incompétence lorsqu'elle est saisie de conclusions qui relèvent d'un autre ordre de juridiction. Or, des conclusions indemnitaires dirigées directement contre l'assureur d'une personne privée, qui ne tendent qu'à l'exécution d'une obligation de droit privé fondée sur le contrat d'assurance de l'entreprise, ne peuvent qu'être portées devant le juge judiciaire. Par suite, c'est à bon droit que le tribunal administratif d'Orléans a soulevé, par courrier du 19 juin 2018, l'incompétence de la juridiction administrative pour connaître des conclusions de la maison départementale de retraite dirigées contre les sociétés Axa et la SMABTP, prises respectivement en leur qualité d'assureur des sociétés Qualiconsult et Griveau. Par ailleurs, dès lors que la MAF avait opposé une telle fin de non-recevoir, le tribunal a pu régulièrement retenir la même exception d'incompétence, pour un motif identique, s'agissant des conclusions de la maison départementale de retraite dirigées contre la mutuelle des architectes de France (MAF), en sa qualité d'assureur de la société Caraty Poupart Lafarge. Par suite, l'irrégularité alléguée du jugement du 12 juillet 2018 du tribunal administratif d'Orléans ne peut qu'être écartée.

En ce qui concerne le bien-fondé du jugement :

5. En premier lieu, la maison départementale de retraite soutient que c'est à tort que les premiers juges n'ont pas fait droit à sa demande indemnitaire, complémentaire de la somme déjà versée par son assureur dommage ouvrage la SMABTP au titre de ses préjudices financiers consécutifs au sinistre du 11 mai 2019. Elle se réfère ainsi au rapport d'expertise judiciaire présent au dossier qui conclut notamment à l'existence d'un préjudice immatériel indemnisable total de la requérante de 590 000 euros, excédant donc la somme de 305 000 euros déjà versée par la SMABTP au titre de la perte d'activité et d'exploitation de la maison de retraite née du sinistre du 11 mai 2009. D'une part cependant, une homologation, ici sollicitée par la maison départementale de retraite, consiste à donner un caractère exécutoire à un acte. Or l'expertise diligentée à la demande de cet établissement n'a notamment pas conduit à un accord entre les parties, susceptible de fonder une transaction entre elles, et se limite à déterminer le préjudice estimé subi au titre de sa perte d'activité et d'exploitation consécutive au sinistre du 11 mai 2009. En tout état de cause, il n'y a donc pas lieu pour la cour de prononcer l'homologation demandée. D'autre part, il résulte du jugement attaqué, en ses points 12 à 21, que pour s'écarter des appréciations de l'expert et évaluer une indemnisation totale de la maison départementale de retraite requérante à hauteur de 289 981 euros, inférieure à la somme déjà versée par son assureur, il a été procédé par les premiers juges à une analyse précise et motivée, que la maison départementale de retraite ne critique réellement qu'en ce que n'est pas reconnue l'existence d'une perte d'exploitation pour l'année 2010. Toutefois, sur ce point, elle se borne à affirmer, en renvoyant au rapport d'expertise, et sans autre justification, qu'alors même que les travaux de remise en état de l'établissement étaient terminés dès janvier 2010 elle aurait ensuite eu des difficultés pour retrouver des résidents, ce qui ne saurait suffire à justifier l'existence d'une perte d'exploitation au titre de l'année 2010 en lien direct avec les désordres issus du sinistre du 11 mai 2009. Si elle soutient également que les premiers juges ont mal apprécié l'incidence dans le calcul de son préjudice de la dotation de 124 970 euros versée pour le financement de la section " soins " par la caisse primaire d'assurance maladie, qui a été maintenue malgré l'arrêt de l'activité de soins, et rejeté à tort sa demande au titre du remboursement du surcoût lié au relogement de personnes hébergées après le sinistre, elle n'avance aucune explication précise à ces titres. Par suite, il y a lieu de rejeter les conclusions indemnitaires présentées par la maison départementale de retraite, ainsi que, par voie de conséquence, ses conclusions à fin de condamnation solidaire des constructeurs mis en cause.

6. En deuxième lieu, la maison départementale de retraite, si elle demande le versement par les parties intimées d'une somme de 15 000 euros, ne fait état d'aucun élément permettant d'établir que les sociétés mises en cause, en participant aux opérations d'expertise puis au débat contentieux, auraient fait preuve d'une résistance abusive de nature à lui ouvrir droit à indemnité.

7. En troisième lieu, la maison départementale de retraite demande la condamnation solidaire des parties intimées à lui verser une somme de 1 383,90 euros correspondant aux frais qu'elle a exposés pour rémunérer un expert-comptable qui l'a assisté lors des opérations d'expertise. Cependant, en tout état de cause, il ne résulte pas de l'instruction que cette assistance aurait été utile à la résolution du présent litige. Par suite, il y a lieu d'écarter les conclusions présentées à ce titre.

8. En quatrième lieu, il résulte de ce qui précède que c'est à bon droit que les premiers juges ont écarté les conclusions présentées par la maison départementale de retraite au titre des frais d'instance dès lors qu'elle avait la qualité de partie perdante. Par suite, les conclusions présentées par cet établissement tendant à la réformation du jugement du 12 juillet 2018 sur ce point ne peuvent qu'être écartées.

9. Il résulte de tout ce qui précède que la maison départementale de retraite de Villecante n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif d'Orléans a rejeté sa demande.

Sur les conclusions d'appel incident et d'appel provoqué présentées par la SMABTP en qualité d'assureur " dommages-ouvrage " subrogé dans les droits et actions de la maison départementale de retraite :

10. Il résulte des dispositions des articles L. 121-12 et L. 242-1 du code des assurances que l'assureur qui a pris en charge la réparation de dommages ayant affecté l'ouvrage de la nature de ceux dont sont responsables les constructeurs se trouve subrogé dans les droits et actions du propriétaire à l'encontre des constructeurs. Il incombe à l'assureur qui entend bénéficier de cette subrogation d'apporter la preuve du versement de l'indemnité d'assurance à son assuré, et ce par tout moyen. Toutefois, lorsque l'assuré a demandé au juge de condamner son assureur à prendre en charge le prix des travaux de réparation des dommages ayant affecté l'ouvrage, cet assureur peut exercer, à l'égard des constructeurs, l'action subrogatoire qu'il tient de l'article L. 121-12 du code des assurances, sans avoir à justifier préalablement du paiement d'une indemnité à son assuré.

11. En premier lieu, les conclusions d'intimé à intimé de la SMABTP tendant à modifier le partage de responsabilité entre constructeurs fixé par le jugement attaqué, ainsi qu'en conséquence les sommes dues par les sociétés Qualiconsult et Caraty Poupard Lafarge constituent des conclusions d'appel provoqué et sont donc irrecevables dès lors que ce qui est jugé ci-dessus n'aggrave pas la situation de la SMABTP.

12. En second lieu, la SAMBTP demande que la maison départementale de retraite de Villecante soit condamnée à lui rembourser une somme de 15 109 euros correspondant à la différence entre la somme de 305 000 euros qu'elle lui a versée à titre d'indemnisation de son préjudice immatériel, au regard du contrat d'assurance " dommages-ouvrages " qui les liait, et la somme de 289 981 euros retenue par le jugement attaqué comme préjudice immatériel indemnisable consécutif au dommage subi le 11 mai 2019. Or, ainsi que l'oppose la maison départementale de retraite, ces conclusions d'appel incident ont le caractère d'une demande nouvelle en appel. Elles doivent par conséquent être rejetées comme irrecevables.

Sur les conclusions d'appel provoqué présentées par la société Qualiconsult et la compagnie Axa France :

13. Les conclusions par lesquelles la société Qualiconsult et la compagnie Axa France demandent, d'une part, de modifier le partage de responsabilité entre constructeurs fixé par le jugement attaqué puis de réformer le jugement qui a condamné la société Qualiconsult à verser 118 661,51 euros à la SMABTP, en qualité d'assureur " dommages ouvrage " de la maison départementale de retraite, et, d'autre part, subsidiairement, qu'elles soient intégralement garanties de toute condamnation par la SMABTP, en sa qualité d'assureur de la société Griveau, et par la société Caraty Poupart Lafarge et son assureur, la MAF, sont des conclusions d'appel provoqué. De telles conclusions ne seraient recevables que dans la mesure où la situation des sociétés Qualiconsult et Axa France serait aggravée par la décision prise par le juge d'appel. Or il résulte de ce qui a été dit aux points précédents que tel n'est pas le cas. Par suite, ces conclusions ne peuvent qu'être rejetées comme irrecevables.

Sur les dépens :

14. Si la maison départementale de retraite demande à être indemnisée de divers frais qu'elle aurait exposés au titre des dépens, tant en première instance qu'en appel, elle n'en justifie pas. Par suite, ces conclusions ne peuvent qu'être rejetées.

Sur les frais d'instance :

15. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à l'octroi d'une somme au titre des frais exposés et non compris dans les dépens à la partie perdante. Il y a lieu, dès lors, de rejeter les conclusions présentées à ce titre par la maison départementale de retraite de Villecante. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y pas lieu de faire droit aux conclusions présentées à ce titre par la MAF, la société Caraty Poupart Lafarge, la SMABTP, la société Axa france et la société Qualiconsult.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de la maison départementale de retraite de Villecante est rejetée.

Article 2 : Les conclusions d'appel incident et provoqué présentées par la MAF, la société Caraty Poupart Lafarge, la SMABTP, la société Axa France et la société Qualiconsult sont rejetées.

Article 3 : Les conclusions présentées par la MAF, la société Caraty Poupart Lafarge, la SMABTP, la société Axa France et la société Qualiconsult au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la maison départementale de retraite de Villecante, à la MAF, à la société Caraty Poupart Lafarge, à la SMABTP, à Me F... D..., liquidateur de la société Griveau, à la société Axa France et à la société Qualiconsult.

Délibéré après l'audience du 3 mars 2020, à laquelle siégeaient :

- M. Lainé, président de chambre,

- M. C..., président assesseur,

- M. Jouno, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe de la juridiction le 30 mars 2020.

Le rapporteur,

C. C...

Le président,

L. Lainé

La greffière,

M. E...

La République mande et ordonne au préfet du Loiret en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 18NT03355


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 18NT03355
Date de la décision : 30/03/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. LAINE
Rapporteur ?: M. Christian RIVAS
Rapporteur public ?: M. BESSE
Avocat(s) : SCP GIRAULT CELERIER

Origine de la décision
Date de l'import : 18/04/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2020-03-30;18nt03355 ?
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