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28/02/2020 | FRANCE | N°19NT03890

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 6ème chambre, 28 février 2020, 19NT03890


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. et Mme E... ont demandé au tribunal administratif de Caen d'annuler les arrêtés du 23 juillet 2019 par lesquels le préfet de la Seine-Maritime a décidé leur transfert aux autorités polonaises, responsables de l'examen de leurs demandes d'asile.

Par deux jugements nos 1901902 et 1901903 du 30 août 2019, le vice-président désigné du tribunal administratif de Caen a rejeté leurs demandes.

Procédure devant la cour :

I. Par une requête et un mémoire enregistrés sous le n° 19NT03

890 les 3 octobre et 20 novembre 2019, M. E..., représenté par Me D..., demande à la cour :

1°) ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. et Mme E... ont demandé au tribunal administratif de Caen d'annuler les arrêtés du 23 juillet 2019 par lesquels le préfet de la Seine-Maritime a décidé leur transfert aux autorités polonaises, responsables de l'examen de leurs demandes d'asile.

Par deux jugements nos 1901902 et 1901903 du 30 août 2019, le vice-président désigné du tribunal administratif de Caen a rejeté leurs demandes.

Procédure devant la cour :

I. Par une requête et un mémoire enregistrés sous le n° 19NT03890 les 3 octobre et 20 novembre 2019, M. E..., représenté par Me D..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Caen du 30 août 2019 le concernant ;

2°) d'annuler l'arrêté du 23 juillet 2019 par lequel le préfet de la Seine-Maritime a décidé son transfert ;

3°) d'enjoindre, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, au préfet de la Seine-Maritime de l'autoriser à solliciter l'asile en France et de lui délivrer une attestation de demandeur d'asile dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil, qui renonce à percevoir la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle, d'une somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

- il n'est pas établi que les dispositions de l'article 5 du règlement du 26 juin 2013 auraient été respectées ; selon le préfet les documents requis lui ont été remis en somali, or il ne comprend pas cette langue ;

- il n'est pas davantage établi que les dispositions de l'article 4 du même règlement aient été respectées ;

- la décision contestée est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation et méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales dès lors que sa demande d'asile en Pologne a été rejetée et qu'il encourt un risque de renvoi dans son pays d'origine ; en outre, trois de ses six enfants et ses petits-enfants résident en France ; deux d'entre eux ont obtenu un titre de séjour et le troisième y a déposé une demande d'asile.

Par un mémoire en défense, enregistré le 4 décembre 2019, le préfet de la Seine-Maritime conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par M. E... ne sont pas fondés.

M. E... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 14 octobre 2019.

II. Par une requête et un mémoire enregistrés sous le n° 19NT03893 les 3 octobre et 21 novembre 2019, Mme E..., représentée par Me D..., demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Caen du 30 août 2019 la concernant ;

2°) d'annuler l'arrêté du 23 juillet 2019 par lequel le préfet de la Seine-Maritime a décidé son transfert ;

3°) d'enjoindre, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, au préfet de la Seine-Maritime de l'autoriser à solliciter l'asile en France et de lui délivrer une attestation de demandeur d'asile dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil, qui renonce à percevoir la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle, d'une somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.

Elle soutient que :

- il n'est pas établi que les dispositions de l'article 5 du règlement du 26 juin 2013 auraient été respectées ; selon le préfet les documents requis lui ont été remis en somali, or elle ne comprend pas cette langue ;

- il n'est pas davantage établi que les dispositions de l'article 4 du même règlement aient été respectées ;

- la décision contestée est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation et méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales dès lors que sa demande d'asile en Pologne a été rejetée et qu'elle encourt un risque de renvoi dans son pays d'origine ; en outre, trois de ses six enfants et ses petits-enfants résident en France ; deux d'entre eux ont obtenu un titre de séjour et le troisième y a déposé une demande d'asile.

Par un mémoire en défense, enregistré le 4 décembre 2019, le préfet de la Seine-Maritime conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par M. E... ne sont pas fondés.

Mme E... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 5 décembre 2019.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991, modifiée, relative à l'aide juridique ;

- le décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991 modifié ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme A... a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Par deux requêtes distinctes, enregistrées sous les nos 19NT03890 et 19NT03893, M. et Mme E..., ressortissants russes, relèvent appel des jugements du 30 août 2019 par lesquels le vice-président désigné du tribunal administratif de Caen a rejeté leurs demandes tendant à l'annulation des arrêtés du 23 juillet 2019 par lesquels le préfet de la Seine-Maritime a décidé leur transfert aux autorités polonaises, responsables de l'examen de leurs demandes d'asile. Ces deux requêtes, présentent à juger des questions semblables et ont fait l'objet d'une instruction commune. Il y a lieu de les joindre pour qu'elles fassent l'objet d'un même arrêt.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

2. En premier lieu, aux termes de l'article 4 du règlement du 26 juin 2013 : " 1. Dès qu'une demande de protection internationale est introduite au sens de l'article 20, paragraphe 2, dans un Etat membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de l'application du présent règlement, (...) 2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend. (...). ". Il ressort des pièces du dossier que M. et Mme E... se sont vus remettre, le 3 juillet 2019, lors de leurs entretiens à la préfecture du Calvados, le guide du demandeur d'asile, la brochure A intitulée " J'ai demandé l'asile dans l'Union européenne - Quel pays sera responsable de ma demande ' " et la brochure B intitulée " Je suis sous procédure Dublin - Qu'est-ce que cela signifie ' ". Si en première instance, le préfet de la Seine-Maritime a indiqué, par erreur, dans son mémoire en défense que ces documents leur avaient été remis en langue somali, il ressort des pièces du dossier que ces informations leur ont été délivrées en langue russe, qu'ils ont déclaré comprendre et lire. Les requérants ont ainsi bénéficié d'une information complète sur l'application du règlement du 26 juin 2013. Par suite, le moyen tiré de la violation des dispositions de l'article 4 du règlement du 26 juin 2013 ne peut qu'être écarté.

3. En deuxième lieu, aux termes de l'article 5 du règlement du 26 juin 2013 : " Entretien individuel : 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'Etat membre responsable, l'Etat membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4. / 2. (...) / 3. L'entretien individuel a lieu en temps utile et, en tout cas, avant qu'une décision de transfert du demandeur vers l'Etat membre responsable soit prise conformément à l'article 26, paragraphe 1. / 4. L'entretien individuel est mené dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend et dans laquelle il est capable de communiquer. Si nécessaire, les Etats membres ont recours à un interprète capable d'assurer une bonne communication entre le demandeur et la personne qui mène l'entretien individuel. / 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national. / 6. L'Etat membre qui mène l'entretien individuel rédige un résumé qui contient au moins les principales informations fournies par le demandeur lors de l'entretien. Ce résumé peut prendre la forme d'un rapport ou d'un formulaire type. L'Etat membre veille à ce que le demandeur et/ou le conseil juridique ou un autre conseiller qui représente le demandeur ait accès en temps utile au résumé ". Il ressort des pièces du dossier, que les entretiens individuels dont ont bénéficié M. et Mme E... ont été conduits par un agent qualifié de la préfecture du Calvados, lequel a apposé ses initiales sur les comptes rendus de ces entretiens. Les dispositions de l'article 5 du règlement du 26 juin 2013 n'imposent pas que le nom de cet agent figure sur ce document. Par suite, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que les arrêtés litigieux auraient été pris en méconnaissance des stipulations de l'article 5 du règlement du 26 juin 2013.

4. En troisième lieu, aux termes de l'article 3 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Les Etats membres examinent toute demande de protection internationale présentée par un ressortissant de pays tiers ou par un apatride sur le territoire de l'un quelconque d'entre eux. La demande est examinée par un seul Etat membre, qui est celui que les critères énoncés au chapitre III désignent comme responsable. / 2. (...) Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'Etat membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entrainent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'Etat membre procédant à la détermination de l'Etat membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre Etat membre peut être désigné comme responsable ".

5. Si la Pologne est un Etat membre de l'Union européenne et partie tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, complétée par le protocole de New York, qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, il appartient néanmoins à l'administration d'apprécier dans chaque cas, au vu des pièces qui lui sont soumises et sous le contrôle du juge, si les conditions dans lesquelles un dossier particulier est traité par les autorités de ce pays répondent à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile.

6. M. et Mme E... soutiennent que leurs demandes d'asile déposées en Pologne ont été rejetées le 23 août 2017 et que cela entraînera automatiquement une obligation de quitter le territoire polonais à destination de la Russie. A supposer même que leurs demandes d'asile auraient été définitivement rejetées par les autorités polonaises, qui ont explicitement accepté leur reprise en charge le 18 juillet 2019, il ne ressort d'aucune des pièces du dossier que des décisions d'éloignement, devenues définitives, auraient été prises à leur encontre par ces autorités, ni qu'ils ne seraient pas en mesure de faire valoir devant celles-ci tout élément nouveau relatif à l'évolution de leur situation personnelle et aux raisons qui les ont conduit à fuir leur pays d'origine. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 3 du règlement du 26 juin 2013 ne peut qu'être écarté.

7. En dernier lieu, aux termes de l'article 17 du règlement du 26 juin 2013 : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. / L'Etat membre qui décide d'examiner une demande de protection internationale en vertu du présent paragraphe devient l'Etat membre responsable et assume les obligations qui sont liées à cette responsabilité. (...) ".

8. Les requérants se prévalent de la présence en France de trois de leurs six enfants, dont deux seraient titulaires d'une carte de résident. Le préfet soutient toutefois sans être contredit que leurs fils, Timur et Bekhan, nés en 1987 et 1988, sont entrés en France respectivement les 12 septembre 2011 et 1er mars 2013, soit plus de six ans avant M. et Mme E... de sorte qu'ils ne peuvent se prévaloir de relations particulièrement fortes avec ceux-ci. Par suite, par ces seuls éléments, les requérants n'établissent pas qu'en ne dérogeant pas aux critères de détermination de l'Etat responsable de l'examen de leurs demandes d'asile et en prononçant leur transfert aux autorités polonaises, le préfet de Seine-Maritime aurait entaché ses décisions d'une erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions de l'article 17 du règlement du 26 juin 2013. Par suite ce moyen ne peut qu'être écarté.

9. Il résulte de ce qui précède que M. et Mme E... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par les jugements attaqués, le vice-président désigné du tribunal administratif de Caen a rejeté leurs demandes.

Sur le surplus des conclusions :

10. Les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte présentées par M. et Mme E... et celles tendant au bénéfice des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 doivent être rejetées par voie de conséquence du rejet de leurs conclusions principales.

DECIDE :

Article 1er : Les requêtes de M. et Mme E... sont rejetées.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... E..., à Mme B... E... et au ministre de l'intérieur.

Une copie sera transmise au préfet de la Seine-Maritime.

Délibéré après l'audience du 21 février 2020 à laquelle siégeaient :

- M. Lenoir, président de chambre,

- M. Coiffet, président-assesseur,

- Mme A..., premier conseiller.

Lu en audience publique, le 28 février 2020.

Le rapporteur,

V. GELARDLe président,

H. LENOIR

La greffière,

E. HAUBOIS

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

Nos 19NT03890, 18NT03893


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 19NT03890
Date de la décision : 28/02/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. LENOIR
Rapporteur ?: Mme Valérie GELARD
Rapporteur public ?: M. LEMOINE
Avocat(s) : CABINET DJAMILA MOKHEFI

Origine de la décision
Date de l'import : 03/03/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2020-02-28;19nt03890 ?
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