Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... E... a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler la décision du 6 juillet 2015 par laquelle le ministre de la défense a rejeté sa demande de protection fonctionnelle ainsi que la décision implicite de rejet de son recours gracieux et de condamner l'Etat à lui verser la somme de 29 300 euros en réparation des préjudices résultant du harcèlement moral dont il déclare avoir été victime.
Par un jugement n°1505835 du 21 juin 2018, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 28 aout 2018 et le 18 septembre 2019, M. E..., représenté par Me F... puis Me D..., demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Rennes du 21 juin 2018 ;
2°) d'annuler la décision du 6 juillet 2015 par laquelle le ministre de la défense a rejeté sa demande de protection fonctionnelle ainsi que la décision implicite de rejet de son recours gracieux ;
3°) d'enjoindre à la ministre des armées de lui accorder le bénéfice de la protection fonctionnelle dans le délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt sous astreinte de
500 euros par jour de retard ;
4°) de condamner l'Etat à lui verser la somme totale de 14 380 euros, à parfaire, en réparation des préjudices résultant du harcèlement moral dont il déclare avoir été victime, assortie des intérêts légaux à compter de l'enregistrement de sa présente requête et de la capitalisation des intérêts ;
5°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le jugement attaqué est insuffisamment motivé ;
- il a été victime d'une situation de harcèlement moral :
* alors qu'il donnait entière satisfaction à ses supérieurs hiérarchiques, étant à l'initiative de plusieurs projets cités en exemple par le ministère de la défense, il a subi un coup d'arrêt dans la progression de sa carrière à compter de la rentrée 2010, concomitamment à l'arrivée d'un nouveau supérieur hiérarchique ;
* il a subi différentes situations de nature à porter atteinte à sa dignité ou à altérer sa santé, nullement justifiées par les nécessités du service, notamment le retrait de moyens humains nécessaires à la conduite de ses projets, des comptes-rendus d'entretiens professionnels 2011 et 2012 défavorables, le refus de sa candidature sur un poste de chef de bureau pilotage/contrôleur de gestion au sein de la Direction Interarmées des Réseaux d'Infrastructure et des Systèmes d'Information de la défense (DIRISI) de Brest ;
* ces situations ont perduré à compter de son placement en arrêt de travail le
12 novembre 2012 et il a fait face à une administration opposée à la reconnaissance de l'imputabilité au service de sa maladie ;
* son placement en arrêt de travail n'est que le fruit d'une dégradation continue de ses conditions de travail.
Par un mémoire en défense, enregistré le 13 août 2019, la ministre des armées conclut au rejet de la requête.
Elle soutient que les moyens soulevés par M. E... ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. A... ;
- les conclusions de M. Lemoine, rapporteur public ;
- et les observations de Me G..., substituant Me D..., pour M. E....
Considérant ce qui suit :
1. M. E..., employé à compter de 2006 par le ministère de la défense comme ingénieur d'études et de fabrication, exerce depuis le 1er novembre 2008 les fonctions de chef de projet à la DIRISI de Brest. Placé en congé de maladie à compter du 12 novembre 2012, sa pathologie a été reconnue comme imputable au service et ses arrêts de travail pris en charge à ce titre. Par un courrier du 19 décembre 2014, M. E... a sollicité la protection fonctionnelle de son employeur pour des faits de harcèlement moral. Cette demande a été rejetée par décision du 6 juillet 2015. Le recours gracieux formé par M. E... le 21 août 2015 a fait l'objet d'une décision de rejet implicite. Par sa requête visée ci-dessus, M. E... relève appel du jugement du 21 juin 2018 par lequel le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 6 juillet 2015 ainsi que la décision implicite de rejet de son recours gracieux et à la condamnation de l'Etat à réparer les préjudices résultant du harcèlement moral dont il déclare avoir été victime.
Sur le bien-fondé du jugement:
2. Aux termes de l'article 11 de la loi du 13 juillet 1983, dans sa rédaction alors applicable : " Les fonctionnaires bénéficient, à l'occasion de leurs fonctions, d'une protection organisée par la collectivité publique dont ils dépendent, conformément aux règles fixées par le code pénal et les lois spéciales. / (...) La collectivité publique est tenue de protéger les fonctionnaires contre les menaces, violences, voies de fait, injures, diffamations ou outrages dont ils pourraient être victimes à l'occasion de leurs fonctions, et de réparer, le cas échéant, le préjudice qui en est résulté. / La collectivité publique est tenue d'accorder sa protection au fonctionnaire ou à l'ancien fonctionnaire dans le cas où il fait l'objet de poursuites pénales à l'occasion de faits qui n'ont pas le caractère d'une faute personnelle. (...) ". Aux termes du premier alinéa de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. (...) ".
3. D'une part, il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral, de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'un tel harcèlement. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile.
4. D'autre part, pour apprécier si des agissements dont il est allégué qu'ils sont constitutifs d'un harcèlement moral revêtent un tel caractère, le juge administratif doit tenir compte des comportements respectifs de l'agent auquel il est reproché d'avoir exercé de tels agissements et de l'agent qui estime avoir été victime d'un harcèlement moral. En revanche, la nature même des agissements en cause exclut, lorsque l'existence d'un harcèlement moral est établie, qu'il puisse être tenu compte du comportement de l'agent qui en a été victime pour atténuer les conséquences dommageables qui en ont résulté pour lui. Par suite, le préjudice résultant de ces agissements pour l'agent victime doit alors être intégralement réparé.
5. Les faits dénoncés par M. E... à l'appui de sa demande d'annulation ne sont pas susceptibles de faire présumer l'existence du harcèlement moral allégué et traduisent davantage l'existence de relations de travail dégradées entre l'intéressé et son supérieur hiérarchique à partir de septembre 2010. De même, tant les changements d'organisation au sein de la DIRISI de Brest que les difficultés administratives rencontrées dans le cadre la reconnaissance de l'imputabilité au service de sa maladie n'apparaissent pas liés à une volonté de lui nuire.
6. En effet, et en premier lieu, par jugements des 5 mars 2014 et 14 janvier 2016 devenus définitifs, le tribunal administratif de Rennes a rejeté les recours formés par le requérant à l'encontre de ses notations 2011 et 2012 et du refus de lui accorder des réductions d'ancienneté au titre de ces années, relevant qu'il n'apparaissait pas que l'appréciation portée sur sa manière de servir n'était pas justifiée par sa pratique professionnelle. Par ailleurs, l'absence d'avancement de M. E..., qui n'avait aucun droit à être promu, ne saurait révéler des faits de harcèlement moral, la cour administrative d'appel de Nantes, dans un arrêt du 8 décembre 2017, ayant rejeté le recours de l'intéressé contre l'arrêté du 18 juillet 2013 du ministre de la défense établissant la liste des agents promus au grade d'ingénieur divisionnaire pour l'année 2013, en relevant qu'il n'était pas établi que le ministre aurait porté sur ses mérites une appréciation manifestement erronée. De même, les conditions de la nomination en mars 2012 de M. C... sur le poste de contrôleur de gestion que M. E... convoitait et la suppression de ce poste après le départ de M. C... ne traduisent pas une volonté de l'administration d'évincer ou de nuire à l'intéressé, la célérité de la procédure de nomination et les illégalités dont celle-ci était entachée qui ont conduit à son annulation par un jugement du 5 mars 2014 du tribunal administratif de Rennes ne constituant pas des éléments suffisants pour faire présumer des faits de harcèlement moral à l'encontre de M. E..., dont il n'est pas établi que la candidature sur ce poste n'aurait pas été examinée.
7. En deuxième lieu, les difficultés administratives rencontrées par l'intéressé, constituées notamment par le retard de l'administration à statuer sur l'imputabilité au service de sa pathologie par arrêté du 30 juillet 2013, ne sauraient être regardées comme des faits constitutifs de harcèlement moral. Si le délai écoulé entre la demande présentée le 27 décembre 2012 et la date de l'expertise qui s'est déroulée le 20 juin 2013 peut être considéré comme excessif, elle ne révèle cependant pas l'existence d'un comportement délibéré de cette dernière en vue de nuire à M. E....
8. En troisième et dernier lieu, si M. E... indique sans être contredit qu'en septembre et novembre 2011 il s'est vu retirer sans justification des moyens humains dont il bénéficiait pour la conduite de deux projets et qu'en juin 2012 il a été dessaisi de la responsabilité de l'un de ces projets qu'il pilotait au niveau local, ces agissements, dont il n'est pas avéré qu'ils ne seraient pas justifiés par les nécessités du service, sont à eux seuls insuffisants pour caractériser l'existence d'une situation de harcèlement moral.
9. Il résulte de ce qui précède que M. E... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, les premiers juges ont rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 6 juillet 2015 par laquelle le ministre de la défense a rejeté sa demande de protection fonctionnelle ainsi que la décision implicite de rejet de son recours gracieux.
Sur les conclusions à fin d'indemnisation :
10. Dès lors qu'il n'est pas établi que l'administration a commis une faute ou que M. E... a été victime de faits constitutifs de harcèlement moral, les conclusions du requérant tendant à l'indemnisation des préjudices qu'il aurait subi à ce titre ne peuvent qu'être rejetées.
11. Il résulte de tout ce qui précède que M. E... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, qui est suffisamment motivé, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande.
Sur les conclusions à fin d'injonction sous astreinte :
12. L'exécution du présent arrêt, qui rejette les conclusions à fin d'annulation de la requête, n'implique aucune mesure d'exécution. Dès lors, les conclusions présentées à fin d'injonction sous astreinte doivent être rejetées.
Sur les frais liés au litige :
13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme réclamée par M. E... au titre des frais liés au litige.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. E... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... E... et à la ministre des armées.
Délibéré après l'audience du 17 janvier 2020, à laquelle siégeaient :
- M. Lenoir, président de chambre,
- M. Coiffet, président-assesseur,
- M. A..., premier conseiller.
Lu en audience publique, le 4 février 2020.
Le rapporteur,
F. A...Le président,
H. LENOIR
Le greffier,
R. MAGEAU
La République mande et ordonne à la ministre des armées en ce qui la concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N°18NT03272