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04/02/2020 | FRANCE | N°18NT02897

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 6ème chambre, 04 février 2020, 18NT02897


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... a demandé au tribunal administratif d'Orléans d'annuler la décision du 15 septembre 2016 par laquelle la ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social a retiré sa décision implicite de rejet du 16 août 2016, a annulé la décision de l'inspecteur du travail du 16 février 2016 et a autorisé la société par actions simplifiées Matebat Ile-de-France à procéder à son licenciement pour motif économique.

Par un jugement n° 1603709 du 14 juin 2018,

le tribunal administratif d'Orléans a annulé la décision de la ministre chargée du tra...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... a demandé au tribunal administratif d'Orléans d'annuler la décision du 15 septembre 2016 par laquelle la ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social a retiré sa décision implicite de rejet du 16 août 2016, a annulé la décision de l'inspecteur du travail du 16 février 2016 et a autorisé la société par actions simplifiées Matebat Ile-de-France à procéder à son licenciement pour motif économique.

Par un jugement n° 1603709 du 14 juin 2018, le tribunal administratif d'Orléans a annulé la décision de la ministre chargée du travail du 15 septembre 2016.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 30 juillet 2018, la SAS Matebat Ile-de-France, représentée par Me D..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif d'Orléans du 14 juin 2018 ;

2°) de rejeter la demande présentée devant le tribunal administratif d'Orléans par Mme B... ;

3°) de mettre à la charge de Mme B... le versement de la somme de 3 000 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- elle a rapporté la preuve de ses pertes et de ses résultats déficitaires enregistrés pour les exercices 2013, 2014 et 2015 et de leur impact sur la situation du groupe Matebat ; elle devait se réorganiser pour sauvegarder la compétitivité du groupe ;

- le rachat de la société Wastiaux en 2016 par le groupe Matebat n'est pas de nature à faire naître un doute sur la menace avérée de la compétitivité du groupe mais procède de la volonté de sauvegarder sa compétitivité ;

- elle s'est attachée à démontrer le lien entre la politique commerciale agressive des acteurs locaux et la baisse des parts de marché consécutive ;

- M. A... dispose d'une délégation à l'effet de signer la décision contestée ;

- la décision de la ministre du travail est suffisamment motivée, s'agissant en particulier de l'absence de discrimination ;

- le motif économique à l'origine du licenciement de Mme B... exclut toute discrimination à son encontre.

Par un mémoire en défense, enregistré le 20 mai 2019, Mme E... B..., représentée par Me F..., conclut au rejet de la requête et, par la voie de l'appel incident, à la réformation du jugement attaqué en ce qu'il n'a retenu ni le défaut de motivation de la décision du 15 septembre 2016, ni le lien entre son licenciement et son mandat, et à ce que la somme de 3 000 euros soit mise à la charge de la société Matebat Ile-de-France au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les moyens soulevés par la société Matebat Ile-de-France ne sont pas fondés.

Les parties ont été informées le 18 octobre 2019, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur le moyen relevé d'office suivant : irrecevabilité des conclusions de Mme B... tendant à la réformation du jugement attaqué en ce qu'il n'a retenu ni le défaut de motivation de la décision du 15 septembre 2016, ni le moyen tiré de la discrimination à raison de son mandat syndical, lesquelles ne sont pas dirigées contre le dispositif de ce jugement.

Par un mémoire, enregistré le 21 octobre 2019, Mme E... B..., représentée par Me F..., reprend ses écritures présentées en appel le 20 mai 2019.

Par un mémoire en défense, enregistré le 26 novembre 2019, la ministre du travail conclut au rejet de la requête et se réfère à ses écritures de première instance.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code du travail ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme C...,

- les conclusions de M. Lemoine, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. Mme B... a été embauchée à compter du 22 avril 2014 dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée en qualité d'assistante chef d'agence par la société Arcomet au sein de l'agence Paris Ile-de-France (91). Cette société ayant été rachetée le 20 janvier 2015 par le groupe Matebat, Mme B... a vu son contrat de travail transféré à la société Matebat Ile-de-France, dont l'activité est la location, le dépannage, l'installation et la vente de matériel pour le bâtiment et les travaux publics. Cette société dispose de trois établissements situés, à Etrechy (91) où travaille Mme B..., à Lezennes (59) et à Loury (45), employant au total 44 salariés. Le 6 juillet 2015, Mme B... a été élue déléguée du personnel. En cette qualité, elle a été informée, le 8 octobre 2015, d'une restructuration du groupe et de la fermeture du site d'Etrechy. Ayant refusé les deux propositions de reclassement qui lui ont été faites, l'intéressée a été convoquée à une réunion extraordinaire des délégués du personnel, qui s'est tenue le 14 décembre 2015, puis à l'entretien préalable à son licenciement, qui s'est déroulé le 23 décembre 2015. Le lendemain, la société Matebat a sollicité auprès de l'inspecteur du travail l'autorisation de la licencier pour motif économique. Par une décision du 16 février 2016, ce dernier a refusé l'autorisation sollicitée. Par une décision du 15 septembre 2016, la ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, saisi d'un recours hiérarchique par la société, a retiré sa décision implicite de rejet intervenue le 16 août 2016, a annulé la décision de l'inspecteur du travail du 16 février 2016 et a autorisé le licenciement pour motif économique de Mme B.... Cette dernière a saisi le tribunal administratif d'Orléans d'une demande tendant à l'annulation de cette dernière décision. La société Matebat Ile-de-France relève appel du jugement du 14 juin 2018 par lequel le tribunal administratif d'Orléans a prononcé l'annulation sollicitée par Mme B... tandis que cette dernière demande à la cour de prononcer l'annulation de ce même jugement en ce qu'il n'a pas retenu certains de ses moyens développés en première instance.

Sur les conclusions de Mme B... :

2. Le motif par lequel le juge de l'excès de pouvoir juge fondé l'un quelconque des moyens de légalité soulevés devant lui ou des moyens d'ordre public qu'il relève d'office suffit à justifier l'annulation de la décision administrative contestée. Il en résulte que, sauf dispositions législatives contraires, le juge de l'excès de pouvoir n'est en principe pas tenu, pour faire droit aux conclusions à fin d'annulation dont il est saisi, de se prononcer sur d'autres moyens que celui qu'il retient explicitement comme étant fondé.

3. Lorsque le requérant choisit de hiérarchiser, avant l'expiration du délai de recours, les prétentions qu'il soumet au juge de l'excès de pouvoir en fonction de la cause juridique sur laquelle reposent, à titre principal, ses conclusions à fin d'annulation, il incombe au juge de l'excès de pouvoir de statuer en respectant cette hiérarchisation, c'est-à-dire en examinant prioritairement les moyens qui se rattachent à la cause juridique correspondant à la demande principale du requérant.

4. Si le jugement est susceptible d'appel, le requérant est recevable à relever appel en tant que le jugement n'a pas fait droit à sa demande principale. Il appartient alors au juge d'appel, statuant dans le cadre de l'effet dévolutif, de se prononcer sur les moyens, soulevés devant lui, susceptibles de conduire à faire droit à la demande principale.

5. Le tribunal administratif a, dans son jugement, visé l'ensemble des moyens de légalité externe et interne soulevés par Mme B..., puis a annulé la décision de la ministre du travail en faisant droit au moyen tiré du défaut de motif économique réel et sérieux de son licenciement " sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête ". Dans ses écritures de première instance, Mme B... avait soulevé des moyens de légalité externe et des moyens de légalité interne sans toutefois les hiérarchiser. Par suite, ses conclusions tendant à la réformation du jugement attaqué en ce qu'il n'a retenu ni le défaut de motivation de la décision du 15 septembre 2016, ni le lien entre son licenciement et son mandat, sont irrecevables et ne peuvent qu'être rejetées.

Sur les conclusions de la société Matebat Ile-de-France :

6. En vertu des dispositions du code du travail, le licenciement des délégués syndicaux et des membres du comité d'entreprise, qui bénéficient, dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, d'une protection exceptionnelle, est subordonné à une autorisation de l'inspecteur du travail dont dépend l'établissement. Lorsque le licenciement d'un de ces salariés est envisagé, ce licenciement ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou l'appartenance syndicale de l'intéressé.

7. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 1233-3 du code du travail, dans sa rédaction en vigueur à la date de la décision contestée : " Constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d'une suppression ou transformation d'emploi ou d'une modification, refusée par le salarié, d'un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment à des difficultés économiques ou à des mutations technologiques. ". Est au nombre des causes sérieuses de licenciement économique la nécessité de sauvegarder la compétitivité de l'entreprise.

8. Pour apprécier la réalité des motifs économiques allégués à l'appui d'une demande d'autorisation de licenciement d'un salarié protégé présentée par une société qui fait partie d'un groupe, l'autorité administrative ne peut se borner à prendre en considération la seule situation de l'entreprise demanderesse, mais est tenue, dans le cas où la société intéressée relève d'un groupe dont la société mère a son siège à l'étranger, de faire porter son examen sur la situation économique de l'ensemble des sociétés du groupe oeuvrant dans le même secteur d'activité que la société en cause sans qu'il y ait lieu de borner cet examen à celles d'entre elles ayant leur siège social en France ni aux établissements de ce groupe situés en France.

9. Il ressort des pièces du dossier qu'au titre de l'exercice clos au 31 décembre 2014, le chiffre d'affaires de la société Matebat IDF s'est élevé à 1 2 640 859 euros et son résultat d'exploitation à 8 146 euros. Son chiffre d'affaires a atteint 13 734 310 euros au titre de l'exercice clos au 31 décembre 2015, pour un résultat d'exploitation de - 19 613 euros et un bénéfice de 16 426 euros. Pour expliquer ces résultats, la société Matebat IDF souligne que le groupe Matebat lui a consenti des abandons de créances à hauteur de 1 269 976 euros et 1 335 261 euros. Cette société appartient en effet au groupe Metabat qui dispose de 7 sociétés d'exploitation en France (Matebat Languedoc Roussillon, Midi-Pyrénées, Paca, Rhône-Alpes, Atlantique, Ile-de-France et Aquitaine). En outre, ce dernier a procédé à l'acquisition d'entreprises complémentaires sur son secteur d'activité, la société Franmat en 2013, la société Arcomet en 2014 et la société Wastiaux en 2016. Lors de cette dernière opération intervenant dans le cadre d'une " stratégie de développement ", son président directeur général soulignait la complémentarité géographique de leurs activités et le fait que cette société était " l'un des pionniers dans la gestion de parc pour compte et tiers, prestations à forte valeur ajoutée que Matebat entend développer (...) ". Lors de ses voeux pour 2016, ce même président rappelait l'ambition du groupe qui voulait devenir le leader dans son domaine. S'il indiquait que le groupe n'avait pas atteint ses objectifs de chiffre d'affaires et avait perdu des parts de marché, il évoquait " un objectif d'amélioration de la performance commerciale du groupe ". Les comptes consolidés du groupe Matebat au 31 décembre 2014, font apparaître un résultat net de - 2 608 000 euros à la clôture de l'exercice et de - 1 060 000 euros à la fin de l'exercice mais son chiffre d'affaires était respectivement de 46 172 000 et de 44 424 000 euros et son résultat d'exploitation de 3 239 000 et 4 450 000 euros. Selon, l' " état de situation financière " de l'exercice 2015 produit au dossier, son chiffre d'affaires était de 64 631 465 euros au

31 décembre 2015 et son résultat opérationnel de 5 520 135 euros. Dans le cadre d'une note en délibéré présentée devant le tribunal administratif, la société requérante a également produit un extrait d'un " forum blog " dans lequel le président de Matebat faisait état, en juin 2015, de la forte concurrence notamment sur le marché asiatique, de l'ouverture par Arcomet d'un troisième établissement aux Etats-Unis, de la situation plus favorable pour Arcomet à Hong-Kong et en Australie. Il ajoutait que les marchés européens étaient " corrects en volume, et en prix par rapport à leurs références ". Ainsi, au vu de ces éléments, et en dépit de la récession de l'activité des travaux publics entre 2007 et 2014, de la baisse des commandes publiques et de l'apparition de nouveaux acteurs européens sur les marchés locaux, le groupe Matebat doit être regardé comme poursuivant son implantation mondiale. Dans son recours hiérarchique du 15 avril 2016, la société requérante indiquait d'ailleurs être obligée de réduire ses coûts " pour essayer de retrouver une réelle compétitivité et gagner à nouveau des parts de marché ". Elle n'apporte toutefois aucun élément de nature à établir une quelconque perte de parts du marché par le groupe. Compte tenu de ses éléments, et en l'absence de plus amples précisions sur la situation du groupe auquel appartient la société Matebat IDF, le licenciement de Mme B..., s'il intervient dans un contexte d'un accroissement de la compétitivité du groupe n'apparaît cependant pas comme ayant pour objet de sauvegarder cette même compétitivité. Dès lors, c'est à juste titre que le tribunal administratif a estimé qu'il n'était pas prononcé pour un motif économique réel et sérieux au sens de l'article L. 1233-3 précité du code du travail.

10. Il résulte de ce qui précède, que la société Matebat Ile-de-France n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif d'Orléans a annulé la décision de la ministre chargée du travail du 15 septembre 2016.

Sur les frais liés au litige :

11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de Mme B..., qui n'est pas, dans la présente instance la partie perdante, le versement à la société Matebat Ile-de-France de la somme qu'elle demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. En revanche, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de la société Matebat Ile-de-France le versement à Mme B... d'une somme de 1 500 euros au titre des mêmes frais.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de la société Matebat Ile-de-France est rejetée.

Article 2 : Les conclusions de Mme B... tendant à la réformation du jugement attaqué sont rejetées.

Article 3 : La société Matebat Ile-de-France versera à Mme B... une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la société Matebat Ile-de-France, à Mme E... B... et à la ministre du travail.

Délibéré après l'audience du 17 janvier 2020, à laquelle siégeaient :

- M. Lenoir, président de chambre,

- M. Coiffet, président-assesseur,

- Mme C..., premier conseiller.

Lu en audience publique, le 4 février 2020.

Le rapporteur,

V. GELARDLe président,

H. LENOIR

Le greffier,

R. MAGEAU

La République mande et ordonne à la ministre du travail en ce qui la concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

6

N° 18NT02897


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 18NT02897
Date de la décision : 04/02/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. LENOIR
Rapporteur ?: Mme Valérie GELARD
Rapporteur public ?: M. LEMOINE
Avocat(s) : CABINET FIDAL (TOULOUSE)

Origine de la décision
Date de l'import : 11/02/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2020-02-04;18nt02897 ?
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