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24/01/2020 | FRANCE | N°19NT02342

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 3ème chambre, 24 janvier 2020, 19NT02342


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C... A... et M. H... E... ont demandé au tribunal administratif d'Orléans de condamner le centre hospitalier de Chartres à leur verser la somme de 120 000 euros en réparation des préjudices subis du fait des fautes commises lors des diagnostics préalables à la naissance de leur fille I..., fautes qui les ont privés de la possibilité de recourir à une interruption médicale de la grossesse.

Par un jugement n° 1402033 du 4 juin 2015, le tribunal administratif d'Orléans a partiellement fait droi

t à leur demande en condamnant le centre hospitalier de Chartres à verser à Mme A...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C... A... et M. H... E... ont demandé au tribunal administratif d'Orléans de condamner le centre hospitalier de Chartres à leur verser la somme de 120 000 euros en réparation des préjudices subis du fait des fautes commises lors des diagnostics préalables à la naissance de leur fille I..., fautes qui les ont privés de la possibilité de recourir à une interruption médicale de la grossesse.

Par un jugement n° 1402033 du 4 juin 2015, le tribunal administratif d'Orléans a partiellement fait droit à leur demande en condamnant le centre hospitalier de Chartres à verser à Mme A... et à M. E... la somme de 40 000 euros chacun.

Par un arrêt n° 15NT02496 du 6 octobre 2017, la cour administrative d'appel de Nantes, statuant sur l'appel formé par le centre hospitalier de Chartres, a annulé ce jugement et rejeté la demande présentée par Mme A... et M. E... devant le tribunal administratif.

Par une décision n°417272 du 18 juin 2019, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a annulé cet arrêt et a renvoyé à la cour le jugement de l'affaire, désormais enregistrée sous le n°19NT02342.

Procédure devant la cour avant cassation :

Par une requête et un mémoire enregistrés les 7 août 2015 et 7 décembre 2016, le centre hospitalier de Chartres, représenté par Me B..., a demandé à la cour :

1°) à titre principal, d'annuler le jugement du 4 juin 2015 du tribunal administratif d'Orléans et de rejeter la demande présentée par Mme A... et M. E... devant ce tribunal ;

2°) à titre subsidiaire, d'ordonner une nouvelle expertise, ou de limiter l'indemnisation des intéressés à la somme de 32 000 euros pour tenir compte d'un taux de perte de chance de 80 % de n'avoir pu interrompre la grossesse.

Il soutenait que :

- l'existence d'une faute caractérisée n'est pas rapportée ; l'opérateur qui a réalisé les échographies de contrôle était qualifié pour le faire ; Mme A...-L... a bénéficié de cinq échographies de suivi de grossesse alors que trois seulement étaient obligatoires ; il n'a ainsi pas manqué à son obligation de moyens en la matière ; la seule circonstance que la malformation cardiaque et la trisomie 21 affectant l'enfant n'ont pas été détectées n'est pas de nature, à elle seule, à démontrer l'existence d'une faute caractérisée ;

- les trois échographies de référence ont été réalisées conformément aux recommandations de bonne pratique du comité national technique d'échographie foetale publiées en 2005 ; elles étaient de bonne qualité, ainsi qu'il a été démontré au cours de l'expertise ; les mesures de la clarté nucale réalisées lors de l'échographie du 22 février 2011 ne laissaient pas présager de risque de malformation ; les clichés de l'échographie du 5 mai 2011 sont conformes aux bonnes pratiques et l'absence de détection de la malformation cardiaque ne révèle pas en elle-même une faute ; la mesure des os propres du nez ne faisait pas partie des examens requis, contrairement à ce qu'a affirmé l'expert désigné par le tribunal administratif d'Orléans ;

- aucun des examens réalisés ne laissait suspecter les pathologies dont est atteinte la jeune I... ; le taux de diagnostic des malformations cardiaque par échographie n'est que de 9,6 % ;

- l'expert ne pratiquant pas lui-même d'échographie, ses conclusions sont contestables ; une analyse critique d'un professeur responsable du centre pluridisciplinaire de diagnostic prénatal de l'hôpital Béclère conclut d'ailleurs à l'invalidité de cette expertise ;

- il n'est pas établi que, dûment informé des pathologies de leur enfant, les parents auraient choisi de procéder à une interruption médicale de grossesse de sorte que leur préjudice doit, en tout état de cause, être limité à 80 % représentant le taux de perte de chance d'avoir pu avoir recourir à une interruption médicale de grossesse.

Par un mémoire enregistré le 6 novembre 2015 Mme A... et M. E..., représentés par Me J..., ont conclu :

1°) au rejet de la requête du centre hospitalier de Chartres ;

2°) par la voie de l'appel incident, à la condamnation de cet établissement à leur verser chacun la somme totale de 60 000 euros ;

3°) à ce que soit mis à la charge du centre hospitalier les dépens et la somme de 7 000 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

Ils faisaient valoir que :

- la requête n'est pas recevable faute de production et de critique du jugement attaqué ;

- les moyens soulevés par le centre hospitalier de Chartres ne sont pas fondés ;

- le quantum de leur préjudice a été sous-évalué par le tribunal.

Procédure devant la cour après cassation :

Par un mémoire enregistré le 19 juillet 2019 le centre hospitalier de Chartres, représenté par Me B..., reprend les mêmes conclusions que celles visées ci-dessus, en invoquant les mêmes moyens.

Par un mémoire enregistré le 25 juillet 2019 Mme A... et M. E..., représentés par Me J..., reprennent les conclusions précédemment énoncées par eux et demandent à ce que la somme de 9 000 euros soit mise à la charge du centre hospitalier de Chartres au titre des frais d'instance de référé-expertise, de première instance et d'appel, en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils invoquent les mêmes moyens que dans leur précédent mémoire.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme K...,

- les conclusions de M. Gauthier, rapporteur public,

- les observations de Me G..., représentant le centre hospitalier de Chartres et de Me D..., représentant Mme A... et M. E....

Considérant ce qui suit :

1. Mme A... a été prise en charge par le centre hospitalier de Chartres en 2011 dans le cadre du suivi de sa grossesse. Il est apparu, après la naissance de sa fille, le 30 août 2011, que celle-ci était atteinte d'une malformation cardiaque inter-ventriculaire et d'une trisomie 21 qui n'avaient pas été détectées au cours de la grossesse. Par une ordonnance du 19 juin 2012, le président du tribunal administratif d'Orléans, saisi par Mme A... et M. E..., son conjoint, a ordonné une mesure d'expertise confiée à un gynécologue-obstétricien, assisté d'un sapiteur pédiatre. L'expert désigné a remis son rapport le 13 mars 2013. Par un jugement du 4 juin 2015, le tribunal a condamné le centre hospitalier de Chartres à verser aux requérants la somme de 40 000 euros chacun. Saisie par le centre hospitalier, la cour a, par un arrêt du 6 octobre 2017, annulé ce jugement et rejeté les conclusions indemnitaires de Mme A... et M. E.... Par une décision du 18 juin 2019 le Conseil d'Etat, statuant au contentieux a annulé cet arrêt et a renvoyé à la cour le jugement de l'affaire, laquelle porte désormais le n°19NT02342.

Sur la responsabilité du centre hospitalier de Chartres :

2. Aux termes de l'article L. 114-5 du code de l'action sociale et des familles : " Nul ne peut se prévaloir d'un préjudice du seul fait de sa naissance. / La personne née avec un handicap dû à une faute médicale peut obtenir la réparation de son préjudice lorsque l'acte fautif a provoqué directement le handicap ou l'a aggravé, ou n'a pas permis de prendre les mesures susceptibles de l'atténuer. / Lorsque la responsabilité d'un professionnel ou d'un établissement de santé est engagée vis-à-vis des parents d'un enfant né avec un handicap non décelé pendant la grossesse à la suite d'une faute caractérisée, les parents peuvent demander une indemnité au titre de leur seul préjudice (...) ".

3. Au cours de sa grossesse Mme A..., qui était une patiente à haut risque compte tenu de son état de santé (hypertension artérielle et séropositivité au VIH), a bénéficié de cinq échographies qui ont été réalisées les 8 février, 22 février, 5 avril, 5 mai et 12 juillet 2011. Les échographies des deuxième et troisième trimestres réalisées les 5 mai et 12 juillet avaient notamment pour objet d'apprécier la morphologie du coeur et d'objectiver les quatre cavités cardiaques et la position des gros vaisseaux, en vue de détecter une éventuelle malformation cardiaque inter-ventriculaire, laquelle est présente chez la moitié des foetus atteints de trisomie 21. Or, il résulte de l'instruction que les clichés échographiques réalisés à cette occasion n'étaient pas de bonne qualité, que l'expert a déploré la brièveté du temps d'examen de chacune des échographies ainsi que le caractère stéréotypé de leurs comptes- rendus, relevant qu'il était impossible d'objectiver sur les clichés réalisés les quatre cavités cardiaques, l'équilibre des cavités et la position des gros vaisseaux. Si le centre hospitalier de Chartres conteste à cet égard les compétences techniques de l'expert désigné par le président du tribunal administratif d'Orléans, il résulte de l'instruction qu'alors même qu'il n'est pas expert en diagnostic prénatal, celui-ci est gynécologue obstétricien et amené dans le cadre de sa pratique professionnelle habituelle à interpréter des clichés échographiques, de sorte qu'il disposait des compétences requises pour réaliser l'expertise prescrite par le juge des référés du tribunal administratif d'Orléans. Par ailleurs, le centre hospitalier ne saurait utilement se prévaloir de la circonstance que le nombre de clichés préconisé par le rapport du comité national technique d'échographie foetale d'avril 2005 a été respecté, alors qu'il résulte de l'instruction, en particulier des observations de l'expert judiciaire à propos de l'échographie du premier trimestre, que les critères techniques du CNTE n'ont pas été complètement respectés et pouvaient être sources d'erreur concernant en particulier l'appréciation de la mesure de la clarté nucale.

4. Il résulte de ce qui a été dit au point 3 que les carences dans le suivi échographique de Mme A... ont fait obstacle à la détection de la malformation cardiaque de l'enfant évocatrice dans la moitié des cas d'une trisomie 21. Par son intensité et son évidence, la faute ainsi relevée doit être regardée comme caractérisée au sens du dernier alinéa de l'article L. 114-5 du code de l'action sociale et des familles. Par suite, et alors qu'une nouvelle expertise ne présente pas de caractère utile, le centre hospitalier de Chartres n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif d'Orléans a retenu à son encontre l'existence d'une faute caractérisée de nature à engager sa responsabilité.

Sur la perte de chance :

5. La faute commise par le centre hospitalier de Chartres a fait perdre à Mme A... une chance de faire réaliser une amniocentèse puis, le cas échéant, de recourir à l'interruption volontaire de grossesse prévue par l'article L. 2213-1 du code de la santé publique. Toutefois compte tenu du caractère possible mais non certain du recours de Mme A... à une amniocentèse, seul examen qui aurait permis de diagnostiquer de manière certaine la trisomie 21 dont était atteint son enfant à naître mais qui présentait en l'espèce un risque particulier de contamination du foetus par le VIH, il y a lieu de fixer à 80 % le taux de la perte de chance d'éviter les conséquences dommageables de la faute retenue à l'encontre du centre hospitalier de Chartres.

Sur le préjudice :

6. Ainsi que l'a retenu le tribunal administratif d'Orléans, qu'il y a lieu de confirmer sur ce point, il sera fait une juste appréciation du préjudice moral subi par Mme A... et M. E... du fait du handicap de trisomie 21 de leur fille en l'évaluant à la somme de 40 000 euros chacun.

7. Toutefois compte tenu du taux de perte de chance de 80 % retenu au point 5, la réparation incombant à ce titre au centre hospitalier de Chartres sera ramenée à la somme de 32 000 euros pour chacun des parents.

8. Il résulte de ce qui précède que le centre hospitalier de Chartres est fondé dans la mesure précisée au point 7 à demander la réformation du jugement attaqué, et que les conclusions d'appel incident présentées devant la cour par Mme A... et M. E... ne peuvent qu'être rejetées.

Sur les frais liés au litige :

9. Les frais d'expertise, liquidés et taxés à la somme de 3 501,06 euros par une ordonnance du président du tribunal administratif d'Orléans du 18 mars 2013 sont maintenus à la charge définitive du centre hospitalier de Chartres.

10. Le tribunal administratif d'Orléans a, par le jugement attaqué, mis à la charge du centre hospitalier de Chartres la somme de 1 000 euros au titre des frais exposés par Mme A... et M. E.... Ces derniers ne contestent pas ce montant, et ne sont pas recevables à demander, dans le cadre de l'instance d'appel, une nouvelle somme au titre des frais exposés dans le cadre de la première instance ou de leur demande de référé-expertise.

11. Enfin les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge du centre hospitalier de Chartres qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que Mme A... et M. E... demandent au titre des frais exposés par eux en appel et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : La somme de 40 000 euros chacun que le tribunal administratif d'Orléans a condamné le centre hospitalier de Chartres à verser à Mme A... et à M. E... est ramenée à 32 000 euros chacun.

Article 2 : Le jugement n° 1402033 du 4 juin 2015 du tribunal administratif d'Orléans est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête et les conclusions présentées devant la cour par Mme A... et à M. E... sont rejetées.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié centre hospitalier de Chartres, à Mme C... A..., à M.H... E... et à la caisse primaire d'assurance maladie de Loir-et-Cher.

Copie en sera adressée, pour information, à l'expert, le Dr Lonlas.

Délibéré après l'audience du 9 janvier 2020 à laquelle siégeaient :

- Mme Perrot, président de chambre,

- Mme K..., présidente-assesseure,

- Mme Le Barbier, premier conseiller.

Lu en audience publique le 24 janvier 2020.

La rapporteure

N. K...

Le président

I. PerrotLe greffier

M. F...

La République mande et ordonne au ministre des solidarités et de la santé en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N°19NT02342 4


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 19NT02342
Date de la décision : 24/01/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme PERROT
Rapporteur ?: Mme Nathalie TIGER-WINTERHALTER
Rapporteur public ?: M. GAUTHIER
Avocat(s) : CABINET FABRE SAVARY FABBRO

Origine de la décision
Date de l'import : 28/01/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2020-01-24;19nt02342 ?
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