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17/01/2020 | FRANCE | N°19NT04035

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 4ème chambre, 17 janvier 2020, 19NT04035


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. I... E... et Mme A... F... ont demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler les arrêtés du 20 mai 2019 par lesquels le préfet d'Ille-et-Vilaine, d'une part, a décidé leur transfert aux autorités italiennes en vue de l'examen de leurs demandes d'asile et, d'autre part, les a assignés à résidence.

Par deux jugements n° 192460 et n°192461 du 23 mai 2019 le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rennes a rejeté leurs demandes.

Procédure devant la cour

:

I. Par une requête enregistrée le 15 octobre 2019, sous le n° 19NT04035, Mme A... F..., ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. I... E... et Mme A... F... ont demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler les arrêtés du 20 mai 2019 par lesquels le préfet d'Ille-et-Vilaine, d'une part, a décidé leur transfert aux autorités italiennes en vue de l'examen de leurs demandes d'asile et, d'autre part, les a assignés à résidence.

Par deux jugements n° 192460 et n°192461 du 23 mai 2019 le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rennes a rejeté leurs demandes.

Procédure devant la cour :

I. Par une requête enregistrée le 15 octobre 2019, sous le n° 19NT04035, Mme A... F..., représentée par Me H..., demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Rennes n° 1902460 du 23 mai 2019 ;

2°) d'annuler les deux arrêtés contestés du 20 mai 2019 du préfet d'Ille-et-Vilaine ;

3°) d'enjoindre à l'administration d'enregistrer sa demande d'asile et de lui délivrer une attestation de demande d'asile dans le délai d'un mois à compter de l'arrêt à intervenir ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil d'une somme de 1 800 euros sur le fondement des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Elle soutient que :

en ce qui concerne la décision de transfert en Italie :

- le premier juge a omis de répondre au moyen tiré de la méconnaissance de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ;

- l'arrêté est entaché d'un défaut d'examen ou à tout le moins d'une insuffisance de motivation alors qu'elle avait indiqué à l'administration que sa demande d'asile a été rejetée par les autorités italiennes ;

- il méconnait les dispositions de l'article 4 du règlement (UE) n°604/2013 du 26 juin 2013 et de l'article 5 de la directive 2013/33/UE en ce qu'elle n'a pas reçu toutes les informations prévues par ces dispositions ;

- il méconnait les dispositions de l'article 5 du règlement (UE) n°604/2013 du 26 juin 2013 ;

- il méconnait les dispositions des articles 3 et 17 du règlement (UE) n°604/2013 du 26 juin 2013 ainsi que les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union Européenne, eu égard aux défaillances systémiques constatées en Italie, au fait qu'elle est enceinte, et à la circonstance qu'elle sera renvoyée au Nigéria ;

en ce qui concerne la décision d'assignation à résidence :

- la décision est illégale du fait de l'illégalité de la décision portant transfert en Italie.

Par un mémoire en défense enregistré le 22 octobre 2019, la préfète d'Ille-et-Vilaine conclut au rejet de la requête et s'en remet à ses écritures de première instance.

Mme F... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 3 septembre 2019.

II. Par une requête n° 19NT4036, enregistrée le 15 octobre 2019, M. I... E..., représenté par Me H..., demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1902461 du tribunal administratif de Rennes du 23 mai 2019 ;

2°) d'annuler les deux arrêtés contestés du 20 mai 2019 du préfet d'Ille-et-Vilaine ;

3°) d'enjoindre à l'administration d'enregistrer sa demande d'asile et de lui délivrer une attestation de demande d'asile dans le délai d'un mois à compter de l'arrêt à intervenir ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil d'une somme de 1 800 euros sur le fondement des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

en ce qui concerne la décision de transfert en Italie :

- le premier juge a omis de répondre au moyen tiré de la méconnaissance de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ;

- l'arrêté est entaché d'un défaut d'examen ou à tout le moins d'une insuffisance de motivation alors qu'il avait indiqué à l'administration que sa demande d'asile a été rejetée par les autorités italiennes ;

- il méconnait les dispositions de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 et de l'article 5 de la directive 2013/33/UE en ce qu'il n'a pas reçu toutes les informations prévues par ces dispositions ;

- il méconnait les dispositions de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ;

- il méconnait les dispositions des articles 3 et 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ainsi que les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union Européenne eu égard aux défaillances systémiques constatées en Italie, au fait que sa compagne est enceinte, et à la circonstance qu'il sera renvoyé au Nigéria ;

en ce qui concerne la décision d'assignation à résidence :

- la décision est illégale du fait de l'illégalité de la décision portant transfert en Italie.

Par un mémoire en défense enregistré le 22 octobre 2019, la préfète d'Ille-et-Vilaine conclut au rejet de la requête et s'en remet à ses écritures de première instance.

M. E... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 3 septembre 2019.

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la Charte des droits fondamentaux de l'Union Européenne ;

- le règlement (UE) n°603/2013 du 26 juin 2013 ;

- le règlement (UE) n°604/2013 du 26 juin 2013

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. B... a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Les requêtes n° 19NT04035 et n° 19NT04036, présentées respectivement par Mme A... F... et M. I... E..., concernent la situation d'un couple, présentent à juger les mêmes questions et ont fait l'objet d'une instruction commune. Par conséquent, il y a lieu de les joindre pour statuer par un même arrêt.

2. Mme F... et M. E..., ressortissants nigérians vivant en couple, seraient entrés irrégulièrement en France le 21 avril 2019. Ils ont sollicité la reconnaissance du statut de réfugié auprès de la préfecture d'Ille-et-Vilaine, le 25 avril suivant. Les recherches effectuées sur le fichier Eurodac ayant révélé qu'ils avaient déjà sollicité l'asile à tout le moins en Italie, la préfète d'Ille-et-Vilaine a saisi, le 26 avril 2019, les autorités italiennes d'une demande de transfert des intéressés sur le fondement des dispositions de l'article 18.1 b) du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013. Les autorités italiennes ont explicitement accepté ces prises en charge, le 10 mai 2019, sur les fondements précités. Par deux arrêtés du 20 mai 2019, la préfète d'Ille-et-Vilaine a ordonné le transfert de Mme F... et de M. E... aux autorités italiennes, responsables de leurs demandes d'asile, et, par deux autres arrêtés du même jour, elle les a assignés à résidence pour une durée de quarante-cinq jours. Les requérants relèvent appel des jugements du 23 mai 2019 par lesquels le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rennes a rejeté leurs demandes respectives tendant à l'annulation de ces arrêtés.

Sur la régularité des jugements attaqués :

3. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rennes a omis de répondre au moyen, qui n'était pas inopérant, tiré de ce que les arrêtés par lesquels la préfète d'Ille-et-Vilaine a décidé le transfert des requérants vers l'Italie, a été pris au terme d'une procédure irrégulière en méconnaissance de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013. Les jugements attaqués doivent, en raison de cette omission, être annulés en tant qu'ils statuent sur les conclusions dirigées contre ces décisions.

4. Par conséquent, d'une part, il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement par la voie de l'évocation sur les demandes présentées par Mme F... et par M. E... devant le tribunal administratif de Rennes en tant qu'elles tendent à l'annulation des décisions de transfert aux autorités italiennes. D'autre part, il y a lieu de statuer sur le surplus de leurs requêtes devant la cour, tendant à l'annulation des décisions d'assignation à résidence, par la voie de l'effet dévolutif.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

En ce qui concerne la compétence de l'auteur des actes attaqués :

5. En premier lieu, la préfète d'Ille-et-Vilaine a régulièrement donné délégation, selon un arrêté du 19 novembre 2018, dûment publié au recueil des actes administratifs de la préfecture d'Ille-et-Vilaine n° 599 du 19 novembre 2018, à Mme G... D..., cheffe de l'unité régionale Dublin au bureau de l'asile, signataire des actes attaqués, à l'effet notamment, de signer les arrêtés de transfert et d'assignation à résidence. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur des actes litigieux doit être écarté.

En ce qui concerne les arrêtés portant transfert aux autorités italiennes :

6. En deuxième lieu, en application de l'article L. 742-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, la décision de transfert dont fait l'objet un ressortissant de pays tiers ou un apatride qui a déposé auprès des autorités françaises une demande d'asile dont l'examen relève d'un autre Etat membre ayant accepté de le prendre ou de le reprendre en charge doit être motivée, c'est-à-dire qu'elle doit comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement.

7. Pour l'application de ces dispositions, est suffisamment motivée une décision de transfert qui mentionne le règlement du Parlement européen et du Conseil n° 604/2013 du 26 juin 2013 et comprend l'indication des éléments de fait sur lesquels l'autorité administrative se fonde pour estimer que l'examen de la demande présentée devant elle relève de la responsabilité d'un autre Etat membre, une telle motivation permettant d'identifier le critère du règlement communautaire dont il est fait application.

8. Les décisions prononçant les transferts de Mme F... et de M. E... aux autorités italiennes visent, notamment, la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, la convention de Genève du 28 juillet 1951, le règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 ainsi que le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Elles relèvent en outre le caractère irrégulier de l'entrée en France des requérants et rappellent le déroulement de la procédure suivie lorsque ceux-ci se sont présentés à la préfecture d'Ille-et-Vilaine le 25 avril 2019 pour y demander le bénéfice de l'asile. Les décisions mentionnent également que la consultation du système Eurodac a fait apparaître que les intéressés avaient précédemment demandé l'asile en Italie et que les autorités italiennes, saisies le 26 avril 2019 d'une demande de reprise en charge de Mme F... et de M. E... sur le fondement du paragraphe 1 b) de l'article 18 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, ont explicitement donné leur accord à cette reprise en charge. Il en résulte que ces décisions sont suffisamment motivées. Par ailleurs, la préfète d'Ille-et-Vilaine dont les décisions contestées révèlent qu'elle a procédé à un examen complet de la situation personnelle des requérants, n'était pas tenue de motiver son refus de faire application des dispositions de l'article 17 du même règlement qui permettent à chaque Etat membre de l'Union de décider d'examiner une demande de protection internationale. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation des décisions de transfert doit être écarté.

9. En troisième lieu, aux termes de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 visé ci-dessus : " Droit à l'information /1. Dès qu'une demande de protection internationale est introduite au sens de l'article 20, paragraphe 2, dans un État membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de l'application du présent règlement, et notamment: /a) des objectifs du présent règlement et des conséquences de la présentation d'une autre demande dans un État membre différent ainsi que des conséquences du passage d'un État membre à un autre pendant les phases au cours desquelles l'État membre responsable en vertu du présent règlement est déterminé et la demande de protection internationale est examinée; /b) des critères de détermination de l'État membre responsable (...); /c) de l'entretien individuel en vertu de l'article 5 (...) ; /d) de la possibilité de contester une décision de transfert et, le cas échéant, de demander une suspension du transfert;/e) du fait que les autorités compétentes des États membres peuvent échanger des données le concernant aux seules fins d'exécuter leurs obligations découlant du présent règlement; /f) de l'existence du droit d'accès aux données le concernant (...). /2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend. Les États membres utilisent la brochure commune (...). Cette brochure commune comprend également des informations relatives à l'application du règlement (UE) n° 603/2013 et, en particulier, à la finalité pour laquelle les données relatives à un demandeur peuvent être traitées dans Eurodac. La brochure commune est réalisée de telle manière que les États membres puissent y ajouter des informations spécifiques aux États membres. Ces actes d'exécution sont adoptés en conformité avec la procédure d'examen visée à l'article 44, paragraphe 2, du présent règlement. / 3. Si c'est nécessaire à la bonne compréhension du demandeur, les informations lui sont également communiquées oralement, par exemple lors de l'entretien individuel visé à l'article 5. ". Selon les dispositions de l'article 5 du même règlement : " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'Etat membre responsable, l'Etat membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4 (...) ". Enfin aux termes de l'article 5 de la directive n° 2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 : " 1. Les Etats membres informent au minimum les demandeurs dans un délai raisonnable n'excédant pas quinze jours après l'introduction de leur demande de protection internationale des avantages dont ils peuvent bénéficier et des obligations qu'ils doivent respecter eu égard aux conditions d'accueil (...) ".

10. Il résulte de ces dispositions que le demandeur d'asile auquel l'administration entend faire application du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 doit se voir remettre, en temps utile pour lui permettre de faire valoir ses observations, c'est-à-dire au plus tard lors de l'entretien prévu par les dispositions de l'article 5 du même règlement, entretien qui doit notamment permettre de s'assurer qu'il a compris correctement ces informations, l'ensemble des éléments prévus au paragraphe 1 de l'article 4 du règlement. Eu égard à la nature de ces informations, la remise par l'autorité administrative de la brochure prévue par les dispositions de l'article 4 du règlement du 26 juin 2013 citées au point précédent constitue pour le demandeur d'asile une garantie.

11. Il ressort des pièces du dossier que Mme F... et M. E... se sont vus remettre, le 25 avril 2019, le jour même de l'enregistrement de leur demande d'asile en préfecture, et à l'occasion de l'entretien individuel réalisé par l'intermédiaire d'un interprète en langue anglaise, qu'ils ont déclaré comprendre, les brochures A et B conformes aux modèles figurant à 1'annexe X du règlement d'exécution (UE) n° 118/2014 de la Commission du 30 janvier 2014, qui contiennent l'ensemble des informations prescrites par les dispositions précitées. La circonstance que le guide du demandeur d'asile ne leur a pas été remis ne saurait vicier la procédure dès lors que cette brochure est destinée aux ressortissants étrangers dont la demande d'asile est instruite en France et non à ceux relevant de la procédure dite " Dublin " dont la demande d'asile à vocation à être instruite dans un autre pays européen. Par conséquent, Mme F... et M. E..., qui ont bénéficié des garanties d'information prévues aux articles 4 et 5 du règlement du 26 juin 2013 précité, ne sont pas fondés à soutenir que les décisions contestées auraient méconnu les dispositions de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 et méconnaitraient les stipulations de l'article 5 de la directive n° 2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil, lesquelles leur seront applicables en Italie.

12. En quatrième lieu, aux termes de l'article 5 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 susvisé : " Entretien individuel : (...) / 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national. / 6. L'État membre qui mène l'entretien individuel rédige un résumé qui contient au moins les principales informations fournies par le demandeur lors de l'entretien. Ce résumé peut prendre la forme d'un rapport ou d'un formulaire type. L'État membre veille à ce que le demandeur et/ou le conseil juridique ou un autre conseiller qui représente le demandeur ait accès en temps utile au résumé ".

13. Il ressort des mentions figurant sur les formulaires signés par Mme F... et M. E... qu'ils ont bénéficié le 25 avril 2019, soit avant l'intervention des décisions contestées, de l'entretien individuel prévu par l'article 5 précité du règlement n° 604/2013. Par ailleurs, ainsi que cela ressort des résumés de ces entretiens, ils ont pu faire état de leurs parcours et de leur situation familiale. Ils n'allèguent pas avoir été empêchés de faire valoir leurs craintes en cas de renvoi en Italie où ils font l'objet d'une décision d'éloignement. Enfin, l'absence d'indication de l'identité et de la qualité de l'agent ayant conduit les entretiens individuels n'a pas privé les intéressés de la garantie que constitue le bénéfice de cet entretien et aucun élément des dossiers ne permet de tenir pour établi que ces entretiens n'auraient pas été menés par une personne qualifiée en vertu du droit national, et dans des conditions qui n'en auraient pas garanti la confidentialité. Dès lors, le moyen tiré de la violation des dispositions précitées de l'article 5 du règlement du 26 juin 2013 doit être écarté.

14. En cinquième lieu, d'une part, aux termes de l'article 7 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Les critères de détermination de l'État membre responsable s'appliquent dans l'ordre dans lequel ils sont présentés dans le présent chapitre. / 2. La détermination de l'État membre responsable en application des critères énoncés dans le présent chapitre se fait sur la base de la situation qui existait au moment où le demandeur a introduit sa demande de protection internationale pour la première fois auprès d'un État membre. (...). ". D'autre part, aux termes du 4 de l'article 23 de ce même règlement : " 4. Une requête aux fins de reprise en charge est présentée à l'aide d'un formulaire type et comprend des éléments de preuve ou des indices tels que décrits dans les deux listes mentionnées à l'article 22, paragraphe 3, et/ou des éléments pertinents tirés des déclarations de la personne concernée, qui permettent aux autorités de l'État membre requis de vérifier s'il est responsable au regard des critères définis dans le présent règlement. (...) " et l'article 2 du règlement d'exécution n° 118/2014 de la Commission du 30 janvier 2014 précise qu'" une requête aux fins de reprise en charge est présentée à l'aide du formulaire type dont le modèle figure à l'annexe III, exposant la nature et les motifs des requêtes et les dispositions du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil sur lesquelles elle se fonde.".

15. En l'espèce il ressort des pièces du dossier que la préfète d'Ille-et-Vilaine a présenté les demandes de transfert des intéressés au moyen d'un formulaire sur le fondement du b) de l'article 18.1 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, et a mentionné les informations nécessaires à la détermination de l'État membre. Le formulaire concernant la requérante fait mention de son état de grossesse. Par suite, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que la procédure serait entachée d'une irrégularité au regard des dispositions précitées de l'article 7 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 et de l'article 2 du règlement d'exécution n° 118/2014.

16. En sixième lieu, aux termes de l'article 3 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Les Etats membres examinent toute demande de protection internationale présentée par un ressortissant de pays tiers ou par un apatride sur le territoire de l'un quelconque d'entre eux. La demande est examinée par un seul État membre, qui est celui que les critères énoncés au chapitre III désignent comme responsable. / 2. (...) Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'Etat membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entrainent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'Etat membre procédant à la détermination de l'Etat membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre Etat membre peut être désigné comme responsable ". Par ailleurs, aux termes de l'article 17 du même règlement : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. / L'État membre qui décide d'examiner une demande de protection internationale en vertu du présent paragraphe devient l'État membre responsable et assume les obligations qui sont liées à cette responsabilité. (...) ". Il résulte de ces dispositions que si une demande d'asile est examinée par un seul Etat membre et qu'en principe cet Etat est déterminé par application des critères d'examen des demandes d'asile fixés par son chapitre III, dans l'ordre énoncé par ce chapitre, l'application de ces critères est toutefois écartée en cas de mise en oeuvre de la clause dérogatoire énoncée au paragraphe 1 de l'article 17 du règlement, qui procède d'une décision prise unilatéralement par un Etat membre. Cette faculté laissée à chaque Etat membre est discrétionnaire et ne constitue nullement un droit pour les demandeurs d'asile.

17. D'une part, il ne ressort pas des pièces du dossier, ainsi qu'il a été dit au point 8, que la préfète d'Ille-et-Vilaine n'aurait pas procédé à un examen particulier de la situation des requérants et des conséquences de leur transfert en Italie au regard notamment des garanties exigées par le respect du droit d'asile et de l'état de grossesse de Mme F.... A cet égard, il n'est pas produit de documents médicaux démontrant que l'état de santé de Mme F... la placerait dans une situation de particulière vulnérabilité.

18. D'autre part, les requérants font état de l'existence de défaillances affectant les conditions d'accueil et de prise en charge des demandeurs d'asile en Italie en situation de particulière vulnérabilité. Toutefois, les documents qu'ils produisent à l'appui de ces allégations ne permettent pas de tenir pour établi que leurs demandes d'asile seraient exposées à un risque sérieux de ne pas être traitées par les autorités italiennes dans des conditions conformes à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile, alors que l'Italie est un Etat membre de l'Union européenne, partie tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, complétée par le protocole de New-York, qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Au demeurant, en l'espèce, les autorités italiennes ont explicitement admis la reprise en charge des intéressés en ayant connaissance de l'état de grossesse de Mme F.... Ainsi, les dispositions des articles 3 et 17 du règlement (UE) n°604/2013 du 26 juin 2013 n'ont pas été méconnues.

19. Enfin, les requérants ne démontrent pas davantage que leurs transferts en Italie les exposeraient personnellement au risque de subir des traitements inhumains ou dégradants dans ce pays, en raison notamment de leur qualité de demandeur d'asile ou de leur nationalité, ou dans leur pays d'origine, les arrêtés contestés n'ayant ni pour objet ni pour effet de les éloigner vers le Nigéria. Il ne ressort d'ailleurs pas des pièces du dossier qu'une décision d'éloignement devenue définitive aurait été prise à leur encontre par les autorités italiennes et les exposerait à un renvoi au Nigéria sans qu'ils ne soient en mesure de faire valoir auprès de ces mêmes autorités tout élément nouveau relatif à l'évolution de leur situation personnelle et à la situation au Nigeria. Par suite, en prenant les arrêtés litigieux, la préfète d'Ille-et-Vilaine n'a méconnu ni les stipulations des articles 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ni celles de l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.

En ce qui concerne les arrêtés portant assignation à résidence :

20. Il résulte des points 5 à 19 du présent arrêt que Mme F... et M. E... ne sont pas fondés à se prévaloir, à l'encontre des décisions prononçant leur assignation à résidence, de l'illégalité des décisions ordonnant leur transfert aux autorités italiennes.

21. Il résulte de tout ce qui précède que les conclusions à fin d'annulation dirigées contre les décisions de transfert, présentées par Mme F... et M. E... devant le tribunal administratif de Rennes, doivent être rejetées et qu'ils ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, ce tribunal a rejeté leurs conclusions dirigées contre les décisions d'assignation à résidence. Enfin, par voie de conséquence, leurs conclusions à fin d'injonction et tendant à l'application des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1971 doivent être également rejetées.

D E C I D E

Article 1er : Les jugements n° 192460 et n° 192461 du 23 mai 2019 du tribunal administratif de Rennes sont annulés en tant qu'ils statuent sur les décisions de la préfète d'Ille-et-Vilaine décidant du transfert de Mme F... et par M. E... vers l'Italie.

Article 2 : Les demandes présentées par Mme F... et par M. E... devant le tribunal administratif de Rennes, en tant qu'elles tendent à l'annulation des décisions de transfert en Italie des requérants prises par la préfète d'Ille-et-Vilaine, ainsi que le surplus des conclusions de leurs requêtes devant la cour, sont rejetés.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... F..., à M. I... E... et au ministre de l'intérieur.

Une copie en sera transmise pour information à la préfète d'Ille-et-Vilaine.

Délibéré après l'audience du 3 janvier 2020, à laquelle siégeaient :

- M. B..., président de la formation de jugement,

- Mme J..., première conseillère,

- M. Jouno, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 17 janvier 2020.

Le président rapporteur,

C. B...L'assesseur le plus ancien,

T. Jouno

La greffière,

M. C...

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

1

Nos 19NT04035, 19NT04036 2

1


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 19NT04035
Date de la décision : 17/01/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. RIVAS
Rapporteur ?: M. Christian RIVAS
Rapporteur public ?: M. BESSE
Avocat(s) : LE BIHAN

Origine de la décision
Date de l'import : 28/01/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2020-01-17;19nt04035 ?
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