Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. F... a demandé au tribunal administratif de Caen de condamner le centre hospitalier de Mortagne-au-Perche à l'indemniser des différents préjudices qu'il estime avoir subis du fait de la maladie imputable au service dont il est atteint, et de désigner un expert afin de déterminer ces préjudices.
Par un jugement n° 1602023 du 22 septembre 2017, le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires enregistrés les 21 novembre 2017, 25 janvier 2019 et 4 juillet 2019 M. F..., représenté par Me C..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 22 septembre 2017 ;
2°) de condamner le centre hospitalier, après avoir ordonné une expertise médicale, à l'indemniser des montants correspondant à l'évaluation des préjudices qu'il a subis ;
3°) de condamner le centre hospitalier à lui verser une allocation provisionnelle de 15 000 euros au titre des dommages-intérêts à valoir sur la réparation de son préjudice ;
4°) de mettre à la charge du centre hospitalier de Mortagne-au-Perche la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- l'imputabilité au service de sa maladie a été reconnue et la matérialité des faits ne peut ainsi être mise en doute ;
- la responsabilité pour faute du centre hospitalier se trouve engagée en raison de ses manquements en matière de sécurité ; les agents du service de blanchisserie n'étaient pas correctement protégés lors de la manipulation de certains produits ;
- la responsabilité sans faute du centre hospitalier est également engagée dès lors que les conséquences de l'incident dont il demande réparation sont directement liées à l'exercice de ses fonctions au sein de cet établissement ;
- il n'a lui-même commis aucune faute dans sa manipulation des produits lessiviels ;
- il a droit à être indemnisé par son employeur des préjudices distincts de l'atteinte à son intégrité physique ;
- une expertise judicaire est nécessaire pour évaluer la nature et l'étendue des préjudices qu'il a subis ;
- il est fondé à réclamer le versement d'une indemnité provisionnelle de 2 000 euros au titre de son préjudice financier lié à la perte de l'indemnité versée au titre du travail les dimanches et jours fériés, 8 000 euros au titre de son déficit fonctionnel temporaire et 5 000 euros au titre de son déficit fonctionnel permanent.
Par des mémoires en défense enregistrés les 18 avril 2018 et 7 février 2019 le centre hospitalier de Mortagne-au-Perche, représenté par Me E..., conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 3 000 euros soit mise à la charge du requérant au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il fait valoir que les moyens invoqués par M. F... ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n°83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. B...
- et les conclusions de M. Gauthier, rapporteur public.
Une note en délibéré présentée pour M. F... a été enregistrée le 9 décembre 2019.
Considérant ce qui suit :
1. M. F..., agent d'entretien qualifié au centre hospitalier de Mortagne-au-Perche, est affecté au service de blanchisserie de cet hôpital. En juillet 2012, alors que, selon ses déclarations, il manipulait des produits lessiviels, il en a inhalé des émanations qui lui auraient fait perdre brièvement connaissance. M. F..., qui n'a pas déclaré cet incident à son employeur, indique souffrir depuis cet incident de problèmes respiratoires graves. Il a formé en mai 2015 une demande de reconnaissance d'imputabilité au service de sa maladie, laquelle a généré depuis 2012 de très nombreux arrêts de travail. La commission de réforme et le centre hospitalier ont reconnu l'imputabilité au service de la pathologie dont est atteint l'intéressé en mars 2016. M. F... a adressé le 17 octobre 2016 à son employeur une demande préalable d'indemnisation des différents préjudices qu'il estime avoir subis du fait de cette maladie, sur le fondement tant de la responsabilité pour faute que de la responsabilité sans faute de son employeur, demande que le centre hospitalier de Mortagne-au-Perche a implicitement rejetée. Il a parallèlement formé le 18 octobre 2016 un recours indemnitaire devant le tribunal administratif de Caen, et il relève appel du jugement du 22 septembre 2017 par lequel ce tribunal a rejeté sa demande.
I. La responsabilité du centre hospitalier de Mortagne-au-Perche
2. Les dispositions instituant la rente viagère d'invalidité et l'allocation temporaire d'invalidité ont pour objet de réparer les pertes de revenus et l'incidence professionnelle résultant de l'incapacité physique causée par un accident de service ou une maladie professionnelle. Ces chefs de préjudices sont réparés forfaitairement dans le cadre de l'obligation qui incombe aux collectivités publiques de garantir leurs agents contre les risques qu'ils peuvent courir dans l'exercice de leurs fonctions. Ces dispositions ne font en revanche obstacle ni à ce que le fonctionnaire qui subit, du fait de l'invalidité ou de la maladie, des préjudices patrimoniaux d'une autre nature ou des préjudices personnels, obtienne de la personne publique qui l'emploie, même en l'absence de faute de celle-ci, une indemnité complémentaire réparant ces chefs de préjudice, ni à ce qu'une action de droit commun pouvant aboutir à la réparation intégrale de l'ensemble du dommage soit engagée contre la personne publique, dans le cas notamment où l'accident ou la maladie serait imputable à une faute de nature à engager la responsabilité de cette personne ou à l'état d'un ouvrage public dont l'entretien lui incombait.
Sur la responsabilité pour faute :
3. Il appartient au demandeur qui engage une action en responsabilité à l'encontre de l'administration d'apporter tous éléments de nature à établir l'existence d'une faute et la réalité du préjudice subi. Il incombe alors, en principe, au juge de statuer au vu des pièces du dossier, le cas échéant après avoir demandé aux parties les éléments complémentaires qu'il juge nécessaires à son appréciation. Il ne lui revient d'ordonner une expertise que lorsqu'il n'est pas en mesure de se prononcer au vu des pièces et éléments qu'il a recueillis et que l'expertise présente ainsi un caractère utile.
4. Il ne résulte pas de l'instruction que, dans des conditions normales d'utilisation, les produits lessiviels manipulés par M. F... et ses collègues affectés à la blanchisserie entraineraient des risques particuliers de nature à nécessiter le port de masques adaptés. Il ne résulte pas davantage de l'instruction que la ventilation requise par les fabricants de ces produits n'aurait pas été assurée dans les locaux concernés. Dans ces conditions, et alors même que le centre hospitalier n'aurait pas procuré à ses agents des masques antérieurement au mois de juillet 2012, aucune faute dans l'organisation et le fonctionnement du service ne peut être retenue en l'espèce. M. F... n'est, par suite, pas fondé à demander l'engagement de la responsabilité de son employeur à ce titre.
Sur la responsabilité sans faute :
5. Il résulte de l'instruction, en particulier des nombreux comptes-rendus de séance du comité médical produits par lui, que le centre hospitalier de Mortagne-au-Perche a admis l'imputabilité au service de la maladie respiratoire dont reste atteint M. F... depuis 2012 et jusqu'au jour du présent arrêt. Dans ces conditions, le requérant est en droit de demander, même sans faute de son employeur, réparation des préjudices patrimoniaux d'une autre nature que ceux qui sont réparés par l'allocation d'invalidité ainsi que de ses préjudices personnels.
6. Le centre hospitalier de Mortagne-au-Perche, pour s'exonérer de sa responsabilité, soutient que la maladie professionnelle dont souffre M. F... trouve son origine dans une faute commise par ce dernier. Cependant, et alors même que les circonstances de l'accident ne sont pas clairement précisées, il ne peut être déduit d'aucun des éléments figurant au dossier que les émanations toxiques inhalées par M. F... trouveraient leur origine dans un manquement fautif de l'intéressé. C'est, par suite, à tort que, se fondant sur une faute de la victime totalement exonératoire inexistante, les premiers juges ont estimé que la responsabilité sans faute du centre hospitalier ne pouvait être retenue.
7. Il résulte de ce qui vient d'être dit qu'il y a lieu de statuer, par la voie de l'effet dévolutif de l'appel, sur les préjudices dont M. F... peut être indemnisé.
II. Les préjudices indemnisables
8. En premier lieu, si M. F... soutient avoir subi du fait de sa maladie professionnelle un préjudice patrimonial, la réalité d'un tel préjudice, autre que celui relatif à la perte de revenus et à l'incidence professionnelle déjà réparés par son employeur, n'est pas établie par les pièces du dossier. S'agissant, en particulier, de la perte de la prime de week-end et de jours fériés, dont M. F... indique qu'elle serait à l'origine d'un préjudice de 2 000 euros, l'intéressé ne fournit aucun élément permettant d'établir qu'il percevait de manière régulière un telle prime avant d'être victime de sa maladie, ni les sommes ainsi éventuellement perdues.
9. En second lieu, il résulte de l'instruction, notamment des différents certificats médicaux et comptes-rendus d'examens et d'hospitalisation produits par M. F..., dont la teneur n'est pas contestée par le centre hospitalier, que l'asthme sévère dont souffre désormais l'intéressé, qui a nécessité plusieurs hospitalisations, dont certaines en urgence, est également à l'origine, du fait du traitement au long cours à base de corticoïdes devant être suivi par l'intéressé, de différents inconvénients notables tels que prise de poids, fragilité cutanée, infections fréquentes et modification de l'apparence physique. Il sera fait une juste appréciation des souffrances physiques endurées, du préjudice moral et des troubles de toute nature subis par M. F... dans ses conditions d'existence du fait de sa maladie professionnelle en fixant, sans qu'il soit pour cela besoin de recourir à une expertise dès lors que l'intéressé n'invoque pas d'autres chefs de préjudices nécessitant d'y avoir recours, à 20 000 euros l'indemnité destinée à réparer de manière globale ces préjudices. Les éléments relatifs au déficit fonctionnel temporaire et au déficit permanent dont fait état M. F... étant inclus dans cette indemnité, il n'y a pas lieu d'y faire droit de manière distincte.
10. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de statuer sur ses conclusions à fins d'octroi d'une provision, que M. F... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Caen a rejeté ses conclusions indemnitaires.
III. les frais liés à l'instance
11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que M. F..., qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, verse au centre hospitalier de Mortagne-au-Perche la somme que celui-ci demande au titre des frais exposés par lui non compris dans les dépens. Il y a en revanche lieu de mettre à la charge du centre hospitalier de Mortagne-au-Perche, au même titre, une somme de 1 500 euros au profit de M. F....
DECIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1602023 du tribunal administratif de Caen du 22 septembre 2017 est annulé.
Article 2 : Le centre hospitalier de Mortagne-au-Perche est condamné à verser à M. F... la somme de 20 000 euros.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête ainsi que les conclusions présentées au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative par le centre hospitalier de Mortagne-au-Perche sont rejetés.
Article 4 : Le centre hospitalier de Mortagne-au-Perche versera la somme de 1 500 euros à M. F... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... F... et au centre hospitalier de Mortagne-au-Perche.
Délibéré après l'audience du 5 décembre 2019, à laquelle siégeaient :
- Mme Perrot, président,
- M. B..., premier conseiller,
- M. Berthon, premier conseiller.
Lu en audience publique le 10 janvier 2020.
Le rapporteur
A. B...
Le président
I. Perrot
Le greffier
M. D...
La République mande et ordonne au ministre des solidarités et de la santé en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N°17NT03449 2