Vu la procédure suivante :
Par une requête enregistrée le 28 septembre 2018, la société Traverse, représentée par Me B... et Me C..., demande à la cour :
1°) d'annuler l'arrêté du 6 août 2018 par lequel le maire de Plourin-les-Morlaix a refusé de lui délivrer le permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale qu'elle sollicitait en vue de la construction d'un ensemble commercial d'une surface totale de vente de 4 629,60 m2, comprenant onze magasins non alimentaires répartis dans quatre bâtiments, dans la ZAC Saint-Fiacre Kergaradec ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le refus de permis est fondé sur l'avis défavorable émis le 7 juin 2018 par la Commission nationale d'aménagement commercial ;
- la procédure suivie est entachée d'irrégularité en ce que ne lui ont pas été communiqués le avis rendus sur son projet par les ministres intéressés ;
- cet avis est entaché d'illégalité ; son projet satisfait pleinement aux critères d'évaluation de l'article L. 752-6 du code de commerce ;
- aucun texte ni aucun principe n'impose au demandeur d'une autorisation d'exploitation commerciale de produire une étude de trafic ; le motif tiré de ce que les impacts du projet sur les flux de transport n'ont pas été analysés est entaché d'une erreur de fait et d'une erreur d'appréciation ;
- le motif tiré du risque d'atteinte du projet à l'animation urbaine est insuffisamment motivé ; il est entaché d'erreurs de droit, de fait et d'appréciation ; le projet s'inscrit précisément dans le cadre des orientations du schéma de cohérence territoriale (SCOT) qui préconise le rééquilibrage des activités économiques entre l'est et l'ouest de l'agglomération ;
- le motif tiré de ce que le projet risque de porter atteinte au développement durable est entaché d'une erreur d'appréciation.
Un mémoire de production de pièces, enregistré le 26 mars 2019, a été présenté par la Commission nationale d'aménagement commercial.
Par un mémoire, enregistré le 29 avril 2019, la commune de Plourin-les-Morlaix, représentée par la société Le Roy, Gourvennec et Prieur, conclut à ce qu'il soit fait droit à la requête de la société Traverse.
Elle soutient qu'elle était en situation de compétence liée pour refuser de délivrer le permis de construire sollicité, alors même qu'elle était favorable au projet.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de commerce ;
- le code de l'urbanisme ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme A...,
- les conclusions de M. Sacher, rapporteur public,
- et les observations de Me D..., pour la commune de Plourin-les-Morlaix.
Considérant ce qui suit :
1. La société Traverse a déposé, le 4 janvier 2018, auprès du maire de Plourin-les-Morlaix une demande de permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale en vue de la création d'un ensemble commercial d'une surface de vente totale de 4 629,60 m2, comprenant onze magasins non alimentaires répartis dans quatre bâtiments, dans la zone d'aménagement concertée (ZAC) Saint-Fiacre Kergaradec. La commission départementale d'aménagement commercial du Finistère a rendu, le 22 février 2018, un avis défavorable au projet. Le 7 juin 2018, la Commission nationale d'aménagement commercial, saisie du recours formé par la société Traverse contre cet avis, a également émis un avis défavorable au projet. Par un arrêté du 6 août 2018, le maire de Plourin-les-Morlaix a refusé, au vu de cet avis, de délivrer à la société Traverse le permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale qu'elle sollicitait. La société Traverse demande l'annulation de cet arrêté.
Sur les conclusions à fin d'annulation
2. Aux termes de l'article L. 425-4 du code de l'urbanisme : " Lorsque le projet est soumis à autorisation d'exploitation commerciale au sens de l'article L. 752-1 du code de commerce, le permis de construire tient lieu d'autorisation dès lors que la demande de permis a fait l'objet d'un avis favorable de la commission départementale d'aménagement commercial ou, le cas échéant, de la Commission nationale d'aménagement commercial. (...) ". Il résulte de ces dispositions que l'autorité compétente est tenue de refuser la délivrance du permis de construire lorsque le projet fait l'objet d'un avis défavorable de la commission départementale d'aménagement commercial ou, le cas échéant, de la Commission nationale d'aménagement commercial.
3. A l'appui de sa requête, la société Traverse soutient que le refus du maire est illégal du fait de l'illégalité de l'avis défavorable émis le 7 juin 2018 par la Commission nationale d'aménagement commercial.
4. Pour émettre son avis défavorable, la Commission nationale a considéré que le projet ne se fonde sur aucune étude de trafic, qu'il compromet la réalisation de l'objectif d'aménagement du territoire en raison de l'existence d'un risque d'atteinte à l'animation urbaine du centre-ville de Morlaix, les enseignes des cellules commerciales créées n'étant pas connues, et qu'il compromet la réalisation de l'objectif de développement durable en ce qu'il engendre une forte imperméabilisation des sols, que son insertion architecturale est " peu qualitative " et qu'il est susceptible de générer des nuisances pour les habitations proches.
En ce qui concerne la composition du dossier de demande :
5. En vertu de l'article R. 431-33-1 du code de l'urbanisme, la demande de permis de construire, lorsque le projet relève de l'article L. 425-4 de ce code, est accompagnée d'un dossier comprenant les éléments mentionnés à l'article R. 752-6 du code de commerce. Aux termes de cet article : " La demande est accompagnée d'un dossier comportant les éléments suivants : / (...) / 2° Informations relatives à la zone de chalandise et à l'environnement proche du projet : / a) Une carte ou un plan indiquant les limites de la zone de chalandise, accompagné : / (...) / - d'une description de la desserte actuelle et future (routière, en transports collectifs, cycliste, piétonne) / b) Une carte ou un plan de l'environnement du projet, dans un périmètre d'un kilomètre autour de son site d'implantation, accompagné d'une description faisant apparaître, le cas échéant : / (...) / - la localisation des zones d'habitat (en précisant leur nature : collectif, individuel, social) ; / - la desserte actuelle et future (routière, en transports collectifs, cycliste, piétonne). / (...) / 4° Effets du projet en matière d'aménagement du territoire. / Le dossier comprend une présentation des effets du projet sur l'aménagement du territoire, incluant les éléments suivants : / (...) c) Evaluation des flux journaliers de circulation des véhicules générés par le projet sur les principaux axes de desserte du site, ainsi que des capacités résiduelles d'accueil des infrastructures de transport existantes ; / d) Evaluation des flux journaliers de circulation des véhicules de livraison générés par le projet et description des accès au projet pour ces véhicules; / (...) / f) Analyse prévisionnelle des flux de déplacement dans la zone de chalandise, tous modes de transport confondus, selon les catégories de clients ; / g) En cas d'aménagements envisagés de la desserte du projet : tous documents garantissant leur financement et leur réalisation effective à la date d'ouverture de l'équipement commercial ; (...) ".
6. Le dossier de la demande décrit, conformément aux dispositions citées ci-dessus des 2° et 4° de l'article R. 752-6 du code de commerce, les voies de desserte routière et les accès existants et futurs du projet, les flux actuels de circulation et ceux générés par le projet qui sont estimés à 478 véhicules supplémentaires par jour, sur la base de projets de secteur d'activité et de surface de vente similaires dans la région de Vannes et de Quimper. Par ailleurs, il a été précisé à la Commission nationale d'aménagement commercial que l'accès par le centre aquatique sera secondaire compte tenu de la configuration des lieux et des facilités d'accès qu'offre le giratoire Saint-Fiacre d'un diamètre de 73 mètres spécialement aménagé pour desservir la ZAC. Enfin, il n'est pas contesté que le dossier a été modifié de façon à ce que les véhicules de livraison ne puissent accéder au site que par ce rond-point Saint Fiacre. Dans ces conditions, la Commission nationale d'aménagement commercial disposait d'éléments suffisants pour apprécier les effets du projet sur les flux de circulation des véhicules générés par le projet sur les principaux axes de desserte du site.
En ce qui concerne la conformité du projet aux objectifs fixés par le législateur :
7. Aux termes de l'article L. 750-1 du code de commerce : " Les implantations, extensions, transferts d'activités existantes et changements de secteur d'activité d'entreprises commerciales et artisanales doivent répondre aux exigences d'aménagement du territoire, de la protection de l'environnement et de la qualité de l'urbanisme. Ils doivent en particulier contribuer au maintien des activités dans les zones rurales et de montagne ainsi qu'au rééquilibrage des agglomérations par le développement des activités en centre-ville et dans les zones de dynamisation urbaine. / Dans le cadre d'une concurrence loyale, ils doivent également contribuer à la modernisation des équipements commerciaux, à leur adaptation à l'évolution des modes de consommation et des techniques de commercialisation, au confort d'achat du consommateur et à l'amélioration des conditions de travail des salariés ".
8. Aux termes de l'article L. 752-6 du code de commerce, dans sa rédaction applicable au litige : " " I. - L'autorisation d'exploitation commerciale mentionnée à l'article L. 752-1 est compatible avec le document d'orientation et d'objectifs des schémas de cohérence territoriale ou, le cas échéant, avec les orientations d'aménagement et de programmation des plans locaux d'urbanisme intercommunaux comportant les dispositions prévues au deuxième alinéa de l'article L. 151-6 du code de l'urbanisme. / La commission départementale d'aménagement commercial prend en considération : / 1° En matière d'aménagement du territoire : / a) La localisation du projet et son intégration urbaine ; / b) La consommation économe de l'espace, notamment en termes de stationnement ; / c) L'effet sur l'animation de la vie urbaine (...); / d) L'effet du projet sur les flux de transports et son accessibilité par les transports collectifs et les modes de déplacement les plus économes en émission de dioxyde de carbone ; / 2° En matière de développement durable : / a) La qualité environnementale du projet, notamment du point de vue (...) de la gestion des eaux pluviales, de l'imperméabilisation des sols et de la préservation de l'environnement ; / b) L'insertion paysagère et architecturale du projet (...); / c) Les nuisances de toute nature que le projet est susceptible de générer au détriment de son environnement proche. (...); / 3° En matière de protection des consommateurs (...) ".
9. Il appartient aux commissions d'aménagement commercial, lorsqu'elles se prononcent sur un projet d'exploitation commerciale soumis à autorisation en application de l'article L. 752-1 du code de commerce, d'apprécier la conformité de ce projet aux objectifs prévus à l'article L. 750-1 du code de commerce, au vu des critères d'évaluation mentionnés à l'article L. 752-6 du même code. Un avis défavorable ne peut être rendu par la commission que si, eu égard à ses effets, le projet compromet la réalisation de ces objectifs.
S'agissant de l'objectif d'aménagement du territoire :
10. D'une part, il ressort des pièces du dossier et n'est pas contesté que le projet porté par la société Traverse est compris dans la zone d'aménagement concerté dite " ZAC de Saint-Fiacre Kergaradec " qui a été créée, en 2008, en entrée sud de l'agglomération de Morlaix, sur le territoire de la commune de Plourin-les-Morlaix, pour répondre à l'objectif défini par la communauté d'agglomération de Morlaix de disposer " en entrée sud de la conurbation, dans le tissu urbain, d'un espace destiné à accueillir à la fois des commerces, des entreprises et de l'habitat individuel et collectif ". La voirie et le giratoire de Saint-Fiacre qui assure l'accès direct du site ont été conçus et aménagés pour assurer, dans des conditions suffisantes, la desserte de cette ZAC située en entrée de ville. Le projet vient compléter un ensemble commercial préexistant comprenant un magasin à l'enseigne " Gifi ", d'une surface de vente de 980 m², et un centre automobile " Formauto ", d'une surface de vente de 300 m2. Il se situe, également, à proximité immédiate d'un supermarché
" Intermarché " (2 282 m²), d'un magasin " Fnac " (719 m²), d'un salon de coiffure et d'une pharmacie. D'autre part, il ressort de la promesse de vente conclue entre la société Traverse et la société d'aménagement du Finistère, société concessionnaire de l'aménagement de la ZAC, propriétaire du terrain d'assiette du projet, que les commerces qui s'implanteront sur le site devront recevoir l'agrément de cette société d'aménagement, qui est ainsi chargée de garantir la complémentarité de l'offre commerciale de la zone avec celle du centre-ville de Morlaix. Il ne ressort, par ailleurs, d'aucune pièce du dossier que, dans ces conditions particulières, le projet serait de nature à fragiliser les commerces du centre-ville de Morlaix et de compromettre l'animation de la vie urbaine. Enfin, il n'est pas contesté que le projet s'inscrit dans le cadre des orientations du SCOT qui préconise le rééquilibrage des activités économiques entre l'est et l'ouest de l'agglomération. Dès lors, et alors même que les enseignes des cellules commerciales du projet n'étaient pas encore connues, en refusant de délivrer l'autorisation sollicitée aux motifs que celui-ci risque de porter atteinte à l'animation urbaine du centre-ville de Morlaix, déjà en difficulté, et ne contribuera pas à la préservation de son centre urbain, la Commission nationale a fait une inexacte application des dispositions précitées du code de commerce.
S'agissant de l'objectif de développement durable :
11. Il ressort des pièces du dossier que le site du projet inclus, ainsi qu'il a été dit plus haut, dans la " ZAC de Saint-Fiacre Kergaradec " destinée à accueillir des logements et un ensemble commercial, se situe au sein d'un espace formant une " dent-creuse " dans un environnement urbanisé. Il n'est pas contesté que l'architecte conseil de la société d'aménagement de la ZAC a validé le projet en faisant valoir " sa juste inscription dans le site ", " la qualité de son architecture "
et " l'attention portée aux espaces piétonniers et aux stationnements largement paysagés ". Enfin, le cahier des charges d'aménagement de la zone impose de planter une haie bocagère assortie d'un rideau d'arbres en limite sud de l'emprise du projet, le long de la zone d'habitation, de manière à créer un écran visuel et acoustique au profit des riverains. Par suite, en retenant, pour rejeter le projet, que celui-ci engendrera une forte imperméabilisation des sols, que l'insertion architecturale est peu qualitative et qu'il est de nature à générer des nuisances pour les habitations proches, la Commission nationale a fait une inexacte application des dispositions précitées du code de commerce.
12. Pour l'application de l'article L. 600-4-1 du code de l'urbanisme, aucun autre moyen n'est susceptible d'entraîner, en l'état du dossier, l'annulation prononcée par le présent arrêt.
13. Il résulte de tout de ce qui précède que la société Traverse est fondée à demander l'annulation de l'arrêté du 6 août 2018 du maire de Plourin-les-Morlaix.
Sur les frais liés au litige :
14. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat le versement à la société Traverse d'une somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : L'arrêté du 6 août 2018 du maire de de Plourin-les-Morlaix est annulé.
Article 2 : L'Etat versera à la société Traverse une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société Traverse, à la commune de Plourin-les-Morlaix et au ministre de l'économie et des finances.
Délibéré après l'audience du 6 décembre 2019, à laquelle siégeaient :
- M. Célérier, président de chambre,
- Mme A..., présidente-assesseur,
- M. Bréchot, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 20 décembre 2019.
Le rapporteur,
C. A...Le président,
T. CELERIER
Le greffier,
C. GOY
La République mande et ordonne au ministre de l'économie et des finances en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 18NT03653