Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme C... A... a demandé au tribunal administratif d'Orléans d'annuler l'arrêté du 27 juin 2019 par lequel le préfet du Loiret a décidé sa remise aux autorités espagnoles, responsables de l'examen de sa demande d'asile, ainsi que l'arrêté du même jour l'assignant à résidence pour une durée de quarante-cinq jours.
Par un jugement n° 1902261 du 4 juillet 2019, la magistrate désignée du tribunal administratif d'Orléans a annulé les arrêtés précités du 27 juin 2019 et a enjoint au préfet du Loiret de délivrer à Mme A... une attestation de demandeur d'asile dans un délai de 15 jours.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 9 juillet 2019, le préfet du Loiret demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif d'Orléans du 4 juillet 2019 ;
2°) de rejeter la demande présentée devant le tribunal administratif d'Orléans par Mme A....
Il soutient que :
- son arrêté portant transfert de Mme A... n'est pas entaché d'une erreur manifeste d'appréciation dans la mesure où l'intéressée n'établit ni une communauté de vie avec le ressortissant français qui serait le père de l'enfant qu'elle porte, ni que son état de santé l'empêcherait de voyager vers l'Espagne ; l'article 32 du règlement du 26 juin 2013 prévoit que l'Etat procédant au transfert d'une femme enceinte communique des informations quant aux besoins particuliers de cette personne au pays d'accueil ; Mme A... se contente d'affirmer que l'Espagne présenterait des défaillances systémiques dans le traitement des demandes d'asile ;
- les arrêtés litigieux ont été signés par des autorités compétentes, disposant de délégations de signature régulières ;
- ces décisions sont suffisamment motivées ;
- les autorités espagnoles ont implicitement accepté sa reprise en charge ;
- l'intéressée a bénéficié des garanties prévues aux articles 4 et 5 du règlement du 26 juin 2013 ;
- la décision portant transfert étant légale, l'exception d'illégalité soulevée par Mme A... à l'encontre de la décision d'assignation à résidence ne peut qu'être écartée ;
- Mme A... ne justifie pas du caractère disproportionné de l'obligation de pointage qui lui est imposée, ni de l'interdiction de sortie du département.
Vu les pièces desquelles il résulte que la requête a été communiquée à Mme A..., pour laquelle il n'a pas été produit de mémoire.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991, modifiée, relative à l'aide juridique ;
- le décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991 modifié ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme B... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Le préfet du Loiret relève appel du jugement du 4 juillet 2019 par lequel la magistrate désignée du tribunal administratif d'Orléans a annulé ses arrêtés du 27 juin 2019 par lesquels il a décidé la remise de Mme A..., ressortissante guinéenne, aux autorités espagnoles, responsables de l'examen de sa demande d'asile, et l'a assignée à résidence dans le département du Loiret.
Sur la légalité des arrêtés litigieux :
2. Aux termes de l'article 17 du règlement du 26 juin 2013 : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. / L'Etat membre qui décide d'examiner une demande de protection internationale en vertu du présent paragraphe devient l'Etat membre responsable et assume les obligations qui sont liées à cette responsabilité. (...) ".
3. Il résulte de ces dispositions que si une demande d'asile est examinée par un seul Etat membre et qu'en principe cet Etat est déterminé par application des critères d'examen des demandes d'asile fixés par son chapitre III, dans l'ordre énoncé par ce chapitre, l'application de ces critères est toutefois écartée en cas de mise en oeuvre de la clause dérogatoire énoncée au paragraphe 1 de l'article 17 du règlement, qui procède d'une décision prise unilatéralement par un Etat membre. Cette faculté laissée à chaque Etat membre est discrétionnaire et ne constitue nullement un droit pour les demandeurs d'asile.
4. Si l'Espagne est un Etat membre de l'Union européenne et partie tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, complétée par le protocole de New York, qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, il appartient néanmoins à l'administration d'apprécier dans chaque cas, au vu des pièces qui lui sont soumises et sous le contrôle du juge, si les conditions dans lesquelles un dossier particulier est traité par les autorités de ce pays répondent à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile.
5. Il est constant que lors de son entretien individuel qui s'est tenu en préfecture le
21 novembre 2018, Mme A..., qui est née le 5 août 1998, a déclaré être enceinte de trois mois et pouvoir être hébergée chez le père de son enfant à naître vivant dans le département du Nord. Le préfet du Loiret ne conteste pas davantage que la jeune femme a fait une fausse couche en décembre 2018 et qu'elle était de nouveau enceinte en avril 2019. Si Mme A... a produit certains documents se rapportant à sa première grossesse, il ressort toutefois des pièces du dossier qu'elle a été hospitalisée dans le service de gynécologie obstétrique du centre hospitalier de Douai du 18 mai au 20 mai 2019 pour une altération de son état général et une perte de 5 kg en une semaine accompagnée des vomissements incoercibles. Elle a de nouveau été hospitalisée du 27 au 30 juin 2019 au centre hospitalier régional d'Orléans dans l'unité de chirurgie gynécologique. La jeune femme a également produit une attestation de son compagnon confirmant qu'ils envisagent de se marier. Les certificats médicaux produits attestent qu'elle se rend régulièrement dans le département Nord. Par suite, et eu égard à son très jeune âge et à son état de santé fragile, Mme A... présentait à la date de l'arrêté de transfert une vulnérabilité certaine. En outre, elle justifie de manière suffisante, par des documents concordants, de la présence en France du père de l'enfant à naître qu'elle portait et de leur relation affective. Par suite, le préfet n'est pas fondé à soutenir que la magistrate désignée du tribunal administratif d'Orléans aurait estimé à tort qu'en ne faisant pas usage de la faculté d'instruire la demande d'asile de Mme A... en France en application des dispositions précitées du 1 de l'article 17 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013, il avait entaché sa décision d'une erreur manifeste dans l'appréciation de la situation de l'intéressée, justifiant l'annulation de la décision de transfert de l'intéressée ainsi que, par voie de conséquence, de celle du même jour portant assignation à résidence .
6. Il résulte de ce qui précède que le préfet du Loiret n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, la magistrate désignée du tribunal administratif d'Orléans a annulé ses arrêtés du 27 juin 2019 pris à l'encontre de Mme A....
DÉCIDE :
Article 1er : La requête du préfet du Loiret est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à Mme C... A.... Une copie sera transmise au préfet du Loiret.
Délibéré après l'audience du 29 novembre 2019 à laquelle siégeaient :
- M. Lenoir, président de chambre,
- M. Coiffet, président-assesseur,
- Mme B..., premier conseiller.
Lu en audience publique, le 17 décembre 2019.
Le rapporteur,
V. GELARDLe président,
H. LENOIR
Le greffier,
R. MAGEAU
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 19NT02725