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26/11/2019 | FRANCE | N°19NT00221

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 5ème chambre, 26 novembre 2019, 19NT00221


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C... B..., agissant en son nom propre et au nom de son fils mineur E... G..., a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 2 août 2018 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté son recours formé contre la décision des autorités consulaires françaises à Agadir (Maroc) du 12 mars 2018 refusant de leur délivrer des visas d'entrée et de long séjour en France, ainsi que, par voie de conséquence, cette décision des

autorités consulaires.

Par un jugement n° 1806649 du 19 novembre 2018, le tr...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C... B..., agissant en son nom propre et au nom de son fils mineur E... G..., a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 2 août 2018 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté son recours formé contre la décision des autorités consulaires françaises à Agadir (Maroc) du 12 mars 2018 refusant de leur délivrer des visas d'entrée et de long séjour en France, ainsi que, par voie de conséquence, cette décision des autorités consulaires.

Par un jugement n° 1806649 du 19 novembre 2018, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 17 janvier 2019, Mme C... B..., agissant en son nom propre et au nom de son fils mineur E... G..., représentée par la SELARL Desmars Beloncle Cabioch, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France ainsi que, par voie de conséquence, la décision des autorités consulaires ;

3°) d'enjoindre à l'autorité consulaire de délivrer les visas sollicités ou, à défaut, de procéder au réexamen des demandes de visas, dans un délai de quinze jours à compter de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'État une somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la décision de la commission de recours est insuffisamment motivée ;

- cette décision a été prise sans examen particulier de la demande ;

- elle est entachée d'erreur d'appréciation au regard des dispositions de l'article L. 211-2-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dès lors que son mariage n'a pas été conclu par fraude et que sa présence en France avec son fils ne présente aucune menace pour l'ordre public ;

- cette décision est également entachée d'erreur manifeste d'appréciation s'agissant du refus de visa opposé au jeune E... G..., alors âgé de 8 ans ; la commission ne pouvait en effet lui opposer le risque de détournement de l'objet du visa à des fins de maintien illégal sur le territoire français à l'issue de celui-ci dès lors que le visa sollicité était un visa de long séjour en vue de vivre en France avec sa mère et son beau-père ;

- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- elle méconnaît les stipulations de l'article 3, paragraphe 1, de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- elle est entachée d'erreur de droit dès lors qu'elle ne fait état ni d'une menace à l'ordre public, ni d'une annulation du mariage, ni d'une fraude ;

- cette décision est entachée d'erreur de fait dès lors que l'intention des époux de mener une vie commune est réelle.

Par un mémoire en défense, enregistré le 22 mars 2019, le ministre de l'intérieur demande à la cour de rejeter la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par Mme B... ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. F... a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme B..., ressortissante marocaine née le 9 janvier 1993, a épousé le 29 novembre 2017 M. D... A..., ressortissant français. Sa demande de délivrance d'un visa d'entrée et de long séjour en France, pour elle-même et pour son fils mineur E... G..., né en 2010, a été rejetée par les autorités consulaires françaises à Agadir (Maroc) par une décision du 12 mars 2018. Le recours formé contre cette décision devant la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté par une décision du 2 août 2018. Mme B..., agissant pour son propre compte et pour celui de son fils mineur, relève appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande d'annulation de la décision de la commission de recours.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

2. L'administration peut, en première instance comme en appel, faire valoir devant le juge de l'excès de pouvoir que la décision dont l'annulation est demandée est légalement justifiée par un motif, de droit ou de fait, autre que celui initialement indiqué, mais également fondé sur la situation existant à la date de cette décision. Il appartient alors au juge, après avoir mis à même l'auteur du recours de présenter ses observations sur la substitution ainsi sollicitée, de rechercher si un tel motif est de nature à fonder légalement la décision, puis d'apprécier s'il résulte de l'instruction que l'administration aurait pris la même décision si elle s'était fondée initialement sur ce motif. Dans l'affirmative il peut procéder à la substitution demandée, sous réserve toutefois qu'elle ne prive pas le requérant d'une garantie procédurale liée au motif substitué.

3. Aux termes du quatrième alinéa de l'article L. 211-2-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Le visa de long séjour ne peut être refusé à un conjoint de Français qu'en cas de fraude, d'annulation du mariage ou de menace à l'ordre public. Le visa de long séjour est délivré de plein droit au conjoint de Français qui remplit les conditions prévues au présent article ". En application de ces dispositions, il appartient en principe aux autorités consulaires de délivrer au conjoint étranger d'un ressortissant français, dont le mariage n'a pas été contesté par l'autorité judiciaire, le visa nécessaire pour que les époux puissent mener une vie familiale normale. Pour y faire obstacle, il appartient à l'administration, si elle allègue une fraude, d'établir que le mariage a été entaché d'une telle fraude, de nature à justifier légalement le refus de visa.

4. La décision contestée de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé par Mme B... au motif qu'il n'y avait " pas de preuves suffisamment probantes du maintien d'échanges réguliers et constants entre les époux depuis le mariage (voyages, lettres, communications téléphoniques). Ces éléments constituent un faisceau d'indices suffisamment précis et concordants attestant d'une absence de maintien des liens matrimoniaux du mariage contracté à des fins étrangères à l'institution matrimoniale, dans le seul but de faciliter l'établissement en France de Mme C... B... et de son fils Khalil G... qui se sont maintenus irrégulièrement en France pendant un an, après un divorce 15 mois après une première union. "

5. Il ressort des pièces du dossier que Mme B... a épousé M. A... au Maroc le 29 novembre 2017. Contrairement à ce qu'a retenu la commission de recours, Mme B... justifie avoir maintenu des échanges très réguliers avec M. A..., notamment via des conversations par messages textuels sur téléphones mobiles. Par ailleurs, postérieurement aux demandes de visas déposées le 16 février 2018, M. A... est retourné au Maroc du 8 juillet au 2 août 2018, où il a séjourné avec son épouse, ainsi que l'attestent de nombreuses photographies. Par conséquent, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a fait une inexacte application des dispositions du quatrième alinéa de l'article L. 211-2-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en estimant que le mariage était entaché de fraude du fait de l'absence de maintien des liens matrimoniaux postérieurement au mariage.

6. Pour établir que la décision contestée était légale, le ministre de l'intérieur a invoqué, dans son mémoire en défense de première instance communiqué à Mme B..., un autre motif tiré de " l'absence d'éléments probants tendant à démontrer de la réalité de l'intention matrimoniale de la requérante ", qui " atteste d'un mariage contracté à des fins étrangères à l'institution matrimoniale, dans le seul but de faciliter l'établissement en France de Mme C... B... et de son fils, Khalil G... ".

7. Il est vrai que Mme B... est entrée une première fois en France le 27 mai 2014, munie d'un visa de long séjour en qualité de conjointe de ressortissant français, après avoir épousé le 27 février 2014 un ressortissant français dont elle a divorcé le 13 mai 2015. Elle s'est ensuite maintenue irrégulièrement en France entre le 27 mai 2015 et le 2 août 2016. Cependant, si ce premier divorce intervenu quinze mois après une première union avec un ressortissant français, suivi d'un maintien irrégulier sur le territoire français pendant plus d'un an, pouvait faire naître un doute sur la sincérité de l'intention matrimoniale de Mme B... lors de son mariage avec M. A... le 29 novembre 2017, ces circonstances ne sont pas, à elles seules, de nature à établir le caractère frauduleux du mariage. Par ailleurs, si Mme B... ne justifie pas ses allégations selon lesquelles elle aurait rencontré M. A... le 14 février 2016 et noué une relation de couple avec lui à partir de ce moment jusqu'à son retour au Maroc le 2 août 2016, il ressort des pièces du dossier, notamment de plusieurs attestations de proches, que M. A... et Mme B... ont noué une relation à distance au moins à compter du début de l'année 2017 et que le visa de court séjour sollicité en vain par Mme B... le 25 mai 2017 avait notamment pour objet de lui permettre de revoir M. A.... Ce dernier a par la suite rendu visite à Mme B... au Maroc au mois de juillet 2017, puis du 1er au 5 octobre 2017 et du 18 novembre au 2 décembre 2017. C'est au cours de ces deux derniers voyages que M. A... a sollicité un certificat de capacité à mariage, qui lui a été délivré par le consul général de France à Agadir le 16 novembre 2017, puis qu'a été célébré son mariage avec Mme B... le 29 novembre 2017. Ce mariage a été transcrit sur les registres d'état civil français le 19 janvier 2018. Par la suite, M. A... a inscrit le jeune E... G..., fils de Mme B..., à l'école publique de Saint-Aignan-sur-Roë, et souscrit une assurance civile au profit de son épouse et du fils de cette dernière. Enfin, le couple a déclaré vouloir vivre ensemble en France avec le jeune E... G..., que M. A... s'est engagé à accueillir chez lui. Dans ces conditions, le ministre de l'intérieur n'apporte pas la preuve, qui lui incombe, que le mariage contracté entre Mme B... et M. A... était entaché d'une fraude. Le nouveau motif invoqué par l'administration n'est, dès lors, pas de nature à fonder légalement la décision contestée de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France.

8. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que Mme B... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande d'annulation de la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

9. Le présent arrêt implique, eu égard aux motifs qui le fondent, que le ministre de l'intérieur fasse droit à la demande de visa présentée par Mme B... pour elle-même et pour son fils mineur. Par suite, il y a lieu d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer le visa de long séjour sollicité par Mme B... pour elle-même et pour son fils mineur dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt. Il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.

Sur les frais liés au litige :

10. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'État la somme de 1 200 euros à verser à Mme B... au titre des frais liés à l'instance.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Nantes du 19 novembre 2018 et la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France du 2 août 2018 sont annulés.

Article 2 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur de faire droit à la demande de Mme B..., présentée pour elle-même et pour son fils mineur, tendant à la délivrance de visas de long séjour dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 3 : L'État versera à Mme B... une somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de Mme B... est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... B... et au ministre de l'intérieur.

Délibéré après l'audience du 8 novembre 2019, à laquelle siégeaient :

- M. Célérier, président de chambre,

- Mme Buffet, président-assesseur,

- M. F..., premier conseiller.

Lu en audience publique, le 26 novembre 2019.

Le rapporteur,

F.-X. F...Le président,

T. Célérier

Le greffier,

C. Goy

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 19NT00221


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 19NT00221
Date de la décision : 26/11/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. CELERIER
Rapporteur ?: M. François-Xavier BRECHOT
Rapporteur public ?: M. SACHER
Avocat(s) : SELARL DESMARS BELONCLE BARZ CABIOCH

Origine de la décision
Date de l'import : 16/12/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2019-11-26;19nt00221 ?
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