Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme B... A..., épouse D..., a demandé au tribunal administratif de Caen de condamner le département du Calvados à lui verser la somme de 140 758 euros, en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis à raison des conditions de travail et de rémunération auxquelles elle a été soumise dans le cadre des fonctions qu'elle a exercées depuis 2004 à la maison départementale de l'enfance et de la famille du Calvados.
Par un jugement n° 1602394 du 23 mars 2018, le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires enregistrés les 15 mai 2018, 20 novembre 2018 et 6 août 2019 Mme D..., représentée par Me F..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Caen du 23 mars 2018 ;
2°) de condamner le département du Calvados à lui verser la somme de 140 758 euros, assortie des intérêts au taux légal et de la capitalisation des intérêts ;
3°) de mettre à la charge du département la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement du tribunal administratif de Caen est irrégulier dès lors que la mise en ligne des conclusions du rapporteur public n'est intervenue que très tardivement, le 22 février 2018 à 11h pour une audience le lendemain à 9h15 ;
- le département a commis une faute en la recrutant en qualité de contractuelle et en n'intervenant pas auprès de son précédent employeur pour qu'il mette fin à la mise en disponibilité dont elle bénéficiait ; la faute ainsi commise lui a causé un préjudice moral qui s'élève à la somme de 4 500 euros ;
- cette collectivité a commis une faute en ne la mettant pas d'office à la retraite, en ne l'informant pas de l'âge limite de départ à la retraite et en tolérant à tort une prolongation de fait sans autorisation formelle ; les préjudices physiologique et moral qui en résultent s'élèvent respectivement à la somme de 10 500 euros et de 5 000 euros ;
- son employeur a fait pression sur elle pour qu'elle signe une fausse demande de prolongation d'activité antidatée, ce qui lui a causé un préjudice moral qui s'élève à la somme de 3 000 euros ;
- le département ne s'est pas acquitté des cotisations de retraite prélevées sur ses traitements entre 2005 et 2008, ce qui lui a causé un préjudice moral qui s'élève à la somme de 300 euros ;
- elle a accompli en 2016 110 heures non payées et a ainsi subi un préjudice financier qui s'élève à la somme de 1 344 euros ;
- dans le cadre de la répartition de la charge de la preuve entre l'employeur et l'agent, il appartient à l'employeur de fournir au juge les éléments permettant de s'assurer du respect des dispositions applicables, ce que la maison départementale de l'enfance et de la famille n'est pas en mesure de faire faute d'avoir mis en place un système fiable de contrôle des horaires, carence qui constitue une faute ;
- le département n'a produit aucun élément susceptible d'infirmer les calculs d'heures établis à partir des plannings qu'elle a produits, qui établissent le dépassement de la durée légale du travail et le défaut de prise en compte des heures supplémentaires effectuées sans compensation ;
- elle a été réveillée une centaine de fois en cinq ans, ce qui, par application du III de l'article 18 du décret n° 2002-9 du 4 janvier 2002, conduit à lui reconnaître 50 heures supplémentaires, soit un préjudice financier qui s'élève à la somme de 611 euros ;
- elle n'a pu prendre que 9 jours de congés au titre de l'année 2016 et a donc été indûment privée de 26 jours de congés, ce qui lui a causé un préjudice financier qui s'élève à la somme de 1 630 euros ;
- elle n'a pas perçu la prime de l'année 2016 ;
- entre 2012 et 2016, 1880 heures supplémentaires qu'elle a effectuées n'ont été ni payées ni récupérées, le préjudice financier qui en résulte s'élevant à la somme de 22 973 euros ;
- des heures supplémentaires ont été supprimées en conséquence de ses arrêts maladie ; les temps de pause et de restauration n'ont pas été considérés par l'employeur comme du temps travaillé ; le travail de nuit nécessitait une présence de 17 heures sans interruption au sein du foyer ; elle avait droit à l'attribution de cinq jours de repos supplémentaires, notamment quand elle était en congés pour maladie professionnelle au premier trimestre 2014 ; elle n'a pas systématiquement bénéficié de douze heures consécutives de repos, de deux jours de repos consécutifs dont un dimanche ni d'un repos de 36 heures consécutives ; il n'est pas établi que les dépassements qu'elle a subis, supérieurs à deux cent vingt heures, étaient exigés par les besoins du service au sens de l'article 15 du décret du 4 janvier 2002 ; le non-respect de la réglementation sur le temps de travail durant 109 semaines lui a causé un préjudice moral et physiologique et des troubles dans les conditions d'existence qu'elle évalue à la somme globale de 32 700 euros ;
- il a été jugé que les dépassements de la durée moyenne maximale de 48 heures par période de 7 jours ne sont possibles que si est respectée la durée moyenne maximale de 48 heures calculée par périodes glissantes sur la durée de référence, qui est de quatre mois en ce qui la concerne ;
- par un arrêt de grande chambre du 14 mai 2019, la Cour de justice de l'Union européenne a jugé que le plafond fixé par le droit de l'Union européenne pour la durée hebdomadaire de travail impose nécessairement la mise en place d'un système de mesure de la durée du travail ;
- le travail au-delà de l'âge limite de départ à la retraite et le non-respect de règles applicables aux horaires ont entraîné une dégradation de son état de santé constitutive d'un préjudice qui s'élève à la somme de 50 000 euros ;
- c'est à tort que le tribunal a mis à sa charge le versement au département du Calvados de la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ce dernier n'étant pas le défendeur dès lors que la maison départementale de l'enfance et de la famille est un établissement public doté de la personnalité juridique.
Par des mémoires en défense enregistrés les 17 septembre 2018 et 30 septembre 2019, le département du Calvados, représenté par Me C..., conclut au rejet de la requête et demande à la cour de mettre à la charge de Mme D... la somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il fait valoir que les moyens invoqués par Mme D... ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail ;
- le code des pensions civiles et militaires de retraite ;
- la loi n° 84-834 du 13 septembre 1984 ;
- la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 ;
- le décret n° 2002-9 du 4 janvier 2002 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme G...,
- et les conclusions de M. Gauthier, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Mme B... A..., épouse D..., née le 16 octobre 1955, a été recrutée en qualité d'infirmière titulaire par le centre hospitalier de Nantes le 1er août 1978, avant de faire l'objet d'une mutation au centre hospitalier de Rouen le 4 septembre suivant. Elle a ensuite été placée en congé post-natal du 30 avril 1979 au 30 janvier 1983, puis en disponibilité pour élever ses enfants du 31 janvier 1983 au 16 décembre 1999 et, à compter du 17 décembre 1999, pour suivre son conjoint. Elle a été recrutée à partir du 2 décembre 2004 en qualité d'infirmière contractuelle au sein de la maison départementale de l'enfance et de la famille du département du Calvados, dans le cadre de contrats à durée déterminée régulièrement renouvelés, à temps partiel d'abord, puis à temps plein à compter du 1er septembre 2009. Elle a finalement été recrutée en qualité d'agent titulaire par voie de mutation à compter du 1er juin 2012. Par un courrier du 27 mai 2016, Mme D... a tout d'abord sollicité son admission à la retraite à compter du 1er janvier 2017, avant de demander que celle-ci soit avancée au 1er août 2016 par courrier du 15 juillet 2016, demande à laquelle il a été fait droit. Par un courrier du 10 novembre 2016 adressé à la maison départementale de l'enfance et de la famille et valant réclamation préalable, reçu le 14 novembre suivant, Mme D... a demandé le versement de la somme de 136 956 euros correspondant à l'indemnisation de divers préjudices qu'elle estimait avoir subis. Elle relève appel du jugement du 15 décembre 2016 par lequel le tribunal administratif de Caen a rejeté ses conclusions indemnitaires.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Aux termes du premier alinéa de l'article R. 711-3 du code de justice administrative : " Si le jugement de l'affaire doit intervenir après le prononcé de conclusions du rapporteur public, les parties ou leurs mandataires sont mis en mesure de connaître, avant la tenue de l'audience, le sens de ces conclusions sur l'affaire qui les concerne. ". La communication aux parties du sens des conclusions a pour objet de mettre les parties en mesure d'apprécier l'opportunité d'assister à l'audience publique, de préparer, le cas échéant, les observations orales qu'elles peuvent y présenter, après les conclusions du rapporteur public, à l'appui de leur argumentation écrite et d'envisager, si elles l'estiment utile, la production, après la séance publique, d'une note en délibéré. En conséquence, les parties ou leurs mandataires doivent être mis en mesure de connaître, dans un délai raisonnable avant l'audience, l'ensemble des éléments du dispositif de la décision que le rapporteur public compte proposer à la formation de jugement d'adopter, à l'exception de la réponse aux conclusions qui revêtent un caractère accessoire. Cette exigence s'impose à peine d'irrégularité de la décision rendue sur les conclusions du rapporteur public.
3. En l'espèce, Mme D... a été mise en mesure de prendre connaissance du sens des conclusions du rapporteur public par la mise en ligne sur l'application " Sagace " de ces informations le 22 février 2018 à 11 heures. Il ne ressort pas des pièces du dossier que ce délai n'aurait pas été suffisant pour lui permettre d'apprécier l'opportunité d'assister ou de se faire représenter à l'audience publique qui s'est tenue le lendemain à 9 heures 15, d'y présenter des observations orales à l'appui de son argumentation écrite et, le cas échéant, de produire une note en délibéré. Par suite, le moyen tiré de l'irrégularité de la procédure suivie devant les premiers juges doit être écarté.
Sur les conclusions indemnitaires :
4. En premier lieu, Mme D... soutient que la maison départementale de l'enfance et de la famille du Calvados, service social relevant du département du Calvados et ne disposant pas de la personnalité morale, a commis une faute en ne la mettant pas d'office à la retraite lorsqu'elle a atteint l'âge-limite de 60 ans, et qu'elle a de ce fait subi des préjudices physiologique et moral qu'elle évalue respectivement à 10 500 euros 5 000 euros. Toutefois, elle n'établit pas la réalité du préjudice moral allégué en se bornant à affirmer qu'il serait né lorsqu'elle " a compris qu'elle aurait dû partir à la retraite, ce dont elle avait très envie en raison des conditions de travail déplorables ... ", alors, d'une part, qu'elle est censée connaître les dispositions statutaires dont elle relève et, d'autre part, qu'il résulte de l'instruction qu'elle a spontanément exprimé, par un courrier du 27 mai 2016 dans lequel elle mentionnait avoir eu 60 ans le 16 octobre 2015, son intention d'être maintenue en activité jusqu'au 1er janvier 2017. Par ailleurs, si la requérante fait valoir l' " état de santé désastreux " résultant selon elle des 10 mois et demi d'activité écoulés entre la date de ses 60 ans et son départ effectif à la retraite et demande la réparation du préjudice physiologique ainsi constitué, il résulte de l'instruction, notamment des avis médicaux émis aux mois de février et mars 2016 et versés aux débats, que Mme D..., si elle était sujette à une surfatigabilité et éprouvait certaines difficultés à faire face aux exigences émotionnelles de son poste, ne présentait pas de signe d'épuisement professionnel. Dans ces conditions, en dépit de la circonstance que quelques-uns des arrêts de travail dont elle a bénéficié entre la fin de l'année 2015 et son admission à la retraite étaient imputables à du surmenage, Mme D... n'établit ni la réalité du préjudice physiologique allégué ni l'existence d'un lien de causalité avec la faute alléguée, mais non avérée.
5. En deuxième lieu, si Mme D... soutient que son employeur aurait fait pression sur elle pour qu'elle signe une fausse demande de prolongation d'activité antidatée, elle ne l'établit toutefois pas par les pièces qu'elle produit et n'est dès lors pas fondée à solliciter une indemnisation à ce titre.
6. En troisième lieu, en se bornant à produire un état de situation au titre du droit individuel de formation (DIF) au 1er janvier 2016, Mme D... n'établit pas qu'elle aurait accompli durant l'année 2016 110 heures supplémentaires qui n'auraient été ni payées ni compensées.
7. En quatrième lieu, si Mme D... soutient qu'elle n'a pu prendre que 9 jours de congés au titre de l'année 2016 et a donc été indûment privée de 26 jours de congés, elle n'établit toutefois pas que son employeur ne l'aurait pas autorisée à prendre ces congés, alors au demeurant qu'elle a été admise à la retraite au 1er août 2016.
8. En cinquième lieu, Mme D... soutient que, durant 109 semaines, la durée légale du travail n'a pas été respectée s'agissant de la durée journalière, de la durée hebdomadaire, de la durée hebdomadaire moyenne, de la durée de repos entre deux périodes de travail et des repos compensateurs. Si elle sollicite à ce titre, à raison de 300 euros par semaine prétendument concernée, le versement de la somme globale de 32 700 euros en réparation du " préjudice moral et physiologique et des troubles dans les conditions d'existence " qui en seraient résulté, la requérante n'assortit toutefois pas ses prétentions des précisions suffisantes pour mettre le juge en mesure d'en apprécier le bien-fondé.
9. En sixième lieu, Mme D... soutient que le travail au-delà de l'âge limite de départ à la retraite et le non-respect des règles applicables aux horaires ont entraîné une dégradation de son état de santé constitutive d'un préjudice qui s'élève à la somme de 50 000 euros. De telles prétentions, qui tendent à la réparation de préjudices dont il résulte de ce qui a été dit aux points 4 et 8 du présent arrêt que leur existence n'est pas établie, ne peuvent dès lors qu'être rejetées.
10. En dernier lieu, s'agissant des autres prétentions indemnitaires présentées dans la requête, relatives aux préjudices qu'elle aurait subis du fait de son recrutement initial en qualité de contractuelle, du non versement des cotisations au titre des années 2005 à 2008, du non-paiement de ses interventions nocturnes, de l'absence de paiement ou de compensation de 1 880 heures supplémentaires effectuées durant la période de 2012 à 2016 et du non-paiement d'une prime au titre de l'année 2016, Mme D... n'apporte aucun élément de fait ou de droit de nature à remettre en cause l'appréciation portée par le tribunal administratif de Caen sur son argumentation de première instance. Il y a lieu, dès lors, de rejeter ces conclusions indemnitaires par adoption des motifs retenus par les premiers juges.
11. Il résulte de tout ce qui précède que Mme D... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande.
Sur les frais liés à l'instance :
12. En premier lieu, ainsi qu'il a été dit au point 4 du présent arrêt, la maison départementale de l'enfance et de la famille du Calvados relevant du département du Calvados et ne disposant pas de la personnalité morale, c'est sans commettre d'erreur de droit que le tribunal administratif de Nantes a mis à la charge de Mme D... le versement au département de la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
13. En second lieu, les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge du département du Calvados, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que Mme D... demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. En revanche il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de Mme D... le versement au département du Calvados de la somme de 1 000 euros au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens.
DECIDE :
Article 1er : La requête de Mme D... est rejetée.
Article 2 : Mme D... versera au département du Calvados la somme de 1 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... A... épouse D... et au département du Calvados.
Délibéré après l'audience du 7 novembre 2019 à laquelle siégeaient :
- Mme Perrot, président de chambre,
- Mme H..., présidente-assesseure,
- Mme G..., premier conseiller.
Lu en audience publique, le 26 novembre 2019.
Le rapporteur
M. G...Le président
I. PerrotLe greffier
M. E...
La République mande et ordonne au ministre des solidarités et de la santé, en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 18NT019364
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