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04/10/2019 | FRANCE | N°18NT02639

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 2ème chambre, 04 octobre 2019, 18NT02639


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

Mme D... E... épouse B... et autres ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler l'arrêté du 10 juillet 2015 par lequel le préfet de la Sarthe a autorisé la société Ferme éolienne de Chenu à exploiter cinq éoliennes et un poste de livraison sur le territoire de la commune de Chenu (Sarthe).

Par un jugement n° 1600393 du 14 mai 2018 le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 11 juillet 2018 sous

le n° 1802639, et un mémoire enregistré le 3 juillet 2019, Mme E... épouse B... et autres, repr...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

Mme D... E... épouse B... et autres ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler l'arrêté du 10 juillet 2015 par lequel le préfet de la Sarthe a autorisé la société Ferme éolienne de Chenu à exploiter cinq éoliennes et un poste de livraison sur le territoire de la commune de Chenu (Sarthe).

Par un jugement n° 1600393 du 14 mai 2018 le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 11 juillet 2018 sous le n° 1802639, et un mémoire enregistré le 3 juillet 2019, Mme E... épouse B... et autres, représentés par Me H..., demandent à la cour :

1°) d'annuler le jugement du 14 mai 2018 ;

2°) d'annuler l'arrêté préfectoral du 10 juillet 2015 ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- leur requête est recevable ;

- l'avis de l'autorité environnementale a été pris en méconnaissance de l'article R. 122-6 du code de l'environnement ;

- tous les avis émis par les organismes consultés ne figuraient pas dans le dossier soumis à enquête publique en violation de l'article R. 123-8 du code de l'environnement ;

- le principe de participation du public méconnaît l'article 6 de la convention d'Aarhus ;

- l'arrêté d'ouverture d'enquête publique devait être publié dans le département d'Indre et Loire en application de l'article R. 123-11 du code de l'environnement ;

- l'étude d'impact est insuffisante et méconnaît les articles L. 122-1 et R. 122-4 du code de l'environnement s'agissant :

. de la présentation des impacts visuels du projet sur les sites et les monuments d'intérêt ;

. des impacts visuels sur les lieux de vie proches viciant ainsi la régularité du jugement ;

. des conditions de raccordement ;

. de l'étude chiroptérologique ;

. des mesures de suivi ;

. des variantes ;

. des mesures compensatoires ;

- les capacités financières du pétitionnaire sont insuffisamment présentées en méconnaissance des articles L. 512-1 et R. 512-3 du code de l'environnement ;

- le projet porte atteinte aux paysages et à la protection des monuments.

Par des mémoires en défense enregistrés les 4 février 2019 et 12 juillet 2019, la société Ferme éolienne de Chenu, représentée par Me A..., conclut :

- à titre principal, au rejet de la requête ;

- à titre subsidiaire, à ce qu'il soit sursis à statuer afin de permettre la régularisation de l'avis de l'autorité environnementale et de la présentation des capacités financières de la société ;

- à ce que soit mis à la charge de chacun des requérants le versement d'une somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- à titre principal, la requête est irrecevable dès lors que les requérants ne justifient pas d'un intérêt à agir ;

- à titre subsidiaire, aucune illégalité de l'arrêté attaqué ne peut être constatée.

Par un mémoire enregistré le 9 juillet 2019, le ministre de la transition écologique et solidaire conclut au rejet de la requête.

Il soutient qu'aucun moyen n'est fondé.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution et notamment, la Charte de l'environnement ;

- la convention sur l'accès à l'information, la participation du public au processus décisionnel et l'accès à la justice en matière d'environnement, signée à Aarhus le 25 juin 1998 ;

- la directive n° 2001/42/CE du Parlement européen et du Conseil du 27 juin 2001 ;

- la directive n° 2011/92/UE du parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 ;

- le code de l'environnement ;

- la loi n° 2002-285 du 28 février 2002 ;

- le décret n° 2002-1187 du 12 septembre 2002 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 17 septembre 2019 :

- le rapport de Mme G...,

- les conclusions de M. K...,

- et les observations de Me F..., substituant Me H..., représentant Mme I... C... et autres, et les observations de Me J..., substituant Me A..., représentant la SNC ferme éolienne de Chenu.

Une note en délibéré présentée par la société Ferme éolienne de Chenu a été enregistrée le 19 septembre 2019.

Considérant ce qui suit :

1. La société en nom collectif Ferme éolienne de Chenu a, le 7 mai 2014, présenté une demande aux fins d'obtenir, au titre de la législation relative aux installations classées pour la protection de l'environnement, une autorisation d'exploiter un parc éolien composé de 5 aérogénérateurs d'une puissance totale de 10 mégawatts sur le territoire de la commune de Chenu (Sarthe). Par un arrêté du 10 juillet 2015, le préfet de la Sarthe a autorisé cette exploitation. Mme E... et autres ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler cet arrêté. Ils relèvent appel du jugement du 14 mai 2018 par lequel le tribunal administratif a rejeté leur demande.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Aux termes de l'article L. 9 du code de justice administrative : " Les jugements sont motivés. ". Le jugement attaqué mentionne que le dossier d'étude d'impact a recensé l'ensemble des monuments historiques et des sites protégés présents à proximité du projet, tout en décrivant les enjeux propres à chacun, comporte des coupes paysagères permettant d'apprécier l'impact visuel par rapport au relief du terrain et aux boisements et précise que l'étude paysagère comporte de nombreuses simulations permettant d'apprécier l'impact visuel du projet sur chacun des sites les plus importants.

3. Dans ces conditions, le tribunal qui n'avait pas à répondre à tous les arguments des demandeurs, a suffisamment motivé son jugement. Par suite, le moyen tiré de l'irrégularité du jugement doit être écarté.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

En ce qui concerne l'irrégularité de l'avis de l'autorité environnementale :

4. Aux termes du paragraphe 1 de l'article 6 de la directive du 13 décembre 2011 : " Les États membres prennent les mesures nécessaires pour que les autorités susceptibles d'être concernées par le projet, en raison de leurs responsabilités spécifiques en matière d'environnement, aient la possibilité de donner leur avis sur les informations fournies par le maître d'ouvrage et sur la demande d'autorisation. À cet effet, les États membres désignent les autorités à consulter, d'une manière générale ou cas par cas. (...) ". L'article L. 122-1 du code de l'environnement, pris pour la transposition des articles 2 et 6 de cette directive, dispose, dans sa rédaction applicable en l'espèce, que : " I. - Les projets de travaux, d'ouvrages ou d'aménagements publics et privés qui, par leur nature, leurs dimensions ou leur localisation sont susceptibles d'avoir des incidences notables sur l'environnement ou la santé humaine sont précédés d'une étude d'impact. (...) / III. - Dans le cas d'un projet relevant des catégories d'opérations soumises à étude d'impact, le dossier présentant le projet, comprenant l'étude d'impact et la demande d'autorisation, est transmis pour avis à l'autorité administrative de l'Etat compétente en matière d'environnement. (...). / IV.- La décision de l'autorité compétente qui autorise le pétitionnaire ou le maître d'ouvrage à réaliser le projet prend en considération l'étude d'impact, l'avis de l'autorité administrative de l'Etat compétente en matière d'environnement et le résultat de la consultation du public (...) ".

5. Les dispositions de cette directive, telles qu'interprétées par la Cour de Justice de l'Union européenne dans son arrêt du 20 octobre 2011, C-470/10, ont pour finalité de garantir qu'une autorité disposant d'une compétence en matière environnementale soit en mesure de rendre un avis objectif sur l'étude d'impact des projets, publics ou privés, susceptibles d'avoir des incidences notables sur l'environnement, avant leur autorisation, afin de concourir à ce que l'autorité compétente pour délivrer cette autorisation appréhende correctement ces incidences sur la base d'informations fiables et exhaustives. La poursuite de cette finalité ne fait nullement obstacle à ce que l'autorité chargée de rendre l'avis soit, en outre, chargée d'instruire la demande d'autorisation, dès lors que l'accomplissement de cette tâche ne la prive pas de son autonomie vis-à-vis de l'autorité compétente pour délivrer l'autorisation.

6. En l'espèce, l'autorisation d'exploiter litigieuse a été délivrée par le préfet de la Sarthe tandis que l'avis de l'autorité environnementale du 23 septembre 2014 a été émis par une autorité distincte, la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement de la région Pays de la Loire dépendant du préfet de cette région. Ainsi, le moyen tiré de ce que l'avis de l'autorité environnementale aurait été émis au terme d'une procédure irrégulière au regard des exigences de l'article 6 de la directive du 13 décembre 2011 ne peut qu'être écarté.

En ce qui concerne la régularité de l'enquête publique :

S'agissant de l'absence de certains avis dans le dossier soumis à enquête publique :

7. Aux termes de l'article R. 122-7 du code de l'environnement alors applicable : " L'autorité compétente pour prendre la décision d'autorisation, (...) transmet pour avis le dossier comprenant l'étude d'impact et le dossier de demande d'autorisation à l'autorité administrative de l'Etat compétente en matière d'environnement définie à l'article R. 122-6. / (...) / - III.- Les autorités administratives de l'Etat compétentes en matière d'environnement mentionnées à l'article R. 122-6 rendent leur avis après avoir consulté : / - le ou les préfets de département sur le territoire desquels est situé le projet, au titre de leurs attributions dans le domaine de l'environnement ; / -dans les cas mentionnés aux I et II de l'article R. 122-6, le ministre chargé de la santé ou le directeur général de l'agence régionale de santé dans les cas mentionnés au III du même article ; / (....) ces autorités disposent d'un délai d'un mois à compter de la réception du dossier pour émettre leur avis (...) ". Aux termes de l'article R. 123-8 du code de l'environnement, alors en vigueur : " Le dossier soumis à l'enquête publique comprend les pièces et avis exigés par les législations et réglementations applicables au projet, plan ou programme. / Le dossier comprend au moins : (...) 4° Lorsqu'ils sont rendus obligatoires par un texte législatif ou réglementaire préalablement à l'ouverture de l'enquête, les avis émis sur le projet plan, ou programme. (...) ".

8. Contrairement à ce que soutiennent les requérants, l'avis de l'agence régionale de santé recueilli en application du III de l'article R. 122-7 du code de l'environnement dans le cadre de la consultation de l'autorité environnementale ne figure pas au nombre des avis obligatoires visés au 4° de l'article R. 123-8 de ce même code. Les intéressés n'établissent pas davantage que l'avis du service territorial de l'architecture et du patrimoine d'Indre-et-Loire devait être recueilli à titre obligatoire. Par suite, la circonstance que ces avis n'étaient pas joints au dossier d'enquête publique est sans incidence sur la régularité de la procédure. Le commissaire enquêteur n'était dès lors pas tenu d'inviter le préfet à compléter le dossier soumis à l'enquête publique.

9. Dans ces conditions, les requérants ne sont pas fondés à se prévaloir utilement de la méconnaissance des stipulations du paragraphe 4 de l'article 6 de la convention d'Aarhus du 25 juin 1998 qui disposent que : " Chaque Partie prend des dispositions pour que la participation du public commence au début de la procédure, c'est-à-dire lorsque toutes les options et solutions sont encore possibles et que le public peut exercer une réelle influence ". En tout état de cause, ces stipulations créent seulement des obligations entre les Etats parties à la convention et ne produisent pas d'effets directs dans l'ordre juridique interne et les projets éoliens ne sont pas au nombre des projets mentionnés de manière spécifique par l'annexe 1 de ladite convention.

S'agissant de la publication de l'arrêté portant ouverture de l'enquête publique :

10. Aux termes de l'article R. 123-11 du code de l'environnement, alors applicable : " I. - Un avis portant les indications mentionnées à l'article R. 123-9 à la connaissance du public est publié en caractères apparents quinze jours au moins avant le début de l'enquête et rappelé dans les huit premiers jours de celle-ci dans deux journaux régionaux ou locaux diffusés dans le ou les départements concernés. (...) ".

11. S'il appartient à l'autorité administrative de soumettre le projet d'installation classée à enquête publique dans les conditions fixées par les dispositions citées ci-dessus, leur méconnaissance n'est de nature à vicier la procédure et donc à entraîner l'illégalité de la décision prise à l'issue de l'enquête publique que si elle a pu avoir pour effet de nuire à l'information de l'ensemble des personnes intéressées par l'opération ou si elle a été de nature à exercer une influence sur les résultats de l'enquête et, par suite, sur la décision de l'autorité administrative.

12. Il ressort des pièces du dossier que l'avis d'ouverture de l'enquête publique a été publié dans les éditions du Maine libre et de Ouest-France des 29 septembre et 20 octobre 2014 et dans la Nouvelle République du Centre Ouest des 28 et 29 septembre et 20 octobre 2014. S'il est constant que la publication dans le journal l'Action agricole de Touraine n'a été effectuée que le 17 octobre 2014, cette circonstance, alors même que l'arrêté préfectoral du 24 septembre 2014 avait précisé que l'ouverture de l'enquête publique sera annoncée au moins 15 jours à l'avance dans, notamment, l'Action agricole de Touraine, pour une enquête se déroulant du 17 octobre au 17 novembre 2014, n'a pas, en l'espèce, été de nature à priver les habitants d'Indre-et-Loire de la possibilité de participer à l'enquête publique, eu égard aux conditions dans lesquelles ces publicités ont été effectuées dans des journaux largement distribués dans le département d'Indre-et-Loire.

13. Dans ces conditions, alors qu'il est constant qu'un affichage de l'avis d'enquête publique a également été mis en place non seulement en mairies des communes concernées mais également de plusieurs autres communes situées à proximité ainsi que près du site d'implantation des éoliennes, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que les conditions dans lesquelles l'avis d'enquête publique a été publié auraient nui à l'information des personnes intéressées et auraient été susceptibles d'exercer une influence sur le résultat de l'enquête. En tout état de cause, la circonstance que, selon les allégations des requérants, la participation aurait été faible, n'est pas, en elle-même, de nature à révéler un vice dans la procédure d'enquête publique.

En ce qui concerne les insuffisances de l'étude d'impact :

14. Aux termes de l'article R.122-3 du code de l'environnement alors en vigueur : " I. - Le contenu de l'étude d'impact doit être en relation avec l'importance des travaux et aménagements projetés et avec leurs incidences prévisibles sur l'environnement. II. - L'étude d'impact présente successivement : 1° Une analyse de l'état initial du site et de son environnement, portant notamment sur les richesses naturelles et les espaces naturels agricoles, forestiers, maritimes ou de loisirs, affectés par les aménagements ou ouvrages ; 2° Une analyse des effets directs et indirects, temporaires et permanents du projet sur l'environnement, et en particulier sur la faune et la flore, les sites et paysages, le sol, l'eau, l'air, le climat, les milieux naturels et les équilibres biologiques, sur la protection des biens et du patrimoine culturel et, le cas échéant, sur la commodité du voisinage (bruits, vibrations, odeurs, émissions lumineuses) ou sur l'hygiène, la santé, la sécurité et la salubrité publique ; 3° Les raisons pour lesquelles, notamment du point de vue des préoccupations d'environnement, parmi les partis envisagés qui font l'objet d'une description, le projet présenté a été retenu ; 4° Les mesures envisagées par le maître de l'ouvrage ou le pétitionnaire pour supprimer, réduire et, si possible, compenser les conséquences dommageables du projet sur l'environnement et la santé, ainsi que l'estimation des dépenses correspondantes ; 5° Une analyse des méthodes utilisées pour évaluer les effets du projet sur l'environnement mentionnant les difficultés éventuelles de nature technique ou scientifique rencontrées pour établir cette évaluation ; (...) . III. - Afin de faciliter la prise de connaissance par le public des informations contenues dans l'étude, celle-ci fait l'objet d'un résumé non technique. IV. - Lorsque la totalité des travaux prévus au programme est réalisée de manière simultanée, l'étude d'impact doit porter sur l'ensemble du programme. Lorsque la réalisation est échelonnée dans le temps, l'étude d'impact de chacune des phases de l'opération doit comporter une appréciation des impacts de l'ensemble du programme. (...) ".

S'agissant des impacts visuels :

15. En l'espèce, il n'est pas contesté que le projet éolien s'inscrit dans l'entité sensible de la vallée du Loir, de grande valeur, se caractérisant par de nombreux boisements dans un paysage vallonné comportant un habitat vernaculaire de grande qualité ainsi qu'une densité élevée de châteaux et de manoirs. Il ressort en particulier de l'étude d'impact et des observations du commissaire-enquêteur que, compte tenu à la fois du relief, de la distance à laquelle les engins seront implantés et des boisements constituant des filtres visuels entre les aérogénérateurs et les lieux d'intérêt ou d'habitation de la population, les incidences visuelles du projet seront limitées. En particulier, depuis le bourg de Chenu, situé dans une dépression à une distance d'environ 4 km du parc éolien, dont il est séparé par des collines boisées, le site d'implantation ne sera que partiellement perceptible. Depuis le château de la Motte-Sonzay situé à 9 km, des vues directes sur le site d'implantation des éoliennes ne seront pas possibles. De même, depuis les sites du château de la Fougeraie situé à 1,4 km du parc éolien, du château de Hodebert localisé à 5,8 km, ou du vallon de la Clarté Dieu et de l'Abbaye, situés à 5 km, le parc éolien ne sera pas visible compte tenu du relief et des boisements faisant écran à toute visibilité avec ce dernier.

16. Alors même que les photomontages ne font pas apparaître les éoliennes, à l'échelle qui aurait été la leur, si elles avaient été visibles et qu'aucune simulation paysagère n'a été effectuée par l'autorité environnementale pour le château de Montigny, situé à 3 km environ du parc éolien, qui, s'il ne bénéficie pas d'un classement au titre des monuments historiques, présente néanmoins un intérêt patrimonial, les documents composant l'étude d'impact, et notamment les profils altimétriques ainsi que les coupes topographiques effectuées selon diverses orientations, permettent à toute personne intéressée d'appréhender l'effet qu'est susceptible d'avoir dans le paysage l'implantation de cinq éoliennes.

17. L'étude d'impact, et notamment son volet paysager, contient suffisamment de documents permettant d'apprécier l'insertion du projet au regard notamment des habitations les plus proches. Si des photomontages n'ont pas été réalisés pour tous les hameaux, aucune obligation ne s'imposant en ce sens à l'autorité environnementale, et alors que les requérants n'établissent pas que ces hameaux présenteraient des caractéristiques spécifiques, il résulte néanmoins de l'instruction que les photographies réalisées depuis les habitations les plus proches ont été prises depuis la voie publique à la sortie de la plupart des hameaux environnants, vers les éoliennes. Dans ces conditions, le volet paysager, s'agissant des lieux de vie proches, n'est pas entaché d'insuffisance.

S'agissant des raccordements :

18. L'étude d'impact mentionne que les postes de livraison et de raccordement sont situés sur le territoire de la commune de Chenu, que plusieurs possibilités de raccordement sont envisageables et que le choix du scénario sera réalisé en concertation avec le gestionnaire du réseau. Elle précise également que le raccordement sera réalisé sur un poste existant ainsi que les caractéristiques techniques du poste de livraison, de la liaison avec le poste de transformation tout comme les liaisons inter-éoliennes qui seront effectuées en souterrain. Dans ces conditions, alors même que le site retenu, de par la présence de lisières de forêts, est propice à la présence de chiroptères, l'étude d'impact comporte un énoncé suffisamment précis des modalités de raccordement du parc éolien au réseau électrique.

S'agissant de l'étude chiroptérologique :

19. Il résulte de l'instruction que les auteurs de l'étude d'impact ont confié à un cabinet d'étude spécialisé le soin de procéder à un recensement chiroptérologique lequel a procédé à des écoutes passives entre avril et septembre 2012 dans des conditions favorables ou moyennement favorables à l'activité des chauve-souris sur un cycle biologique complet, deux méthodes d'enregistrement distinctes ont été mises en oeuvre et les appareils de mesure placés en lisère de boisement où le plus grand nombre d'animaux est susceptible de se trouver. Les données recueillies ont été ventilées selon les espèces, les points d'écoute et leur niveau d'activité apprécié. A la suite de ces observations, une hiérarchisation de l'intérêt patrimonial des chiroptères et une présentation des enjeux présents sur le site ont été faites et des recommandations préconisées quant au suivi de ces espèces.

20. Si les requérants font valoir que l'absence de recensement en période hivernale est particulièrement préjudiciable, ils n'en démontrent pas la nécessité par cette seule allégation. De même, s'ils soutiennent qu'aucun inventaire des gîtes dans un rayon de 2 km ou d'inventaire acoustique en hauteur n'a été réalisé et que l'inventaire acoustique au sol ne l'a été que partiellement, les auteurs de l'étude chiroptérologique ont clairement précisé la méthode mise en oeuvre. Au demeurant, l'arrêté préfectoral, sur la base des recommandations émises par ce bureau d'études a interdit la réalisation des travaux de construction des éoliennes durant la période de reproduction et décidé qu'en phase d'exploitation un suivi de l'activité des chiroptères sera réalisé pendant deux ans. En outre, le choix du site d'implantation a tenu compte de la présence de ces espèces.

21. S'il est soutenu que le diagnostic initial des chiroptères est insuffisant, les requérants ne sauraient utilement se prévaloir du non-respect des préconisations de la société française pour l'étude et la protection des mammifères, lesquelles sont dépourvues de toute portée normative. Par suite, la circonstance que la méthodologie mise en oeuvre par le cabinet d'études Calibris ne soit pas en tous points identique à ces recommandations ne saurait, par elle-même, être de nature à établir une insuffisance de l'étude chiroptérologique. Dans ces conditions, l'insuffisance alléguée du diagnostic de l'étude chiroptérologique n'est nullement établie.

S'agissant du choix des variantes :

22. Il ressort des termes de l'étude d'impact que celle-ci fait clairement apparaître que quatre options d'implantation ont été examinées au regard tant de la hauteur des engins, de leur nombre, de leur implantation et de leurs effets sur leur environnement. Il a notamment été précisé que l'option 4 comportant 5 éoliennes dont l'une est moins élevée que les quatre autres, présente un moindre impact sur l'environnement que les 3 autres options compte tenu de l'espacement entre les machines et de l'implantation en ligne courbe retenue. Par suite les requérants ne sont pas fondés à soutenir que l'étude d'impact serait entachée d'insuffisance sur ce point.

S'agissant des mesures compensatoires :

23. L'étude d'impact mentionne que, pour conforter le motif paysager des haies, la plantation d'un maillage bocager est proposée à la demande des habitants propriétaires d'un terrain dans un rayon de 2 km autour des éoliennes. La nature des plantations, conforme aux espèces endémiques, a été précisée ainsi que les modalités selon lesquelles la restauration du maillage bocager sera réalisée. A cet effet un budget de 13 000 euros à la charge de la société pétitionnaire est prévu. Par suite, le moyen tiré du caractère insuffisant des mesures compensatoires ne peut qu'être écarté.

En ce qui concerne les capacités financières de la pétitionnaire :

24. D'une part, aux termes de l'article L. 512-1 du code de l'environnement dans sa rédaction en vigueur à la date de l'autorisation : " La délivrance de l'autorisation, pour ces installations (...) prend en compte les capacités techniques et financières dont dispose le demandeur, à même de lui permettre de conduire son projet dans le respect des intérêts visés à l'article L. 511-1 et d'être en mesure de satisfaire aux obligations de l'article L. 512-6-1 lors de la cessation d'activité ". Les dispositions de l'article R. 512-3 du code de l'environnement applicables à la date de délivrance de l'autorisation attaquée exigeaient que le dossier de demande comporte, en vertu du 5° de ce dernier article, " les capacités techniques et financières de l'exploitant ".

25. Les règles de composition du dossier ont été modifiées par le décret du 26 janvier 2017 relatif à l'autorisation environnementale en vertu duquel le dossier comprend une description des capacités techniques et financières dont le pétitionnaire dispose, ou, lorsque ces capacités ne sont pas constituées au dépôt de la demande d'autorisation, les modalités prévues pour les établir. La circonstance que les règles de composition du dossier de demande aient évolué dans un sens favorable au demandeur, ne dispense pas ce dernier de l'obligation de régulariser le vice qui affectait la composition de son dossier, à la date de la délivrance de l'autorisation attaquée. S'il est établi que l'autorité administrative compétente a reçu, postérieurement à l'autorisation, les éléments justifiant la constitution effective des capacités techniques et financières qui manquaient au dossier de demande initialement déposé, la régularisation peut être regardée par le juge comme acquise, sous réserve que le caractère incomplet du dossier d'enquête publique n'ait pas été de nature à nuire à l'information de l'ensemble des personnes intéressées par l'opération ou à exercer une influence sur les résultats de l'enquête.

26. En l'espèce, le dossier soumis à l'enquête publique indique expressément que la SNC "Ferme éolienne de Chenu " est une filiale à 100 % d'Abo Wind, elle-même intégrée dans un groupe, qui a pour objet la construction du parc, sa mise en service pour le compte de la pétitionnaire mais qu'elle n'a pas pour activité l'exploitation en propre du site et que le futur acquéreur de la SNC apportera le capital nécessaire à la construction du parc, avec ou sans prêt bancaire et assurera l'ensemble des engagements relatifs à l'autorisation d'exploiter.

27. Il ressort des pièces du dossier et notamment des documents comptables que le bilan d'Abo Wind groupe au titre des années 2010 à 2012 a été fourni tout comme les comptes de résultat pour ces mêmes trois années d'Abo Wind groupe, Abo Wind AG et Abo SARL faisant apparaître une augmentation régulière des bénéfices. Le dossier précisait en outre que jusqu'à l'obtention des autorisations, la société Abo Wind France utilise les capacités financières du groupe Abo Wind et qu'après obtention des autorisations, les capacités financières inhérentes au projet permettent d'en effectuer la construction et la mise en exploitation. Il est indiqué à cet égard que le capital est apporté par le groupe Abo Wind et le financement bancaire proviendra d'une banque de premier rang sous la forme d'un " financement de projet ". Le dossier justifiait également des capacités financières apportées par le pétitionnaire pour le démantèlement des machines à hauteur de 50 000 euros pour chacune. Le montant immobilisé, s'élevant à 13 600 000 euros, le recours à des fonds propres à concurrence de 28 % et à un prêt d'une durée de 15 ans étaient clairement indiqués. Le dossier de demande comportait, outre les comptes d'exploitation prévisionnels pour les années 2014 à 2034 faisant ressortir les résultats nets attendus, un échéancier de la dette bancaire liée au projet.

28. Bien que la société pétitionnaire n'ait pas joint à sa demande un engagement des sociétés du groupe auquel elle appartient, les éléments fournis ont ainsi permis au public et à l'autorité administrative de disposer d'une information suffisante quant aux capacités financières de la société pétitionnaire.

29. D'autre part, alors que le capital social de la société Ferme éolienne de Chenu ne s'élève qu'à 100 euros, un tel montant était insuffisant pour lui permettre de financer le projet de construction d'un parc de 5 éoliennes de sorte qu'il lui appartenait de justifier d'un engagement de sa société mère de mettre à sa disposition les financements nécessaires à la conduite du projet.

30. Il ressort des pièces du dossier que postérieurement à la délivrance de l'autorisation, la pétitionnaire a complété sa demande en produisant une lettre d'engagement du 19 juillet 2017 aux termes de laquelle Abo Wind AG et Abo Wind sarl s'engagent à fournir à la société Ferme éolienne de Chenu l'ensemble des fonds nécessaires afin que cette dernière dispose des capacités suffisantes pour construire et honorer ses engagements dans le cadre de l'exploitation et du démantèlement de son parc éolien. Elles mettront également en oeuvre les moyens propres à ce que la société pétitionnaire soit en mesure de conclure un contrat de financement de son parc avec une banque de premier rang et lui apporteront les fonds propres à la conclusion de ce contrat ; à défaut, Abo Wind sarl et Abo Wind AG s'engagent à financer la totalité des coûts du projet éolien de Chenu sur leurs fonds propres.

31. Au regard de la nature du projet, de son coût estimé, des capacités des sociétés du groupe auquel appartient la société Ferme éolienne de Chenu, ces éléments sont suffisants pour justifier des capacités financières de la pétitionnaire.

En ce qui concerne les impacts sur le paysage et la protection des monuments :

32. Aux termes de l'article L. 511-1 du code de l'environnement : " Sont soumis aux dispositions du présent titre les (...), les installations exploitées ou détenues par toute personne physique ou morale, publique ou privée, qui peuvent présenter des dangers ou des inconvénients soit pour la commodité du voisinage, soit pour la santé, la sécurité, la salubrité publiques, soit pour l'agriculture, soit pour la protection de la nature, de l'environnement et des paysages, soit pour l'utilisation rationnelle de l'énergie, soit pour la conservation des sites et des monuments ainsi que des éléments du patrimoine archéologique.". L'article L. 512-1 du code de l'environnement dispose que : " Sont soumises à autorisation les installations qui présentent de graves dangers ou inconvénients pour les intérêts mentionnés à l'article L. 511-1 / L'autorisation, dénommée autorisation environnementale, est délivrée dans les conditions prévues au chapitre unique du titre VIII du livre Ier. ". L'article L. 181-3 du même code dispose que : " I. - L'autorisation environnementale ne peut être accordée que si les mesures qu'elle comporte assurent la prévention des dangers ou inconvénients pour les intérêts mentionnés aux articles L. 211-1 et L. 511-1, selon les cas ". Il découle de ces dispositions que lorsqu'elle est saisie d'une demande d'autorisation d'une installation classée pour la protection de l'environnement, il appartient à l'autorité préfectorale de s'assurer que le projet ne méconnaît pas, notamment, les exigences de protection de l'environnement et des paysages et de conservation des sites, des monuments et des éléments du patrimoine archéologique, prévues par l'article L. 511-1 du code de l'environnement et que cette autorité est tenue, sous le contrôle du juge, de délivrer l'autorisation sollicitée si les dangers ou inconvénients que présente cette installation peuvent être prévenus par les prescriptions particulières spécifiées par un arrêté d'autorisation.

33. Le caractère emblématique d'un paysage et la présence de monuments ou de constructions d'intérêt patrimonial sont au nombre des éléments que doit prendre en compte l'autorité compétente pour apprécier l'impact que peut avoir le projet sur l'environnement dans lequel il est implanté. En l'espèce, il résulte de l'instruction que le parc éolien que souhaite exploiter la société Ferme éolienne de Chenu qui comprend cinq éoliennes d'une hauteur pour quatre d'entre elles de 138,50 m de hauteur et pour la 5ème de 126,50 m de hauteur en bout de pale ainsi qu'un poste transformateur, est situé dans l'entité paysagère de la vallée du Loir, caractérisée par un paysage formé de collines et comportant de nombreux boisements ayant pour effet, ainsi que le relève l'autorité environnementale, de limiter les visibilités ou covisibilités depuis ou sur les monuments historiques situés à proximité. Il s'ensuit qu'alors même que ce paysage est de qualité, cette circonstance ne suffit, en l'espèce, à caractériser une méconnaissance des dispositions précitées.

34. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les fins de non-recevoir opposées par la société Ferme éolienne de Chenu, que Mme E... et autres ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande.

Sur les frais liés au litige :

35. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance une somme au titre des frais exposés par Mme E... et autres et non compris dans les dépens. Dans les circonstances de l'espèce il y a lieu de mettre à la charge de Mme E... et autres le versement à la société Ferme éolienne de Chenu le versement d'une somme de 4 000 euros au même titre.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de Mme E... épouse B... et autres est rejetée.

Article 2 : Mme E... et autres verseront à la société Ferme éolienne de Chenu, une somme globale de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme I... C..., représentant unique désigné par Me H..., mandataire, à la SNC Ferme éolienne de Chenu et au ministre de la transition écologique et solidaire.

Copie en sera adressée au préfet de la Sarthe.

Délibéré après l'audience du 17 septembre 2019, où siégeaient :

- M. Pérez, président de chambre,

- Mme G..., président-assesseur,

- Mme Bougrine, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 4 octobre 2019.

Le rapporteur,

C. G...Le président,

A. PEREZ

Le greffier,

K. BOURON

La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique et solidaire, en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 18NT02639


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 18NT02639
Date de la décision : 04/10/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. PEREZ
Rapporteur ?: Mme Christiane BRISSON
Rapporteur public ?: M. DERLANGE
Avocat(s) : SELAS DE BODINAT ECHEZAR AVOCATS ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 15/10/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2019-10-04;18nt02639 ?
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