Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. F... A... a demandé au tribunal administratif de Nantes de condamner le centre hospitalier universitaire (CHU) d'Angers à lui verser la somme de 127 201,98 euros en réparation des préjudices résultant de l'intervention chirurgicale qu'il a subie dans cet établissement hospitalier le 9 novembre 2004.
Par un jugement n° 1110067-1408314 du 23 septembre 2015, le tribunal administratif de Nantes a fait droit à sa demande à hauteur de 2 149,90 euros.
Par un arrêt n°15NT03537 du 29 septembre 2017 la cour a réformé ce jugement et porté à 36 198,10 euros la somme que le CHU d'Angers devait être condamné à payer à M. A....
Par une décision n°415988 du 15 février 2019 le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a annulé cet arrêt en tant qu'il statuait sur les conclusions de M. A... tendant à la réparation de pertes de gains professionnels pour la période postérieure au 9 novembre 2006, d'une incidence professionnelle, de pertes de droits à pension de retraite et d'un préjudice moral tenant au fait d'avoir été opéré sans vérification de son consentement.
Procédure devant la cour avant cassation :
Par une requête et un mémoire enregistrés les 23 novembre 2015 et 19 juillet 2017,
M. A..., représenté par Me G..., a demandé à la cour :
1°) de réformer le jugement du tribunal administratif de Nantes du 23 septembre 2015 en tant qu'il a limité à 2 149,90 euros le montant de l'indemnisation qui lui a été allouée ;
2°) de condamner le CHU d'Angers à lui verser la somme totale de 508 361,18 euros, augmentée des intérêts au taux légal à compter du 22 juillet 2011, ces intérêts étant eux-mêmes capitalisés, en réparation de ses préjudices ;
3°) de mettre à la charge du CHU d'Angers la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutenait, notamment, que :
- la perte de gains professionnels futurs qu'il subit s'élève à 12 600,25 euros ;
- il a également subi un préjudice de carrière qui peut être estimé à 279 744,81 euros ;
- l'incidence des conséquences de l'intervention chirurgicale sur le montant de sa pension de retraite s'élève à 141 576 euros ;
- il subit un préjudice permanent exceptionnel qui est distinct du déficit fonctionnel permanent indemnisé dans le cadre du protocole d'indemnisation transactionnelle et qui peut être estimé à la somme de 10 000 euros.
Par un courrier du 11 janvier 2017 la Mutuelle générale de l'éducation nationale et la caisse primaire d'assurance maladie de Loire Atlantique ont été mises en demeure de produire leurs observations.
Par un mémoire en défense enregistré le 13 février 2017, le CHU d'Angers et son assureur, la société hospitalière d'assurances mutuelles (SHAM), représentés par Me E..., ont conclu au rejet de la requête.
Ils faisaient valoir que les demandes indemnitaires présentées par M. A... ne sont pas fondées.
Par un mémoire enregistré le 27 février 2017, l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM), représenté par Me C..., a conclu à la confirmation du jugement attaqué en ce qui le concerne et précisé qu'aucune demande n'était formulée à son encontre par M. A....
Procédure devant la cour après cassation :
Par des mémoires enregistrés les 20 mars et 3 avril 2019 l'ONIAM, représenté par Me C..., conclut dans les mêmes termes que dans son mémoire du 27 février 2017.
Il fait valoir que le principe de la responsabilité exclusive du CHU d'Angers a été confirmé par le Conseil d'Etat.
Par des mémoires enregistrés les 25 juin et 14 août 2019 M. A..., représenté par Me B..., demande à la cour :
1°) de condamner le CHU d'Angers à lui verser la somme totale de 519 518,41 euros, assortie des intérêts à compter du 22 juillet 2011 et de la capitalisation des intérêts ;
2°) de mettre à la charge de cet établissement hospitalier la somme de 7 000 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- il est en droit d'obtenir réparation de préjudices aggravés dès lors que sa mise à la retraite pour inaptitude définitive à toute fonction est intervenue après la lecture du jugement attaqué et a révélé l'ampleur de ses préjudices financier et professionnel ;
- il a subi des pertes de gain professionnels pour la période courant jusqu'au 31 juillet 2027, date théorique de départ à la retraite, pour un montant total de 279 744 euros ;
- pour les 11 années courant du 1er août 2016, date de son départ anticipé à la retraite, au 31 juillet 2027, il a subi une perte de droits à pension qui s'élève à 141 756 euros ;
- l'incidence professionnelle résultant de l'abandon de sa profession d'assistant ingénieur à l'âge de 39 ans doit être chiffrée à 30 000 euros ;
- le préjudice permanent exceptionnel dont il est en droit d'obtenir réparation inclut non seulement le préjudice moral qu'il a évalué à 10 000 euros, mais également une fraction égale à 15 % des chefs de préjudice subis, soit une indemnisation totale de 64 000 euros.
Par un mémoire enregistré le 29 juillet 2019 le CHU d'Angers et son assureur, la société hospitalière d'assurances mutuelles (SHAM), représentés par Me E..., conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que :
- les conclusions de M. A... sont irrecevables en ce qu'elles excèdent le quantum des conclusions de première instance ;
- les moyens invoqués par M. A... ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code civil ;
- le code de la santé publique ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme H...,
- les conclusions de M. Gauthier, rapporteur public,
- et les observations de Me B..., représentant M. A....
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., qui exerçait les fonctions d'assistant ingénieur à l'institut universitaire de technologie de Saint-Nazaire, a subi le 9 novembre 2004 au CHU d'Angers une opération chirurgicale consistant à prélever son rein gauche en vue d'une greffe au bénéfice de son frère, atteint d'une insuffisance rénale. Depuis cette opération, M. A... présente des douleurs abdominales et thoraco-lombaires, accompagnées de crises de type neurologique, ainsi qu'une symptomatologie anxio-dépressive réactionnelle. L'intéressé, qui avait, dans la nuit précédant cette intervention, marqué son intention de quitter l'établissement hospitalier et de renoncer à ce don d'organe, a saisi le 20 août 2007 la commission régionale de conciliation et d'indemnisation (CRCI) des Pays de la Loire afin d'obtenir une indemnisation des préjudices qu'il estimait avoir subis. Par un avis du 10 juin 2009, la commission a conclu à la responsabilité du CHU d'Angers. La SHAM, assureur de cet établissement hospitalier, ayant refusé de l'indemniser, M. A... a conclu avec l'ONIAM, le 3 octobre 2010, un protocole d'indemnisation transactionnelle pour un montant de 68 070,88 euros, portant sur certains postes de préjudice. Il a ensuite saisi le tribunal administratif de Nantes afin d'obtenir du centre hospitalier une indemnisation au titre des autres postes. L'ONIAM a, parallèlement, saisi ce tribunal d'une demande tendant à ce que le CHU d'Angers et la SHAM lui remboursent la somme versée à M. A... au titre du protocole d'indemnisation transactionnelle.
2. Par un jugement du 23 septembre 2015, le tribunal administratif de Nantes a fait partiellement droit à la demande de M. A... en condamnant le CHU d'Angers à lui verser la somme de 2 149,90 euros et a fait entièrement droit aux conclusions présentées par l'ONIAM. M. A... a formé un appel contre ce jugement en tant qu'il ne faisait pas droit à l'intégralité de ses demandes indemnitaires. Par un arrêt du 29 septembre 2017, la cour administrative d'appel de Nantes a porté à 36 198,10 euros l'indemnité dont le versement à M. A... était mis à la charge du CHU d'Angers. Par une décision n°415988 du 15 février 2019 le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a annulé cet arrêt en tant qu'il statuait sur les conclusions de M. A... tendant à la réparation de pertes de gains professionnels pour la période postérieure au 9 novembre 2004, d'une incidence professionnelle, de pertes de droits à pension de retraite et d'un préjudice moral tenant au fait d'avoir été opéré sans vérification de son consentement.
Sur la fin de non-recevoir opposée par le CHU :
3. Le CHU d'Angers fait valoir que les conclusions indemnitaires de M. A... sont irrecevables en tant qu'elles excèdent la somme demandée en première instance. Toutefois, il résulte de l'instruction que le président de l'université de Nantes a déclaré M. A... définitivement inapte à l'exercice de ses fonctions et l'a placé à la retraite pour invalidité à compter du 1er août 2016. Ainsi, le dommage subi s'étant révélé dans toute son ampleur postérieurement au jugement du 23 septembre 2015 qu'il attaque, le requérant est recevable à majorer ses prétentions en appel.
Sur l'étendue du litige :
4. En premier lieu, le CHU d'Angers ne conteste pas le principe de sa responsabilité pour avoir omis de vérifier le maintien du consentement de M. A... à l'intervention chirurgicale subie le 9 novembre 2004, alors que ce dernier avait manifesté sa volonté de se rétracter, et pour ne pas avoir informé ce dernier sur la technique opératoire finalement retenue, fautes qui sont de nature à entraîner la réparation par l'établissement hospitalier de la totalité des préjudices subis par M. A... qui en sont la conséquence directe.
5. En deuxième lieu, il résulte de l'instruction que M. A..., qui n'avait pas d'antécédents médicaux sérieux avant l'intervention litigieuse, a connu à la suite de celle-ci des douleurs abdominales intenses lesquelles, au lieu de régresser comme l'équipe médicale l'avait prévu, sont devenues chroniques. En outre, ces douleurs ont provoqué une dépression réactionnelle sévère. Si l'expert désigné a indiqué qu'à elles seules les douleurs éprouvées n'étaient pas incompatibles avec l'exercice de toute activité professionnelle, leur combinaison avec des troubles dépressifs sévères est à l'origine des arrêts de travail répétés, du placement en disponibilité d'office sans traitement puis de la mise à la retraite pour invalidité de l'intéressé à compter du 1er août 2016. Dans ces conditions, le lien de causalité direct et certain entre l'intervention du 9 novembre 2004 et les pathologies dont souffre M. A... doit être regardé comme établi, sans que le droit à réparation de la victime puisse être réduit en raison d'une prédisposition pathologique éventuelle de cette dernière.
6. Enfin, le Conseil d'Etat n'a, par sa décision du 15 février 2019, cassé l'arrêt de la Cour du 29 septembre 2017 qu'en tant qu'il avait statué sur les conclusions de M. A... tendant à la réparation de pertes de gains professionnels pour la période postérieure au 9 novembre 2004, d'une incidence professionnelle, de pertes de droits à pension de retraite et d'un préjudice moral tenant au fait d'avoir été opéré sans vérification de son consentement. Par suite, les conclusions de M. A..., à supposer qu'il ait entendu les reprendre, relatives aux postes de préjudice concernant les dépenses de santé futures, les frais de déplacement et les frais de repas, postes qui ne sont plus en litige, ne sont pas recevables. De même, seul le préjudice moral, qualifié de " préjudice permanent exceptionnel ", résultant de l'absence de vérification du consentement de l'intéressé au prélèvement d'organe peut faire l'objet d'une réparation.
Sur les préjudices restant en litige :
En ce qui concerne la perte de gains professionnels futurs :
7. Il résulte de l'instruction qu'après avoir exercé son activité professionnelle dans des conditions marquées par de nombreux arrêts de travail, M. A... a été placé à la retraite de manière anticipée à compter du 1er août 2016 à l'âge de 51 ans. Toutefois, si le requérant avait eu, ainsi qu'il l'expose, un déroulement rectiligne de sa carrière jusqu'au 31 juillet 2027, date à laquelle il aurait normalement pris sa retraite à l'âge de 62 ans, il aurait perçu, pour les 11 années ainsi écoulées, des revenus s'élevant à un total de 380 857 euros. Sur la base des revenus réellement perçus par l'intéressé pour la même période, soit un montant annuel de 23 237 euros intégrant le minimum garanti et la rente viagère d'invalidité, celui-ci aura perçu du 1er août 2016 au 31 juillet 2027 un montant de ressources de 255 609 euros. Il est dans ces conditions en droit de prétendre à une indemnité pour perte de gains professionnels correspondant à la différence entre ces deux sommes, soit 125 248 euros.
En ce qui concerne la perte de droits à pension :
8. Les pièces versées au dossier par M. A... font apparaître que, s'il avait pris sa retraite à compter du 1er août 2027, il aurait perçu une pension de retraite d'un montant mensuel de 1 489 euros. Il résulte par ailleurs de l'instruction, compte tenu des montants rappelés au point 7, que les ressources mensuelles de l'intéressé s'élèveront en réalité, au 1er août 2027, à 1 936 euros. Par suite, le requérant n'est pas fondé à être indemnisé d'une perte relative à ses droits à pension.
En ce qui concerne l'incidence professionnelle :
9. En raison des suites de l'intervention chirurgicale destinée au don d'organe, et du bon déroulement de sa carrière avant cette intervention, M. A... a perdu une chance de bénéficier d'une carrière professionnelle plus longue avec une possible promotion au grade d'ingénieur. Dans les circonstances de l'espèce, il sera fait une juste appréciation de l'incidence professionnelle de l'accident médical dont il a été victime en l'évaluant à 15 000 euros.
En ce qui concerne le préjudice moral :
10. M. A... fait valoir que l'opération chirurgicale en cause, qui n'avait pas de visée thérapeutique pour lui, a été réalisée sans qu'il soit tenu compte de sa volonté de rétractation et affirme devoir regretter à jamais y avoir finalement été contraint. La faute commise par le centre hospitalier en s'abstenant de vérifier le consentement de M. A... après que celui-ci eut, la veille de l'intervention, exprimé sa volonté de se rétracter, a été à l'origine pour ce dernier d'un important préjudice moral, dont il sera fait une juste appréciation en l'évaluant à 10 000 euros.
11. Il résulte de ce qui précède, compte tenu des éléments d'indemnisation confirmés par le juge de cassation dans sa décision du 15 février 2019, qu'il y a lieu de porter à 186 446,10 euros la somme que le CHU d'Angers doit être condamné à verser à M. A....
Sur les intérêts et la capitalisation des intérêts :
12. M. A... a droit, comme il le sollicite, aux intérêts au taux légal de la somme de 166 645 euros à compter du 22 juillet 2011, date de réception de sa demande préalable par le CHU d'Angers.
13. La capitalisation des intérêts a été demandée le 23 novembre 2015. A cette date, il était dû au moins une année d'intérêts. Dès lors, conformément aux dispositions de l'article 1154 du code civil, il y a lieu de faire droit à cette demande.
Sur les frais de l'instance :
14. Il y a lieu de mettre à la charge du CHU d'Angers la somme de 2 000 euros à verser à M. A... au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : La somme que le CHU d'Angers a été condamné par le tribunal administratif de Nantes à verser à M. A... est portée à 186 446,10 euros, somme assortie des intérêts au taux légal à compter du 22 juillet 2011. Les intérêts échus à la date du 23 novembre 2015, puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date, seront capitalisés à chacune de ces dates pour produire eux-mêmes intérêts.
Article 2 : Le jugement n° 1110067-1408314 du tribunal administratif de Nantes du 23 septembre 2015 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : Le CHU d'Angers versera à M. A... la somme de 2 000 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. F... A..., au centre hospitalier universitaire d'Angers, à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales, à la caisse primaire d'assurance maladie de Loire-Atlantique, à la société hospitalière d'assurances mutuelles et à la mutuelle générale de l'éducation nationale de Saint-Nazaire.
Délibéré après l'audience du 4 septembre 2019, à laquelle siégeaient :
- Mme H..., présidente,
- M. Mony, premier conseiller,
- Mme Le Barbier, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 20 septembre 2019.
La présidente rapporteure,
N. H...
L'assesseur le plus ancien
dans l'ordre du tableau,
A. Mony
Le greffier,
M. D...
La République mande et ordonne au ministre des solidarités et de la santé en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 19NT00744