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30/08/2019 | FRANCE | N°18NT02196

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 6ème chambre, 30 août 2019, 18NT02196


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La Fédération des Entrepreneurs de Boulangerie a demandé au tribunal administratif de Caen d'annuler la décision implicite par laquelle le préfet du Calvados a rejeté sa demande d'abrogation de son arrêté du 20 décembre 1996, relatif à la fermeture hebdomadaire, dans ce département, des boulangeries et points de vente de pain et produits panifiés frais.

Par un jugement n° 1701004 du 17 mai 2018, le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

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r une requête enregistrée le 4 juin 2018, la fédération des entrepreneurs de boulangerie, repré...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La Fédération des Entrepreneurs de Boulangerie a demandé au tribunal administratif de Caen d'annuler la décision implicite par laquelle le préfet du Calvados a rejeté sa demande d'abrogation de son arrêté du 20 décembre 1996, relatif à la fermeture hebdomadaire, dans ce département, des boulangeries et points de vente de pain et produits panifiés frais.

Par un jugement n° 1701004 du 17 mai 2018, le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 4 juin 2018, la fédération des entrepreneurs de boulangerie, représentée par Me A..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Caen du 17 mai 2018 ;

2°) d'annuler le refus implicite opposé par le ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social le 25 mars 2016 sur sa demande tendant à l'abrogation de l'arrêté du 20 décembre 1996 ;

3°) de faire injonction au préfet du Calvados d'abroger l'arrêté préfectoral du 20 décembre 1996 dans un délai d'un mois à compter de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard au-delà d'un délai de quinze jours décompté de l'expiration de ce délai d'un mois ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

La requérante soutient que :

- à aucun moment, ni en réponse à sa demande d'abrogation, ni dans le cadre de l'instance devant le tribunal administratif, l'administration n'a produit les éléments statistiques probants sur lesquels elle s'est nécessairement fondée au jour de l'arrêté pour vérifier qu'existait bien une majorité indiscutable des professionnels concernés en faveur de cette mesure ; il s'agit d'une violation de l'exigence de l'égalité des armes et, en conséquence, du droit fondamental à un procès équitable au sens de l'article 6.1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- l'arrêté préfectoral en litige était entaché d'illégalité dès l'origine tant quant aux conditions de négociations qu'en ce qui concerne la condition de majorité indiscutable des professionnels concernés ;

- l'arrêté préfectoral ne réunit plus les conditions de légalité au jour du refus d'abrogation, à défaut d'une majorité indiscutable de professionnels intéressés favorables à son maintien.

Par ordonnance du 14 mars 2019, la clôture de l'instruction a été fixée au 1er avril 2019.

Un mémoire présenté par la ministre du travail, enregistré le 21 avril 2019, n'a pas été communiqué

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code du travail ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Francfort, président-assesseur,

- les conclusions de M. Lemoine, rapporteur public,

- et les observations de Me B..., représentant la Fédération des Entrepreneurs de Boulangerie.

Considérant ce qui suit

Les faits, la procédure :

1. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 3132-29 du code du travail : " Lorsqu'un accord est intervenu entre les organisations syndicales de salariés et les organisations d'employeurs d'une profession et d'une zone géographique déterminées sur les conditions dans lesquelles le repos hebdomadaire est donné aux salariés, le préfet peut, par arrêté, sur la demande des syndicats intéressés, ordonner la fermeture au public des établissements de la profession ou de la zone géographique concernée pendant toute la durée de ce repos. / A la demande des organisations syndicales représentatives des salariés ou des organisations représentatives des employeurs de la zone géographique concernée exprimant la volonté de la majorité des membres de la profession de cette zone géographique, le préfet abroge l'arrêté mentionné au premier alinéa, sans que cette abrogation puisse prendre effet avant un délai de trois mois "

2. Sur le fondement de ces dispositions, et à la suite d'un accord conclu le 2 mai 1996 entre certains syndicats d'employeurs et de travailleurs concernés, le préfet du Calvados a, par un arrêté du 20 décembre 1996, prescrit une fermeture d'un jour par semaine, au choix des intéressés, à tous les établissements ou parties d'établissements, situés dans le département, faisant commerce du pain au détail. Par courrier du 20 janvier 2016 la Fédération des Entrepreneurs de Boulangerie (FEB) a demandé l'abrogation de cet arrêté au ministre chargé du travail, lequel est réputé avoir transmis cette demande au préfet du Calvados, seul compétent en la matière. La FEB relève appel du jugement du 17 mai 2018 par lequel le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande tendant à l'annulation du rejet implicitement opposé par le préfet du Calvados à sa demande d'abrogation de l'arrêté du 20 décembre 1996.

Sur les conclusions à fins d'annulation :

En ce qui concerne l'illégalité alléguée de l'arrêté préfectoral au jour de son édiction :

3. Aux termes de l'article L. 243-2 du code des relations entre le public et l'administration : " L'administration est tenue d'abroger expressément un acte réglementaire illégal ou dépourvu d'objet, que cette situation existe depuis son édiction ou qu'elle résulte de circonstances de droit ou de fait postérieures, sauf à ce que l'illégalité ait cessé ".

4. Le contrôle exercé par le juge administratif sur un acte qui présente un caractère réglementaire porte sur la compétence de son auteur, les conditions de forme et de procédure dans lesquelles il a été édicté, l'existence d'un détournement de pouvoir et la légalité des règles générales et impersonnelles qu'il énonce, lesquelles ont vocation à s'appliquer de façon permanente à toutes les situations entrant dans son champ d'application tant qu'il n'a pas été décidé de les modifier ou de les abroger. Le juge administratif exerce un tel contrôle lorsqu'il est saisi, par la voie de l'action, dans le délai de recours contentieux. En outre, en raison de la permanence de l'acte réglementaire, la légalité des règles qu'il fixe, comme la compétence de son auteur et l'existence d'un détournement de pouvoir doivent pouvoir être mises en cause à tout moment, de telle sorte que puissent toujours être sanctionnées les atteintes illégales que cet acte est susceptible de porter à l'ordre juridique.

5. Après l'expiration du délai de recours contentieux, une telle contestation peut être formée par voie d'exception à l'appui de conclusions dirigées contre une décision administrative ultérieure prise pour l'application de l'acte réglementaire ou dont ce dernier constitue la base légale. Elle peut aussi prendre la forme d'un recours pour excès de pouvoir dirigé contre la décision refusant d'abroger l'acte réglementaire, comme l'exprime l'article L. 243-2 du code des relations entre le public et l'administration. Si, dans le cadre de ces deux contestations, la légalité des règles fixées par l'acte réglementaire, la compétence de son auteur et l'existence d'un détournement de pouvoir peuvent être utilement critiquées, il n'en va pas de même des conditions d'édiction de cet acte, les vices de forme et de procédure dont il serait entaché ne pouvant être utilement invoqués que dans le cadre du recours pour excès de pouvoir dirigé contre l'acte réglementaire lui-même et introduit avant l'expiration du délai de recours contentieux.

6. La Fédération des Entrepreneurs de Boulangerie soutient que l'arrêté préfectoral du 20 décembre 1996 était illégal dès le jour de sa signature dès lors qu'il n'avait pas été précédé d'une négociation entre l'ensemble des organisations représentatives, certaines d'entre elles n'étant consultées que par courrier. Elle critique également l'attitude de l'administration qui s'est abstenue d'apporter auprès d'elle ou lors de la phase contentieuse des éléments statistiques de nature à établir que la consultation préalable à l'édiction de cet arrêté préfectoral avait permis d'établir l'existence d'une majorité indiscutable en faveur de l'accord au jour de son édiction.

7. Il résulte de ce qui a été dit au point 5 que l'ensemble de cette argumentation, relative aux vices dont serait entachée la procédure d'édiction de l'arrêté du préfet du Calvados du 20 décembre 1996, lequel présente un caractère réglementaire, est sans incidence sur la légalité du refus d'abrogation en litige.

En ce qui concerne la critique de la légalité de l'arrêté du 20 décembre 1996 au jour de la demande d'abrogation :

8. Il résulte des dispositions précitées de l'article L. 3132-29 du code du travail, d'une part, que la fermeture au public des établissements d'une profession ne peut légalement être ordonnée, par arrêté préfectoral, sur la base d'un accord syndical que dans la mesure où cet accord correspond pour la profession à la volonté de la majorité indiscutable de tous ceux qui exercent cette profession à titre principal ou accessoire dans la zone géographique considérée et dont l'établissement ou une partie de celui-ci est susceptible d'être fermé, et, d'autre part, que l'administration est tenue d'abroger l'arrêté en cause à la demande, notamment, d'organisations représentatives des employeurs de la zone géographique concernée exprimant la volonté de la majorité des membres de la profession.

9. La FEB soutient qu'au jour de sa demande d'abrogation, la condition de majorité indiscutable rappelée au point 8 n'était plus satisfaite, dès lors que seuls les adhérents de la Chambre Syndicale de la Boulangerie du Calvados, unique organisme signataire de l'accord, devaient y être regardés comme favorables, et que cette prétendue majorité n'a jamais été vérifiée depuis.

10. Il appartient au juge de l'excès de pouvoir de former sa conviction sur les points en litige au vu des éléments versés au dossier par les parties. S'il peut écarter des allégations qu'il jugerait insuffisamment étayées, il ne saurait exiger de l'auteur du recours que ce dernier apporte la preuve des faits qu'il avance.

11. En premier lieu la communication de tableaux portant sur le recensement par l'INSEE des points de vente de pain dans le département à la date du 23 juin 2004, est insusceptible d'apporter un éclairage sur la position des professionnels intéressés au 21 mars 2016, date du refus d'abrogation implicitement opposé à la requérante.

12. En second lieu l'existence d'une majorité indiscutable en faveur du maintien de la réglementation est vérifiée lorsque les entreprises adhérentes à la ou aux organisations d'employeurs qui ont signé l'accord ou s'y sont déclarées expressément favorables exploitent la majorité des établissements intéressés ou lorsque la consultation de l'ensemble des entreprises concernées a montré que l'accord recueillait l'assentiment d'un nombre d'entreprises correspondant à la majorité des établissements intéressés, sans qu'il soit exigé que les organisations signataires de l'accord soient elles-mêmes représentatives de cette majorité.

13. Or la Fédération des Entrepreneurs de Boulangerie ne conteste pas sérieusement l'appréciation des premiers juges selon laquelle l'accord, signé par la chambre syndicale de la boulangerie du Calvados et deux organisations syndicales de salariés, a en outre recueilli l'assentiment tant de la confédération nationale de la pâtisserie que de la chambre syndicale des détaillants de l'alimentation du Calvados et région. Elle ne précise pas non plus le nombre des entreprises qui lui sont localement affiliées, De ce fait elle ne justifie pas d'éléments suffisants pour faire douter, à la date du refus d'abrogation, du soutien à la réglementation en litige de la majorité de tous ceux qui exercent cette profession à titre principal ou accessoire dans la zone géographique considérée et dont l'établissement ou une partie de celui-ci est susceptible d'être fermé. Elle ne démontre dès lors pas que le préfet du Calvados aurait entaché sa décision d'illégalité en refusant une demande d'abrogation qui émanerait, au sens de l'article L. 3132-29 du code du travail, de la majorité des membres de la profession de cette zone géographique.

14. Il résulte de ce qui précède que la Fédération des Entrepreneurs de Boulangerie n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

15. Le présent arrêt, qui rejette les conclusions à fin d'annulation présentées par la Fédération des Entrepreneurs de Boulangerie, n'implique aucune mesure d'exécution. Par suite, les conclusions à fin d'injonction présentées par le requérant ne peuvent qu'être rejetées.

Sur les frais liés au litige :

16. Dès lors que l'Etat n'est pas la partie perdante dans la présente instance, il n'y a pas lieu de mettre à sa charge, en application de l'article L.761-1 du code de justice administrative, une somme au titre des frais engagés pour l'instance par la Fédération des Entrepreneurs de Boulangerie.

DECIDE :

Article 1er : La requête de la Fédération des Entrepreneurs de Boulangerie est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la Fédération des Entrepreneurs de Boulangerie et à la ministre du travail. Copie en sera adressée au groupement artisanal des boulangers pâtissiers du Calvados.

Délibéré après l'audience du 24 juin 2019, à laquelle siégeaient :

- M. Lenoir, président de chambre,

- M. Francfort, président-assesseur,

- Mme Gélard, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 30 août 2019.

Le rapporteur,

J. FRANCFORTLe président,

H. LENOIR

La greffière,

E. HAUBOIS

La République mande et ordonne à la ministre du travail en ce qui la concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 18NT02196


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 18NT02196
Date de la décision : 30/08/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. LENOIR
Rapporteur ?: M. Jérôme FRANCFORT
Rapporteur public ?: M. LEMOINE
Avocat(s) : AARPI DIXHUIT BOETIE

Origine de la décision
Date de l'import : 10/09/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2019-08-30;18nt02196 ?
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