Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme BA...C..., M.Q... W..., M.AT... N...,
MmeAO... AV..., M. AD... X..., M. AU... AN..., M.AL... BH..., M.Q... BF..., M.AF... AP..., M.Q... F...,
M.AI... Z..., MmeAM... AA..., MmeV... P..., M.L... AB...,
M. BG...G..., MmeM... H..., M.AZ... AC..., MmeAY... I..., MmeAX... S..., M.X... BB..., MmeJ... U..., MmeJ... BD...,
M.E... AE..., M. O... K..., M.AK... T..., M.AG... AQ...,
M.AJ... AQ..., MmeAW... BC..., M.R... AH..., MmeBE... A... et MmeB... AS... ont demandé au tribunal administratif de Caen d'annuler la décision du 28 septembre 2018 par laquelle le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi de Normandie a homologué le document unilatéral fixant le contenu du plan de sauvegarde de l'emploi de la société Nouvelle France Ouest Imprim (SNFOI).
Par un jugement n° 1802813 du 25 février 2019, le tribunal administratif de Caen a rejeté leur demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire enregistrés les 9 avril et 15 mai 2019, Mme C... et les autres requérants, représentés par MeD..., demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Caen du 25 février 2019 ;
2°) d'annuler la décision du 28 septembre 2018 ;
3°) de mettre à la charge de la société Nouvelle France Ouest Imprim et ou, en tant que de besoin de l'Etat, le versement à chacun des requérants de la somme de 300 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- le tribunal administratif a omis de répondre au moyen tiré de ce que le comité d'entreprise n'avait pas disposé d'un délai suffisant pour émettre un avis sur le plan de sauvegarde de l'emploi ;
- le plan de sauvegarde de l'emploi ne contient pas la liste, le nombre, la nature et la localisation des emplois disponibles au sein du groupe, faute de recherche de reclassement suffisante ;
- le dispositif de recherche de reclassement est illégal dès lors que l'employeur a volontairement limité les recherches de reclassement aux seuls CDD supérieurs à trois mois ;
- le dispositif de reclassement interne est illégal dès lors que l'employeur a unilatéralement réduit le délai laissé aux salariés pour accepter l'offre de reclassement à quinze jours calendaires ;
- ce dispositif de reclassement est illégal car il n'offre pas de garanties suffisantes de reclassement effectif du salarié, l'employeur s'étant réservé la faculté de rétracter l'offre de reclassement sans que le plan de sauvegarde de l'emploi n'en détermine les conditions ;
- les mesures du plan de sauvegarde de l'emploi sont insuffisantes au regard des moyens du groupe ;
- la procédure de licenciement est entachée d'irrégularité dès lors que l'information du comité d'entreprise a été insuffisante ;
- la procédure est irrégulière dans la mesure où le comité d'entreprise n'a pas disposé d'un délai suffisant pour se prononcer sur la version du plan de sauvegarde de l'emploi qui lui a été communiquée le 13 septembre 2018 et n'a pu émettre aucun avis sur sa version définitive ;
- la décision contestée est insuffisamment motivée en ce qui concerne l'obligation de reclassement qui s'impose en interne à l'employeur.
Par un mémoire en défense, enregistré le 23 avril 2019, la ministre du travail conclut au rejet de la requête.
Elle soutient que les moyens soulevés par Mme C... et autres ne sont pas fondés.
Par un mémoire en défense, enregistré le 23 avril 2019, la société Nouvelle France Ouest Imprim, représentée par Me Salmon, conclut au rejet de la requête.
Elle soutient :
- à titre principal, que la requête est irrecevable dès lors que les pièces 1 à 79 ne sont pas jointes et que les critiques du jugement sont pour le moins sommaires ;
- et à titre subsidiaire, que les moyens soulevés par Mme C... et autres ne sont pas fondés.
La clôture de l'instruction fixée au 15 mai 2019 à 16 h a été reportée au 6 juin 2019 à 16 h par une ordonnance du 23 mai 2019.
Les mémoires produits respectivement les 5 et 7 juin 2019 pour Mme C...et les autres requérants, d'une part, et la société Nouvelle France Ouest Imprim, d'autre part, n'ont pas été communiqués.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code du travail ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Gélard,
- les conclusions de M. Lemoine, rapporteur public ;
- les observations de MeY..., substituant MeD..., représentant Mme C...et les autres requérants, de Me Salmon, avocat de la société Nouvelle France Ouest Imprim et de Mme AR...représentant la ministre du travail.
Une note en délibéré, présentée pour Mme C...et les autres requérants, a été enregistrée le 2 juillet 2019.
Considérant ce qui suit :
1. La société Nouvelle France Ouest Imprim a été créée le 1er juillet 2013 à la suite de la reprise de l'imprimerie FOI. Implantée à Livarot, elle employait cinquante-deux salariés le 30 juillet 2018 lorsqu'est intervenue la cessation totale de son activité. Lors de la réunion du 13 septembre 2018, les membres du comité d'entreprise ont émis un avis défavorable sur le projet de fermeture de l'entreprise et très défavorable sur le projet de licenciement collectif pour motif économique et les mesures d'accompagnement. Le 17 septembre 2018, la SNFOI a sollicité l'homologation du document unilatéral portant plan de sauvegarde de l'emploi établi à la suite de la dernière réunion du comité d'entreprise. Par une décision du 28 septembre 2018, le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE) de Normandie a homologué ce document. Le 27 novembre 2018, trente-et-un salariés de la SNFOI ont contesté cette décision devant le tribunal administratif de Caen. Ils relèvent appel du jugement du 25 février 2019 par lequel ce tribunal a rejeté leur demande.
Sur les fins de non-recevoir opposées par la SNFOI :
2. Il ressort des pièces du dossier que les requérants ont annexé à leur demande de première instance les pièces n° 1 à 79 auxquels ils se réfèrent en appel. Par suite, la SNFOI n'est pas fondée à soutenir que leur requête d'appel, qui ne contient pas ces mêmes pièces, serait irrecevable à raison de ce motif. Par ailleurs, contrairement à ce que soutient la SNFOI, la requête comporte une critique suffisante du jugement attaqué. Elle est par suite suffisamment motivée. Les fins de non-recevoir ainsi opposées par la SNFOI ne peuvent dès lors qu'être écartées.
Sans qu'il soit besoin d'examiner la régularité du jugement attaqué et les autres moyens de la requête :
3. Aux termes de l'article L. 1233-4 du code du travail : " Le licenciement pour motif économique d'un salarié ne peut intervenir que lorsque tous les efforts de formation et d'adaptation ont été réalisés et que le reclassement de l'intéressé ne peut être opéré sur les emplois disponibles, situés sur le territoire national dans l'entreprise ou les autres entreprises du groupe dont l'entreprise fait partie et dont l'organisation, les activités ou le lieu d'exploitation assurent la permutation de tout ou partie du personnel. Pour l'application du présent article, la notion de groupe désigne le groupe formé par une entreprise appelée entreprise dominante et les entreprises qu'elle contrôle dans les conditions définies à l'article L. 233-1, aux I et II de l'article L. 233-3 et à l'article L. 233-16 du code de commerce. Le reclassement du salarié s'effectue sur un emploi relevant de la même catégorie que celui qu'il occupe ou sur un emploi équivalent assorti d'une rémunération équivalente. A défaut, et sous réserve de l'accord exprès du salarié, le reclassement s'effectue sur un emploi d'une catégorie inférieure. L'employeur adresse de manière personnalisée les offres de reclassement à chaque salarié ou diffuse par tout moyen une liste des postes disponibles à l'ensemble des salariés, dans des conditions précisées par décret. Les offres de reclassement proposées au salarié sont écrites et précises. ". Aux termes de l'article L. 1233-62 du même code dans sa rédaction issue de l'ordonnance du 20 décembre 2017 : " Le plan de sauvegarde de l'emploi prévoit des mesures telles que : 1° Des actions en vue du reclassement interne sur le territoire national, des salariés sur des emplois relevant de la même catégorie d'emplois ou équivalents à ceux qu'ils occupent ou, sous réserve de l'accord exprès des salariés concernés, sur des emplois de catégorie inférieure ; 1° bis Des actions favorisant la reprise de tout ou partie des activités en vue d'éviter la fermeture d'un ou de plusieurs établissements ; 2° Des créations d'activités nouvelles par l'entreprise ; 3° Des actions favorisant le reclassement externe à l'entreprise, notamment par le soutien à la réactivation du bassin d'emploi ; 4° Des actions de soutien à la création d'activités nouvelles ou à la reprise d'activités existantes par les salariés ; 5° Des actions de formation, de validation des acquis de l'expérience ou de reconversion de nature à faciliter le reclassement interne ou externe des salariés sur des emplois équivalents ; 6° Des mesures de réduction ou d'aménagement du temps de travail ainsi que des mesures de réduction du volume des heures supplémentaires réalisées de manière régulière lorsque ce volume montre que l'organisation du travail de l'entreprise est établie sur la base d'une durée collective manifestement supérieure à trente-cinq heures hebdomadaires ou 1 600 heures par an et que sa réduction pourrait préserver tout ou partie des emplois dont la suppression est envisagée. ".
4. Il résulte de l'ensemble des dispositions citées ci-dessus que, lorsqu'elle est saisie d'une demande d'homologation d'un document élaboré en application de l'article L. 1233-24-4 du code du travail, il appartient à l'administration, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, de vérifier la conformité de ce document et du plan de sauvegarde de l'emploi dont il fixe le contenu aux dispositions législatives et aux stipulations conventionnelles applicables, en s'assurant notamment du respect par le plan de sauvegarde de l'emploi des dispositions des articles L. 1233-61 à L. 1233-63 du même code. A ce titre, elle doit, au regard de l'importance du projet de licenciement, apprécier si les mesures contenues dans le plan sont précises et concrètes et si, à raison, pour chacune, de sa contribution aux objectifs de maintien dans l'emploi et de reclassement des salariés, elles sont, prises dans leur ensemble, propres à satisfaire à ces objectifs compte tenu, d'une part, des efforts de formation et d'adaptation déjà réalisés par l'employeur et, d'autre part, des moyens dont dispose l'entreprise et, le cas échéant, l'unité économique et sociale et le groupe.
5. Aux termes de l'article D. 1233-2-1 du code du travail dans sa rédaction alors en vigueur : " I. - Pour l'application de l'article L. 1233-4, l'employeur adresse des offres de reclassement de manière personnalisée ou communique la liste des offres disponibles aux salariés, et le cas échéant l'actualisation de celle-ci, par tout moyen permettant de conférer date certaine. (...) III. - En cas de diffusion d'une liste des offres de reclassement interne, celle-ci comprend les postes disponibles situés sur le territoire national dans l'entreprise et les autres entreprises du groupe dont l'entreprise fait partie. La liste précise les critères de départage entre salariés en cas de candidatures multiples sur un même poste, ainsi que le délai dont dispose le salarié pour présenter sa candidature écrite. Ce délai ne peut être inférieur à quinze jours francs à compter de la publication de la liste, sauf lorsque l'entreprise fait l'objet d'un redressement ou d'une liquidation judiciaire. (...) ".
6. Le plan de sauvegarde de l'emploi litigieux prévoit que : " Si une opportunité se faisait jour avant la notification des licenciements, la direction de la SNFOI (...) dressera un état actualisé des postes disponibles. Il sera porté à la connaissance de chaque intéressé soit par courrier recommandé avec AR, soit par lettre remise en main propre (...) A réception du courrier de proposition, le salarié complètera la fiche de propositions de postes en indiquant son choix (...). Le délai de réflexion commencera à courir à compter de la date de 1ère présentation au domicile de l'offre de reclassement. Le salarié concerné disposera d'un délai de réflexion de quinze jours calendaires pour accepter ou refuser la proposition de reclassement. (...) Si plusieurs personnes se positionnent sur le même poste, la candidature sera priorisée en prenant en compte les critères " charges de famille " puis " ancienneté " ... ". Il ressort des pièces du dossier, que par un courrier du 26 septembre 2018, les salariés de la SNFOI ont reçu sept offres de reclassement au sein de la société Filmag appartenant au même groupe, correspondant à des emplois de programmateur machines en CDI, d'agents de production en CDI et CDD, de soudeurs TIG-MIG en CDI et CDD et de caristes manutentionnaires en CDI et CDD. Ces propositions de reclassement ont été envoyées indistinctement à tous les salariés, et notamment à au moins deux employées administratives et à un agent technico-commercial, sans tenir compte ni de leurs formations, ni de leurs fonctions exercées au sein de la SNFOI. Par suite, l'employeur ne peut être regardé comme ayant adressé à l'ensemble des salariés des offres de reclassement personnalisées mais seulement une liste des offres de reclassement disponibles telle qu'elle est définie par l'article D. 1233-2-1 du code du travail précité. En conséquence, le document unilatéral portant plan de sauvegarde de l'emploi ne pouvait, sauf à être entaché d'une irrégularité méconnaissant une garantie pour les salariés concernés, réduire le délai dont disposaient ces derniers pour examiner les offres de reclassement figurant sur une telle liste à un délai de quinze jours calendaires alors que, comme indiqué au III, ce délai est impérativement fixé à quinze " jours francs ". Par suite, et dès lors que les autres mesures contenues dans le plan de sauvegarde de l'emploi, prises dans leur ensemble, ne sont pas de nature à pallier cette irrégularité, celle-ci est de nature à justifier l'annulation de la décision homologuant le plan en question.
7. Compte tenu de ce qui précède, Mme C... et les autres requérants sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Caen a rejeté leur demande.
Sur les frais liés au litige :
8. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de la SNFOI le versement à l'ensemble des requérants de la somme globale de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement du 25 février 2019 du tribunal administratif de Caen ainsi que la décision du 28 septembre 2018 du directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi de Normandie homologuant le document unilatéral portant plan de sauvegarde de l'emploi de la SNFOI sont annulés.
Article 2 : La SNFOI versera aux requérants la somme globale de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C..., première dénommée de la requête, conformément aux dispositions de l'article R. 751-3 du code de justice administrative, à la société Nouvelle France Ouest Imprim et à la ministre du travail.
Délibéré après l'audience du 24 juin 2019, à laquelle siégeaient :
- M. Lenoir, président de chambre,
- M. Francfort, président-assesseur,
- Mme Gélard, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 9 juillet 2019.
Le rapporteur,
V. GELARDLe président,
H. LENOIR
La greffière,
E. HAUBOIS
La République mande et ordonne à la ministre du travail en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 19NT01405