La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

02/07/2019 | FRANCE | N°18NT02596

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 2ème chambre, 02 juillet 2019, 18NT02596


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B...F...a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler les décisions du 11 janvier 2016 par lesquelles la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté ses recours dirigés contre les décisions du 30 septembre 2015 de l'autorité consulaire française à Bamako rejetant les demandes de visa de long séjour présentées pour les enfants E...et I...F....

Par un jugement n°s 1601979-1601981 du 5 juin 2018, le tribunal administratif de Nantes a annulé

les décisions de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B...F...a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler les décisions du 11 janvier 2016 par lesquelles la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté ses recours dirigés contre les décisions du 30 septembre 2015 de l'autorité consulaire française à Bamako rejetant les demandes de visa de long séjour présentées pour les enfants E...et I...F....

Par un jugement n°s 1601979-1601981 du 5 juin 2018, le tribunal administratif de Nantes a annulé les décisions de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France et a enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer les visas sollicités dans le délai de deux mois suivant la notification de ce jugement.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 6 juillet 2018, le ministre de l'intérieur demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 5 juin 2018 ;

2°) de rejeter la requête de M. B...F...devant le tribunal administratif de Nantes.

Le ministre soutient que s'il est exact que les décisions contestées souffrent d'une insuffisance de motivation, il est demandé à la cour, par substitution de motifs, de reconnaître le caractère apocryphe et l'absence de caractère probant des actes d'état civil présentés par M. F... à l'appui des demandes de visa compte tenu de la tardiveté d'établissement des actes d'état civil, des anomalies et incohérences qu'ils présentent, de l'absence de reconnaissance de paternité au regard de la législation malienne et de l'absence de possession d'état.

Par un mémoire en défense, enregistré le 21 mars 2019, M. B...F...et autres, représentés par MeG..., conclut au rejet de la requête du ministre.

Il soutient qu'aucun des moyens soulevés par le ministre de l'intérieur n'est fondé.

M. B...F...a été maintenu à l'aide juridictionnelle partielle (25 %) par une décision du 12 septembre 2018

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu

­ l'accord franco-malien de coopération en matière de justice du 1er mars 1962 ;

­ le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

­ le code civil ;

­ le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. A...'hirondel a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. B...F..., de nationalité française, a sollicité, le 29 janvier 2015, auprès de l'autorité consulaire française à Bamako des demandes de visa de long séjour en qualité de descendant de Français en faveur des jeunes E...F..., né le 1er octobre 1998 et I...F..., né le 15 octobre 2000, de nationalité malienne, qu'il présente comme les enfants naturels, nés de sa précédente union avec Mme C...F.... Par des décisions du 30 septembre 2015, cette autorité a refusé de délivrer les visas sollicités. La commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté, par des décisions du 11 janvier 2016, les recours formés par M. B...F...contre les décisions des autorités consulaires. Par un jugement du 5 juin 2018, le tribunal administratif de Nantes a annulé les décisions de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France et a enjoint au ministre de délivrer les visas de long séjour sollicités. Le ministre de l'intérieur relève appel de ce jugement.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

2. Aux termes de l'article L. 111-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil ". L'article 47 du code civil dispose que " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité. ".

3. Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties. Pour juger qu'un acte d'état civil produit devant lui est dépourvu de force probante, qu'il soit irrégulier, falsifié ou inexact, le juge doit en conséquence se fonder sur tous les éléments versés au dossier dans le cadre de l'instruction du litige qui lui est soumis.

4. La commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France s'est fondée, pour estimer que les actes d'état civil présentés par M. B...F...afin d'établir son lien de filiation envers les jeunes E...et I...étaient insuffisants, sur les circonstances que les documents d'état civil au nom de M. I...F...ont été établis tardivement, sans explication circonstanciée alors que l'intéressé n'avait pas mentionné l'existence de ces enfants lors de sa demande de naturalisation française, que le jugement supplétif de naissance de Mme C...F...est également tardif, que l'intéressée a reconnu " opportunément " les enfants en avril 2014 et que la possession d'état n'était pas établie. Le ministre, qui reconnaît dans ses écritures que la motivation retenue par la commission est incomplète, demande à la cour de procéder à une substitution de motifs tirée du caractère apocryphe des actes d'état-civil, de l'absence de reconnaissance de paternité selon les lois du pays et du défaut de possession d'état.

5. L'administration peut, en première instance comme en appel, faire valoir devant le juge de l'excès de pouvoir que la décision dont l'annulation est demandée est légalement justifiée par un motif, de droit ou de fait, autre que celui initialement indiqué, mais également fondé sur la situation existant à la date de cette décision. Il appartient alors au juge, après avoir mis à même l'auteur du recours de présenter ses observations sur la substitution ainsi sollicitée, de rechercher si un tel motif est de nature à fonder légalement la décision, puis d'apprécier s'il résulte de l'instruction que l'administration aurait pris la même décision si elle s'était fondée initialement sur ce motif. Dans l'affirmative, il peut procéder à la substitution demandée, sous réserve toutefois qu'elle ne prive pas le requérant d'une garantie procédurale liée au motif substitué.

6. Aux termes de l'article 311-14 du code civil : " La filiation est régie par la loi personnelle de la mère au jour de la naissance de l'enfant ; si la mère n'est pas connue, par la loi personnelle de l'enfant ". Selon l'article 311-17 de ce code : " la reconnaissance volontaire de paternité ou de maternité est valable si elle a été faite en conformité, soit de la loi personnelle de son auteur, soit de la loi personnelle de l'enfant ".

7. Aux termes de l'article 35 du code de la parenté malien : " La filiation de l'enfant né hors mariage est établie de plein droit à l'égard de sa mère du seul fait de la naissance. ". Aux termes de l'article 36 de ce même code : " A l' égard du père, la preuve de la filiation de l'enfant né hors mariage résulte d'une reconnaissance ou d'un jugement. / Lorsque la reconnaissance ne résulte pas de l'acte de naissance elle est faite par acte authentique dressé par l'officier d'état civil ou le notaire ". Selon l'article 38 de ce code : " La reconnaissance de paternité, pour être valable, doit être confirmée par la mère de l'enfant ".

8. Il résulte des dispositions précitées de l'article 36 du code de la parenté malien que le lien de filiation d'un enfant naturel à l'égard du père peut être établi selon deux modalités alternatives : soit par une reconnaissance, soit par un jugement.

En ce qui concerne l'établissement du lien de filiation par jugement :

9. Pour justifier le lien de filiation avec les enfants allégués, M. B...F...a produit les jugements supplétifs d'acte de naissance n°1836 et n°1837 établis le 1er juillet 2013 par le tribunal civil de Yelimane en faveur respectivement des jeunes E...et I...ainsi que les actes de naissance les concernant délivrés par le maire de Kirané les 12 et 16 juillet 2013. Ont également été produits le jugement supplétif d'acte de naissance n°1834 établi le 1er juillet 2013 par le même tribunal et l'acte de naissance n°319 délivré par le maire de Kirané au nom de Mme C...F....

10. Le ministre n'établit, ni même n'allègue que les jugements supplétifs d'acte de naissance n'auraient pas été délivrés selon la procédure prévue par la loi malienne. Il ressort, en revanche, des pièces du dossier, notamment des avis émis par les autorités consulaires sur chacune des deux demandes que l'ensemble des actes d'état civil cités au point précédent ont été authentifiés par les autorités maliennes La circonstance que les jugements supplétifs, qui constatent la naissance et les liens de parenté des intéressés, aient été rendus tardivement et à l'occasion des demandes de visa formées en faveur des jeunes E...et I...ne permet pas, à elle seule, d'établir le caractère non probant de ces documents. Le caractère frauduleux de ces actes ne saurait, par ailleurs, résulter de ce que certaines mentions, qui concernent le domicile, la nationalité déclarée, la profession, la situation matrimoniale et/ou le niveau d'instruction des parents, ont été précisées sur les actes de naissance alors qu'elles n'étaient pas renseignées sur les jugements supplétifs d'acte de naissance qu'ils sont censés reproduire dès lors que ces mentions ne sont pas de nature à remettre en cause les liens de filiation résultant des jugements supplétifs et que les actes d'état-civil ont été, ainsi qu'il a été dit, déclarés authentiques par les autorités maliennes. La copie littérale d'acte de naissance du jeune I...F...du 15 mai 2015 transmise par ces autorités comporte, au demeurant, les mêmes rajouts. De même, l'erreur matérielle intervenue sur la copie littérale d'acte de naissance délivrée le 8 octobre 2013 à Mme C...F...au vu du jugement supplétif d'acte de naissance n°1834 du 1er juillet 2013, qui mentionne, à tort, comme année de registre " 1980 ", ce qui correspond à l'année de naissance de l'intéressée, et non pas 2013 n'est pas de nature à remettre en cause la sincérité des mentions contenues dans le jugement supplétif transcrit sur le registre d'état civil de Kirané et à faire regarder cet acte comme apocryphe. Le caractère inauthentique de ces actes ne saurait, non plus, résulter de la différence de format des passeports délivrés à Mme C...F...et aux jeunes E...et I...F.... Enfin, si M. B...F...et Mme C...F...avaient respectivement 15 ans et demi (et non 14 ans et demi comme indiqué à tort par le ministre) et 18 ans à la date de conception du jeuneE..., cette circonstance ne saurait suffire à remettre en cause la réalité des liens de filiation avec l'enfant.

En ce qui concerne la reconnaissance de paternité :

11. Selon l'article 24 de l'accord franco-malien de coopération en matière de justice du 1er mars 1962, seront notamment admises, sans légalisation, sur les territoires respectifs de la République française et de la République du Mali, " les expéditions des actes de l'état civil " établies par " les autorités administratives " de chacun des deux Etats, revêtues de " la signature et du sceau officiel de l'autorité ayant qualité pour les délivrer " et certifiées " conformes à l'original par ladite autorité ".

12. Il ressort des pièces du dossier que M. B...F...a reconnu le 10 décembre 2013 les jeunes E...et I...devant l'officier de l'état-civil de Courcouronnes (Essonne). Il a produit à cet effet les copies intégrales conformes de cet acte de reconnaissance délivrées par l'officier de l'état civil, revêtues de sa signature et de son sceau. Ces actes de reconnaissance produisent ainsi leur plein effet au Mali conformément à l'article 24 de l'accord franco-malien précité. Par ailleurs, pour l'application de l'article 38 du code de la parenté malien, et ainsi qu'il résulte des actes établis par MaîtreD..., notaire à Kayes, Mme C... F...a notamment reconnu M. B...F...comme père de E...et I...F.... Ces actes de reconnaissance de paternité doivent être également regardés comme établissant, selon la loi malienne, le lien de parenté des enfants avec M. B...F.... Le ministre ne saurait utilement invoquer la circonstance que ces reconnaissances de paternité, qui présentent au demeurant un caractère superfétatoire compte tenu des jugements supplétifs rendus le 1er juillet 2013 qui attestent de la filiation, n'auraient fait l'objet d'aucune transcription sur les actes de naissance des enfants dès lors que ces actes ont été établis antérieurement à ces reconnaissances.

13. Il suit de là, et contrairement à ce que soutient le ministre, que l'identité et la filiation des jeunes E...et I...F...à l'égard de M. B...F...doivent être considérées comme établies. Dans ces conditions, la circonstance que la filiation n'est pas démontrée au moyen de la possession d'état est sans incidence sur la solution du litige. Par suite, il n'y a pas lieu de faire droit à la substitution de motif sollicitée par le ministre.

14. Il résulte de tout ce qui précède, que le ministre de l'intérieur n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a annulé les décisions rendues par la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France.

D É C I D E :

Article 1er : La requête du ministre de l'intérieur est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur,à M. B...F..., à M. I...F...et à M. E...F....

Délibéré après l'audience du 11 juin 2019, à laquelle siégeaient :

­ M. Pérez, président,

­ M.A...'hirondel, premier conseiller,

­ Mme Bougrine, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 2 juillet 2019

Le rapporteur,

M. H...Le président,

A. PEREZ

Le greffier,

K. BOURON

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 18NT02596


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 18NT02596
Date de la décision : 02/07/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. PEREZ
Rapporteur ?: M. Michel LHIRONDEL
Rapporteur public ?: M. DERLANGE
Avocat(s) : MENGELLE

Origine de la décision
Date de l'import : 05/07/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2019-07-02;18nt02596 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award