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24/06/2019 | FRANCE | N°18NT02046

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 6ème chambre, 24 juin 2019, 18NT02046


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme D...E...a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 28 mars 2017 par laquelle la ministre du travail, de l'emploi de la formation professionnelle et du dialogue social a autorisé son licenciement.

Par un jugement n° 1704325 du 23 mars 2018, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 22 mai 2018, MmeE..., représentée par Me B..., demande à la cour :

1°) d'annuler le jugeme

nt du tribunal administratif de Nantes du 23 mars 2018 ;

2°) d'annuler la décision du 28 mars 20...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme D...E...a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 28 mars 2017 par laquelle la ministre du travail, de l'emploi de la formation professionnelle et du dialogue social a autorisé son licenciement.

Par un jugement n° 1704325 du 23 mars 2018, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 22 mai 2018, MmeE..., représentée par Me B..., demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Nantes du 23 mars 2018 ;

2°) d'annuler la décision du 28 mars 2017 par laquelle la ministre chargée du travail a autorisé son licenciement ;

3°) de lui allouer la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement attaqué est entaché d'irrégularité :

* il est fondé sur des motifs autres que ceux retenus par la ministre chargée du travail pour autoriser son licenciement ;

* le tribunal a omis de statuer sur ses conclusions visant à la prescription des faits reprochés, en réduisant le motif de prescription au grief de harcèlement moral ;

- la décision est insuffisamment motivée, en ce qu'elle est imprécise concernant les éléments de fait et de droit qui la fonde ;

- les faits relevés à son encontre ont déjà été sanctionnés par un avertissement du 18 décembre 2015 et, en tout état de cause, ces faits sont prescrits en raison de son absence sur les cinq mois précédent la mise en oeuvre de son licenciement ;

- les faits reprochés ne sont pas établis, ils résultent de la désorganisation de l'association et de paramètres circonstanciels, son employeur n'ayant pas mis en oeuvre les moyens nécessaires pour restructurer l'organisation de l'association ;

- les griefs retenus ne constituent pas une faute d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement.

Par un mémoire en défense, enregistré le 13 novembre 2018, l'association Saint-Véterin conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 3 500 euros soit mise à la charge de MmeE..., sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les moyens soulevés par Mme E...à l'encontre du jugement contesté ne sont pas fondés.

Par un mémoire, enregistré le 3 janvier 2019, la ministre du travail conclut au rejet de la requête.

La ministre soutient que les moyens soulevés par Mme E...ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code du travail ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Pons,

- les conclusions de M. Lemoine, rapporteur public,

- les observations de Me Jerusalemy, avocat de l'association Saint-Véterin.

Considérant ce qui suit :

1. L'association Saint-Véterin a sollicité l'autorisation de licencier Mme E..., salariée exerçant les fonctions de comptable au sein de l'association et détenant un mandat de déléguée syndicale. L'inspecteur du travail de la direction des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE) des Pays de la Loire a refusé ce licenciement par décision du 13 juillet 2016. L'association Saint-Véterin a exercé un recours hiérarchique contre cette décision le 8 septembre 2016 auprès de la ministre chargée du travail. Une décision implicite de rejet est née le 13 janvier 2017. Par une décision du 28 mars 2017, la ministre chargée du travail a retiré la décision le 28 mars 2017, annulé la décision de l'inspecteur du travail et autorisé le licenciement de Mme E.... Par sa présente requête, la requérante relève appel du jugement du 23 mars 2018 par lequel le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 28 mars 2017.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Il ressort des pièces du dossier de première instance que Mme E... avait soulevé devant les premiers juges le moyen tiré de la prescription des faits reprochés pour justifier son licenciement. Le tribunal administratif a écarté ce moyen en le limitant aux faits constitutifs de harcèlement. Dans ces conditions, en omettant de répondre à ce moyen qui n'était pas inopérant, le tribunal a entaché d'irrégularité son jugement, lequel ne peut dès lors qu'être annulé.

3. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par Mme E... devant le tribunal administratif de Nantes.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

4. Par décision du 11 août 2015, publiée au Journal Officiel de la République Française le 14 suivant, le directeur général du travail a donné délégation à M. C... A..., chef du bureau du statut protecteur, " à l'effet de signer, dans la limite des attributions du bureau du statut protecteur et au nom du ministre chargé du travail, tous actes, décisions ou conventions, à l'exclusion des décrets ". Par suite, le moyen tiré de l'incompétence du signataire de la décision attaquée doit être écarté.

5. La décision attaquée mentionne les circonstances de droit et de fait permettant à l'intéressée, à la seule lecture de la décision, d'en comprendre le fondement. La ministre chargée du travail a cité les faits reprochés à Mme E..., a estimé qu'ils n'étaient pas prescrits et qu'il n'y avait pas de double sanction. Par suite, le moyen tiré du défaut de motivation de la décision en cause ne peut qu'être écarté.

6. Il ressort de la décision attaquée que le mandat de Mme E...est indiqué dans les motifs de la décision. Par suite, le moyen tiré de l'irrégularité de la décision, en ce qu'elle ne mentionne pas dans ses motifs la nature du mandat qu'elle exerçait, manque en fait.

En ce qui concerne la matérialité des motifs invoqués par l'employeur :

7. Les salariés légalement investis de fonctions représentatives bénéficient, dans l'intérêt de l'ensemble des salariés qu'ils représentent, d'une protection exceptionnelle. Lorsque le licenciement d'un de ces salariés est envisagé, ce licenciement ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou l'appartenance syndicale de l'intéressé. Dans le cas où la demande de licenciement est motivée par un comportement fautif, il appartient à l'inspecteur du travail, et le cas échéant au ministre, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si les faits reprochés au salarié sont d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement, compte tenu de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé et des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi. Aux termes de l'article L. 1235-1 du code du travail : " En cas de litige, le juge, à qui il appartient d'apprécier la régularité de la procédure suivie et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties après avoir ordonné, au besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si un doute subsiste, il profite au salarié ".

8. Le comportement fautif reproché à MmeE..., à l'origine de la demande de licenciement, porte sur des faits constitutifs d'une inexécution fautive des obligations contractuelles, des faits relevant du dénigrement et des faits confinant à du harcèlement moral.

9. D'une part, si Mme E...soutient que la décision est entachée d'erreur de fait en raison de son imprécision, il ressort de la décision attaquée que, sans reprendre l'intégralité des éléments indiqués par l'association à l'appui de sa demande d'autorisation de licenciement, la ministre a indiqué avec suffisamment de précisions les faits reprochés à l'intéressée. Elle s'est notamment fondée sur des dysfonctionnements portant sur la gestion de la paie du personnel et sur les frais professionnels, des décisions unilatérales de l'intéressée à son bénéfice, telle que la dissimulation d'avantages en nature. D'autre part, il ressort des pièces du dossier que les manquements reprochés à l'intéressée, relevés suite à un audit réalisé les 2 et 3 février 2016 par le cabinet d'expertise comptable In extenso, ont mis en évidence des dysfonctionnements relatifs à la facturation relation client-fournisseurs et à la gestion des comptes résidents, à la gestion du personnel, notamment pour ce qui concerne le traitement des paies et des incidences sur salaires, à des frais de déplacement professionnels, à des décisions unilatérales de la comptable à son bénéfice tels que : augmentation de salaire via une revalorisation de sa prime d'ancienneté sans décision du conseil d'administration, dissimulation d'avantages en nature, attribution à son bénéfice de cadeaux fournisseurs. Cet audit a également mis en exergue des manquements en matière de contrôles internes de la comptabilité dans l'établissement (facturations, dépenses, suivi financier) et a établi un ensemble de manquements professionnels, révélant une incompétence et un manque de rigueur de cette comptable, voire des agissements volontaires de la part de cette dernière. Mme E...a également reconnu l'existence d'un trop perçu URSSAF au détriment de l'établissement, conséquence de l'application d'un taux de charge erroné, ainsi que des erreurs de gestion des comptes résidents. Par ailleurs, aucun élément ne permet d'affirmer que la désorganisation de l'association alléguée par la requérante aurait eu pour conséquence une surcharge de travail dépassant le strict cadre des missions contractuelles de l'intéressée. Par suite, le grief relatif à des faits constitutifs d'une inexécution fautive des obligations contractuelles, imputable à la requérante, est établi.

En ce qui concerne la prescription des faits :

10. Aux termes de l'article L. 1332-4 du code du travail : " Aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l'engagement de poursuites disciplinaires au-delà d'un délai de deux mois à compter du jour où l'employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à l'exercice de poursuites pénales. ". Il résulte de ces dispositions que lorsque les faits reprochés caractérisent un comportement fautif continu du salarié, le point de départ du délai de deux mois est alors la date du dernier manquement constaté par l'employeur.

11. En l'espèce, le manquement tenant à l'inexécution fautive des obligations contractuelles présente le caractère d'un manquement continu, comme en atteste le rapport du cabinet d'expertise comptable In extenso remis à l'association le 27 avril 2016. Dans ces conditions, les derniers manquements de Mme E...portés à la connaissance de l'association le 27 avril 2016, n'étaient pas prescrits à la date d'envoi de la convocation à l'entretien préalable, soit le 28 avril 2016. Par suite, le moyen tiré de la prescription des faits constitutifs d'une inexécution fautive des obligations contractuelles de Mme E...doit être écarté.

En ce qui concerne la méconnaissance du principe dit " non bis in idem " :

12. Aux termes de l'article L. 1331-1 du code du travail : " Constitue une sanction toute mesure, autre que les observations verbales, prise par l'employeur à la suite d'un agissement du salarié considéré par l'employeur comme fautif, que cette mesure soit de nature à affecter immédiatement ou non la présence du salarié dans l'entreprise, sa fonction, sa carrière ou sa rémunération. ".

13. Il ressort des pièces du dossier que le licenciement en cause sanctionne des faits nouveaux, postérieurs ou révélés postérieurement à l'avertissement du 18 décembre 2015, et dont les effets sont continus dans le temps. En outre, l'employeur pouvait, sans méconnaître le principe dit " non bis in idem ", tenir compte de faits déjà sanctionnés pour apprécier si l'ensemble des faits reprochés au salarié constituaient une faute d'une gravité suffisante pour justifier un licenciement. Dès lors, le moyen tiré de ce que les faits auraient déjà été sanctionnés doit être écarté.

En ce qui concerne la gravité de la faute :

14. L'inexécution par Mme E...de ses obligations professionnelles est constitutive d'un manquement fautif d'une gravité suffisante, au regard notamment du niveau de responsabilité de la salariée, comptable de l'établissement, des exigences propres à l'activité comptable, du caractère répété des manquements aux obligations professionnelles, des conséquences financières pour l'employeur, notamment du fait de l'augmentation de salaire via une revalorisation de sa prime d'ancienneté effectuée pour son compte par la salariée, ou encore du fait de l'incidence d'un taux de charge erroné, qui a généré un trop perçu pour l'URSSAF de 7 000 euros au détriment de l'établissement. Le dossier de la requérante comprend également des antécédents fautifs concernant ses pratiques professionnelles matérialisées par un avertissement notifié le 18 décembre 2015. Par suite, ce grief, en tant qu'il caractérise un manquement aux obligations contractuelles et un manquement à l'obligation de loyauté envers l'employeur, est à lui seul suffisamment grave pour justifier le licenciement de l'intéressée. Dans ces conditions, le ministre a pu, sans commettre d'erreur d'appréciation, prendre, pour ce motif, la décision attaquée.

15. Il résulte de ce qui précède que Mme E...n'est pas fondée à demander l'annulation de la décision du 28 mars 2017 par laquelle la ministre chargée du travail a autorisé son licenciement.

Sur les frais liés au litige :

16. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'association " Saint-Véterin " ou de l'Etat, qui ne sont pas parties perdantes dans la présente instance, la somme que Mme E...demande au titre des frais liés au litige. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, à mettre à la charge de Mme E...la somme de 1 000 euros au titre des mêmes frais.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1704325 du 23 mars 2018 du tribunal administratif de Nantes est annulé.

Article 2 : La demande de Mme E...présentée devant le tribunal administratif de Nantes est rejetée.

Article 3 : Mme E...versera à l'association " Saint-Véterin " la somme de 1 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de l'association " Saint-Véterin " est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D...E..., à l'association Saint-Véterin et à la ministre du travail.

Copie en sera adressée au directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi des Pays de la Loire.

Délibéré après l'audience du 7 juin 2019, à laquelle siégeaient :

- M. Lenoir, président de chambre,

- Mme Gélard, premier conseiller,

- M. Pons, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 24 juin 2019.

Le rapporteur,

F. PONSLe président,

H. LENOIR

La greffière,

E. HAUBOIS

La République mande et ordonne à la ministre du travail en ce qui la concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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N°18NT02046


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 18NT02046
Date de la décision : 24/06/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. LENOIR
Rapporteur ?: M. François PONS
Rapporteur public ?: M. LEMOINE
Avocat(s) : CABINET BARRET RICHARD MENANTEAU

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2019-06-24;18nt02046 ?
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