Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Par neuf demandes distinctes la société en nom collectif (SNC) Harman International a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler les décisions du 15 janvier 2015 par lesquelles l'inspecteur du travail de la 13ème section de l'unité territoriale de la Sarthe a respectivement refusé à la société l'autorisation de licencier MmesD..., C..., G..., J..., I..., K..., F..., H...etA..., ainsi que les décisions par lesquelles le ministre du travail a implicitement rejeté les recours hiérarchiques exercés par la société contre ces refus d'autorisation de licencier.
Par un unique jugement nos 1507742, 1507743, 1507744, 1507745, 1507746, 1507747, 1507748, 1507749 et 1507750 du 12 janvier 2018, le tribunal administratif de Nantes a rejeté ces demandes.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 8 mars 2018, la SNC Harman International, représentée par MeB..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes du 12 janvier 2018 ;
2°) d'annuler les refus de licenciement du 15 janvier 2015 et les décisions implicites de rejet du ministre du travail ;
3°) de mettre à la charge des salariés le versement d'une somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- les décisions contestées sont entachées d'erreur de droit pour se fonder sur l'absence de difficultés économiques et non sur la sauvegarde de la compétitivité, motif de la demande d'autorisation ;
- elles sont entachées d'erreur de fait pour procéder à une comparaison erronée avec la concurrence et prendre en compte de manière erronée le rapport de l'expert commis par le comité d'entreprise.
Par ordonnance du 5 mars 2019 la clôture de l'instruction a été fixée au 21 mars 2019.
Vu les pièces desquelles il résulte que la requête a été communiquée à la ministre du travail et à MmesD..., C..., G..., J..., I..., K..., F..., H...etA..., qui n'ont pas produit de mémoire en défense.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code du travail ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Francfort, président-assesseur,
- les conclusions de M. Lemoine, rapporteur public,
- et les observations de MeE..., représentant la SNC Harman International.
Considérant ce qui suit
Les faits, la procédure :
1. La SNC Harman International, dont le siège est à Château-du-Loir (Sarthe), exerçait l'activité de création et commercialisation de systèmes audio (cartes électroniques et haut-parleurs) pour l'industrie automobile. La société a présenté le 12 septembre 2014 au comité d'entreprise un projet de fermeture définitive du site de production de Château-du-Loir, impliquant la suppression de 185 postes de travail. La société a sollicité de l'inspection du travail l'autorisation de licencier 9 salariées titulaires de mandats ouvrant droit à protection, à savoir MmesD..., déléguée du personnel, C..., exerçant le même mandat, F..., déléguée syndicale et déléguée du personnel, H..., membre suppléante du comité d'entreprise, K..., membre du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT), I..., membre du comité d'entreprise et déléguée du personnel suppléante, J..., membre du CHSCT, G..., membre du comité d'entreprise etA..., membre du comité d'entreprise et déléguée du personnel. Par des décisions du 15 janvier 2015, l'inspecteur du travail a refusé ces licenciements. La société a formé le 12 mars 2015 des recours gracieux contre ces décisions, rejetés le 23 mars suivant, ainsi que des recours hiérarchiques reçus le 16 mars 2015 par le ministre chargé du travail, qui les a implicitement rejetés. La SNC Harman International relève appel du jugement du 12 janvier 2018 par lequel le tribunal administratif de Nantes a rejeté ses conclusions tendant à l'annulation des refus opposés à ses demandes d'autorisation de licenciement.
Sur les conclusions à fins d'annulation :
2. En vertu des dispositions du code du travail, le licenciement des salariés investis de fonctions représentatives, qui bénéficient, dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, d'une protection exceptionnelle, est subordonné à une autorisation de l'inspecteur du travail dont dépend l'établissement. Lorsque le licenciement d'un de ces salariés est envisagé, ce licenciement ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou l'appartenance syndicale de l'intéressé. Dans le cas où la demande d'autorisation de licenciement est fondée sur un motif de caractère économique, il appartient à l'inspecteur du travail et, le cas échéant, au ministre de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si la situation de l'entreprise justifie le licenciement, en tenant compte notamment de la nécessité des réductions envisagées d'effectifs et de la possibilité d'assurer le reclassement du salarié dans l'entreprise ou au sein du groupe auquel appartient cette dernière. En outre, pour refuser l'autorisation sollicitée, l'autorité administrative a la faculté de retenir des motifs d'intérêt général relevant de son pouvoir d'appréciation de l'opportunité, sous réserve qu'une atteinte excessive ne soit pas portée à l'un ou l'autre des intérêts en présence.
En ce qui concerne la réalité du motif économique invoqué par l'employeur :
3. Aux termes de l'article L. 1233-3 du code du travail, dans sa rédaction applicable à la présente espèce : " Constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d'une suppression ou transformation d'emploi ou d'une modification, refusée par le salarié, d'un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment à des difficultés économiques ou à des mutations technologiques ". La nécessité de sauvegarder la compétitivité de l'entreprise est au nombre des causes sérieuses de licenciement économique. Lorsque la demande est fondée sur ce motif, l'autorité administrative doit vérifier que l'employeur fait état d'éléments caractérisant l'existence d'une menace réelle pesant sur sa compétitivité et rendant nécessaire une réorganisation pour y faire face. Lorsque l'entreprise appartient à un groupe, le motif économique doit s'apprécier au niveau du secteur d'activité du groupe auquel appartient l'entreprise concernée, et non au niveau de l'entreprise elle-même.
4. En premier lieu la SNC Harman International n'apporte en appel aucune argumentation ou justification nouvelle au soutien de son moyen selon lequel l'inspecteur du travail puis le ministre du travail se seraient bornés à prendre en compte l'absence de difficultés économiques de l'entreprise sans examiner la nécessité d'une réorganisation de l'entreprise effectuée pour sauvegarder la compétitivité du secteur d'activité du groupe auquel elle appartient. Il convient dès lors d'écarter ce moyen, dont il ne ressort pas des pièces du dossier qu'il serait fondé, ainsi que l'ont retenu à bon droit les premiers juges.
5. En deuxième lieu, pour justifier la fermeture de son site de production de systèmes audio pour automobiles situé à Château-du-Loir, au sein duquel étaient affectées les salariées concernées par les demandes d'autorisation de licenciement ici en cause, la société Harman International a invoqué la nécessité de sauvegarder sa compétitivité menacée par une concurrence très forte sur les prix. Elle indique qu'une délocalisation " dans des pays à coût optimisé " lui permettrait à la fois de remporter des appels d'offres grâce à des prix plus bas, de se rapprocher des marchés les plus dynamiques situés dans ces pays et de dégager les ressources nécessaires pour augmenter ses dépenses de recherche-développement.
6. Il n'est pas contesté que la SNC Harman International, qui appartient au groupe américain Harman, spécialisé dans les équipements audio, relève pour l'examen des éventuelles menaces pesant sur sa compétitivité du secteur d'activité de ce groupe dénommé " Stratégie Business Unité Car Audio " (SBU Car Audio), spécialisé dans la fabrication d'éléments acoustiques pour l'automobile.
7. D'une part, la société, si elle fait valoir la perte d'un important marché en 2013, n'a avancé aucun élément matériel, ni auprès de l'administration, ni au contentieux, venant attester du manque de compétitivité de l'unité de production de Château-du-Loir, en termes de prix, vis-à-vis de ses concurrents. Elle n'apporte pas davantage de justification quant à ses perspectives de vente dans les pays où elle prétend s'implanter dans le but de se rapprocher de marchés en fort développement. La société n'a pas non plus produit de chiffres illustrant l'évolution de ses dépenses de recherche et développement dans le secteur concerné, se bornant à citer des chiffres relatifs à l'ensemble du groupe.
8. D'autre part la société, qui se plaint d'insuffisances en termes de coûts de production, n'a pas expliqué en quoi la relance des dépenses de recherche-développement permettrait de remédier à ce problème de compétitivité-prix. Elle n'explique pas davantage en quoi la localisation de la production en France constituerait le facteur explicatif de la baisse des dépenses de recherche alors qu'elle parvient dans le même temps à dégager des profits destinés au rachat d'actions et au versement de dividendes, s'inscrivant depuis 2012 dans le cadre d'une politique de forte rémunération des actionnaires.
9. En troisième et dernier lieu, si la SNC Harman International allègue que les conclusions du rapport d'expertise comptable mandaté par le comité d'entreprise " sont fondées sur des affirmations et des interprétations donnant une image trompeuse de la situation effective du groupe, de la SBU Car Audio et de la société ", elle n'articule aucune contestation précise de la teneur de ce rapport, réalisé par un expert-comptable dans le cadre de la mission qui lui a été confiée sur le fondement de L. 2325-35 du code du travail.
10. La SNC Harman International ne justifie donc pas que sa décision de fermer son site de Château-du-Loir serait liée à d'autres considérations que la volonté de s'implanter dans les " pays à coût optimisé " dans le but d'augmenter les bénéfices grâce à des coûts de main-d'oeuvre et de coûts logistiques moindres. Par suite elle n'atteste pas, à défaut de convaincre de la nécessité de renforcer la compétitivité du groupe, de la réalité du motif économique invoqué à l'appui des demandes d'autorisation de licenciement.
11. Il résulte de ce qui précède que la SNC Harman International n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté ses demandes.
Sur les frais liés au litige :
12. La SNC Harman International ayant dans la présente instance la qualité de partie perdante, les conclusions qu'elle présente sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne pourront qu'être rejetées.
DECIDE :
Article 1er : La requête de la SNC Harman International est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la SNC Harman International, à la ministre du travail et à MmesD..., C..., G..., J..., I..., K..., F..., H...etA....
Délibéré après l'audience du 27 mai 2019, à laquelle siégeaient :
- M. Lenoir, président de chambre,
- M. Francfort, président-assesseur,
- Mme Gélard, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 11 juin 2019.
Le rapporteur,
J. FRANCFORT Le président,
H. LENOIR
La greffière,
E. HAUBOIS
La République mande et ordonne à la ministre du travail en ce qui la concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 18NT01056