Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. H...C...a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a implicitement rejeté le recours formé contre les décisions du 10 février 2018 des services diplomatiques français à Islamabad (Pakistan) refusant de délivrer, au titre du rapprochement familial, un visa d'entrée et de long séjour en France à Mme D...B..., qu'il présente comme son épouse et à M. J...B...et aux jeunes K...C..., I...B...C..., Ahwar Ali et L...B...C...qu'il présente comme leurs cinq enfants.
Par un jugement n° 1805931 du 18 octobre 2018, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France, enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer les visas de long séjour sollicités et rejeté les conclusions à fin d'astreinte.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 28 novembre 2018, le ministre de l'intérieur demande à la cour d'annuler les articles 1 et 2 de ce jugement et de rejeter la demande de première instance.
Il soutient que :
- les documents d'état civil sont dépourvus de valeur probante dès lors que les vérifications in situ ont démontré qu'ils étaient apocryphes et que la nouvelle série d'actes produits à l'appui du recours contentieux comporte des informations différentes ;
- la possession d'état n'est pas établie ;
- l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales n'a pas été méconnu ;
- faute d'avoir sollicité la communication des motifs de la décision de la commission, le requérant ne peut soutenir qu'elle serait insuffisamment motivée.
Par un mémoire en défense, enregistré le 14 mars 2019, M.C..., représenté par Me Chevrier, conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge de l'Etat d'une somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il fait valoir que :
- la décision consulaire a pour conséquence de rompre l'unité familiale et de porter une atteinte grave et immédiate au droit des époux et des enfants à une vie familiale ;
- dès lors que les membres de sa famille entrent dans les prévisions des dispositions du 8° de l'article L. 314-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, les refus de visa devaient être motivés ;
- le moyen tiré de ce que les actes d'état civil produits sont dénués de valeur probante n'est pas fondé ;
- l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales est méconnu ;
- la possession d'état est un argument non fondé dans la mesure où il est arrivé en France en 2014 et que son dernier enfant est né en 2011.
Vu :
- l'arrêt n° 18NT04481 du 22 mars 2019 statuant sur la demande de sursis à exécution du jugement attaqué ;
- les autres pièces du dossier.
Vu
La convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
le code civil ;
le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Bougrine a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. B...C..., ressortissant pakistanais né le 15 janvier 1971, s'est vu reconnaître la qualité de réfugié par une décision de la Cour nationale du droit d'asile du 9 mars 2016. Au titre de la réunification familiale, des visas d'entrée et de long séjour ont été sollicités pour Mme D...B..., qu'il présente comme son épouse, et pour M. J...B...et les jeunes K...C..., I...B...C..., Ahwar Ali et L...B...C...qu'il présente comme leurs cinq enfants. La commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a implicitement rejeté le recours formé contre les décisions du 10 février 2018 par lesquelles les services de l'ambassade de France à Islamabad ont opposé des refus à ces demandes de visas. Le ministre de l'intérieur relève appel du jugement du 18 octobre 2018 par lequel le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision implicite de la commission et lui a enjoint de délivrer les visas de long séjour sollicités.
Sur le motif d'annulation :
2. Aux termes de L. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa version applicable au litige : " I.-Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, le ressortissant étranger qui s'est vu reconnaître la qualité de réfugié ou qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale : / 1° Par son conjoint (...), âgé d'au moins dix-huit ans, si le mariage (...) est antérieur à la date d'introduction de sa demande d'asile ; / (...) / II - (...) / Les membres de la famille d'un réfugié (...) sollicitent, pour entrer en France, un visa d'entrée pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois auprès des autorités diplomatiques et consulaires, qui statuent sur cette demande dans les meilleurs délais. / (...) ils produisent les actes de l'état civil justifiant de leur identité et des liens familiaux avec le réfugié (...). En l'absence d'acte de l'état civil ou en cas de doute sur leur authenticité, les éléments de possession d'état définis à l'article 311-1 du code civil et les documents établis ou authentifiés par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, sur le fondement de l'article L. 721-3 du présent code, peuvent permettre de justifier de la situation de famille et de l'identité des demandeurs. Les éléments de possession d'état font foi jusqu'à preuve du contraire. Les documents établis par l'office font foi jusqu'à inscription de faux. / (...) ". Aux termes de l'article L. 111-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " (...) La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil " et aux termes de l'article 47 du code civil : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ".
3. Il résulte de ces dispositions que, d'une part, il appartient, en principe, aux autorités consulaires de délivrer à l'époux et aux enfants mineurs d'un réfugié statutaire les visas qu'ils sollicitent afin de mener une vie familiale normale. Elles peuvent toutefois opposer un refus à de telles demandes pour un motif d'ordre public, notamment en cas de fraude. D'autre part, la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties.
4. A l'appui du moyen tiré de ce que, contrairement à ce qu'ont considéré les premiers juges, les actes d'état civil produits ne sont pas de nature à établir la réalité des liens familiaux allégués, le ministre de l'intérieur se prévaut, d'une part, des résultats d'une vérification réalisée à sa demande par un cabinet d'avocats local et, d'autre part, des différences observées entre ces actes et ceux produits à l'occasion de l'instance contentieuse.
En ce qui concerne Mme D...C...:
5. La vérification mentionnée au point précédent a conclu au caractère non authentique du certificat de naissance de Mme D...F...épouse C...en raison de la falsification du registre des naissances révélée par une encre fraîche et de l'identification, dans le registre scolaire, du père de l'intéressée sous un nom différent. Toutefois, d'une part, alors qu'il ressort des attestations du représentant de la Sir Syed public girls school et du directeur du conseil municipal que diverses erreurs imputables à ces institutions ont été commises, les anomalies constatées sur les registres ne suffisent pas à faire douter de l'identité de Mme D...F.... D'autre part, la comparaison de la traduction certifiée de l'acte de mariage délivré le 13 juin 2016 et produit à l'appui de la demande de visa et de celle de l'acte de mariage délivré le 19 mars 2018 et produit devant le juge ne fait apparaître, contrairement à ce que soutient le ministre, aucune contradiction.
En ce qui concerne M. J...B... :
6. Le vérificateur mandaté par les autorités consulaires françaises a constaté que, alors pourtant que le certificat de naissance produit par J...B...porte la mention du district de Gujranwala et indique comme adresse le village de Chak Joiya, la naissance de l'intéressé n'a pas été enregistrée auprès de la section locale n° 36 de Ferozewala, Gujranwala, ce qui aurait été confirmé, lors de la vérification, par le secrétaire du bureau ainsi qu'en témoignent les mentions alors portées sur le certificat. Néanmoins, alors, au demeurant, que les mentions manuscrites qui apparaissent sur l'annexe B2 produite par le ministre sont illisibles et non traduites, l'intimé a versé aux débats la traduction, réalisée par une traductrice assermentée, de l'attestation établie le 20 mars 2018 par le directeur du conseil municipal n° 36, Ferozewala, District Gujranwala dont il ressort que des erreurs ont été commises lors de l'enregistrement de la naissance de J...B...et que de nouveaux actes d'état civil ont pu être délivrés après correction des irrégularités constatées. L'extrait d'acte de naissance délivré le 20 mars 2018, dont la valeur probante n'est pas contestée par le ministre, atteste tant de l'identité de J...B...que de son lien de filiation avec M. B...C..., la seule circonstance que les registres scolaires consultés par le vérificateur mentionnent comme date de naissance le 19 avril 2000, et non comme indiqué à tort par le vérificateur le 19 septembre 2000, alors que J...B...est né le 19 juin 2000 ne suffit pas à mettre en doute l'exactitude des mentions portées sur l'extrait d'acte de naissance.
En ce qui concerne la jeune K...B...C... :
7. Le ministre se prévaut de la discordance, observée par le vérificateur, entre la date de naissance portée sur l'acte de naissance remis aux autorités consulaires ainsi que dans le registre scolaire, à savoir le 16 septembre 2001 et celle inscrite sur le registre des naissances, à savoir le 20 octobre 2001. Toutefois, il ressort de la traduction de l'attestation du 20 mars 2018 du directeur du conseil municipal n° 36, Ferozewala, District Gujranwala, que des erreurs ont été commises lors de l'enregistrement de la naissance de K...B...C...et qu'un nouvel acte d'état civil a pu être délivré après correction des irrégularités constatées. L'extrait d'acte de naissance délivré le 20 mars 2018, dont la valeur probante n'est pas contestée par le ministre, atteste tant de l'identité de la jeune K...B...C...que de son lien de filiation avec M. B... C....
En ce qui concerne la jeune I...B... :
8. Alors que le certificat de naissance produit au soutien de la demande de visa présentée pour la jeune I...B...mentionne comme date de naissance le 29 juillet 2003 et comme date d'enregistrement le 30 juillet 2003, le vérificateur mandaté par l'administration française a été mis en possession d'un autre document d'état civil faisant état d'une naissance survenue le 29 août 2003 et enregistrée le 30 août 2003. Toutefois, le directeur du conseil municipal n° 36, Ferozewala, District Gujranwala a certifié, par une attestation, du 20 mars 2018, non contredite par le ministre, que des erreurs ont été commises lors de l'enregistrement de la naissance de I...B...C...et qu'un nouveau document d'état civil a pu être délivré après correction des irrégularités constatées. L'extrait d'acte de naissance délivré le 20 mars 2018 fait état d'une naissance de I...B...C..., fille de M. B...C..., le 29 juillet 2003, date d'ailleurs corroborée par les mentions du registre scolaire consulté par le vérificateur.
En ce qui concerne le jeuneG... :
9. Le ministre fait valoir qu'il existe entre, d'un côté, l'acte d'état civil délivré le 17 juin 2016 et produit au soutien de la demande de visa et, de l'autre côté, celui délivré le 20 mars 2018 et produit devant le juge, des contradictions quant au sexe de l'enfant, l'identité du comparant et la date d'enregistrement de l'acte. Les deux actes ne révèlent pourtant aucune ambigüité s'agissant du sexe masculin de l'intéressé. Si la traduction de l'acte du 20 mars 2018 indique, par erreur, comme date d'enregistrement le 30 juillet 2003, alors que le jeune G...est né le 13 septembre 2005 et que la date du 30 juillet 2003 correspond à la date d'enregistrement de la naissance de sa grande soeur, tel n'est pas le cas de l'original de cet acte de naissance qui est ainsi concordant avec celui du 17 juin 2016. Enfin, le ministre ne saurait sérieusement assimiler l'auteur d'une demande tendant à la délivrance d'un acte d'état civil et la personne ayant déclaré, au moment de l'enregistrement, l'événement relaté dans cet acte. Ainsi, la circonstance que l'exemplaire du document d'état civil obtenu en 2016 ait été sollicité par la mère de l'enfant tandis que celui délivré en 2018 l'ait été à la demande du père ne révèle en soi aucune fraude.
En ce qui concerne la jeune L...H...C... :
10. Ainsi qu'il vient d'être dit, la circonstance que le parent ayant sollicité la délivrance d'un exemplaire d'acte de naissance en juin 2016 ne soit pas le même que celui ayant présenté une demande tendant à la délivrance d'un nouvel exemplaire en 2018 ne prive aucunement chacun de ces documents de valeur probante.
11. Il suit de là que, sans qu'il soit besoin d'examiner la possession d'état, les documents d'état civil produits établissent l'identité des demandeurs et les liens familiaux invoqués. La décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France était ainsi entachée d'erreur d'appréciation. Ce motif justifiait son annulation.
12. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l'intérieur n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a annulé cette décision et lui a enjoint de délivrer les visas sollicités.
Sur les frais liés au litige :
13. Il y a lieu, sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge de l'Etat le versement à M. C...de la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
D É C I D E :
Article 1er : La requête du ministre de l'intérieur est rejetée.
Article 2 : L'Etat versera à M. C...la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent jugement sera notifié au ministre de l'intérieur et à M. H...C..., à Mme D...F...B...et à M. J...B....
Délibéré après l'audience du 20 mai 2019, à laquelle siégeaient :
- Mme Brisson, président,
- M.L'hirondel, premier conseiller,
- Mme Bougrine, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 7 juin 2019.
Le rapporteur,
K. BOUGRINELe président,
C. BRISSON Le greffier,
K. BOURON
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 18NT04163