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07/06/2019 | FRANCE | N°17NT01460

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 2ème chambre, 07 juin 2019, 17NT01460


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

­ le code de l'urbanisme ;

­ la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 ;

­ le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. A...'hirondel,

- les conclusions de M. Derlange, rapporteur public,

- et les observations de MeE..., pour la commune de Barneville-Carteret.

Considérant ce qui suit :

1. Par un acte de donation enregistré le 7 novembre 2009, M

. et Mme C...D...ont cédé à leur fille, Mme B...D...la nue-propriété des parcelles cadastrées section AI n°s 142 et 143, d'une ...

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

­ le code de l'urbanisme ;

­ la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 ;

­ le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. A...'hirondel,

- les conclusions de M. Derlange, rapporteur public,

- et les observations de MeE..., pour la commune de Barneville-Carteret.

Considérant ce qui suit :

1. Par un acte de donation enregistré le 7 novembre 2009, M. et Mme C...D...ont cédé à leur fille, Mme B...D...la nue-propriété des parcelles cadastrées section AI n°s 142 et 143, d'une contenance de 714 m², situées sur le territoire de la commune de Barneville-Carteret. A l'acte de donation était annexée la note de renseignements du 21 octobre 2009 établie par le maire de Barneville-Carteret précisant que ces parcelles étaient classées, dans le plan local d'urbanisme approuvé le 21 décembre 2005 en zone UCb, ce qui correspond à un secteur constructible. Le 11 février 2011, le maire de Barneville-Carteret a délivré à Mme B...D...un permis de construire un immeuble à usage d'habitation sur ce terrain. Par un arrêté du 16 mai 2011, le maire procédait toutefois au retrait de ce permis et prononçait un sursis à statuer au motif que les parcelles se situent dans un secteur soumis à un risque de submersion marine dans la cartographie établie par la Direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL) de Basse-Normandie et qu'elles se situent également dans la bande des cent mètres à l'arrière d'un ouvrage de défense contre la mer dont la fiabilité n'est pas prévue ou potentiellement soumise au déferlement des vagues lors d'une marée de référence ou en cas d'épisode de crues. Le plan de prévention des risques littoraux sur les communes de Barneville-Carteret, Saint-Jean-de-la-Rivière, Saint-Georges-de-la-Rivière, Portbail et Saint-Lô-d'Ourville a été approuvé par le préfet de la Manche par un arrêté du 22 décembre 2015, lequel classe le quartier où se trouvent les parcelles des requérants en zone inconstructible. Le 28 décembre 2015, les requérants ont introduit auprès du maire de Barneville-Carteret une demande indemnitaire préalable qui a été implicitement rejetée. Les consorts D...relèvent appel du jugement du tribunal administratif de Caen du 19 avril 2017 qui a rejeté leur demande tendant à l'indemnisation des préjudices qu'ils allèguent avoir subis résultant de l'illégalité fautive liée au classement de leurs parcelles en zone constructible dans le plan local d'urbanisme de la commune de Barneville-Carteret.

Sur l'exception de prescription quadriennale opposée par la commune de Barneville-Carteret :

2. Aux termes des dispositions de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l'Etat, les départements, les communes et les établissements publics : " Sont prescrites, au profit de l'Etat, des départements et des communes, sans préjudice des déchéances particulières édictées par la loi, et sous réserve des dispositions de la présente loi, toutes créances qui n'ont pas été payées dans un délai de quatre ans à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle les droits ont été acquis. (. .. ) ". Aux termes de l'article 2 de la même loi : " La prescription est interrompue par : / Toute demande de paiement ou toute réclamation écrite adressée par un créancier à l'autorité administrative, dès lors que la demande ou la réclamation a trait au fait générateur, à l'existence, au montant ou au paiement de la créance, alors même que l'administration saisie n'est pas celle qui aura finalement la charge du règlement (...) ". Aux termes de l'article 3 de cette loi : " La prescription ne court ni contre le créancier qui ne peut agir, soit par lui-même ou par l'intermédiaire de son représentant légal, soit pour une cause de force majeure, ni contre celui qui peut être légitimement regardé comme ignorant l'existence de sa créance ou de la créance de celui qu'il représente légalement. ". Il résulte de la combinaison de ces dispositions que la connaissance par la victime de l'existence d'un dommage ne suffit pas à faire courir le délai de la prescription quadriennale. Le point de départ de cette dernière est la date à laquelle la victime est en mesure de connaître l'origine de ce dommage ou du moins de disposer d'indications suffisantes selon lesquelles ce dommage pourrait être imputable au fait de l'administration.

3. La prescription quadriennale n'a pu courir à l'égard des consortsD..., qui demandent la réparation des dommages résultant de l'illégalité fautive du classement de leurs parcelles en zone constructible dans le plan local d'urbanisme adopté le 21 décembre 2005, qu'à compter du début de l'exercice qui a suivi celui au cours duquel l'origine de ces dommages leur a été révélée de manière suffisamment nette. Le caractère inconstructible de ces parcelles leur a été révélé à la date de notification de l'arrêté du maire de Barneville-Carteret du 16 mai 2011 procédant au retrait du permis de construire. La demande indemnitaire ayant été effectuée par un courrier du 28 décembre 2015, notifié le lendemain, l'exception de prescription quadriennale opposée par la commune de Barneville-Carteret doit, dès lors, être écartée.

Sur la responsabilité de la commune de Barneville-Carteret :

4. Les requérants font valoir que la commune a commis une faute de nature à engager sa responsabilité en classant dans le plan local d'urbanisme communal approuvé le 21 décembre 2005 leur parcelle en zone constructible.

5. Aux termes de l'article R. 111-2 du code de l'urbanisme dans sa rédaction applicable à la date d'adoption du plan d'occupation des sols : " Le projet peut être refusé ou n'être accepté que sous réserve de l'observation de prescriptions spéciales s'il est de nature à porter atteinte à la salubrité ou à la sécurité publique du fait de sa situation, de ses caractéristiques, de son importance ou de son implantation à proximité d'autres installations. ".

6. Il résulte de l'instruction que les parcelles cadastrées section AI n°s 142 et 143, propriété des requérants, se situent à Barneville Plage, rue Lequindre, dans une zone urbanisée à une cinquantaine de mètres de la digue qui borde le havre de Barneville-Carteret. Selon les documents produits par les requérants, le secteur du Havre de Carteret, dans lequel se situent ces parcelles, ont connu entre 1765 et 2005, six évènements identifiés (1866, 1885, 1890, 1962, 1974 et 1975). En particulier, lors de l'évènement recensé le 9 février 1974, il a été constaté des submersions marines qui ont provoqué une brèche de trente mètres dans la digue entraînant une inondation de quarante hectares de zones résidentielles comprenant 178 maisons, ce qui a nécessité de procéder à l'hébergement de 52 personnes, ainsi que des dégâts sur le musoir de la jetée. Les coupures de presse jointes au dossier font état de la particulière vétusté de la digue du havre de Barneville-Carteret qui a été édifiée en 1862 et de son défaut d'entretien suffisant. Eu égard à ces précédents, la commune de Barneville-Carteret ne peut être regardée comme ayant ignoré le risque de submersion marine affectant en particulier le secteur dans lequel se situent les parcelles des requérants alors que la digue ne présentait pas les garanties nécessaires pour assurer la sécurité des personnes et des biens. Il ne résulte pas de l'instruction que, malgré ces risques d'inondation, des autorisations d'urbanisme auraient pu être délivrées sous réserve d'observer des prescriptions particulières dès lors que ces terrains ont été classés dans le plan de prévention des risques littoraux applicable sur la commune approuvé par le préfet de la Manche le 22 décembre 2015 en zone inconstructible. Dans ces conditions, en classant les parcelles dont il s'agit en zone constructible, le plan local d'urbanisme est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation. Cette illégalité constitue une faute de nature à engager la responsabilité de la commune à l'égard des consortsD..., sans que la commune ne puisse utilement opposer la circonstance, qui est sans lien avec la faute retenue, que Mme B...D...n'a pas contesté la légalité de l'arrêté du maire de Barneville-Carteret du 16 mai 2011 procédant au retrait du permis de construire qui lui avait été délivré.

Sur la faute de la victime :

7. La circonstance que le notaire ait informé les requérants du caractère inondable de leurs parcelles n'est pas de nature à établir que les consorts D...aurait commis une faute d'imprudence, laquelle n'est au demeurant pas caractérisée par la commune.

Sur les préjudices :

8. La responsabilité d'une personne publique n'est susceptible d'être engagée que s'il existe un lien de causalité suffisamment direct entre les fautes qu'elle a commises et le préjudice subi par la victime.

9. En premier lieu, il résulte de l'acte de donation que M. et Mme C...D...ont consenti à donner à leur fille B...la nue-propriété des parcelles cadastrées section AI n°s 142 et 143 au titre d'un avancement de part successorale en se gardant l'usufruit, et on fait, en particulier, interdiction au donataire d'aliéner ou d'hypothéquer le bien et en lui précisant qu'il n'en aura la jouissance qu'au jour du décès des donateurs. Par suite, et contrairement à ce que soutiennent les requérants, cette donation n'a pas été effectuée dans l'intention de permettre à Mme B...D...de pouvoir y édifier une maison. Par ailleurs, à cet acte est annexée la note de renseignements du 21 octobre 2009 établie par le maire de Barneville-Carteret qui mentionne que le terrain est situé en zone inondable et dont la lecture a été faite aux intéressés par le notaire, le jour de la donation, le donataire reconnaissant en avoir pris connaissance. En outre, compte tenu du caractère inondable des parcelles, le notaire s'est procuré l'atlas régional des zones inondables établi par la Direction régionale de l'environnement (DIREN) de Basse-Normandie ainsi que la fiche de synthèse des données répertoriées par ce même service et qui confirment que la commune de Barneville-Carteret est concernée par une zone inondable. Mme B... D...a indiqué prendre acte de cette situation et a déchargé le donateur de toute responsabilité à cet égard. Par suite, compte tenu de la portée de cette donation et de la parfaite connaissance des risques d'inondation des intéressés, les frais de donation, dont les requérants demandent le remboursement, ne présentent pas de lien de causalité suffisamment direct avec la faute retenue à l'encontre de la commune de Barneville-Carteret. Pour le même motif, le préjudice moral allégué par Mme B...D...tiré de ce qu'elle ne pourrait jouir de son bien comme elle le souhaiterait, notamment pour y édifier une maison, ne peut être qu'écarté.

10. En second lieu, il résulte de l'instruction, notamment des avis de taxes foncières sur les propriétés non bâties produits par requérants, que M. et Mme C...D...ont été assujettis, entre 2016 et 2012 pour la partie du terrain non bâti, à cette taxe, laquelle prenait en compte la possibilité de construire, à la somme totale de 624 euros et Mme B...D..., pour les années 2013 et 2014, à la somme totale de 212 euros. Selon le courrier du service des impôts des particuliers du centre des finances publiques de Valognes du 25 janvier 2016, cette partie du terrain a été assujettie depuis 2015, du fait de son inconstructibilité, à la même taxe pour la somme de 8 euros. Le surplus d'imposition auquel les requérants ont été assujettis présente ainsi un lien de causalité direct et certain avec le classement illégal de leur terrain en zone constructible. Par suite, il y a lieu de les indemniser de la différence entre les sommes qu'ils ont réglées et celles qu'ils auraient dû payer si leur terrain avait été classé en zone inconstructible, soit 568 euros pour M. et Mme C...D...et 196 euros pour Mme B...D.... En revanche, s'agissant de la partie bâtie, ils ne sauraient prétendre au remboursement de la différence concernant la taxe foncière sur les propriétés bâties, ce préjudice étant sans lien direct avec la faute retenue à l'encontre de la commune.

11. Les consorts D...ont droit aux intérêts au taux légal correspondant aux indemnités en capital prévues au point précédent à compter du 29 décembre 2015, date de réception de leur demande d'indemnisation préalable par la commune de Barneville-Carteret.

12. Il résulte de tout ce qui précède que les consorts D...sont fondés à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif a rejeté leur demande et à demander la condamnation de la commune de Barneville-Carteret à verser respectivement à M. et Mme C...D...et à Mme B...D...les sommes de 568 euros et de 196 euros assorties des intérêts au taux légal à compter du 29 décembre 2015.

Sur frais liés au litige :

13. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative et de mettre à la charge de la commune de Barneville-Carteret la somme que les consorts D...demandent au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens. Les dispositions du même article font par ailleurs obstacle à ce que la somme demandée à ce titre par la commune de Barneville-Carteret soit mise à la charge des consortsD..., qui n'ont pas la qualité de partie perdante.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Caen du 19 avril 2017 est annulé.

Article 2 : La commune de Barneville-Carteret est condamnée à verser à M. et Mme C...D...la somme de 568 euros et à Mme B...D..., la somme de 196 euros. Ces sommes porteront intérêts au taux légal à compter du 29 décembre 2015, date de réception de la demande préalable des consorts D...par la commune de Barneville-Carteret.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête des consorts D...est rejeté.

Article 4 : Les conclusions présentées par la commune de Barneville-Carteret au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. et Mme C...D..., à Mme B...D...et à la commune de Barneville-Carteret.

Délibéré après l'audience du 20 mai 2019, à laquelle siégeaient :

- M. Pérez, président,

- Mme Brisson, président-assesseur,

- M. A...'hirondel, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 7 juin 2019.

Le rapporteur,

M. F...Le président,

A. PEREZ

Le greffier,

K. BOURON

La République mande et ordonne au ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N°17NT01460


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 17NT01460
Date de la décision : 07/06/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. PEREZ
Rapporteur ?: M. Michel LHIRONDEL
Rapporteur public ?: M. DERLANGE
Avocat(s) : SAVEREUX

Origine de la décision
Date de l'import : 18/06/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2019-06-07;17nt01460 ?
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