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24/05/2019 | FRANCE | N°19NT00514

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 3ème chambre, 24 mai 2019, 19NT00514


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. F...B...et Mme G...B...ont demandé au tribunal administratif de Rennes de condamner le département d'Ille-et-Vilaine à leur verser une indemnité provisionnelle de 59 885,94 euros en réparation des préjudices qu'ils estiment avoir subis du fait de la construction et de la mise en service de la déviation de la route départementale 62 sur le territoire de la commune de Talensac.

Par une ordonnance n° 1800914 du 21 janvier 2019, le président du tribunal administratif de Rennes a condamné le dépar

tement d'Ille-et-Vilaine à verser à M. et Mme B...la somme de 51 671 euros au ti...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. F...B...et Mme G...B...ont demandé au tribunal administratif de Rennes de condamner le département d'Ille-et-Vilaine à leur verser une indemnité provisionnelle de 59 885,94 euros en réparation des préjudices qu'ils estiment avoir subis du fait de la construction et de la mise en service de la déviation de la route départementale 62 sur le territoire de la commune de Talensac.

Par une ordonnance n° 1800914 du 21 janvier 2019, le président du tribunal administratif de Rennes a condamné le département d'Ille-et-Vilaine à verser à M. et Mme B...la somme de 51 671 euros au titre de leurs préjudices et la somme de 6 215,94 euros au titre des frais d'expertise.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés les 4 février et 10 avril 2019 le département d'Ille-et-Vilaine, représenté par MeD..., demande à la cour :

1°) d'annuler cette ordonnance du président du tribunal administratif de Rennes du 21 janvier 2019 ;

2°) de rejeter la demande présentée par M. et Mme B...devant le juge des référés du tribunal administratif de Rennes ;

3°) de mettre à la charge de M. et Mme B...la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- contrairement à ce qu'a jugé le président du tribunal administratif de Rennes, M. et Mme B...n'établissent pas l'existence d'une obligation de réparation non sérieusement contestable, dès lors que le juge judiciaire s'est déjà prononcé sur l'absence de dépréciation de leur maison et que la présence de l'ouvrage public n'a pas entraîné une diminution de la valeur vénale de leur propriété mais une plus-value ;

- en l'absence d'un projet de vente, la perte de valeur vénale de la propriété de M. et Mme B...ne présente pas un caractère certain ;

- les bases de calcul retenues par le juge des référés pour évaluer la provision devant être allouée à M. et Mme B...ne sont pas justifiées ;

- l'indemnité de 5 000 euros accordée pour végétaliser le merlon anti-bruit n'est pas justifiée ;

- le juge des référés a porté à 10 000 euros sans aucune justification l'indemnisation de 5 000 euros proposée par l'expert au titre des nuisances visuelles ;

- une indemnité de dépréciation du poulailler a déjà été accordée par le juge judiciaire ;

- la clôture de protection installée dans le cadre des travaux routiers est suffisante.

Par un mémoire en défense enregistré le 21 février 2019 M. et Mme B..., représentés par MeA..., concluent au rejet de la requête et demandent à la cour de mettre à la charge du département d'Ille-et-Vilaine la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils font valoir que les moyens soulevés par le département d'Ille-et-Vilaine ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'expropriation pour cause d'utilité publique ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Berthon,

- les conclusions de M. Gauthier, rapporteur public,

- les observations de MeC..., représentant le département d'Ille-et-Vilaine, et de Me A..., représentant M. et MmeB....

Une note en délibéré présentée pour M. et Mme B...a été enregistrée le 13 mai 2019.

Considérant ce qui suit :

1. M. et Mme B...possédaient un ensemble immobilier situé sur le territoire de la commune de Talensac (Ille-et-Vilaine) d'une surface totale d'environ 3 hectares, comprenant notamment une maison d'habitation, deux bâtiments agricoles désaffectés et un hangar. Dans le cadre de la construction d'une voie de contournement de Talensac, déclarée d'utilité publique par un arrêté du 16 avril 2010 du préfet d'Ille-et-Vilaine, une partie de cette propriété a été expropriée. La partie non expropriée a en outre été séparée par le nouvel axe routier en deux ensembles distincts. Par un jugement du 7 novembre 2014, le juge de l'expropriation a alloué à M. et Mme B...une indemnité de 210 413,37 euros, ramenée à 165 847,24 euros par un arrêt du 19 février 2016 de la cour d'appel de Rennes. Le 18 octobre 2016, M. et Mme B...ont obtenu du juge des référés du tribunal administratif de Rennes la désignation d'un expert pour estimer le montant de leurs dommages, indépendamment des conséquences de l'expropriation, en raison des nuisances causées par la présence de la nouvelle route à proximité de leur maison. L'expert a rendu son rapport le 17 octobre 2017. Le 27 février 2018, M. et Mme B...ont saisi le juge des référés du tribunal administratif de Rennes d'une demande d'indemnité provisionnelle. Par une ordonnance du 21 janvier 2019, le président du tribunal administratif de Rennes leur a accordée une provision de 51 670 euros et le remboursement des frais de l'expertise. Le département d'Ille-et-Vilaine relève appel de cette ordonnance.

Sur l'existence d'une obligation non sérieusement contestable pour dommages de travaux publics :

2. Aux termes de l'article R. 541-1 du code de justice administrative : " Le juge des référés peut, même en l'absence d'une demande au fond, accorder une provision au créancier qui l'a saisi lorsque l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable. (...) ". Il résulte de ces dispositions que, pour regarder une obligation comme non sérieusement contestable, il appartient au juge des référés de s'assurer que les éléments qui lui sont soumis par les parties sont de nature à en établir l'existence avec un degré suffisant de certitude. Dans ce cas, le montant de la provision que peut allouer le juge des référés n'a d'autre limite que celle résultant du caractère non sérieusement contestable de l'obligation dont les parties font état. Dans l'hypothèse où l'évaluation du montant de la provision résultant de cette obligation est incertaine, le juge des référés ne doit allouer de provision, le cas échéant assortie d'une garantie, que pour la fraction de ce montant qui lui parait revêtir un caractère de certitude suffisant.

3. La mise en jeu de la responsabilité sans faute d'une collectivité publique pour dommages de travaux publics à l'égard d'un tiers est subordonnée à la démonstration par celui-ci de l'existence d'un dommage anormal et spécial directement en lien avec cet ouvrage.

4. Il résulte de l'instruction que le juge de l'expropriation n'a statué que sur les demandes relatives à la perte des terrains se trouvant dans l'emprise des travaux et cédés pour cause d'utilité publique à la collectivité, et à la dépréciation de la propriété consécutive à son morcellement. Ainsi, la chose jugée par les décisions judiciaires citées au point 1 n'est pas opposable aux conclusions de M. et Mme B...présentées devant le juge administratif, qui se rapportent à la perte de valeur vénale de leur maison d'habitation en raison de l'existence et du fonctionnement d'un ouvrage public. Or, en l'état de l'instruction, la diminution de la valeur vénale de la maison de M. et Mme B...en raison de la proximité de l'axe routier en litige, qui supporte un trafic important de véhicules, dont environ 500 poids-lourds chaque jour, est certaine, sans qu'ait d'incidence à cet égard la circonstance que cette maison n'ait fait l'objet d'aucun projet de vente.

5. Il est également établi par l'instruction avec un degré suffisant de certitude que l'ouvrage public litigieux est à l'origine d'une nuisance visuelle résultant de la présence d'un mur et d'un remblai à la place d'une vue sur un paysage bocager et que la clôture installée par le département d'Ille-et-Vilaine aux abords de la nouvelle route pour empêcher l'intrusion d'animaux constitue, en raison du caractère peu pratique et peu fiable des ouvertures qui y ont été aménagées pour les piétons, une difficulté pour les déplacements de M. et Mme B...entre les deux parties désormais séparées de leur propriété.

6. En revanche, ainsi que le soutient le département, les travaux de raccordement électrique du bâtiment agricole conservé par M. et Mme B...ont été rendus nécessaires par le morcellement de leur propriété issu de l'opération d'expropriation, qui n'a pas permis de maintenir l'alimentation électrique de ce bâtiment depuis la maison d'habitation. Il n'appartient donc pas au juge administratif de statuer sur cette partie du litige.

7. Les nuisances décrites aux points 4 et 5 sont propres aux époux B...et excèdent, en raison de leur ampleur, les sujétions susceptibles d'être imposées, dans l'intérêt général, aux riverains des ouvrages publics. Elles présentent donc un caractère anormal et spécial. Par suite, en l'état de l'instruction, la réparation due par le département d'Ille-et-Vilaine à M. et Mme B...apparaît non sérieusement contestable.

Sur le montant de l'indemnité provisionnelle :

8. Il résulte de l'instruction que l'estimation de la valeur vénale de la maison d'habitation de M. et Mme B...à 250 000 euros, sur la base du rapport d'un expert foncier selon lequel ce montant est un montant maximum, ne peut être retenue en l'absence d'autre précision ou autre terme de comparaison, contrairement à ce qu'a jugé le juge des référés du tribunal administratif de Rennes. L'estimation de France Domaine à 200 000 euros est, en l'état de l'instruction, plus appropriée. Le taux de dépréciation de 15% proposé par l'expert judiciaire peut être retenu comme un taux minimum. M. et Mme B...peuvent donc prétendre à une indemnité provisionnelle de 30 000 euros à ce titre.

9. L'expert judiciaire a retenu la nécessité de végétaliser la partie du remblai se trouvant sur la propriété de M. et Mme B...pour atténuer la nuisance visuelle causée par l'ouvrage public. Il estime le coût de ces travaux paysagers à 5 000 euros et la nuisance visuelle résiduelle après ces travaux à la même somme. Toutefois, M. et Mme B...ne produisent aucun élément de nature à justifier la somme de 5 000 euros retenue par l'expert pour les travaux paysagers. En l'état de l'instruction, il y a donc lieu de limiter la provision allouée au titre de ce chef de préjudice à 5 000 euros, correspondant au préjudice visuel résiduel que devront certainement supporter M. et Mme B...après l'aménagement paysager du remblai.

10. M. et Mme B...justifient enfin, par la production d'un devis, que les travaux d'aménagement de la clôture installée sur leur propriété par le département d'Ille-et-Vilaine peuvent être exécutés pour un coût de 1 110,70 euros. Cette somme pourra donc leur être allouée à titre de provision.

11. Il résulte de ce qui précède que l'indemnité provisionnelle de 51 670 euros que le président du tribunal administratif de Rennes a allouée à M. et Mme B...doit être ramenée à 36 110,70 euros et que le département d'Ille-et-Vilaine est fondé à demander la réformation de l'ordonnance attaquée dans cette mesure.

Sur les frais de l'instance :

12. Il y a lieu de confirmer le jugement attaqué en ce qu'il a mis les frais de l'expertise à la charge du département d'Ille-et-Vilaine.

13. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de rejeter les demandes présentées par le département d'Ille-et-Vilaine et par M. et Mme B... sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : L'indemnité provisionnelle allouée par le président du tribunal administratif de Rennes à M. et Mme B...est ramenée à la somme de 36 110,70 euros.

Article 2 : L'ordonnance n° 1800914 du 21 janvier 2019 du président du tribunal administratif de Rennes est réformée en ce qu'elle a de contraire au présent arrêt.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête et les conclusions présentées par M. et Mme B... sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetés.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au département d'Ille-et-Vilaine et à M. F...et Mme G... B....

Délibéré après l'audience du 9 mai 2019, à laquelle siégeaient :

- Mme Perrot, président de chambre

- M. Coiffet, président-assesseur

- M. Berthon, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 24 mai 2019.

Le rapporteur,

E. BerthonLe président,

I. Perrot

Le greffier,

M. E...

La République mande et ordonne au ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 19NT00514


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 19NT00514
Date de la décision : 24/05/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Autres

Composition du Tribunal
Président : Mme PERROT
Rapporteur ?: M. Eric BERTHON
Rapporteur public ?: M. GAUTHIER
Avocat(s) : CABINET LEXCAP RENNES

Origine de la décision
Date de l'import : 04/06/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2019-05-24;19nt00514 ?
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