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24/05/2019 | FRANCE | N°17NT02052

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 3ème chambre, 24 mai 2019, 17NT02052


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

L'office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) a demandé au tribunal administratif de Caen de condamner solidairement le centre hospitalier de Lisieux et son assureur, la société hospitalière d'assurances mutuelles, à lui rembourser la somme de 135 045,95 euros qu'il a versée à M. A... à raison du préjudice que ce dernier a subi suite à une intervention chirurgicale réalisée dans cet établissement le 8 octobre 2004, et à lui

verser la somme de 20 256,89 euros au titre de l'article L. 1142-15 du code d...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

L'office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) a demandé au tribunal administratif de Caen de condamner solidairement le centre hospitalier de Lisieux et son assureur, la société hospitalière d'assurances mutuelles, à lui rembourser la somme de 135 045,95 euros qu'il a versée à M. A... à raison du préjudice que ce dernier a subi suite à une intervention chirurgicale réalisée dans cet établissement le 8 octobre 2004, et à lui verser la somme de 20 256,89 euros au titre de l'article L. 1142-15 du code de la santé publique.

Par un jugement n° 1601488 du 11 mai 2017, le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés les 6 juillet 2017 et 14 novembre 2018, l'office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales, représenté par Me de la Grange, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Caen du 11 mai 2017 ;

2°) de condamner le centre hospitalier de Lisieux à lui verser les sommes de 135 045,95 euros, représentant l'indemnité versée à M.A..., 1 050 euros en remboursement des frais d'expertise exposés devant la commission régionale de conciliation et d'indemnisation et 20 256,89 euros au titre de la pénalité prévue à l'article L. 1142-15 du code de la santé publique, ces sommes étant assorties des intérêts au taux légal à compter de la réception de la demande préalable d'indemnisation ;

3°) de mettre à la charge du centre hospitalier de Lisieux une somme de 3 000 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le centre hospitalier de Lisieux a commis une faute en préconisant une intervention chirurgicale qui n'était pas justifiée compte tenu de la nature des symptômes et de l'absence de traitement médicamenteux préalable, et sans tenir compte du handicap visuel gauche de M. A... ; les deux rapports d'expertise ont relevé le caractère inapproprié de cette indication ;

- il bénéficie après avoir indemnisé la victime d'un recours subrogatoire prévu par l'article L. 1142-15 du code de la santé publique et il est fondé, au même titre que la victime, à invoquer le défaut d'information ;

- il est établi que M. A...n'a reçu aucune information sur les risques liés à l'intervention chirurgicale ni sur les alternatives thérapeutiques existantes ; si le risque qui s'est réalisé n'était pas connu, il était néanmoins nécessaire d'alerter le patient sur le fait qu'aucun geste chirurgical n'est sans risque, notamment dans la mesure où il était déjà atteint d'un handicap visuel à gauche ;

- il a droit au remboursement de la somme de 135 045,95 euros, versée sur la base d'une offre transactionnelle établie à partir du barème habituellement utilisé ;

- il a droit au remboursement de la totalité des frais des expertises effectuées dans le cadre de la procédure devant la commission régionale de conciliation et d'indemnisation ;

- le refus du centre hospitalier de Lisieux d'indemniser la victime était abusif au vu de l'avis rendu par la commission régionale de conciliation et d'indemnisation, ce qui justifie que l'établissement soit condamné à lui verser 15 % de l'indemnité allouée à titre de pénalité.

Par un mémoire enregistré le 19 octobre 2018, le centre hospitalier de Lisieux et la société hospitalière d'assurances mutuelles, représentés par MeB..., concluent au rejet de la requête.

Ils soutiennent que les moyens présentés par l'ONIAM ne sont pas fondés.

La requête a été communiquée le 13 juillet 2017 à la caisse primaire d'assurance maladie du Calvados qui n'a pas présenté d'observations en défense.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Le Bris,

- les conclusions de M. Gauthier, rapporteur public.

1. M.A..., né en 1964, était suivi depuis 1998 au centre hospitalier de Lisieux pour une polypose naso-sinusienne traitée par antihistaminique et corticothérapie locale. Le 13 septembre 2004 il a fait état de l'existence d'une obstruction nasale, ce qui a conduit son médecin à lui proposer une intervention sur les cornets inférieurs du nez par radiofréquence. Cette intervention a été pratiquée le 8 octobre 2004 au centre hospitalier de Lisieux sous anesthésie générale et il a été constaté le jour même l'apparition d'une ophtalmoplégie complète de l'oeil droit, associée à une cécité. Le tribunal administratif de Caen a ordonné à la demande de M. A... une expertise confiée à un ophtalmologiste associé à un sapiteur ORL. Le rapport, déposé le 31 août 2005, conclut que le dommage relève d'un aléa thérapeutique et que le centre hospitalier de Lisieux n'a pas commis de faute. M. A...a alors saisi la commission régionale de conciliation et d'indemnisation de Basse-Normandie, qui a ordonné une nouvelle expertise également confiée à un ophtalmologiste associé à un sapiteur ORL. Le rapport, déposé le 31 août 2005, conclut que le dommage est le résultat d'un aléa thérapeutique mais que le centre hospitalier de Lisieux a commis deux fautes engageant sa responsabilité en préconisant un traitement inadéquat et en ne délivrant pas une information correcte au patient. Au vu de ce rapport, la commission régionale de conciliation et d'indemnisation a rendu le 31 juillet 2008 un avis en faveur de l'indemnisation de M. A...par le centre hospitalier. Toutefois, l'assureur du centre hospitalier de Lisieux a refusé de suivre cet avis et de faire une proposition d'indemnisation à l'intéressé. L'office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) s'est alors substitué à lui et a conclu un protocole d'indemnisation amiable avec M. A...le 14 mai 2011 pour un montant total de 135 045,95 euros. Après avoir adressé le 18 juin 2013 une réclamation préalable au centre hospitalier de Lisieux, l'ONIAM a demandé au tribunal administratif de Caen de condamner celui-ci à lui rembourser la somme de 135 045,95 euros et à lui verser une pénalité d'un montant de 15% de cette somme, soit 20 256,89 euros ainsi que la somme de 1 050 euros en remboursement des frais d'expertise. Il relève appel du jugement du 11 mai 2017 par lequel le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande.

Sur la responsabilité du centre hospitalier de Lisieux :

2. L'article L. 1142-1 du code de la santé publique prévoit que les conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins sont réparées par le professionnel ou l'établissement de santé dont la responsabilité est engagée. Les articles L. 1142-4 à L. 1142-8 et R. 1142-13 à R. 1142-18 de ce code organisent une procédure de règlement amiable confiée aux commissions régionales de conciliation et d'indemnisation (CRCI). En vertu des dispositions de l'article L. 1142-14 du même code, si la CRCI, saisie par la victime ou ses ayants droit, estime que la responsabilité du professionnel ou de l'établissement de santé est engagée, l'assureur qui garantit la responsabilité civile de celui-ci adresse aux intéressés une offre d'indemnisation. Aux termes de l'article L. 1142-15 du même code : " En cas de silence ou de refus explicite de la part de l'assureur de faire une offre (...), l'office institué à l'article L. 1142-22 est substitué à l'assureur. / (...) / L'acceptation de l'offre de l'office vaut transaction au sens de l'article 2044 du code civil. (...) / L'office est subrogé, à concurrence des sommes versées, dans les droits de la victime contre la personne responsable du dommage ou, le cas échéant, son assureur ou le fonds institué à l'article L. 426-1 du même code. Il peut en outre obtenir remboursement des frais d'expertise. / (...) / Lorsque l'office transige avec la victime, ou ses ayants droit, en application du présent article, cette transaction est opposable à l'assureur ou, le cas échéant, au responsable des dommages sauf le droit pour ceux-ci de contester devant le juge le principe de la responsabilité ou le montant des sommes réclamées. Quelle que soit la décision du juge, le montant des indemnités allouées à la victime lui reste acquis ". En application de ces dispositions, il incombe au juge, saisi d'une action de l'ONIAM subrogé, à l'issue d'une transaction, dans les droits d'une victime à concurrence des sommes qu'il lui a versées, de déterminer si la responsabilité du professionnel ou de l'établissement de santé est engagée et, dans l'affirmative, d'évaluer les préjudices subis afin de fixer le montant des indemnités dues à l'office.

En ce qui concerne les conditions de prise en charge de M. A...

3. Aux termes du I de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute. ".

4. Il résulte de l'instruction, et notamment des deux rapports d'expertise qui sont concordants sur ce point, que la complication dont a été victime M.A..., qui n'avait jamais été décrite dans la littérature médicale, constitue un aléa thérapeutique. Le sapiteur intervenu dans la seconde expertise s'est toutefois interrogé sur le choix de pratiquer l'intervention sous anesthésie générale, en relevant que si cette technique n'est pas contre-indiquée, une anesthésie locale " mais seulement de façon hypothétique, aurait peut être permis de stopper " à temps " le geste devant l'apparition de douleurs ou de signes anormaux ". Les premiers experts ont, quant à eux, indiqué que les deux options étaient possibles et pratiquées, mais que la réalisation de l'intervention sous anesthésie locale est parfois douloureuse et entraine souvent une cautérisation moins efficace. Dans ces conditions, et alors que le praticien n'avait aucune raison de prendre des précautions particulières pour anticiper la survenance de la complication à l'origine du préjudice de M.A..., le choix qu'il a fait d'intervenir sous anesthésie générale ne saurait être regardé comme fautif.

5. En second lieu, les premiers experts ont estimé que, dès lors que M. A...se plaignait, en dépit de son traitement par antihistaminique et coticothérapie locale, de la persistance d'une rhinorrhée matinale et d'une gène respiratoire, l'indication thérapeutique proposée par le praticien était pertinente dans le but d'améliorer sa qualité de vie, en dépit du caractère modéré de l'obstruction nasale. Les seconds experts, toutefois, estiment que, compte tenu du handicap visuel dont était déjà atteint M. A...à l'oeil gauche, il aurait été préférable d'essayer en premier lieu un traitement médical renforcé et de n'envisager une intervention par radiofréquence qu'en dernier recours. Toutefois, il est constant que la complication dont a été victime M. A...n'avait jamais été rapportée dans la littérature médicale et il ne résulte pas de l'instruction que des risques de nature ophtalmologique étaient associés à l'intervention réalisée. Par suite, il ne saurait être reproché au centre hospitalier de ne pas avoir tenu compte du handicap visuel du patient en lui proposant une intervention qui est, selon les termes employés dans le second rapport d'expertise, " considérée dans la littérature comme sûre et non génératrice de complications majeurs ". L'ONIAM n'est dès lors pas fondé à soutenir que le centre hospitalier a commis une faute en retenant, dans le cas particulier de M.A..., cette indication thérapeutique.

En ce qui concerne le manquement au devoir d'information

6. Aux termes de l'article L. 1111-2 du code de la santé publique : " Toute personne a le droit d'être informée sur son état de santé. Cette information porte sur les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu'ils comportent ainsi que sur les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus. (...) Cette information incombe à tout professionnel de santé dans le cadre de ses compétences et dans le respect des règles professionnelles qui lui sont applicables. Seules l'urgence ou l'impossibilité d'informer peuvent l'en dispenser. Cette information est délivrée au cours d'un entretien individuel. (...) En cas de litige, il appartient au professionnel ou à l'établissement de santé d'apporter la preuve que l'information a été délivrée à l'intéressé dans les conditions prévues au présent article. Cette preuve peut être apportée par tout moyen. ".

7. Il ne résulte pas de l'instruction que le centre hospitalier de Lisieux aurait fourni à M. A... une information spécifique sur les risques liés à l'intervention par radiofréquence sur les cornets inférieurs du nez. Toutefois, il est constant que le centre hospitalier de Lisieux ne pouvait pas l'informer du risque qui s'est réalisé puisque celui-ci n'était pas connu. En outre, il ressort des rapports d'expertise qu'aucun risque grave ou fréquent, entrant ainsi dans le champ de l'obligation d'information prévue par les dispositions citées au point précédent de l'article L. 1111-2 du code de la santé publique, n'était associé à cette intervention. Ainsi, et quand bien même les seconds experts ont estimé que le chirurgien aurait dû attirer l'attention de M. A...sur la possibilité de complication locale ou loco-régionale, sans toutefois les définir précisément, et sur le fait qu'aucun geste chirurgical endonasal ne peut être considéré comme sans risque, il ne résulte pas de l'instruction que le centre hospitalier de Lisieux aurait manqué à son devoir d'information tel qu'il est défini par la législation en vigueur.

8. Il résulte de ce qui précède que l'ONIAM n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande.

Sur les frais de l'instance :

9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge du centre hospitalier de Lisieux, qui n'est pas, dans la présente instance, partie perdante, le versement à l'ONIAM de la somme qu'il demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de l'ONIAM est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à l'office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales, à la caisse primaire d'assurance maladie du Calvados, au centre hospitalier de Lisieux et à la société hospitalière d'assurances mutuelles.

Délibéré après l'audience du 9 mai 2019, à laquelle siégeaient :

- M. Coiffet, président,

- M. Berthon, premier conseiller,

- Mme Le Bris, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 24 mai 2019.

Le rapporteur

I. Le BrisLe président

O. Coiffet

Le greffier

M. C...

La République mande et ordonne au ministre des solidarités et de la santé en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N°17NT02052


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 17NT02052
Date de la décision : 24/05/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. COIFFET
Rapporteur ?: Mme Isabelle LE BRIS
Rapporteur public ?: M. GAUTHIER
Avocat(s) : LE PRADO

Origine de la décision
Date de l'import : 04/06/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2019-05-24;17nt02052 ?
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