Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B...D...et Mme C...E...épouse D...ont demandé au tribunal administratif de Nantes, d'une part, d'annuler la décision implicite par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision de l'ambassade de France en République du Congo refusant la délivrance d'un visa de long séjour à M. D... en qualité de conjoint étranger de ressortissant français et, d'autre part, d'annuler la décision du 27 septembre 2018 par laquelle le ministre de l'intérieur a refusé de lui délivrer un visa d'entrée en France.
Par un jugement nos 1802461-1809584 du 12 décembre 2018, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France et la décision du ministre de l'intérieur du 27 septembre 2018 et a enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer à M. D...le visa de long séjour demandé, dans un délai d'un mois à compter de la notification du jugement.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 10 janvier 2019, le ministre de l'intérieur demande à la cour d'ordonner le sursis à exécution de ce jugement en application des dispositions de l'article R. 811-15 du code de justice administrative.
Le ministre soutient que :
- le tribunal administratif a commis une erreur d'appréciation en jugeant qu'en sa qualité de militaire haut gradé et compte tenu du niveau d'exercice de ses responsabilités, M. D... aurait pu ignorer les divers crimes commis alors qu'il exerçait ses fonctions au sein des forces armées congolaises ;
- sa seule appartenance aux forces armées congolaises, qui se sont rendues coupables de crimes contre l'humanité, constitue un motif d'ordre public permettant de lui refuser la délivrance du visa sollicité.
Par un mémoire en défense, enregistré le 1er février 2019, M. et MmeD..., représentés par MeA..., concluent au rejet de la requête, à ce que l'injonction de délivrance du visa soit assortie d'une astreinte de 2 000 euros par jour de retard et à ce qu'il soit mis à la charge de l'Etat le versement à son conseil de la somme de 2 000 euros au titre des articles L.761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle fait valoir que la demande de sursis à exécution est irrecevable et qu'elle n'est pas fondée.
Mme D...a obtenu le maintien de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 6 février 2019.
Vu :
- le jugement dont est sollicité le sursis à l'exécution ;
- la requête n° 18NT04610, enregistrée au greffe de la cour le 28 décembre 2018, par laquelle le ministre de l'intérieur a demandé l'annulation du même jugement ;
- les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991 modifié ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Dussuet, président-rapporteur ;
- et les observations de MeA..., représentant M. et MmeD....
Considérant ce qui suit :
1. M.D..., ressortissant de la République démocratique du Congo, a demandé la délivrance d'un visa de long séjour en qualité de conjoint de Mme C...E..., naturalisée en 2015 après avoir obtenu le bénéfice du statut de réfugié en 2009. Les autorités consulaires françaises à Brazzaville ont refusé de délivrer à M. D...le visa sollicité. Saisie d'un recours préalable, la Commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France a implicitement rejeté cette demande de visa. Par une ordonnance du 22 juin 2018, le juge des référés a suspendu la décision implicite de rejet de la commission de recours et enjoint au ministre de l'intérieur de réexaminer la demande de visa. Par une décision du 27 septembre 2018 prise en exécution de cette ordonnance, le ministre de l'intérieur a pris une seconde décision de rejet. Par un jugement du 12 décembre 2018, le tribunal administratif de Nantes a, à la demande de M. et MmeD..., annulé la décision implicite de rejet de la commission de recours et la décision du ministre de l'intérieur du 27 septembre 2018 et a enjoint au ministre de délivrer le visa sollicité. Par sa requête, le ministre de l'intérieur demande à la cour d'ordonner le sursis à exécution de ce jugement en application des dispositions de l'article R. 811-15 du code de justice administrative.
2. Aux termes du dernier alinéa de l'article R. 222-1 du code de justice administrative : " (...) les présidents des formations de jugement des cours (...) peuvent, en outre, par ordonnance, rejeter les conclusions à fin de sursis à exécution d'une décision juridictionnelle frappée d'appel (...) ". L'article R. 811-15 du même code dispose que : " Lorsqu'il est fait appel d'un jugement de tribunal administratif prononçant l'annulation d'une décision administrative, la juridiction d'appel peut, à la demande de l'appelant, ordonner qu'il soit sursis à l'exécution de ce jugement si les moyens invoqués par l'appelant paraissent, en l'état de l'instruction, sérieux et de nature à justifier, outre l'annulation ou la réformation du jugement attaqué, le rejet des conclusions à fin d'annulation accueillies par ce jugement ".
3. Il résulte de l'instruction et notamment de la réponse du 30 mai 2018 de la Commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France à la demande de communication des motifs de sa décision implicite que celle-ci est fondée sur la circonstance que M. D...présente un risque sérieux pour l'ordre public eu égard à ses fonctions au sein de l'armée congolaise et son implication dans des crimes graves commis contre des personnes.
4. Il appartient en principe aux autorités consulaires de délivrer au conjoint d'un ressortissant français le visa qu'il demande afin de mener une vie familiale normale et ces autorités ne peuvent, en conséquence, opposer un refus à une telle demande que pour des motifs d'ordre public. Figure au nombre de ces motifs la circonstance que l'étranger demandant la délivrance d'un tel visa ait été impliqué, même comme complice passif, dans la commission de crimes contre l'humanité ou de crimes graves contre les personnes dès lors que sa venue en France, eu égard à l'impact qu'elle aurait sur l'image de la France, au soupçon de complaisance à l'encontre des crimes commis qui pourrait en résulter, aux principes qu'elle mettrait en cause ou au retentissement de sa présence sur le territoire national, serait de nature à porter atteinte à l'ordre public.
5. Il résulte de l'instruction que M. D...avait le grade d'officier supérieur au sein de l'armée de la république démocratique du Congo et qu'il a été affecté à partir de 2001 à l'unité de " Détection militaire des activités anti-patriotiques " (DEMIAP). A ce titre il a été nommé comme chef du bureau T3, chargé des opérations à la région militaire de Kinshasa. Il ressort des pièces produites par le ministre de l'intérieur, et notamment des rapports d'organisations internationales, que pendant les années d'affectation de l'intéressé au sein de cette structure à un poste de responsabilité dans la capitale, la DEMIAP était une structure qui est connue pour avoir, notamment dans la région de Kinshasa, mené une répression contre l'opposition avec la mise en oeuvre de mauvais traitements et de tortures ainsi que des violences sexuelles sur des femmes soupçonnées de sympathie à l'égard de la rébellion. Il ressort de ces mêmes rapports que la DEMIAP gérait, notamment à Kinshasa, des lieux de détention, officiels ou non, échappant à tout contrôle de l'autorité judiciaire où la torture et les mauvais traitements étaient pratiqués de manière systématique et que la DEMIAP, comme les autres services de sécurité, pratiquait en toute impunité une politique d'emprisonnement arbitraire notamment à l'égard des professionnels de l'information. Dans ces conditions, et en l'état de l'instruction, le moyen tiré de ce que, eu égard à sa qualité de militaire haut gradé et du niveau d'exercice de ses responsabilités, M. D... ne pouvait ignorer les divers crimes commis alors qu'il exerçait ses fonctions au sein des forces armées congolaises et que par suite sa venue en France présente un risque sérieux pour l'ordre public paraît être de nature à justifier, outre l'annulation du jugement attaqué, le rejet des conclusions à fin d'annulation accueillies par ce jugement.
6. En conséquence, il y a lieu de faire droit à la requête du ministre de l'intérieur tendant à ce qu'il soit sursis à l'exécution du jugement du tribunal administratif de Nantes du jugement du 12 décembre 2018 du tribunal administratif de Nantes, jusqu'à ce que la cour ait statué sur la requête n° 18NT04610. Par suite les conclusions des requérants à fin d'astreinte et celles présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : Jusqu'à ce qu'il ait été statué sur le fond de l'instance n° 18NT04610, il sera sursis à l'exécution du jugement du 12 décembre 2018 du tribunal administratif de Nantes.
Article 2 : Les conclusions de M. et Mme D...sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur, à Mme C... E...épouse D...et à M. B...D....
Lu en audience publique, le 11 avril 2019.
Le président-rapporteur,
J-P. DUSSUETLe greffier,
C. POPSE
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées,
de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N°19NT00109