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29/03/2019 | FRANCE | N°18NT01991

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 4ème chambre, 29 mars 2019, 18NT01991


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A...B...a demandé au tribunal administratif de Nantes, sous le n° 1801120, d'annuler l'arrêté du 25 janvier 2018 par lequel le ministre d'Etat, ministre de l'intérieur, à compter du 2 février 2018 et pour une durée de trois mois, en premier lieu, lui a interdit de se déplacer en dehors du territoire de la commune d'Angers, en deuxième lieu, lui a fait obligation de se présenter tous les jours, à 11 heures, à l'hôtel de police et de déclarer son lieu d'habitation ainsi que tout changement de ce lie

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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A...B...a demandé au tribunal administratif de Nantes, sous le n° 1801120, d'annuler l'arrêté du 25 janvier 2018 par lequel le ministre d'Etat, ministre de l'intérieur, à compter du 2 février 2018 et pour une durée de trois mois, en premier lieu, lui a interdit de se déplacer en dehors du territoire de la commune d'Angers, en deuxième lieu, lui a fait obligation de se présenter tous les jours, à 11 heures, à l'hôtel de police et de déclarer son lieu d'habitation ainsi que tout changement de ce lieu et, en troisième lieu, a subordonné tout déplacement hors du périmètre autorisé à l'obtention préalable d'un sauf-conduit.

Par un jugement du 24 avril 2018, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 17 mai 2018, M.B..., représenté par MeC..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 24 avril 2018 du tribunal administratif de Nantes en tant qu'il a rejeté sa demande d'annulation de l'arrêté du 25 janvier 2018 du ministre d'Etat, ministre de l'intérieur ;

2°) d'annuler cet arrêté ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 1 500 euros au titre des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

- l'arrêté contesté n'est pas suffisamment motivé ;

- les dispositions de l'article L. 228-1 du code de la sécurité intérieure ont été méconnues dès lors qu'aucune des conditions qu'elles prévoient n'est remplie car, d'une part, aucun fait actuel ne justifie qu'il constitue une menace d'une particulière gravité pour l'ordre et la sécurité publics, d'autre part, ne peuvent lui être reprochés soutien, diffusion ou adhésion à des thèses incitant à la commission d'actes de terrorisme ou faisant l'apologie de tels actes ;

- en l'obligeant à se présenter quotidiennement, le ministre a commis une erreur manifeste d'appréciation compte tenu de son état de santé et de sa situation familiale.

Par un mémoire en défense, enregistré le 28 août 2018, le ministre d'Etat, ministre de l'intérieur, conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par M. B...ne sont pas fondés.

M. B...a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 19 juillet 2018.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de la sécurité intérieure ;

- la décision du Conseil constitutionnel n° 2017-691 QPC du 16 février 2018 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Lainé,

- les conclusions de M. Bréchot, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier que le domicile situé à Angers de M. B..., ressortissant français né le 19 août 1973, a fait l'objet le 12 juillet 2017 d'une perquisition administrative à la suite de laquelle il a été condamné par le tribunal correctionnel de cette ville, par jugement du 14 juillet 2017, à six mois d'emprisonnement pour détention illicite de produits stupéfiants et infraction à la législation sur les armes. Dès la remise en liberté de l'intéressé, le ministre de l'intérieur, par arrêté du 10 août 2017, l'a astreint à résider sur le territoire de la commune d'Angers, en application de l'article 6 de la loi du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence jusqu'à la fin de celui-ci, mesure assortie d'une obligation de se présenter à l'hôtel de police tous les jours à 10 heures et à 16 heures, d'une interdiction de quitter son domicile tous les jours de 20 heures à 6 heures et d'une interdiction de se déplacer en-dehors de la commune sans avoir obtenu préalablement une autorisation écrite. L'état d'urgence prenant fin le 1er novembre 2017, le ministre a, par arrêté du 31 octobre 2017, pris, en application des articles L. 228-1 et L. 228-2 du code de la sécurité intérieure, des mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance pour une durée de trois mois à l'encontre de M. B..., en premier lieu, en lui interdisant de se déplacer en-dehors du territoire de la commune d'Angers, en deuxième lieu, en lui faisant obligation de se présenter tous les jours, à 11 heures, à l'hôtel de police, et de déclarer son lieu d'habitation ainsi que tout changement de ce lieu et, en troisième lieu, en subordonnant tout déplacement hors du périmètre autorisé à l'obtention préalable d'un sauf-conduit. Par arrêté du 25 janvier 2018, le ministre de l'intérieur a renouvelé, pour une durée de trois mois à compter du 2 février 2018, ces mesures qui n'avaient pas été contestées. M. B...fait appel du jugement du 24 avril 2018 du tribunal administratif de Nantes en ce qu'il a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 25 janvier 2018 du ministre de l'intérieur.

2. Aux termes de l'article L. 228-1 du code de la sécurité intérieure : " Aux seules fins de prévenir la commission d'actes de terrorisme, toute personne à l'égard de laquelle il existe des raisons sérieuses de penser que son comportement constitue une menace d'une particulière gravité pour la sécurité et l'ordre publics et qui soit entre en relation de manière habituelle avec des personnes ou des organisations incitant, facilitant ou participant à des actes de terrorisme, soit soutient, diffuse, lorsque cette diffusion s'accompagne d'une manifestation d'adhésion à l'idéologie exprimée, ou adhère à des thèses incitant à la commission d'actes de terrorisme ou faisant l'apologie de tels actes peut se voir prescrire par le ministre de l'intérieur les obligations prévues au présent chapitre. ". L'article L. 228-2 du même code prévoit ainsi notamment que : " Le ministre de l'intérieur peut, après en avoir informé le procureur de la République de Paris et le procureur de la République territorialement compétent, faire obligation à la personne mentionnée à l'article L. 228-1 de : / 1° Ne pas se déplacer à l'extérieur d'un périmètre géographique déterminé, qui ne peut être inférieur au territoire de la commune. La délimitation de ce périmètre permet à l'intéressé de poursuivre une vie familiale et professionnelle et s'étend, le cas échéant, aux territoires d'autres communes ou d'autres départements que ceux de son lieu habituel de résidence ; / 2° Se présenter périodiquement aux services de police ou aux unités de gendarmerie, dans la limite d'une fois par jour, en précisant si cette obligation s'applique les dimanches et jours fériés ou chômés ; / 3° Déclarer son lieu d'habitation et tout changement de lieu d'habitation. / Les obligations prévues aux 1° à 3° du présent article sont prononcées pour une durée maximale de trois mois à compter de la notification de la décision du ministre. Elles peuvent être renouvelées par décision motivée, pour une durée maximale de trois mois, lorsque les conditions prévues à l'article L. 228-1 continuent d'être réunies. (...) ".

3. Par sa décision n° 2017-691 QPC du 16 février 2018, le Conseil constitutionnel a relevé que la mesure d'assignation à résidence prévue par l'article L. 228-2 du code de la sécurité intérieure, d'une part, ne répond pas aux mêmes conditions que celle prévue par l'article 6 de la loi du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence et, d'autre part, n'a pas non plus la même portée. Il en a déduit que le fait qu'une même personne puisse successivement être soumise à l'une puis à l'autre de ces mesures d'assignation à résidence n'imposait pas au législateur de prévoir des mesures transitoires destinées à tenir compte de cette succession. En outre, il résulte des termes mêmes de l'article L. 228-2 du code de la sécurité intérieure qu'il n'y a que dans l'hypothèse où les obligations imposées sur son fondement sont prononcées pour une durée cumulée supérieure à six mois que le législateur a prévu que chaque renouvellement est subordonné à l'existence d'éléments nouveaux ou complémentaires, tandis qu'il suffit pour qu'il y ait renouvellement, tant que cette durée n'est pas atteinte, que les conditions prévues à l'article L. 228-1 continuent d'être remplies. Il n'y a pas lieu, dès lors, d'exiger de l'administration qu'elle justifie les mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance qui sont prises sur le fondement de l'article L. 228-2 du code de la sécurité intérieure, après la fin de l'état d'urgence et pendant une durée cumulée pouvant aller jusqu'à six mois, à l'égard de personnes qui ont été assignées à résidence en application de l'article 6 de la loi du 3 avril 1955, par l'existence de faits nouveaux ou complémentaires par rapport à ceux qui avaient alors été pris en compte. En revanche, il appartient au juge d'apprécier, au regard des faits déjà pris en compte ainsi que de l'ensemble des circonstances intervenues depuis lors, si les conditions posées par l'article L. 228-1 du même code étaient remplies ou continuaient à l'être, lorsqu'ont été appliqués, respectivement, les premières mesures pendant une durée maximale de trois mois, ou leur éventuel renouvellement pendant la même durée maximale.

4. En premier lieu, l'arrêté du 25 janvier 2018 indique avec une précision suffisante, et non de manière stéréotypée comme le prétend le requérant dans les mêmes termes devant le tribunal comme devant la cour, les considérations de droit et de fait sur lesquelles il se fonde, ce dont il résulte qu'il est ainsi suffisamment motivé.

5. En deuxième lieu, d'une part, pour estimer que la première condition posée par l'article L. 228-1 du code de la sécurité intérieure était remplie, le ministre s'est fondé sur le fait que l'intéressé avait fait l'objet, par le passé, de multiples procédures judiciaires, de gravité croissante, notamment pour violence avec usages d'une arme, outrages sur des personnes dépositaires de l'autorité publique, port d'arme, destructions et dégradations de biens d'autrui, usage de stupéfiants et viol et sur la découverte, lors de la perquisition effectuée le 12 juillet 2017 à son domicile, de produits stupéfiants, d'un chargeur vide de pistolet de type 7,65 mm, de deux drapeaux noirs emblèmes de l'organisation terroriste " Al Qaida " affichés dans le salon et dans la chambre, et d'une photographie où il apparaît index levé vers le ciel, geste aujourd'hui fréquemment utilisé comme un signe d'allégeance à l'organisation terroriste dite " Etat islamique ". Le ministre s'est également fondé sur la condamnation pénale dont a fait l'objet M. B... le 14 juillet 2017 à six mois d'emprisonnement pour détention illicite de stupéfiants et infraction à la législation sur les armes.

6. En se bornant à soutenir, sans autre précision, que le ministre n'établit pas le caractère actuel de la menace à la sécurité et l'ordre publics, M. B...ne conteste pas la matérialité de ces faits. Ceux-ci pouvaient être pris en considération par le ministre pour apprécier son comportement, alors même qu'il a déjà été condamné pénalement. Les photographies, annexées à la note blanche produite par le ministre, et les déclarations contradictoires de l'intéressé ne permettent pas de tenir pour crédibles ses dénégations relatives à son ignorance de la symbolique des drapeaux découverts à son domicile. En conséquence, c'est sans commettre d'erreur d'appréciation que le ministre de l'intérieur a pu estimer qu'il y avait des raisons sérieuses de penser que le comportement de l'intéressé continuait à constituer une menace d'une particulière gravité pour la sécurité et l'ordre publics.

7. D'autre part, pour établir que la seconde condition prévue par l'article L. 228-1 du code de la sécurité intérieure était remplie, le ministre s'est fondé sur la note blanche consignant notamment les propos tenus par M. B...lors d'un entretien réalisé en marge de la perquisition du 12 juillet 2017. Si, lors de cet entretien, M. B... a minimisé sa pratique religieuse, une horloge réglée sur l'heure de Médine avait alors été découverte de même qu'un DVD et deux ouvrages consacrés à la prière. Par ailleurs, il a tenu des propos relativisant les agissements de l'organisation terroriste " Al Qaida ", estimant qu'il s'agissait " d'un groupe qui se défend contre l'Occident " et que " le terrorisme a été crée par l'Occident ". De même, il considérait que " les médias et le gouvernement ont inventé les attentats pour avoir une excuse de tuer des musulmans " et contestait le statut de vraies victimes de ceux qui ont été l'objet des attentats perpétrés en France, faisant ainsi sienne la théorie complotiste, et il a légitimé le jihad, se disant " prêt à mourir, si c'est pour être près d'Allah ". Au regard de tous ces éléments, M. B...se limite à des dénégations générales et ne fait part d'aucune précision, ni ne produit aucune justification, de nature à établir que son comportement et ses convictions auraient changé.

8. Dès lors, le ministre de l'intérieur a pu estimer, sans commettre d'erreur d'appréciation et au regard des faits précités, que M. B... soutient et adhère à des thèses incitant à la commission d'actes de terrorisme au sens et pour l'application de la seconde condition posée par l'article L. 228-1 du code de la sécurité intérieure.

9. En troisième lieu, il ressort des pièces du dossier que M. B...a été opéré le 12 octobre 2017 d'une hernie discale en raison de laquelle les modalités de sa précédente assignation à résidence du 10 août 2017 ont été assouplies par un arrêté du 13 octobre 2017 pour tenir compte de sa convalescence à domicile, désormais achevée. Il n'établit ni même n'allègue qu'à la date de l'arrêté du 25 janvier 2018 son état de santé justifiait un nouvel aménagement du régime d'assignation à résidence. Le requérant se borne à soutenir, sans en justifier d'aucune manière, qu'il est père de quatre enfants dont l'un serait âgé de 22 mois, et qu'il ne peut " s'occuper pleinement et sereinement de sa famille ". Dès lors, l'erreur d'appréciation invoquée quant aux conséquences de l'arrêté contesté sur sa vie privée et familiale n'est pas établie.

10. Il résulte de tout ce qui précède que M. B...n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande. Doivent être rejetées, par voie conséquence, ses conclusions tendant au bénéfice des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de M. B...est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A...B...et au ministre de l'intérieur.

Délibéré après l'audience du 12 mars 2019, à laquelle siégeaient :

- M. Lainé, président de chambre,

- Mme Tiger-Winterhalter, présidente assesseure,

- Mme Allio-Rousseau, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 29 mars 2019.

Le président de chambre, rapporteur,

L. LainéL'assesseur le plus ancien dans le grade le plus élevé,

N. Tiger-WinterhalterLe greffier,

V. Desbouillons

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

No 18NT019912

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Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 18NT01991
Date de la décision : 29/03/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. LAINE
Rapporteur ?: M. Laurent LAINE
Rapporteur public ?: M. BRECHOT
Avocat(s) : KADDOURI

Origine de la décision
Date de l'import : 03/04/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2019-03-29;18nt01991 ?
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