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29/03/2019 | FRANCE | N°18NT00957

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 4ème chambre, 29 mars 2019, 18NT00957


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B...C...A...a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 5 septembre 2017 par lequel préfet de la Vendée a décidé sa remise aux autorités italiennes.

Par un jugement n° 1709638 du 7 novembre 2017, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 26 février 2018, M. C...A..., représenté par Me Perrot, demande à la cour :


1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes du 7 novembre 2017 ;

2°) d'annuler l'arr...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B...C...A...a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 5 septembre 2017 par lequel préfet de la Vendée a décidé sa remise aux autorités italiennes.

Par un jugement n° 1709638 du 7 novembre 2017, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 26 février 2018, M. C...A..., représenté par Me Perrot, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes du 7 novembre 2017 ;

2°) d'annuler l'arrêté du 5 septembre 2017 du préfet de la Vendée ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil d'une somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

- la décision est insuffisamment motivée en ce qu'elle ne précise pas le type d'empreintes relevées en Italie et le critère de détermination de l'Etat responsable de l'examen de sa demande d'asile dont il a été fait application ni ne mentionne l'article 3 paragraphe 1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant du 26 janvier 1990 ;

- la décision est intervenue à l'issue d'une procédure irrégulière, en méconnaissance des dispositions du paragraphe 1 de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 et de l'article 5 de ce même règlement ;

- la décision, en ce qu'elle ne précise pas le critère de détermination de l'Etat responsable de l'examen de sa demande d'asile dont il a été fait application, est dépourvue de base légale ;

- le préfet n'a pas procédé à un examen complet de sa situation personnelle et a entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation au regard de l'article 17 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013, compte tenu de sa particulière vulnérabilité et du risque de violation des articles 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne en cas de transfert en Italie ;

- la décision a été prise en méconnaissance de l'intérêt supérieur de l'enfant protégé par les articles 6 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 et 3 paragraphe 1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant du 26 janvier 1990.

Par un mémoire en défense, enregistré le 27 avril 2018, le préfet de la Vendée conclut au rejet de la requête.

Il soutient qu'aucun des moyens soulevés par M. C...A...n'est fondé.

M. C...A...a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 1er février 2018.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant du 26 janvier 1990 ;

- le règlement (UE) n° 603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- l'arrêt n° 29217/12 du 4 novembre 2014 de la Cour européenne des droits de l'homme ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Besse, rapporteur ;

- les conclusions de M. Bréchot, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. M. C...A..., ressortissant somalien né le 2 octobre 1989 et déclarant être entré irrégulièrement en France le 17 avril 2017 accompagné de son épouse, a présenté, avec cette dernière, une demande d'asile auprès de la préfecture de la Loire-Atlantique le 30 mai 2017. Les recherches effectuées sur le fichier Eurodac ont révélé que ses empreintes avaient été précédemment relevées à deux reprises en Italie, les 24 décembre 2015 et 7 janvier 2016. Le préfet de la Loire-Atlantique a alors saisi le 31 mai 2017 les autorités italiennes d'une demande de reprise en charge de M. C...A...et son épouse sur le fondement du b) du 1 de l'article 18 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, que ces autorités ont implicitement acceptée. Par un arrêté du 5 septembre 2017, le préfet de la Vendée a décidé de remettre M. C... A...aux autorités italiennes. Ce dernier relève appel du jugement du 7 novembre 2017 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

2. D'une part, aux termes de l'article 3 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Les Etats membres examinent toute demande de protection internationale présentée par un ressortissant de pays tiers ou par un apatride sur le territoire de l'un quelconque d'entre eux. La demande est examinée par un seul État membre, qui est celui que les critères énoncés au chapitre III désignent comme responsable. / 2. (...) Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'Etat membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entrainent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'Etat membre procédant à la détermination de l'Etat membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre Etat membre peut être désigné comme responsable ". Par ailleurs, aux termes de l'article 17 du même règlement : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. / L'État membre qui décide d'examiner une demande de protection internationale en vertu du présent paragraphe devient l'État membre responsable et assume les obligations qui sont liées à cette responsabilité. (...) ". Il résulte de ces dispositions que si une demande d'asile est examinée par un seul Etat membre et qu'en principe cet Etat est déterminé par application des critères d'examen des demandes d'asile fixés par son chapitre III, dans l'ordre énoncé par ce chapitre, l'application de ces critères est toutefois écartée en cas de mise en oeuvre de la clause dérogatoire énoncée au paragraphe 1 de l'article 17 du règlement, qui procède d'une décision prise unilatéralement par un Etat membre. Cette faculté laissée à chaque Etat membre est discrétionnaire et ne constitue nullement un droit pour les demandeurs d'asile.

3. D'autre part, aux termes de l'article 6 du même règlement : " 1. L'intérêt supérieur de l'enfant est une considération primordiale pour les États membres dans toutes les procédures prévues par le présent règlement. (...) 3. Lorsqu'ils évaluent l'intérêt supérieur de l'enfant, les États membres coopèrent étroitement entre eux (...) ".

4. Par ailleurs, aux termes de son arrêt n° 29217/12 du 4 novembre 2014, la Cour européenne des droits de l'Homme a relevé que " si (...) la structure et la situation générale du dispositif d'accueil en Italie ne sauraient constituer en soi un obstacle à tout renvoi de demandeurs d'asile vers ce pays ", " l'hypothèse qu'un nombre significatif de demandeurs d'asile renvoyés vers ce pays soient privés d'hébergement ou hébergés dans des structures surpeuplées dans des conditions de promiscuité, voire d'insalubrité ou de violence, n'est pas dénuée de fondement ", que " les demandeurs d'asile ont besoin d'une "protection spéciale" (...) d'autant plus importante lorsque les personnes concernées sont des enfants, eu égard à leurs besoins particuliers et à leur extrême vulnérabilité, y compris lorsque les enfants demandeurs d'asile sont accompagnés de leurs parents ", et qu'il appartient dès lors à l'Etat membre qui envisage une procédure de remise aux autorités italiennes de s'assurer auprès de celles-ci qu'à leur arrivée en Italie, les personnes concernées seront notamment accueillies dans des structures et dans des conditions adaptées à l'âge des enfants, et que l'unité de la cellule familiale sera préservée.

5. À la date de la décision en litige prononçant sa remise aux autorités italiennes, M. C... A...et son épouse, faisant également l'objet d'une décision de transfert vers l'Italie, étaient accompagnés de leur dernier enfant, né en France le 15 mai 2017 et alors âgé de seulement trois mois et demi. Dans ces circonstances, et en l'absence de réponse expresse des autorités italiennes à la demande de reprise en charge formulée par l'administration française garantissant que ces autorités assurent des conditions d'accueil et de prise en charge spécifiques adaptées à la situation de particulière vulnérabilité des intéressés tenant à la présence à leurs côtés d'un enfant en très bas âge, le préfet de la Vendée, en ne mettant pas en oeuvre la clause discrétionnaire prévue par l'article 17 précité du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 et en refusant ainsi d'instruire en France la demande d'asile du requérant, a entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation.

6. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que M. C...A...est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 5 septembre 2017 par lequel le préfet de la Vendée a décidé sa remise aux autorités italiennes.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

7. Aux termes de l'article L. 742-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Si la décision de transfert est annulée, il est immédiatement mis fin aux mesures de surveillance prévues au livre V. L'autorité administrative statue à nouveau sur le cas de l'intéressé. ".

8. Eu égard au motif de l'annulation de la décision de transfert de M. C...A...vers l'Italie, le présent arrêt implique nécessairement que l'autorité administrative statue à nouveau sur le cas de l'intéressé en le munissant de l'attestation de demande d'asile mentionnée à l'article L. 741-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile prévue dans cette hypothèse. Par suite, il y a lieu d'enjoindre au préfet de la Vendée de délivrer cette attestation à M. C...A...dans le délai de quinze jours à compter de la notification du présent arrêt, jusqu'à ce qu'il soit de nouveau statué sur le cas de l'intéressé.

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

9. M. C...A...a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Son avocat peut ainsi se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Perrot, avocat du requérant, d'une somme de 1 500 euros dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et à l'article 108 du décret du 19 décembre 1991.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1709638 du 7 novembre 2017 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes et l'arrêté du 5 septembre 2017 du préfet de la Vendée décidant la remise de M. C... A...aux autorités italiennes sont annulés.

Article 2 : Il est enjoint au préfet de la Vendée de délivrer à M. C...A...l'attestation de demande d'asile mentionnée à l'article L. 741-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans le délai de quinze jours à compter de la notification du présent arrêt.

Article 3 : L'Etat versera à Me Perrot, conseil de M. C...A..., la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et à l'article 108 du décret du 19 décembre 1991.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. B...C...A...et au ministre de l'intérieur.

Une copie en sera transmise au préfet de la Vendée.

Délibéré après l'audience du 12 mars 2019, à laquelle siégeaient :

- M. Lainé, président de chambre,

- Mme Tiger-Winterhalter, présidente assesseure,

- M. Besse, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 29 mars 2019.

Le rapporteur,

P. BesseLe président,

L. Lainé

Le greffier,

V. Desbouillons

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 18NT00957


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 18NT00957
Date de la décision : 29/03/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. LAINE
Rapporteur ?: M. Pierre BESSE
Rapporteur public ?: M. BRECHOT
Avocat(s) : PERROT

Origine de la décision
Date de l'import : 16/04/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2019-03-29;18nt00957 ?
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