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19/03/2019 | FRANCE | N°18NT00922

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 6ème chambre, 19 mars 2019, 18NT00922


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C...A...a demandé au tribunal administratif d'Orléans d'annuler l'arrêté du 29 janvier 2018 par lequel le préfet du Loiret a décidé son transfert aux autorités italiennes, responsables de l'examen de sa demande d'asile, ainsi que l'arrêté du même jour l'assignant à résidence dans le département du Loiret pour une durée de quarante-cinq jours et l'astreignant à se présenter au commissariat d'Orléans chaque lundi et mercredi.

Par un jugement n° 1800375 du 2 février 2018, la magistrate d

ésignée par le président du tribunal administratif d'Orléans a annulé ces deux arrêtés, ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C...A...a demandé au tribunal administratif d'Orléans d'annuler l'arrêté du 29 janvier 2018 par lequel le préfet du Loiret a décidé son transfert aux autorités italiennes, responsables de l'examen de sa demande d'asile, ainsi que l'arrêté du même jour l'assignant à résidence dans le département du Loiret pour une durée de quarante-cinq jours et l'astreignant à se présenter au commissariat d'Orléans chaque lundi et mercredi.

Par un jugement n° 1800375 du 2 février 2018, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif d'Orléans a annulé ces deux arrêtés, lui a enjoint de réexaminer la situation de M. A... dans un délai de deux mois et a mis à la charge de l'Etat, sur le fondement des articles 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative, une somme de 1 000 euros.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés les 1er mars et 19 octobre 2018, le préfet du Loiret demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 2 février 2018 ;

2°) de rejeter la demande présentée devant le tribunal administratif d'Orléans par M. A....

Il soutient que le juge de première instance ne pouvait annuler les décisions contestées en estimant qu'il aurait dû faire usage de son pouvoir discrétionnaire au seul motif que le frère de M. A...résiderait régulièrement en France, lequel ne constitue pas un " membre de famille " au sens du règlement n° 604-2013 du 26 juin 2013.

Par un mémoire en défense, enregistré le 2 juillet 2018, M. A...conclut au rejet de la requête et demande à la cour de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil, qui renonce à percevoir la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle, d'une somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.

Il soutient que les moyens soulevés par le préfet du Loiret ne sont pas fondés.

M. A...a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 1er juin 2018.

Vu les autres pièces du dossier et notamment la lettre du préfet du Loiret du 18 octobre 2018 indiquant que l'intéressé est en fuite.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991, modifiée, relative à l'aide juridique ;

- le décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991 modifié ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme Gélard a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Le préfet du Loiret relève appel du jugement du 2 février 2018 par lequel le tribunal administratif d'Orléans a annulé son arrêté du 29 janvier 2018 portant transfert de M.A..., ressortissant ivoirien, aux autorités italiennes, responsables de l'examen de sa demande d'asile, ainsi que l'arrêté du même jour l'assignant à résidence et l'astreignant à se présenter au commissariat d'Orléans chaque lundi et mercredi.

Sur la légalité des arrêtés du 29 janvier 2018 :

2. Aux termes de l'article 3 du règlement (UE) n°604/2013 du 26 juin 2013 : " .1. Les Etats membres examinent toute demande de protection internationale présentée par un ressortissant de pays tiers ou par un apatride sur le territoire de l'un quelconque d'entre eux (...). La demande est examinée par un seul Etat membre, qui est celui que les critères énoncés au chapitre III désignent comme responsable. ". L'application de ces critères peut toutefois être écartée en vertu de l'article 17 du même règlement, aux termes duquel : " Par dérogation à l'article 3, paragraphe1, chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. ".

3. Il résulte de ces dispositions que si le règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 pose en principe dans le 1 de son article 3 qu'une demande d'asile est examinée par un seul Etat membre et que cet Etat est déterminé par application des critères fixés par son chapitre III, dans l'ordre énoncé par ce chapitre, l'application des critères d'examen des demandes d'asile est toutefois écartée en cas de mise en oeuvre de la clause dérogatoire énoncée au 1 de l'article 17 du règlement, qui procède d'une décision prise unilatéralement par un Etat membre. Cette faculté laissée à chaque Etat membre, par l'article 17 de ce règlement, est discrétionnaire et ne constitue nullement un droit pour les demandeurs d'asile.

4. Pour estimer que le préfet du Loiret avait entaché ses décisions d'une erreur manifeste d'appréciation en ne mettant pas en oeuvre la clause dérogatoire prévue à l'article 17 du règlement (UE) n°604/2013 du 26 juin 2013, le premier juge a relevé que la fiche d'entretien individuel de M. A...mentionnait la présence d'un frère résidant régulièrement en France alors même que le résumé de cet entretien précise qu' " il ne dispose d'aucune attache particulière en France ". Il a également pris en compte " des éléments circonstanciés sur la situation de ce dernier " apportés par l'intéressé lors de l'audience et le fait qu'il maîtrisait la langue française. Toutefois, alors que l'Italie est partie tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, complétée par le protocole de New-York, qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, la seule présence en France de ce frère, dont il n'est apporté aucune précision en appel, pas plus que dans les écritures de première instance, tant sur sa date d'entrée en France que sur les conditions de son séjour dans ce pays, ne suffit pas à établir que le préfet du Loiret aurait commis une erreur manifeste dans l'application des dispositions précitées de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013. Le préfet du Loiret est par suite fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif d'Orléans a annulé les arrêtés litigieux sur le fondement de ces dispositions.

5. Toutefois, il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. A...devant le tribunal administratif d'Orléans et la cour.

En ce qui concerne l'arrêté de remise aux autorités italiennes :

6. En premier lieu, par arrêté du 4 septembre 2017 régulièrement publié au recueil des actes administratifs de la préfecture, M. D...B..., préfet du Loiret, a donné délégation à M. Hervé Jonathan, secrétaire général de la préfecture, pour signer les arrêtés relevant des attributions de l'Etat dans le département, sous réserve de certaines exceptions au nombre desquelles les décisions de remise à l'Etat membre responsable du traitement de la demande d'asile ne figurent pas. Par suite, le requérant n'est pas fondé à soutenir que l'arrêté contesté aurait été pris par une autorité incompétente.

7. En deuxième lieu, la décision de remise aux autorités italiennes contestée vise les articles 3 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 et les différentes dispositions du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile applicables. Après avoir rappelé les éléments propres à la situation personnelle de M.A..., indiquant notamment qu'il était entré irrégulièrement en France, l'arrêté litigieux précise que l'Italie, responsable de la demande d'asile de l'intéressé, a implicitement accepté le 25 décembre 2017 de prendre celui-ci en charge en application du 1 de l'article 13 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, que la situation de l'intéressé ne relève pas des dérogations prévues aux point 1 et 2 de l'article 17 du même règlement et qu'il n'est pas porté une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale dès lors qu'il est marié et père de deux enfants résidant avec leur mère en Côte d'Ivoire. Une telle motivation, qui comporte les éléments de droit et de fait permettant à l'intéressé de connaître, à la lecture de l'arrêté le concernant, les raisons pour lesquelles il fait l'objet d'une réadmission en Italie, est suffisante. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation de l'arrêté contesté manque en fait et ne peut qu'être écarté.

8. En dernier lieu, selon le paragraphe 2 de l'article 3 du règlement susvisé n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " (...) Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'Etat membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entrainent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'Etat membre procédant à la détermination de l'Etat membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre Etat membre peut être désigné comme responsable ".

9. Si l'Italie est un Etat membre de l'Union européenne et partie, tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, complétée par le protocole de New-York, qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, il appartient néanmoins à l'administration d'apprécier dans chaque cas, au vu des pièces qui lui sont soumises et sous le contrôle du juge, si les conditions dans lesquelles un dossier particulier est traité par les autorités de ce pays répondent à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile. Si M. A...soutient que les demandes d'asile ne seraient pas traitées actuellement en Italie dans des conditions conformes à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile, il ne produit aucun élément concret à l'appui de cette allégation pour renverser la présomption contraire et il ne démontre pas davantage qu'il serait personnellement exposé à des risques de traitements inhumains ou dégradants en Italie. Ainsi, le moyen tiré de ce que la décision contestée aurait été prise en méconnaissance des dispositions de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ne peut qu'être écarté.

En ce qui concerne l'arrêté portant assignation à résidence :

10. En premier lieu, pour le même motif que celui exposé au point 6, M. Hervé Jonathan avait compétence pour signer l'arrêté contesté portant assignation à résidence de M.A.... Par suite, le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de cette décision ne peut qu'être écarté.

11. En deuxième lieu, l'arrêté du 29 janvier 2018 d'assignation à résidence de M. A...vise les dispositions applicables du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, rappelle la situation administrative de l'intéressé puis indique que l'exécution de la décision de remise aux autorités italiennes demeure une perspective raisonnable. Par suite, le moyen tiré d'une insuffisante motivation ne peut qu'être écarté.

12. En troisième lieu, compte-tenu de ce qui a été dit aux points 2 à 9 du présent arrêt, le moyen tiré, par voie d'exception, de l'illégalité de l'arrêté portant remise de M. A...aux autorités italiennes doit être écarté.

13. En quatrième lieu, en vertu de l'article L. 561-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, l'étranger astreint à résider dans les lieux qui lui sont fixés par l'autorité administrative doit se présenter périodiquement aux services de police ou aux unités de gendarmerie. Aux termes de l'article R. 561-2 du même code : " L'autorité administrative détermine le périmètre dans lequel l'étranger assigné à résidence en application de l'article L. 561-1 (...) est autorisé à circuler muni des documents justifiant de son identité et de sa situation administrative et au sein duquel est fixée sa résidence. Elle lui désigne le service auquel il doit se présenter, selon une fréquence qu'il fixe dans la limite d'une présentation par jour, en précisant si cette obligation s'applique les dimanches et les jours fériés ou chômés (...) ".

14. Si une mesure d'assignation à résidence apporte des restrictions à l'exercice de certaines libertés, en particulier la liberté d'aller et venir, elle ne présente pas, par elle-même, compte tenu de sa durée, de ses effets et de ses modalités d'exécution, le caractère d'une mesure privative de liberté. Dans ces conditions, l'arrêté assignant M. A...à résidence et lui imposant de se présenter au commissariat d'Orléans chaque lundi et mercredi, ne méconnait pas les dispositions précitées de l'article R. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, et n'est entachée d'aucune erreur manifeste d'appréciation.

15. En dernier lieu, si le requérant, dont l'épouse et les deux enfants résident en Côte-d'Ivoire, soutient que la décision contestée porterait une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale, il n'apporte aucun élément à l'appui de ce moyen. Il n'est par suite pas fondé à soutenir que l'arrêté contesté serait contraire aux stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

16. Il résulte de ce qui précède que le préfet du Loiret est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné du tribunal administratif a annulé ses arrêtés du 29 janvier 2018, lui a enjoint de réexaminer la demande de M. A...dans un délai de deux mois et a mis à la charge de l'Etat, sur le fondement des articles 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative, une somme de 1 000 euros.

Sur les frais liés au litige :

17. Les dispositions des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, le versement de la somme que le conseil de M. A...demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1800375 de la magistrate désignée du tribunal administratif d'Orléans du 2 février 2018 est annulé.

Article 2 : La demande présentée devant le tribunal administratif d'Orléans par M. A...ainsi que ses conclusions d'appel sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à M. C... A.... Une copie sera transmise au préfet du Loiret.

Délibéré après l'audience du 1er mars 2019 à laquelle siégeaient :

- M. Lenoir, président de chambre,

- M. Francfort, président-assesseur,

- Mme Gélard, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 19 mars 2019.

Le rapporteur,

V. GELARDLe président,

H. LENOIR

La greffière,

E. HAUBOIS

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 18NT00922


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 18NT00922
Date de la décision : 19/03/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. LENOIR
Rapporteur ?: Mme Valérie GELARD
Rapporteur public ?: M. LEMOINE
Avocat(s) : SELARL MALLET GIRY ROUICHI

Origine de la décision
Date de l'import : 02/04/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2019-03-19;18nt00922 ?
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